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^ Z.LrJ\ef~ze pi/1 x:
BaxuletJciUp
«.»
HISTOIRE
D E
LA LIGUE
FJ R
qMON S lEV K Ç:MAI MBOV RG.
A PARIS,
Chez Sebastien Mabre-Cramoïsy, Imprimeur
du Roy, rue Saint Jacques, aux Cicognes.
M. D C. L X X X 1 1 I.
K^VEC ArPROBATION ET PRIVILEGE,
ËÎSLIOTHECA )
A U R O Y
V\ ', >• - -t
i - i c - '
IRE,
*.- *
.^ .• j
1 ^A France j qui eftant hien nnte ^
xo-mme an la voit jous U glorieux
a uj
Q>
E P I T R E.
Règne de Vostre Ma j es t e",
pourro if faire la loy à tout le refle de
la terre , faillit à fe détruire elle -
mefme , far la divifion que deux fu-
nèfles Ligues de Rebelles y mirent,
lune vers le milieu, ù* l'autre fur
la fin du fiecle pafle^.
JUHenfie forma la -première contre
la vraye Religion : V Ambition tra-
veflie en T^le fit naiflre la féconde,
fous prétexte de maintenir ce que laU"
tre vouloit ruiner: ù* toutes deux ,
quoy - qu ennemies implacables lune
de Vautre, fe font néanmoins accor-
dées à lever chacune de fon coflé' en
divers temps tetendart de la Rebel-
lion contre nos Rois.
J'ay fait voir les crimes de la pre*
mère dans IHifloire du QzlvinifmCs
E P I T R E.
qui fit en France cette Ligue impie
contre le Seigneur, & contre Tes
Oingts; cb*/V découvre ceux de la fé-
conde en cet ouvrage que je prefente
à VosTRE Majesté' comme
le fi'uit de mon exa^e ohéïjfance aux
ordres dont il luy a plu mhonorer.
J'ay tafcbe" de les exécuter avec d'au*
tant plus de joye , que fay crû qu'en
lifant cette Hifloire , on verroit lafauf
fête de certains avantages que les Li-
gueurs ç^ les Huguenots fe font voulu
attribuer : ceux-cy, en difam, comme
ils font encore affe\fouvent, qu'ils ont
porté Henry IV. fur le trône j é^ ceux-
là, que leur Ligue a caufé fa con-
verfîon. ' ^ *' '"' " "
J'efpere qu on fera hientofî defahufc
de cette erreur, é^ q^on verra claire-
E P I T R E.
ment que ce font les C<^tholiques du
farti Royal , dont Dieu sejl voulu
fervir pour produire ces deux effets fe
avantageux à la France. Nom fie de-
vons ni Vun ni Vautre à ces deux
malheureufes Ligues :, qui font les deux
ennemis les plus dangereux quon ait
jamau eu à comhatre en ce Koyaunu ;
(Ù:^ il paroijl manifeftement aujour-
d'huy que ceftoit aux Rois de l'Au-
giifte Branche de Bourbon que la Pro-
vidence divine avoit referve la gloire
den triompher,
Henry IV. vainquit é^ reduifitla
Ligue des Faux-T^le^^ par la force
invincible de fes armes 3 (ù^ par les
doux (fp^ ?nerveilleux attraits de fa
démence. Louis le Jufle defarma celle
des Calvinifies par la prife de la Ro-
cheUe^
E P I T R E.
Mie cb* des autres -places dont ces
HereJ^ques Rebelles seftoient fait tine
fjpece de 'Ké'pnhlîqtie contre leur Sou-
uerain Monarque. Et Louis le
Grand, fans employer d'autres ar^
'mes que celles de fon ardente charité',
4^ de fon 7^ le incomparable pour la
converfion des Troteftans accompagnf
de la juftice de fes Ordonnances ^ la
mife en un eflat qui nom fait croire
quon en verra bientôt la fin ^ par la
réduâion de ceux qui abufe\ ds^ rete-
nus par leurs Alinifires , font encore
dans r erreur, plus par ignorance que
par malice. Et ceft ce qui furpajfera'
toutes les merveilles que nom voyons
fous ce bienheureux Règne , ^ .\;-. 1
En effet , Sire, Voftre Majefie
a fait par fes Armes viâorieufes, par
E P I T R E.
fa genfreufe bonté, (f^ par fa magnifi-
cence plus qiie loyale toutes ces gran-
des é^ héroïques avions qui feront tou-
jours admirées de toute la terre, ù*
toujours infiniment au deffus de tous
les éloges que tous les fiecles à venir
luy pourront jamais confacrer à l'e-
xemple du noftre. Je n entreprendra}
pas de les louer:, parce qu'elles ont déjà
épuife toutes les louanges qu'on leur
peut donner, (ù^ qui pourtant nont pu
encore nous former cette jufie idée que
Von en devroit concevoir. Je diray
feulement que tout ce que Vous ave\
fait avec tant de jujlice, de force cb*
de gloire , pour étendre la Monarchie
Françoife jufques à fes anciennes borg-
nes, é^ pour la rendre , comme elle eft
aujourdhuy , aufji florijfante (ù^ aufft
Ë P I T R B.
refpe^fe de tout le inonde quelle lait
jamais efte" fous les plus grands c^
d^ les plus reno772me\ de nos Monar-
ques , nejl pas encore fi grand de-
vant Dieu que ce que V o s T r e
Majesté fait tous les jours avec
tant de pieté , de T^le , é^ de fuc-
cù j pour accroiftre le Royaume de
J E s u s-C H R I s T j f« procurant par
des moyens cb^ f doux é;^ ft efficaces
la converfion de nos Troteflans.
Cefï-là, S iKE, fans doute la plus
glorieufe de Vos Q^nquefles , <t^ qui
tandis que Vous joilïre\long- temps fur
la terre de la gloire fi légitime que
toutes les autres Vous ont aquife ,
Vous préparera dans le Qel un Triom-
phe éternel. Voilà ce que deriiande à
Dieu continuellement , par fis plus ar-
é ij
E P I T R E.
dentés prières , celuy qui eHant comble
des grâces àr* des faveurs deY ostke
Majesté', vit aujourd'huy fous
une fi pui/fante proteâion le plus con-
tent de tous les hommes , é^ le plus
oblige deftre toute fa vie avec tout
le rejpe^ Ù^ tout le 'ï^le imagi-
nable ^
^ 7 R Ê,
DE rOSTRE JHÀJESTE
Le trcs- humble, tres-obéïfTant,
&: trcs-fidclle fujct & ferviteur,
Louis Maimboub-g.
fi'
qA FE RTJ S S E M E N T. '
CO AI M E il y aura peut - eflrc des'
gens qui prendront quelque inte-.
relt à cette îiiftoire , parce qu'ils font les
petits -fils de ceux dont on y parle : je les
prie de conliderer que pour écru'e en vé-
ritable hiftorien , je fuis obligé de dire
iincerement le bien ou le mal qu'ils ont
fait. Ceft à ceux qui nous ont prefcrit Ne quid veri
les loix inviolables de l'Hiftoire qu'il faut Nc'quid'tïa
s'adreiTer, pour leur faire rendre compte cTnr!'
de leurs ordonnances , fi l'on en eft peu
fàtisfait, de non pas aux hiftoriens -qui
doivent indifpenfablement leur obéïr, dc
dont toute la gloire qu'ils peuvent ef-
perer conhile à bien exécuter leurs or-
dres.
Ainfi, comme je ne prétens pas qu'on
me f^ache gré du bien que je dis de ceux
pour qui l'on s'interefTe : je crois aufli
qu'on ne me doit point vouloir de mal
fi je reprefente ce qui n'efl pas trop à leur
avantacre. Je raconte fidellemcnt les faits
que je trouve en de bons auteurs , ou
dans des Mémoires particuliers , que je-
^VEK'ïl s s EMENT,
tiens pour très-bons après les avoir bien
examinez.
Je fais plus. Car comme on n'eft nulle-
ment obligé de me croire , quand je di-i
r^y en général que j'ay eu de bons Ma-
nufcrits , fur la foy defquels je raconte ce
qu'on ne trouve pas ailleurs : je marque
fort fmcerement éc en particulier quelles
font les fources d'où je l'ay tiré. Je fuis
mcfme pcrfuadé que tout hiftorien qui
prétend mériter quelque créance en doit
ufer ainfî. Car s'il ne tient qu'à dire que
ce qu'on produit d'extraordinaire on l'a
trouvé en de bons Manufcrits, fans qu'on
ait foin de les faire connoiftre, fous pré-
texte qu'on n'en a eu la communication
que fous le fceau d'un inviolable fecret :
il n'y a point de fables qu'on ne puiffe
hardiment débiter pour des veritezj &
un Ledeur qui n'eft pas trop crédule &
trop complaifant fe gardera bien d'en rien
croire. Et c'eft pour cela que je me fuis
toujours obligé de marquer à la marge
les Livres , les Relations ÔC les Mémoi-
res , fbit imprimez , foit manufcrits , où
je prends les faits dont je rends compte
à mon Ledeur,
ftA VERTIS SE MENT.
Un de ces Ecrivains donc je me fuis le
plus iervi, eft M. Pierre Vidor Cayet
dans fa Chronologie Novennaire, conte-
nant l'HilTioire des guerres de Hemy IV.
parce que l'ayant preique toujours fuivi
depuis qu'il fut mis auprès de luy avec
le lîcur de la Gaucherie, qui fut Préce-
pteur de ce Prince , il y a bien de l'appa-
rence qu'il eftoit mieux informé de ce
qui fe pafToit en ce temps - là ôc qu'il
voyoit fouvent luy-mefme, que ceux qui
n'ont pas eu cet avantage. ;••
C'eiloit au relie un des plus docles &:
des plus habiles Miniilres que nos Pro-
teftans ayent jamais eus , 6c il fervit en
cette qualité Madame Catherine fœur du
Roy, juiqu'à ce qu'environ deux ans après
la converfion de ce grand Prince , il ren-
dit témoignage à la vérité qu'il avoit
connue, &: fit fon abjuration folennelle-
ment à Paris. Il publia mefme les motifs
de fa converfion par un fçavant écrit qui
fut receû avec grand applaudiflement en
France bc dans les païs étrangers 3 &; fon
exemple fouftenu des puiilances raifons
d'un il habile homme , Sc aufquelles on
ne fit point de folide réponfe , fut bien--
s -.IR
,1 .1 .
.l*-î
^ VE R TJS S £M F N T,
toft fuivi de la converlion d'un grand
nombre d£- Proteftans , qui reconnurent
après luy la faufTeté de leur Religion
Prétendue" Reformée.
xctire d-un Cck mit cn û mauvaife humeur £cs an-
'^7n'fi"n'^ami'. dens Confrères les Miniilres , qu'ils fe dé-
""'' -chairnerent furieufement contre luy. Ils le
chargèrent d'une infinité d'injures, & tat
cherent de le . noircir par mille horribles
calomnies , dont ils ont rempli entre au-
iitm. de la ^^^^ Hbelles celuy qu'ils ont mis parmi
Ligue.t.e. |g^ Mémoires de laLisiue^^ndillimulant,
c«y«, s.î. :p^r une inii^ne lafcheté les. réponies fo-
iides & convaincantes qu il y avoit raites :
ce qui fuftit pour découvrir la faulTeté
.'de tout ce qu'ils ont écrit pour le ditfa-
aner félon le génie de leur Hérefîe.
Car de tous les Hérétiques , il n'en eft
point qui ayent elle plus cruels & plus
-médifans que les Calvin illes , &: qui fe
ifoient vengez de leurs pj:étend:us enne-
imis plus -barbarcment par les armes &
par les voyes de fait quand ils en ont eu
le pouvoir , &: plus impudemment par
la plume &; par les libelles quand ils
n'ont pu faire autre chofe, en déchirant
par toutes fortes d'injures 6c d'impoftu-
res
tAVERTI s s EMENT.
res ceux qui fe font déclarez contre leur
parti.
En efifct, que n'ont-ils pas dit pour
deshonorer la mémoire des fieurs de Spon-
de Lieutenant General à la Rochelle ,
Sallctte Confeiller du Roy de Navarre,
de Morlas Confeiller d'Ellat &C Surinten-
dant des Magazins de France, du Fay,
de Clairville , Rohan , 6c de cent autres
de leurs plus célèbres Minillres , qui après
avoir efté parmi eux de fort honncfles
gens, oc les premiers de leur Conliltoire,
font par une étrange métamorphofe de-
venus tout - à - coup de grands icelerats ,
ôc les derniers de tous les hommes pour
avoir abjuré le Calvinifme ? Par combien
d'impoftures èc de calomnies n'ont-ils pas
entrepris de perdre de réputation tous
ceux d'entre les CathoHques qui fe font
oppofez le plus fortement à leurHérefîe?
L'Hiftoire nous en fournit mille preuves,
ôc l'on n'en a que trop dans les Fragmens
que M. le Laboureur nous a donnez de ^^'^'f- *«*
leurs mlolentes batyres, ou ils n épargnent «'•
rien de tout ce qu'il y a de plus invio-
lable fur la terre j non pas mefme nos
Rois.
AVERTI s SE ME NT.
Et c'eft pour cela que cet Ecrivain,
dans un Chapitre de Ton Livre où il ne
i,v 1. fÈ4/.i. parle que d'une petite partie de ces li-
''^*^' Celles, après avon- dit que les efprits les
plus fatyriques Ôcles plus libertins eftoient
dans le parti Huguenot j ajoufte cqs pa-
roles très -coniidérab les : J'aurois eu honte
de lire tous ces libelles pour les hlajphêmes,
& pour les énormitezj, dont ils font remplis ,
fi cela na'uoit aidé a me confirmer dans la
créance qu'il j avoit plus d'impiété que
d'erreur & d'aveuglement dans leur do-
Bnne 3 CjST* que leurs mœurs efioient encore
plus corrompues que leurs fintimens.
Liv.t.(h»f.2. Il nous aileûre ailleurs, que ces nou-
^''^^' njeaux E'van gélifie s ont fait des "volumes
entiers de médifiance dont il a ^ueû plus de
quarante ]\danufirits 3 & qu'il ne faudroit
point d'autres pièces pour juger le différend
de la Religion , & pour éluder le beau pré-
texte de Kéformatton de ces Novateurs.
Ainfî tout ce qu'ils ont écrit avec tant
T«R A je ne diray pas d'emportement , mais de
,\; .j lU ., fureur contre le fîeur Cayet, auflitoft après
fa converfion , ne luy peut faire aucun
préjudice, non plus que leur ridicule pré-
did-ion, par laquelle ils afleûroient qu'il
AVERTI s s E MENT.
ne Icroit bicntoll: ni Huçriienot ni Catho-
Jique , àC qu'il teroïc un tiers parti entre
les deux Religions. Car il vécut toujours
il bien parmi les Catholiques , qu'après
avoir donné en toutes les occalions de
grandes preuves bc de fa vertu 6c de fa
dodrine , il fut trouvé digne de recevoir
l'Ordre de Prcftrife , ÔC le Bonnet de Do-
deur en Théologie, &; fut Lecteur 6c
Profefl'eur Royal pour les Langues Orien-
tales, j - --:
Or, comme en Tannée mil fîx cens
cinq, dix ans après fa converlion, il eût
publié fa Chronologie Septénaire de Ja
Paix qui fe fît à Vervins en l'année mil
cinq cens quatre vingts -dix -huit, quel-
ques - uns des plus Grands Seigneurs de
la Cour qui connoiiloient fon mérite , ôC
l'avoient veû auprès du Roy, dont il avoir
l'honneur d'eftre fort connu &: conhderé,
Tobligerent d'ajoufter à fonHilloire de la
Paix celle de la Guerre que ce grand
Prince lit pendant neuf ans depuis fon
avènement à la Couronne en mil cinq
cens quatre-vingts-neuf jufques à la Paix
de Vervins. C'eft ce qu'il fît dans Its
trois Tomes de fa Chronologie Novea-
^VEtri s SE ME NT. ^
naire, qui fut imprimée à Paris en l'année
mil fix cens huit, & dans laquelle, avant
que d'en venir au Règne de Henry I V.
il fait un abrégé de ce qui fe fit de plus
confiderable pendant la Ligue jufques à
la mort de Henry III. Et c'eft en partie
de cet Auteur , 6c en partie de ceux qui
ont pu voir comme luy ce qu'ils ont
écrit, foit en des Livres imprimez, foit
en des Mémoires particuliers , que j'ay ti-
ré les chofes que je raconte en cette HiC
toire.
Je ne fuis donc pas le témoin , ni mef-^
me, comme hiftorien, le juge du mérite
de ces faits , pour décider s'ils font dignes
de louange ou de blafme ; je n'en fuis que
le fimple rapporteur : 6c quand en cette
qualité je ne prétends pas que l'on me
croye fur ma parole, &c que je cite mes
Auteurs &; mes garands, comme j'ay fait
dans toutes mes Hiftoires,je ne crois pas
qu'on ait rien à me reprocher.
Sur cela il me femble qu'on peut dire
fort véritablement, que fi au lieu d'exa-
miner les faits, pour fç avoir s'ils font bien
ou mal rapportez j conformément aux
pièces qu'on produit, on fe jette à quar-
f^VE^TI s SE M ENT,
tier,ô<: fur la queftion de droit, pour juf
tifîer ce qui s'ell fait, ou pour le blaimer :
on perd le temps en des difcours fort inu-
tiles, ôC aufqucls un hiftorien ne doit
prendre nul intereft. Car enfin il n'ell
refponfable que des faits qu'il rapporte
fur la foy de ceux dont il les a tirez, en
prenant de chacun d'eux quelque par-
ticularité qu'un autre ne dit pas , pour
faire de toutes enfemble un nouveau corps
d'Hiftoire , qui a tout un autre air que
dans les auteurs qui l'ont précédé.
Et c'eft en quoy confifte une grande
partie de la finefTe & de la beauté de ces
ibrtes d'ouvrages , ÔC ce qui fait qu'en
demeurant toujours dans les termes de
l'exade vérité, on peut prétendre légiti-
mement à la gloire de l'invention, ÔC
qu'on a le plailir de faire paroiftre une
nouvelle Hiftoire , quoy-qu'en n'écrivant
que des chofes qui font d'un autre fiecle ,
on ne puifTe prefque rien du*e que ce que
les autres ont déjà dit , foit dans les Li-
vres imprimez , (bit dans de certains Ma-
nufcrits , qui pour eftre particuliers OC peu
connus, ne font pas néanmoins l'ouvrage
de celuyqui écrit l'Hifloire, .] u:.-: j-t-'
/ tîf
%
(
^VEUr I s SE MENTi ^
Au reflcj il ne faut pas que l'on s'é-»
tonne de ce que je ne donne qu'un vo-
lume, quoy-que le fujec que je traite fbic
d'une très - valle étendue. Je ne prétends
pas dire tout ce qui s'eft fait à l'occafion
de la Ligue, dans toutes les Provinces ^
tous les lîeges, toutes les prifes, toutes
les furprifes de tant de places qu'on a
veû tenir tantoil pour le Roy, tantofh
pour la Licrue , &; cette infinité de petits
, ^ . ■ ' r •' r ' •
combats qui ont tire. Il j oie m exprimer
ainfî, du iang de toutes les veines de la
France. Tout cela doit entrer dans l'Hif-
toire générale de ce Royaume fous le
Règne des deux derniers Henris, laquelle
on peut voir en plulîeurs célèbres Hillo-
riens, & principalement dans le dernier
Tome de feu M. de Mezeray , qui s'efh
HirpalTé luy-mcfme en cette partie de fon
grand Ouvrage. o ^37
c Je me renferme dans ce qu'il y a de
plus eifentiel à l'Hiftoire particulière de
k Ligue , &; je me fuis feulement appli-
qué à la recherche de fa véritable origi-
ne, à découvrir fes intrigues, fes artifi>-^
ces, &: les motifs les plus fecrets qui ont
fait agir les Chefs de cette confpiration
VU
(^VERT I s s E ME N T.
a laquelle on a donne avec cane d'injullice
le magnifique titre de Sainte Union j &:
en fuite à décrire exadement les princi-
pales adionSjÔC les plus grands ÔC figna-
îez évenemens qui ont décidé fouverai-
nement de la fortune de la Licrue. Voilà
le plan de mon dellein.
Pour la fin que je me fuis propofée en
le concevant, & en l'exécutant, je puis
dire que c'a elle de faire bien compren-
dre à tous ceux qui liront cette Hiiloire,
que toute Union que l'on forme contre
fon Souverain , particulièrement quand
on tafche de la couvrir d'un ipecieux
prétexte de Religion bc de pieté , comme
firent les Huguenots &: les Ligueurs , ell
toujours tres-criminelle devant Dieu , &
ordinairement très - malheureufe & tres-
funelfe à ceux qui font ou les auteurs
ou les complices de ce crime.
^S*
SOMMAIRE
ïï M î ^ ".r. M o <?
SOMMAIRE
DES LIVRES.
LIVRE PREMIER.
T E Plan général de U Ligue. Son origine , fon deffiin,
J—J & le J'iccés quelle eut tout contraire à U fin qu'elle
s'efioit proposée. En quoy elle fut Jeniblable à U Ligne du
Calvinijme. Vefiat oit Je trowvoit U France au retour de
Pologne de Henry III. Le mauvais confcil qu'il jiiivit
d'abord en recommençant la guerre. L'éloge , o- le portrait
de ce Prince. Le changement Jùr prenant qui Je -vit dans fa
conduite & dans Jcs mœurs. La jonction des Politiques ou>
Mecontens avec les Huguenots. Leur puijfanie armée com-
mandée par le Duc d' Aknçcn. La faix qui fe fit p.tr i'en-
tremife de la Reine Mère , qui fit faire l'Edit de May tres-
fivorable aux Huguenots, cét Edit efi C occafion qui fait
naiftre la Ligue. Elle fut premitrtmcnt conceué par le Car-
dinal de Lorraine au Concile de Trente. Il en Lnjfa le def-
jêin à fon neveu le Dite de Guife. La Conférence & le "Trai-
té fecret de ce Duc avec Dom 'Jean d'Autriche. Comment
Philippe II. le découvrit, c^ s'en fervit pour engager le
Duc 4 prendre les armes. L'éloge de ce Prince , dr fion por-
trait. Comment ce Prince fe fervit du Seigneur de Humie-
res pour commencer la Ligue. Son projet., fe s Articles, é"
fon progrés. Le Seigneur Louis de la Trifn ouille s'en dé-
clare Chef en Poitou. Les premiers Eflats deBlois,ou le Roy,
pour ajfoihlir ce parti , s'en déclare Chef par le confcil df*
fieur de Morvillt€r,L'éloge,0' le portrait de ce grand hommt,
0
SOMMAIRE
jO vi-/ homme eftoit C Avocat David. Ses mémoires extra'
l'ugans. Jiifiijication du. Pape Grégoire XIII. contre U
talomnie des Huguenots qui L'en ont voulu faire Autheur.
L'Edit de M.iy révoqué dans tes Eftats. La guerre contre
les Huguenots Ju.vic bentojt après de la paix (^ de L'Edit
de Poitiers en leur fivcur qui aigrit les Ligueurs. Reta-
blijfenunt de l Ordre du Saint Ejprit par Henry 1 1 1. pour
fe f.îirc une nouvelle milice contre ces mutins. Le Duc
d' Alencon en Flandre , ou il ejl déclaré Duc de Brabant.
Cela fait que Philippe II. prejje le Duc de Guife de fe dé-
clarer. Il le fait peu après la mort de ce Duc. La Confé-
rence du Duc d'Ejpirn^on avec le Rey de Navarre luy en
fait naifire l occujion. il fe fert pour cela du vieux Cardi'
nal de Bourbon, du nom duquel il abufe. Grande foibleffc
de ce Cardinal. L'hifioire de L'origine , du progrés , des ar-
tifices & des dffeins de la Ligue des Seiz^e de Paris. Traité
du Duc de Guife avec les Députez, du Roy d'Ejpagne. il
commence la guerre par la fur prife de plufieurs Villes. La
haine qu'on porte aux Favoris , c^ fur tout au Duc d'Ef-
pernon , fiit entrer plufienrs Grands Seigneurs dans fo»
parti. Cette première guerre de la Ligue enipefche la réfi"
nion des Pais -Bits a la Couronne , & mefme la ruine des
Huguenots. Marfeille (^ Bordeaux garantis des entreprifès
de la Ligue. La généreufe Déclaration du Rcy de Navarre
fontre les Ligueurs, df celle du Roy efltrop foible. Conférence
Ô" Traité de Nemours , & l'Edit de Juillet en faveur des
Ligueurs contre les Huguenots. Vnion du Roy de Navarre
& du Prince de Condé avec le Marefchal de Damville,
Mort de Cngoire XIII. & création de Sixte V. La Bulle
foudroyante de Ce Pape coi'ttre le Roy de Navarre & le
Prince de Condé. Difcours & écrits contre cette Bnllt. Pro-
teftation du Roy de Navarre afîchéi dans Rome. Guerre e»
Poitou qui réiijfit peu au Duc de Mayenne. Les Marefchaux
de Matignon ^ de Biron luy rompent fous main f s mefu-
res. Hiftûire de la malhcunufe expédition du Prince de
Condé fur Angers; U dijjlpation de fin armée. Ordonnan-
tes du Roy contre Us Huguenots. Le Forma Uirt qu'on Uur
DES LIVRES.
fait figner quand ils fe convertijjènt. (^mbaffade des Trln^
ces Protefliitis d' Allemagne , qui demandent au Rcy U révO'
cation de fis Edits. Réfonfi du Roy forte & génércufi. L*
Conférence de Saint Brix. Les impojîures des Ligueurs,
Origine des Confrairies des Penitens. Le Roy en établit une
dans Paris ou il s'enrolle. L'infolcnce des Prédicateurs de la
Ligue. Emblème fcandaleufe qu'on fit contre le Roy. L'im-
fudence du Docteur Poncet , e/" fi"^ punition. Le Roy fait
inutilement tout ce qu'il peut pour avoir U paix , & fi
réfiout enfin a la guerre.
LIVRE SECOND.
LE Duc de G ni fie fi plaint au Roy des infiaélions quil
prétend qu'on a faites au Traité de Nemours. La ré'
fonfie à ces plaintes qu'on trouvoit fort déraifinnables. Le
defietn du Roy dans la guerre qu'il eft contraint de faire
malgré luy. La fortune & l'élévation du Duc de Joyeufi.
Ses bonnes (y fis mauvaifis qualitcz,. Il commande l armée
Royale contre le B.cy de Navarre. Ses exploits en Poitou , cr
ceux du Roy de Navarre. Bataille de Coutr*s. Différence des
deux armées. Comment eUes furent rangées. Le premier choc
Avantageux au Duc ; la défaite cnticre de fin armée. La
victoire complète du Roy de Navarre ^ fia valeur héroïque
durant le combat, d^ fin adinirable cUmence après la vi-
éloire. Il ne fiait, ou ne veut pas en ufier, & pourquoy. La
reviue de l'armée des Reitres dans la plaine de Strasbourg.
La naifjance (y les qualitez, du Baron de Dona. Le Duc de
Guifie entreprend avec très -peu de troupes de ruiner cette
grande armée. Les ravages quelle fait dans la Lorraine.
Pourquoy le Duc de Lorraine ne voulut p.ts quon s'oppofifi
au pajjage de cette armée. Defiription de la belle retraite du
Duc de Guife au Pont Saint rincent. L'entrée des Reitres
en France. Le Duc de Guifi les harcelé continuellement.
L'Armée Royale a Gien. Le Roy la va commander en pet'
fionne, é" s'oppofie vigomenfiement au paffage des Reitres,
0 tj
\
\
.'S O. M MAIRE'
Liurcetifleriidtion trouvant tout Le contraire de ce que les
Hugueacs François leur avoient promis pour les appaijèr.
On les mené dans la Beauce. Le Duc de Guife les y pour-
fuit, Defiïiption de l'attaque & du combat de Vimory, oU il
jUr prend & dé fuit une partie des Reitres. Belle action du
Duc de Moyenne. Retraite à Montargis. Sédition dans l'ar-
mée Etrangère après cette l'icloire. L'arrivée du Prince de
Conty Lieutenant Général du Roy de Navarre y remet la.
poye (^ l'obéiiftncc. Le Duc de Guife ne s'e fiant réfervé que
cinq mille hommes, ne laiffe pAS de pourfuivre les Reitrej
juffucs à Anneau. La fituation de ce Bourg, Le Baron de
Dona s'y loge avec les Reitres. Le Duc de Guife fe dijpofe À
les y attaquer, il gagne le Capitaine du Chufeeau pour avoir
l'entrée par 11 dans le Bourg. La difeofition de fon armées
l'ordre de l'attaque, le combat, la défaite entière des Reitres
Jans aucune perte de fin cofec. Le Traité du Duc d'Ejpernon
Avec le refle de ces Alknians. Leur déplorable retour. Le Duc
de Guife les ponrfuit jufju'aux frontières d'Allemagne, il
laife ravager le Comté de Montheliard. L'infelcnce des Li-
gueurs après cette viéloire. La trop grande bonté du Roy, de
laquelle les feditieux tirent avantage. L'horrible emportement
de Prevojî Curé de Saint Scvtrin , df de Boucher Curé de
Saint Benoift. La fournée de Saint Severin. Le Décret fean-
daleux de la faélion des Docteurs que les Seize avaient pour
eux dans la Sorbonne. On rcfufe au Duc de Guife l'Admi-
rauîé qu'il demande pour Brijfàc , ér on la donne au Duc
d'Ejpernon fon ennemi. Le caraÛere,^ le portrait de ce Duc,
La haine qu'on luy porte. Le dépit qu'eût le Duc de Guife
du refus qu'on luy fit , & de l'élévation de fon ennemi le
fait refoudre à ne plus rien ménager.
.^^^•' ■ '
LIVRE T R O I S I E' M E.
PLufeeurs prcdigss qui préfagent les malheurs qui vont
arriver. Conférence de Nancy de toits les Princes de la,
tJiUijon de Lçïmr,e. LesArtielss de k Requefe qu'ils pre^ _
DES LIVRES.
fcnttnt au Roy contre l'autorité Royale. Diffimnlttlon du
£tiy, fe voyant prefc dy répondre précisément. La mort d»
frtnce de Condé ; l'éloge de ce Prince. Le Roy prend enfin U
réfolution de punir les Stiz,e. Ses préparatifs pour cela. L'A"
larme que les Parifiens en prennent, ils implorent le fecours
du Bue de Gui f, qui le leur promet. tJlf. de Belliévre liiy porte
a Soijfons les ordres du Roy, qui ne 'veut pas quil vienne À
Paris. La réponfe quil fit à Belliévre nonobjlant cet ordre. H
vient à Paris. De/cri ption de l'entrée qu'il y fit avec des aC"
(lamations & des tranjports de joye tout extraordinaires des
Parifcns. L'irréfolution du Roy quand il le vit au Louvre,
Ce qui fe pajfii à leur entreveùe & au jardin de la Reine.
Le Roy veut faire fer tir de Paris tous les Etrangers. Les
Ligueurs s'y oppofent. Defcription de la Journée des Barrica-
des. Le Comte deBriffac Les lommence. On les poujfe infqu'a
cinquante pM du Louvre. Le Duc de Guife arrefe le Bour-
geois, c^ fait conduire au Louvre les Soldats du Roy dejar-
rncz.. Le véritable dejjcin de ce Bue à la journée des Barri-
cades. Ses demandes excejjlves. Le Roy craignant d'eflre in-
vefli fert de Paris en un pitoyable équipage. La Reine Mère
ncgotie t accommodement. Le Duc de Guife la fait rentrer
finement dans fis interejls. La Rcquefle qu'il fait prefcnter
au Roy, contenant des Articles très préjudiciables a fan au-
torité. Bijjimulation du Roy. L'éloignement du Bue d' Efper-
non. Nouveau Traité du Roy avec les Seigneurs de la Li-
gue. L'Edit de Réunion contre les Huguenots en faveur de
la Ligue. Les marques que le Roy laijfe échaper de fon in-
dignation qu'il vouloit cacher. Les Efiats de Blois- La Ha-
rangue du Roy de laquelle les Ligueurs font choquez, Le
Duc de Guife y ejl le Maiflre , & y fait prendre des ré-
folutions contre l'autorité du Roy df contre le Roy de Na-
varre, que les Efiats déclarent incapable de ficceder à la
Couronne, a quoy le Roy ne veut p.ts confentir. il prend
enfin la, réfolution de Je défaire du Duc de Guife. Le Conjtil
fecret qu'il tient la - deffus. Les avis que le Duc en reçoit.
Le Conjèil qu'on luy donne , c^ qu'il ne fuit pas. L'bifloire
de fa mort tragique. L ' emprifiunement des principaux Li-
0 tij
y •
SOMMAIRE
fufurs. Davila man^fificment convaincu de faujjeté daitt
le r.iffûrt qu'il fut de Lt Conférence du Roy & du Légat.
Biliit du Roy au Cardinal Morofini.La Confrence qu'ilent
Mvec ce Cardinal fur la mort des Guifs. Le rejfèntiment
aue le Pâte Sixte en témoigna. Les fortes remontrances
^ue luy fil le Cardinal de 'joyetife. Le fentiment de ce Pafe
contre la Ligue & contre les Guifs. llfujpend l'expédition
de toutes les Bulles jufqu'a ce que le Roy luy ait envoyé de~
mander l'ahfolution. Ce que le Cardinal de ^oyeufe luy re-
montra la -diffus. Les Déclarations inutiles que Le Roy fait
tour lufificr fin action au lieu de monter a cheval. Le Duc
de Mayenne fe fauve de Lyon en Bourgogne ou il efl le
Maijlre. Le jouUvement de Paru a la nouvelle de la mort
des Guifes. Les furicufes déclamations des Prédicateurs de
la Ligue L'horrible impudence de Guinceflrc Curé d- Saint
Gervais, qui en prefchant à Saint Barthélémy, fait lever la
main a fes Auditeurs , & mefme au Premier Préfdent.
L'horrible empcrtem:nt du Curé Pigenat dans lOraifon Fu-
fiébre qu'il fit du Duc de Guifc. Le fcandaleux Décret de la
Scrbonnc , par lequel on déclare que les Franco U font deli-
Hvre7du ferment de fidélité qu'on a fait au Roy. Les fu-
rieux excès de la rage des Ligueurs en fuite de ce Décret
contre ce Prince auquel ils font toutes fortes d'outrages. La
mort de la Reine Catherine de Medicis j fin éloge , é- fit*
portrait. Le Roy envoyé la Ducheffe de Nemours à Paris pour
tn app.ufcr les troubles. L'extravagance du petit Feuillant.
Buffy le clerc îtiene le Parlement prifinnier a la Baflille.
Eloge du Premier Préjident Achille de Harlay. Le nom des
PreJ.'dens d" des Confeillers qui lefuivircnt.Le Préftdent Brifi
fin à la tefle du nouveau Parlement de la Ltguc, qui fait un
ferment folennel de venger la mort des Gui fes. Les Ligueurs
employent les enchantemens contre le Roy^en mefme temps
que Guinée flre l'accufe defircelerie en plein Sermon, ^^r ri-
vée du Duc de Mayenne ; fin Eloge, ô' fin Portrait. Le Roy
luy fait en vain de grandes offres. Ses heureux commence-
mens.La multitude des Villes qui fe jettent dans fon parti.
Son entrée dans Paru, il affaiblit le Confiil des Sei':{e en
DES L I V R E 1
^.iu^cniant. Il Je fiit déclarer Lieutenant Général dtl'Ef-
tat& Couronne de France. Le Roy prend, ma à trop tard,
ies voyes de la force ô" de la rigueur. Les raifons qui l'o-
Uigent à s'unir avec le Roy de Navarre. Le Traité de cette
mnion. offres très - avantageufis du Roy aux Princes Lor-
rains qui les rcfufent. Confirence du Cardinal Morofini
avec le Duc de Mayenne /ans Jruit. Exécution du Traite
des deux Rois. Leurs Déclarations' Leur entreveûé à Tours.
Exploits du D'tc de Mayenne. Il attaque é' emporte le
Fauxbourg de Tours. Son rerour fans faire autre chofc Le
fiege dr la bataille de Senlis , ou les Parifiens font défaits^
La défaite des troupes du fieur de Saveufe par Chajlillon.
Les exploits du Roy , & fa marche vers Paru. Il reçoit a
Eflampes la nouvelle du foudroyant Monitoire du Pape
Sixte contre luy. il prend J on quartier a Saint cIju. L'e-
xécrable parricide commis en fa perfonne. Sa mort tres-
chrefiienne (^ très -faint<.
LIVRE QJJATRIE'ME.
TTEnry I V . efl reconnu R ,y de France par les Catholi-
Jj. ques de fon armée , & a quelles conditions. Le Du£
d'Efjcrnon l'abtndonne , & le fieur de Vitry fè jette dans
le parti de la Ligue. Le Roy partage fon armée en trois
Corps , df en mené un en Normandie. Le Duc de Mayenne
fait déclarer Roy par le Conftil de l'Vnion le Cardinal de
Bourbon fous le nom de Charles X . Ecrits pour le droit de
l'oncle contre le neveu, d" du neveu contre l'oncle. Le Duc
de Mayenne fe met en campagne avec une puijfinte armée,
d!' fuit le Roy en Normandie. La bataille ou Us grands com-
bats d'Arqués. La victoire du RoyyÇ^ la retraite dit Duc de
Mayenne. L'attaqué ér la prif des Fauxbourgs de Paris
par le Roy. L'intelligence du Prcftdent de Blanc- Mefuil avec
le Roy. Eloge de ce Préfident. Exploits du Roy dans les
Provinces. Propofiiions du Légat Caïetan ô" des Ej'pagnols
*« Confeil de L'Vnion. Le fieur de Ville - B.ay en déi,»Hvre
SOMMAIRE
taftlfce ait Dhc de Mayenne, qui fe réfout de s'y opfojèr.
Eloge de ce grand Minière iEftat. Nouveau Décret de lit
Sorbonne contre Henry IV. Nouveau ferment que le Légat
fait faire aux Ligueurs. Le Roy met le fiege devant Dreux,
Le Dite de Mayenne marche au fecours des ajjîegez, ce qui
donne lieu a la bataille d'Ivry. Defcription de cette bataille.
L'ordre des deux armées. La viifoire entière du Roy. Ses
exploits après fa viéioire. il eft repouf é devant Sens par
le fteur de chanvdlon , c^ va mettre le ficgs devant Pa-
ris. L'efiat ou fe trouvoit la Ville en ce temps -la. L'ordre
que le jeune Duc de Notnours y mit pour foufienir le fiege.
i^ttaque du Fauxhourg Saint Martin par la Noué qui en
fut repouf é. Pourquoy le Roy ne veut pas employer la for-
ce. Horrible famine dans Paris. Les chofes qui contribuè-
rent a faire réfoudre les Parifens à tout foujfnr plùtoft
qite de fe rendre. La montre bizarre que firent les Eccle-
Jtafiques & les Moines pour encourager le peuple. Le Lé-
gat Caïctan qui la regardoit faillit à y eflrc tué. L'arri-
vée du Duc de Parme qui f court Paris. Deux entreprifes
fur Paris pour le furprendre , l'une par efcaUde, & l'autre
par un flratageme , n'ont point de fuccés. La retraite du
Duc de Parme. Le fiege ^ la prife de Chartres par l'adreffe
de chaflillon. La mort de ce Comte, & fon éloge. Le Duc
de Parme rend fu(f cet le Duc de Mayenne au Roy d'Eff>a-
gne qui fouflient les SeiT^ contre luy. Le Pape Sixte fe defii-
bufie en faveur du Roy. Grégoire X I V. fe déclare pour la.
Ligue contre le Roy qu'il excommunie. Sa Bulle cfi condam-
née-, éf ne fait aucun effet. Conférence des Princes Lorrains
à Reims. Le Préfident fannin va pour eux en Pfiagnci
fin éloge, & fa negotiation adroite. Le Roy Philippe déclare
imprudemment qu'il a defcin de faire élire Reine de France
l' Infante fa fille. lM. de Mayenne rompt avec les Effa-
gnols. La divifion entre les Princes Lorrains. Le jeune Duc
de Guife receit des Ligueurs qui le portent contre fon oncle.
L'horrible violence des Seize , qui font pendre le Préfident
Briffon dr deux Confeillers. La jufle vengeance que le Duc
de Mayenne en prend. Leur faction entièrement abbatuè
p.ir
DES LIVRES.
fâr ce 'Duc & piy les bons Bourgeon. Le fiege de Rouen.
Le Duc de Parme inent au fccours. Le comb.it d'Aum.ilc.
Lit belle fortie de VilLirs Gouverneur de Rouen. Le Roy
levé le fege , ô" peu de jours après ^JJiege l'armée du Duc
de P.imie. L'Admirable retraite de ce Duc Conférence de
du Flefjls -Uorn.iy & de Ville- Roy pour la pai.x. Ce qui
en rijiilte pour la converjion du Roy. Les Papes Innocent
IX. & Clément FI II. pour la Ligue. Mort du Duc de
Parme. Ulf. de Mayenne ajfemble enfin les Eftats Généraux
de la Ligue a Paru. Lhijîoire de ces prétendus Ejlats.
.Uiî. de Mayenne y fait accepter la Conférence de Surefne
malgré le Légat. Les Harangues des Archevefques de Bour-
ges 0" de Lyon y & l'hijloire de cette Conférence. Olî. de
Mayenne empefcbe adroitement dans les Ejl.its qii on ne fajfe
l'élection d'un Roy. Hifioirc de la Converjion de Henry I V.
L'Abfolution qu'il demande , qu'on luy donne enfin à Ro^
me. Réduction de pluficurs Seigneurs ^ Villes de la Ligue
AU fervice du F.oy. Son entrée dans Parts. Le comb.it de
Fontaine - Françoife. Traité du Duc de Mayenne, & l'Edit
que le Roy fait en fa faveur. Traité du Duc de Joyeufe ,
(j- fa féconde entrée dans l'Ordre des Capucins. Traité di*
Duc de Mer cœur, & l^ fft de la Ligue.
Vage zç-f.. l. -f. du Mayne , lifea, de Mayne. Fage S07. l. }. AtocM
en Parlement, lifez, au Parlement.
Dans l'Hifioire du Calvinifme , p. ^rr. du grand volume , Q' nf. ist
S. terne du fetit vol. durant la petite paix , «/«^petite.
ZL/iiU i c:IH
HISTOIRE
I
HISTOIRE
D E . .-
LA LIGUE.
LIVRE PREMIER.
UoY-QUE cet Ouvrage que
j'entreprends foit une fuite na-
turelle de l'Hirtoire du Calvi-
nifinc : il eft pourtant certain
que le fujet que j'y traite n'a
point du tout de rapport à cette Hérefîe. Car
ce ne fut pas le dclir de conferver en France
la Foy Catholique, ni un vray motif de Re-
ligion qui fit naiftre la Ligue, comme le peu*
A
1 Histoire de la Ligue.
pie qui n a jamais fceû pénétrer dans le fecret
de cette funefte cabale le l'eft toujours per-
fuadé. Ceft aux deux pafTions qui ont pro-
duit de tout temps les effets les plus tragiques
dans le monde, je veux dire à Tambition 6c à
la haine, que l'on doit rapporter Ton origi-
ne. Il eft vray que les Peuples , ÔC lur tout
les Ecclefiaftiques , qui croyoient avoir lieu
de craindre pour la Religion , fi celuy que
la Loy fondamentale du Royaume appelloit
à la Couronne montoit fur le Trône, fu-
rent réduits par cette belle apparence d'un
véritable zèle, qui Icmbloir cftre l'ame de la
Ligue. Mais il ne fera pas fort malaifé de
découvrir , dans la fuite de' cette Hilloire ,
que ceux qui ont efté les Auteurs de cette
Confpiration fe font fervis d'un prétexte aufli
fpecieux que celuy de la Religion, pour a-
bufer de la crédulité, &c mcfme de la pieté
des Peuples, &c pour les rendre impies, fans
qu'ils s'en apperceuffent, en les animant, &c
les armant contre leurs Rois, pour arracher,
s'ils reuffent pu, le dernier rejetton de l'au-
o-ufte tige de la Maifon Royale , &c pour
établir lur fcs ruines la domination d'un Ef-
iranger.
Et comme l'on ne peut exécuter une injuftc
cntrepnfe que par des moyens aulTi pernicieux
& déteftabks que la fin qu'on s'eil: propofée :
aulTi verrait-on dans la fuite, 6c dans le pro-
Livre L t?i:-î ^
grés de la Ligue plus de defordres encore 6c
plus de maux que n'en produifit jamais le CaU
Vinifme , contre lequel il fembloit qu elle fuft
uniquement armée : en cela pourtant très-
femblable à ce formidable parti formé con-
tre l'Eglife Catholique, que n'ayant pas de
fon colté , non plus que cette Hérefîe, le Diea
des armées , elle fut toujours malheureufe
dans toutes les batailles qu'elle donna, pour
accabler cette puiflance légitime, qui renverfa
fur elle toutes les machines qu'elle avoic élo-
vées pour la détruire.
En effet, on fera furpris de trouver dans
la fin 6c dans les fuites de la Ligue, par un
merveilleux coup de la Providence divine,
des révolutions toutes contraires à celles qu'on
en attendoir. D'une part, la très - Auguftc
Maifon de Bourbon, que l'on prétendoit abif-
mer , glorieufement élevée à ce fuprême degrc
de puiifance & de gloire où nous la voyons
aujourd'huy avec l'admiration de toute la
terre. Et de l'autre , de ces deux puiffantes
Maifons qui s'eftoient unies pour s'élever en
la ruinant, l'une extrêmement abbaiflee, Sc
l'autre prefque anéantie. Tant les delfeins de
Dieu font differens de ceux des hommes, &c
tant il y a peu de fondement à faire fur U
fagelTe & la politique humaine, quand elle n'a
pour fe conduire que la pafi^ion déguifée fous
une vaine apparence de pieté ôc de Religion,
A i;
4 Histoire de laLigue.
C'eft ce que je veux faire voir en dévelopant
les fecrets & les myfteres cachez de la Ligue,
çin exporant fes entreprifes criminelles & mal
concertées, &c prefque toujours malheureufes ,
& en montrant dans fa fin le fuccés qu'elle
eût entièrement contraire à fes defleins , par
la haute élévation de ceux qu'elle vouloit op-
primer. Mais il eft necclTairc que nous voyions
auparavant quel eftoit l'eftat de la France
quand ce dangereux parti s'y forma contre
l'autorité fuprême de nos Rois. :
' La fureur des guerres civiles, qui avoient
^nn. ^q[q\^ fout le Royaume fous le règne de
^j'74- Charles IX. paroilfoit eftre prefque entiere--
ment éteinte depuis le quatrième Edit de Pa-
cification qui s'elloit fait au fiege de la Ro-
chelle 5 ôc Cl l'Eftat n'eftoit pas encore tout-
à-fait tranquille, on n'eftoit pas du moins
dans l'agitation d'une violente tempefte : lors
qu'après la mort de ce Roy, ion frère Henry
Roy de Pologne fe rendit en France , où
il prit pofTefiion de la Couronne qui luy
cftoit aquife par le droit de fa naiifance. C'cf-
toit un Prince, qui à l'ige de vingt -trois à
vingt-quatre ans, où il eftoit alors, avoir tou-
tes les qualitez & les perfections capables de
le rendre un des plus grands &c des plus ac-'
complis Monarques du monde. Car outre qu'il
eftoit fort bien fait, de belle taille, d'un port
cjctrémemenc majeftueux, ayant le ion de la.
'%
Livre!. ^
voix, les yeux, ôc tous les traits du vifage fort ^ J 7 4-
doux, le jugement folidc, la mémoire heurcu-
/è, beaucoup de lumière & de netteté dans
J'el'prit , &c dans les manières tout ce qu'un
Prince doit avoir pour s'attirer l'afFcdtion &
le rerpedl de les lujets; il cÙ. certain qu'on ne
peut eftre plus libéral , plus magnifique , plus
vaillant, plus humain, plus attaché à la Reli-
gion, ni plus éloquent qu'il l'eitoit naturelle-
ment &c fans art. Enfin rien ne luy euft man-
qué de ce qu'il luy falloit pour fe rendre heu-
reux, en faifant le bonheur de toute la France,
s'il euft luivi les bons conleils qu'on luy don-
na d'abord, & s'il euft pu avoir cette noble
ambition d'eftre du moins toujours tel qu'il
cftoit fous le glorieux nom de Duc d'Anjou,
qu'il avoir rendu fi célèbre par mille belles
adions, 6c par les fameufes victoires de Jarnac
& de Montcontour. ■ - •
Tout le monde rempli de la haute idée
qu'on avoit conceûe de ion rare mérite, atten-
doit de luy le rétablifTement de la Monarchie
dans fon ancienne fplendeur ; & rien ne pou-
voir afFoiblir cette efperance, que le cruel maf-
facre de la Saint Barthélémy, dont il avoit cfté
l'un des principaux Auteurs^ & qui l'avoit ren-
du tres-odieux aux Proteftans.C'cft pourquoy
comme il retournoit de Pologne, l'Empereur
Maximilien II. Prince qui gouvernoit l'Empi-
re dans une grande paix,nonobftant la diver-
A iij
I 6 Histoire de la Ligue.
1574. fité de créance qui le partageoic entre les Ca-»i
tholiques& les Luthériens j le Doge de Venifc,
& les plus habiles de cet augufte Sénat, qu'on
f(jait eftre d'une prudence confommée \ &c
quand il fut en France , les Préfidens de
Thou de de Harlay, les deux Avocats Géné-
raux Pibrac &c du Mefnil, ôc tous ceux qui
eftoient les plus pafTionnez pour fa grandeur
& pour le bien de fon Eftat , luy confeillerent
de donner la paix à fes fujets de la Religion
Prétendue Réformée , pour guérir ôc confoli-
der une playe qui avoir jette tant de fang à
cette funefte Journée de Saint Barthélémy ,
& pour ne pas replonger fon Royaume dans
cet abifme de miieres où il avoit penfé pé-
rir.
Mais le Chancelier de Birague , le Cardinal
de Lorraine, & Ion neveu le Duc de Guife,
qui avoit alors bonne part dans l'honneur des
Donnes grâces de fon Maiftre, & fur tout la
Reine Catherine qui s'eftoit emparée de fon
efprit, ôc qui depuis la Saint Barthélémy n'o-
foit plus fe fier aux Huguenots , l'engagèrent
à commencer fon Règne par la guerre qu'il
leur fît, ôc qui luy fut très - defavantageufc.
De forte qu'après qu'il eût efté honteufement
repoulTé de devant une petite place du Dau-
phiné , ils reprirent par tout les armes , plus
fiers ôc plus infolens que jamais, ôc firent de
fort grands progrés dans cette Pçoviuce, danj
Livre I. ■ ^ 7
la Provence, dans le Languedoc, dans la 1574.
Guyenne, &c dans le Poitou.
Ce qui les rendit encore plus puifTans qu'ils
ne l'avoient jamais cfté, fut le parti des Ca-
tholiques mécontens que l'on appelloit Po- = -
litiques^ parce que fans toucher à la Religion,
ils protcftoient qu'ils ne prenoient les armes
3ue pour le bien public, pour le loulagement
u peuple , & pour réformer les abus &c les • '^ -
defordrcs qu'on voyoit dans l'Eftat : ce qui a
toujours fervi de prétexte à la Rébellion de
ceux qui fe font élevez contre leurs Mailtres
& leurs Rois, aufquels Dieu nous commande
de nous foumettre, quoy-qu'ils abulent quel-
quefois de ce pouvoir ibuverain qu'il leur a
donné, non pas pour détruire ôc pour démo-
lir, comme il parle dans l'Ecriture Sainte,
rnais pour édifier, c'eft à dire, pour procurer
le bien, & pour établir le bonheur de leurs
Sujets. Ces Politiques donc fe joignirent aux
Huguenots , félon la réfolution qui en fut
priie dans l'AlTemblée que tint à Montpellier
au mois de Novembre de cette année mil cinq
cens foixante 3c quatorze Henry de Montmo-
rency Marefchal de DamviUe , èc Gouverneur
de Languedoc , qui pour fe maintenir dans ce
beau Gouvernement dont on le vouloit dé-
pouiller, forma ce parti Politique, où. il atti-
ra grand nombre de Noblefle , les parcifans
ôc fes amis, &c principalement les Seigneurs de
-•s* Histoire de la Ligué/
1J74. Thorè &c de Meru Montmorency fes frères,
le Comte de Vantadour fon beaufrere , & le
fameux Henry de la Tour d'Auvergne, Vi-
comte de Turenne fon neveu , qui fut depuis
» 5 9 '• Marefchal de France, Duc de Bouillon, Prince
Souverain de Sedan, ôcle plus grand appuydes
Huguenots.
~ Mais ce qui acheva enfin de rendre formi-
^^' dable leur puifTance , fut que Monfîeur & le
^^7 5- Roy de Navarre qu'on aetenoit, &c qu'on trai-
roit affez mal à la Cour, s'eftant évadez, le
premier, auquel, outre ceux qui l'avoient fui-
vi, accourut une bonne partie des troupes de
Damville , fe mit à la teftc de l'armée Protef-
tante, qui fut en mefme temps fortifiée par
la jondlion du grand fecours de Reitres & de
Lanfquenets que le Prince de Condé avoir
amené d'Allemagne fous la conduite du Duc
Jean Cafimir, fécond fils de Frideric Eledieur
Palatin. De forte que dans la reveûë qui s'en
fit prés de Moulins en Bourbonnois, elle fè
trouva forte de plus de trente-cinq mille hom-
mes bien aguerris, aulquels afleûrément le Roy
n'avoit pas dequoy réfifter dans le pitoyable
cftat où il s'eftoit mis luy-mclmc, par le pro-
digieux changement qui fe fit dans fa con»-
duite &c dans fes mœurs aullitort qu'il fut Roy
de France.
Ce n'eftoit plus ce vidorieux Duc d'Anjou
qui s'cftoit aquis dans le monde une fi haute
réputation
Livre Ï. < 5> i-
rcputation par tant de belles adions qu'il i;-';.
avoir faites, en commandant les Armées du
Roy fon frère en qualité de fon Lieutenant
Général dans tout le Royaume. Mais comme
/î en prenant la Couronne de la première &
de la plus auo;uftc Monarchie de la Chreftien-
té, il ie fuft dépouillé tout à coup, par quel-
que fatal enchantement, de Tes petfections
Royales, il le plongea dans les délices d'une
honteule oiiiveté avq^ fes favoris de Tes Adi-
znons, qui furent les langlues, & les harpies , &:
Te fcandale de toute la France, qu'il fcmbloit
leur avoir donnée au pillage par fon immenfe
prodigalité. Il le rendit en luite également
odieux àc méprilable à les Sujets de l'une &
de l'autre Religion, par une conduite bizarre
^ inconftante. Car il alloit tantoft de débau-
che en dévotion, par fes procédons 6i les exer-
cices de pénitence qu'on prenoit pourhypocri-
fîe ; & puis de dévotion en débauche , en cer-
tains ridicules amulemens , 6^ en mille occu-
pations frivoles tout-à-fait indignes, je ne di-
ray pas d'un Roy, mais d'un homme de fens
ralïis, &: que l'Hiftorien d'Avila,qui veut fai-
re myîtere de tout aux dépens de la vérité^
nous a voulu faire palTer, par une alTez plai-
lante vifion , pour autant d'effets d'une tine^
&: déhcate politique. Au reite , pour fe dé-
charger du fardeau de la Royauté qui luy t;l-
toit devenu tout- à-fait inllipportable dans»
ro Histoire de la Ligue.
I j y j. cette vie molle ôc efféminée, il abandonna
tout le foin du Gouvernement à la Reine la
mère, qui pour l'entretenir dans cette humeur,
ôc pour le rendre en luite Maiftrefle ablolue
des affaires, ce qui fut toujours la palTion do-
minante, ne manquoit pas de luy fournir de
temps en temps de nouvelles amorces de plai-
fir éc de volupté, & tout ce qui pouvoit fer-
vir d'écueïl au peu qui reftoit de vertu ôc
d'honneur dans la Cour la plus corrompue
qui eull encore efté en France.
Or comme elle avoir voulu que l'on fift la
guerre aux Huguenots, pour empcfcher, en
les affoibliffant autant qu'il luy feroit polïï-
ble , qu'ils n'entreprilîcnt de la troubler en
fon gouvernement : aufli , quand elle les vit
avec une ii puilfante armée , & le Duc Ion
fils à leur telle, elle commença à craindre qu'Us
ne fe rendifl'ent enfin les Maiftres, de ne la dé-
pouïllaiTent du pouvoir ôc de l'autorité qu'elle
vouloir toujours retenir par quelque moyen
que ce fuft; &c en luite elle fe réfolut à faire
la paix , par la mcfme raifon qui luy avoir fait
entreprendre la guerre. Et comme elle eftoit
lans contredit la plus habile femme de ion
temps, qu'elle avoir un grand afcendant fui
l'ciprit de fes enfans qui n'avoient pas la for-
ce de tenir contre elle, ni de fe défendre de
fcs artifices, &: qu'elle n'épargnoit jamais rien
pour venir à fes fins : elle ménagea fi bien les
Livre T. • n
cfprirs des Princes & des principaux Chefs de 1/75.
cette armée, en leur accordant, fans peine, des
chofcs tout-à-fait extraordinaires, au delà mcC-
me de leur efperance , qu'elle conjura cette
tempcfte qui s'alloit décharger iur -fa tefte, &
fe mit à couvert aux dépens de la Religion,
parle cinquième Edit de Pacification, le plus
avantageux qu'euflcnt pu louhaiter les Hu^ue- ^nn.
nots , aulquels entre autres chofes on laifTa i j 7 <î'
libre l'exercice de leur prétendue Religion dans
toutes les villes du Royaume , &c par tout ail-
leurs, excepté à la Cour & à Paris, ëc à deux
lieues aux environs. Or ce fut cette paix ex-
trêmement defagréable aux Catholiques qui
fervit de prétexte, de fit naillre l'occafion très-
favorable d'accomplir un defTein loncr-temps
auparavant prémédite, a celuy qui rut le pre-
mier Auteur de la Ligue dont je parle, & qui
commença d'en jetter les fondemens précife-
ment en ce temps-cy, de la manière que nous
Talions voir. -- • -. >
Il eft certain que les premiers qui fe font
liguez, fous prétexte de Religion, contre nos
Rois, ont efté lesProteftans, lors que le Prin-
ce de Condé fe fit premièrement leur Chef
muet à la Conjuration d' Amboiic , de puis fe
déclara tout ouvertement , en commençant les
premiers troubles par la lurprile d'Orléans.
Cette Ligue, qui s'eit toujours maintenue par
la Yoye des armes, par les places de feûrctc
Bij
— li Histoire de la Ligue.
ij7(j. que l'on fut contraint d'accorder aux Hugue-
nots, ôc par leurs intelligences très - criminel-
les avec les Ellxangers , julques à ce qu'elle fut
entièrement éteinte par la prile de la Rochel-
le, & de toutes leurs autres villes &c places
fortes , fous le Règne du feu Roy de glorieufe
mémoire , obligea iouvent quelques Catnoli-
ques à fe liguer , fans la participation du Roy,
en certaines Provinces , particulièrement en
Languedoc , en Guyenne , &c en Poitou , non
leulement pour fe défendre des iniultes des
Huguenots, mais aufïl pom' les attaquer, & les
exterminer, s'ils euflent pii, de tous les lieux
defquels ils s'eftoient emparez dans ces Pro-
vinces. Mais celuy qui porta le plus loin fes
penfées à cet égard , de qui fut le premier à
concevoir le deiïein d'une Ligue générale des
Catholiques fous un autre Chef que le Roy ,
fut le Cardinal de Lorraine, lors qu'il eftoit
au Concile de Trente.
Ce Prince, dont le nom eft Ci célèbre dans
l'Hifloire, ôc qui avoit l'efprit extrêmement
vif ôc pénétrant , le naturel ardent , impétueux
&c violent , une rare éloquence naturelle ,
beaucoup plus de doctrine qu'on n'en doit
attendre des perfonnes de fa qualité, 6c que
ion éloquence faifoit paroiftre bien plus gran-
de encore qu'elle n'eftoit en effet, eftoit le plus
hardi de tous les hommes dans le cabinet à
miaginer- 6c à vouloir entreprendre de gran-
L I V R E I, 15
des cliofes Se de vaftcs dcflcins ; mais au/ïi le i î 7 <^-
plus timide &c le plus foiblc , quand il s'agif-
ibit d'en venir à l'exécution, ôc qu'il y voyoit
du péril : & iur tout, on ne peut nier qu'il n'ait
eu toute fa vie une palTion demefurée pour
TagrandiiTcment de fa Maifon. Or comme il
vit le grand Duc de Guife Ion frère au plus
haut point de fa gloire, après la bataille de
Dreux, où l'on peut dire qu'il fauva la Reli^
gion, qui dépendoit du fuccés de cette batail-
le , &c que tout le Concile retentifToit des louan-
ges de ce Héros, pour cette célèbre vi6toirc
qu'il avoir remportée prefque luy ieul, après
la défaite ôc la prife du Conneftablc : il crut
avoir trouvé l'occaiion favorable qu'il atten^
doit de fatisfaire pleinement fon ambition, en
élevant fon frère à un rang où il euft une au-
torité fuprême 6c indépendante qui l'égalaft
aux plus grands Rois. ; ^- ' h
Pour cet effet il ne manqua pas de reprefen- Le LAhtureu*
ter aux Principaux de l'Affemblée, & par eux Mem. dJ'cof'
au Pape , que pour maintenir la Religion à "'"• '• '-
qui l'hérefie faifoit une lî cruelle guerre , par-
ticulièrement en France, il n'y avoit pas de "^ '
meilleur moyen que de faire une Ligue où, . ...
l'on fift entrer tout ce qu'on pourroit de Prin-
ces &c de grands Seigneurs, &c iur tout le Roy
d'Efpagnc lî puilTant & fi zélé pour la Foy
Catholique. Il ajoufta qu'il falloit que le Pape,
qui s'en déclarcroitle Prote^^eur, choififl: dans
B uj
is
!4 Histoire de la Ligue.
3j7^. le Royaume un Chef, lur la pieté, la pru-
dence, la valeur & l'expérience duquel on pull
fe repofer, &: à qui tous les Catholiques fuC-
fent obligez d'obéir, jufques à ce qu'on euft
entièrement exterminé les Hérétiques. Cette
propofition fut receûë avec grand applaudif-
lement j de comme les efprits eftoient alors
tout remplis d'une haute idée de la fage con-
duite, du bonheur, de des vertus héroïques
du victorieux Duc de Guife, on ne balança
pas à conclure que c'eftoit luy qui devoit c[-
tre uniquement le Chef d'une fî glorieule en-
treprife. Mais la trifte nouvelle de la mort ar-
rivée fur ces entrefaites, fit évanouir tout ce
grand deffein, que le Cardmal, qui n'en per-
dit jamais l'idée, ni l'efperance de la faire un
jour réiifïir, ne put reprendre que dix ou on-
ze ans après, qu'il trouva que le jeune Duc
de Guile Henri de Lorraine Ion neveu elloit
;r, en âge 6c en difpofition de l'exécuter. Car
, alors il propofa la mefme chofe avec chaleur
- ■ &: au Pape & au Roy d'Efpagne, qui entrè-
rent tous deux fans peine dans fes fcntimens,
l'a-'é^ru' *i"^y-4>^e P^r clés motifs bien differens : le Pa-
îr,je des jT. pe , par le grand defir qu'il avoir de voir l'hé-
refie tout -à -fait exterminée de ce Royaume
Très - Chrcllien •■> de l'Efpagnol , par l'envie
qu'il avoit de profiter de nos divifions & des
grands defordres qu'il prévoyoit que la Ligue
fercit en France.
ï-f,
T
L I V R E î. i;
Le Duc auflî de Ion coftc , qui avoit beau- 1^76.
coup plus d'ambition , & bien moins de vertu.
ëc d'affcdion pour le bien de l'Eftat que le
feu Duc Ion père, embrafla de tout Ion cœur
une fi belle occafion de s'élever d'abord à uu
(î haut point de pouvoir & d'autorité, en de-
venant Chef d'un parti qui apparemment dé-
voie ruiner tous les autres, ôc faire la loy à
tout le refte de la France. Mais la mort de
fon oncle le Cardinal, laquelle furvint en ce
mefme temps, rompit encore cet ambitieux:
deflein, qu'il n'abandonna néanmoins jamais,
rélolu de l'exécuter à la première occafion
qu'il en auroit. Il ne la trouva que deux an,<;
après, lors que Dom Joan d'Auftriche pafla
par la France pour aller prendre pofTellion de
l'on Gouvernement des Païs-Bas, Ce Prince
qui pafloit incognito ^ ÔC qui avoit déjà pris de ii'U.
fecretes liaifons avec ce Duc, le vit à Join-
ville , où après quelques conférences qu'ils
eurent enlemble , lans autre témoin que
Jean d'Eicovedo Secrétaire de Dom Joan, ils
firent un Traité d'alliance offenfîve &: dé-
fenfive pour s'entr'aider l'un l'autre de tout
ce qu'ils pourroient jamais avoir d'amis, de
moyens &c de forces , pour fe rendre Maiflres
ablblus, le premier dans fon Gouvernement
des Païs-Bas , de le lecond, dans le parti qu'il
eiperoit toujours de former en France , félon
ks idées de fon oncle, tous prétexte de main-
Addit. aum
Mon.
id Histoire de la Ligue.
jjyé. tenir la Religion Catholique contre les Hu-
guenot?.
Quoy-que les Hiftoriens ne parlent point
de ce Traité , je croy pourtant que l'on n'en
peut douter, après ce que le feu lieur de Pei-
iii<i. refc, fi connu de tous les Içavans, en a laifïe
par écrit dans Tes Mémoires , lur ce qu'il en
avoir appris de Monfieur duVair, qui le tenoic
d'Antonio Ferez. Car ce fameux confident
des amours de Philippe I I, 6c de la belle Prin-
cefTe d'Eboh, avoua franchement à cet illuftre
Préfident, que pour le venger du pauvre Ef-
covedo, qui eftant retourné en Efpagne, l'a-
voir voulu perdre dans l'elprit du Roy, il fit
fi bien comprendre à ce Prince , que ce Secré-
taire de Dom Joan fc^avoit tous les delTcins les
plus cachez contre l'Eftat, & qu'ayant décou-
vert la paflion du Roy Ion maiftrc il traver-
ioit fcs amours, pour lervir le Prince d'Eboli,
auquel il s'elloit attaché: que Philippes qui le
défaifoit aifément de ceux dont il fe défioit,
n'ayant pas mefme épargné le Prince Dom
Carlos Ton fils, le fit aflalliner. Apres quoy
s'eftant laifi de les papiers, il y U'ouva ce Trai-
té iccrer, de les mémoires ôc les inftruclions
qui contcnoient tout le détail de ce projet, &:
les moyens que le Duc de Guife vouloir em-
ployer pour faire réùflirlon entreprife, &dont
ce Roy qui profitoit de tout, le lervit adroi-
icment long- temps après, pour engager fi
bien
L ï V R E I. x-j .
bien le Duc , qu'il ne s'en pufl: clcdire, comme i j 7 <î.
on le verra. Mais cependant cette paix fi avan-
tagcufe aux Proteftans s'eftant faite de la ma-
nière que nous l'avons dit , ce Duc crut que
c'cftoit-là une fort belle occafion de commen-
cer _, enfe fervant du mécontentement des Ca-
tholiques, a former cette Ligue , de laquelle
il prétendoit quelque temps après fe déclarer
le Chef. Voicy comme la chofe fe pafia.
Entre les articles lecrets de cette paix fi fa-
vorable aux Huguenots, il y en avoit un par
lequel on laiflbit au Prince de Condé la pleine
joûïCince du Gouvernement de Picardie, &
de plus, pour fa feûreté , la ville importante de
Peronne , où il auroit une garnifon qui fcroit
entretenue âux dépens du Roy. Celuy qui ef-
toit alors Gouverneur de Peronne , elloit Jac-
ques Seigneur de Humieres, d'Encre, de Bray,
éj de plufieurs autres lieux , qui avec tous les
grands biens qu'il pofTedoit d'ailleurs, & les
Gouvernemens de Roye & de Mondidier qu'il
avoit encore avec celuy de Peronne , le ren-
doient le plus confiderable, le plus riche, &
le plus puilfant Seigneur de la Picardie. Outre
qu'eftant d'une tres-illuilre nailTance, & fils
du fage &: vaillant Chevalier Jean de Humie-
res , qui avoit elle Lieutenant de Roy en Pié-
mont , & Gouverneur dj Roy Henry 1 1. A
cftoit reipedlé, aimé ^ obéi dans la Province^
où il pouYoïc tour par ion crédit, 5c par la.
C
___ i8 Histoire de la Ligue.
1576. i^iande autorité que ion propre mérite joint à
AJdit. aux celuy de Ton père iuy avoit aquife. Or corn-
Mtm. j^^ jj avoit elle autrefois allez maltraité des
Seigneurs de Montmorency, qui l'avoient em-
pefché , par la faveur qu'ils pofifcdoient alors ,
de recueillir une grande fucceilion qu'il croyoit
Iuy appartenir, èc que l'un d'eux Iuy dilpu-
toit : il s'eftoit donné au grand Duc de Guife,
ennemi déclaré des Huguenots, Et ce Prince,
pour attacher fortement aux interefts & de la
Religion &c de (a maifon un homme de cet-
te importance qui Iuy pourroit rendre de
grands iervices, le fit créer Chevalier de l'Or-
dre dans la célèbre promotion que François lî.
en fit à la Saint Michel de l'année mil cinq
cens foixante. De iorte que le jeune Duc ne
douta point que l'intereft que ce Seigneur a-
voit de fe maintenir dans Peronnc, eftant joint
dans la prefente conjonâiure au zèle véritable
ou apparent de la Religion, & à l'attachement
qu'il avoit à laMailon deGuiie, il ne pull ab-
folument difpofer de Iuy pour l'exécution de
cette haute entreprife à laquelle il eiloit tour
dilpofé , Iuy iemblant qu'il n'auroit jamais
une plus belle occafion, & que tout confpi-
roit en la faveur.
En effet, rien ne Iuy manquoit de tout ce
qui pouvoit concourir, foit de bien , foit de
mal , pour fiire réuffir ce qu'il avoit forte-
ment rélolu,particulieiement depuis deux ans.
L I V R E I. ip
l^ qui dans la iuitc le pouvoir porter à un. i;7<».
plus haut point d'élcvation qu'il ne penfoit
peut-eflre encore alors , quelque haute idée
que l'ambition luy eull fait concevoir du fu-
blime decrré de gloire de de grandeur auquel
il alpiroit, C'eftoit un Prince, qui dans la fleur
& dans la force de fon â2;e d'environ trente
ans, où il eftoit alors, avoir toutes les belles
qualitcz, ôc toutes les perfections du corps ôc
de l'elprit les plus capables de charmer les
cœurs , (3c d'aquerir lans peine à celuy qui les
pofl'ede un empire ablolu fur l'efprit des Peu-
ples, qui en furent comme enchantez , Se en
devinrent idolâtres. Car il eftoit d'une haute
ftature admirablement proportionnée , toute
lemblable à celle que l'on attribue aux Hé-
ros, ayant tous les traits du viiage parfaite-
ment beaux, les yeux perçans, de pleins d'un
certain feu également doux, aâ:if, ôc péné-
trant, le front large, uni, de toujours ieiainy
accompagné d'un agréable lourire à la bou-
che, qui charmoit encore plus que les paro-
les obligeantes qu'il diioit à tous ceux qui s'em-
prefifoient de l'approcher, le teint vif, fort
blanc, ôe vermeil. Se que cette honorable ci-
catrice de la blcilure qu'il avoir receûe à la
joûë gauche d'un coup de piftolet, quand il
défit une partie des Reitres de Cafimir que
Guillaume de Montmorency iieur de Thorc
menoïc à Monlieur^ rehaulloit plus avanta-
C ij
lo Histoire de la Ligue.
j^y 6. geuiement que tout ce que l'artifice de la va-
nité des Dames a jamais inventé pour don-
ner plus d'éclat à leur beauté. Sa démarche
efloit grave &c hautaine, fans qu'il y paruflni
orgueil ni alïe6lation ; & dans toutes (es ma-
nières il avoit un certain air inexprimable de
grandeur héroïque , ou il entroit de la dou-
ceur, de l'audace , & de la fierté, fans avoir
rien de rebutant: ce qui infpiroit tout enfem-
ble de l'amour, de la crainte, & du refped
à tous ceux aufquels il parloir.
Cet admirable extérieur eftoit animé d'un
intérieur encore plus merveilleux par les belles
qualitez qu'il polTedoit d'une ame véritable-
ment grande, eftant libéral, magnifique en
tour, n'épargnant rien pour fe faire des créa-
tures, & pour gagner des perfonnes de toutes
fortes de conditions, fur tout la NoblefTe, &c
les gens de guerre, civil, obhgeant, populaire,
toujours prell à faire du bien à tous ceux qui
s'adreffoient à luy, généreux , magnanime , in-
capable de nuire , mefme à fes plus grands en-
nemis, autrement que par les voyes d'honneur,
extrêmement perfuafif, dilïimulé fous l'appa-
rence d'une grande franchife , fage & prudent
dans les confeils, hardi, prompt &: vaillant dans
T'exécution , fouffrant gayement toutes les in-
commoditez de la guerre comme le moindre
des foldats, s'expofant à tout , & méprifanc
tous les plus grands périls pour venir a bout
Livre I. - . " n
de ce qu'il avoir une fois entrepris. Et ce qui ij7<j.
donnoit encore plus d'éclat a tant de belles
qualitez , eftoient les défauts contraires du
Roy , qui par fa mauvaife conduite, beaucoup
plus que par fon malheur, avoir perdu l'affe-
Ction de la plufpart des Fran<^ois, fur tout des
Pariiîens , laquelle, par le plus grand defordre
qui pouvoir élire dans î'Eftat , eftoit déjà
comme palTée dans celuy, qui de fon lujec
commenqoit à eftre tout ouvertement Ion ri^
val, dans la chofe du monde dont les Rois
font le plus jaloux.
Mais comme il n'y a point de mine d'or
où ce précieux métal fe trouve tout pur &c
ians mélange de beaucoup de terre: aufTi ces
grandes vertus naturelles du Duc de Guife
cftoient corrompues par le mélange de beau-
coup de défauts ôc de vices , dont le principal
ciloit ce defîr infatiable de grandeur & de
gloire, &c cette vafte ambition à laquelle il
fit rout ferviii eftant au refte téméraire, pré-
fomptueux, ne fuivant que fon propre lens,
& méprifant celuy des autres, Ians toutefois
qu'il y paruft, couvert, fin, peu iincere, &c
peu véritable ami , ne fongeant qu'a luy-mef-
me , quoy-qu'il fuft le plus carefiant & le plus
officieux de tous les hommes , tout le bien
qu'il faifoit aux autres n'eilant que pour aller
par là plus facilement à fes fins , & couvrant
toujours fes valies deflem.s ^u. prétexte Ipe-
G iij
11 Histoire de la Ligue.
iSjC. cieux du bien public, & de la confervation
de la véritable Religion , fe fiant trop à Ion
bonheur, fe perdant & s'aveuglant luy-mef-
me dans la profperité qui luy faifoit gouf-
ter avec tant de plaifir le bien prêtent, qu'il
ne Tongeoit pas à prendre Tes précautions pour
l'avenir ; enfin donnant trop à l'amour des
Dames , delquellcs néanmoins , {ans qu'elles
le détournaient du foin qu'il prenoit de fa
principale affiire, il fe fervoit adroitement pour
avancer par leurs intrigues fon grand delfein
lans qu'elles s'en apperceuflent. Cependant,
malgré tous ces vices , comme ils eitoient
extrêmement fubtils ou cachez fous de fort
belles apparences & fous le voile d'une pro-
fonde dilfimulation, èc que les vertus eiloient
éclatantes & connues de toute la terre : il eiloit
univerlellement aimé 6c adoré , particulière-
ment des Parifiensi &: ceux melmes, qui pour
avoir mieux connu que les autres le fond de
ion cœur , ne l'aimoient pas , ne pouvoient
pourtant s'empeicher de l'admirer ■■, ce qui eft
lans doute très-rare, qu'un homme puiife mé-
riter tout enfemble l'aiïection des peuples &:
l'admiration des perionnes les plus éclairées
qui ont découvert fes défauts.
Voilà quel fut le fameux Duc de Guife ^
que cette belle marque du coup de piilolet
qu'il avoir receû au viiao;e dans un combat
oii il défit quelques troupes de Calvinilles 6c
2-3
Livre I.
ck Rebelles, fir luniommcr le Balafré, & qui 157 (î.
cil ce temps dont je parle trouva toutes cho-
ies bien dilpoiées pour commencer Tcxécu-
tion de Ton entreprile.Car il trouva lesCatho-^
liques irritez des avantages qu'on venoit d'ac-
corder aux Huguenots; les peuples lalfez du
gouvernement, ôc ne pouvant loufFrir que le
Royaume fuft donné en proye aux Favoris ,
que l'on appelloit les Mignons; la Reine Ca-
therine , félon fon génie , bien-aife que les
chofes le troublalfent, & mefme procurant le
mal, pour le rendre neceifaire , afin qu'on euft
recours à elle pour y apporter du remède ; les
Princes du Sang devenus fufpedts de odieux
à tous les Ordres du Royaume, loit pour avoir
favoriié les Huguenots, foit pour s'eftre pu-
bliquement déclarez Calviniftes, en renonçant
à la Foy Cathohque , comme le Roy de Na-
varre éc le Prince de Condé avoient fait; le
Roy tombé dans le mépris , après avoir perdu
l'affeâiion de fes fujets: luy au contraire eftant
aimé ôc adoré des peuples , idolâtré des Pari-
iîens, fuivi de la NoblefTe, chéri des loldats,
ayant pour foy tous les Princes de fa mailon
puiflans en Charges 6c en Gouvernemens , ce
grand nombre de créatures que les bienfaits
ou ceux du feu Duc fon père luy avoient aqui-
fes, la faveur du Pape , le (ecours d'Eipagne
tout preft à l'appuyer, ôc fur tout la julBcG
apparente de fa caufe, qu'il prcnoit grand loin
. 14 Histoire de là Ligue,
ïjyC, de faire connoiftre à tout le monde eftre uni-
quement celle de la Religion , dont il eftoic
dans la créance univerfelle le prote6teur &
le fouftien, de pour k confervation de laquelle
on croyoit qu'il fe fuft dévoué contre les Hu-
guenots qui avoient entrepris de l'abolir en
ce Royaume. Mais ce qui acheva enfin de le
déterminer, fut le dépit extrême qu'il conceût
de ce que le Roy, duquel il elloit auparavant
l'un des principaux confid^ns , l'avoir aban-
donné, en changeant tout-à-coup de conduite,
pour fe donner entièrement à fes Mignons,
^ui ne perdoient aucune occaiion de mal-
traiter ce Duc. Car le dépit, qui eft capable de
porter aux dernières extrémitez les âmes les
plus grandes Si les plus fenfibles au point
d'honneur, fît fucceder à fes premières incli->
nations la haine contre celuy qu'il méprifoit
déjà bien fort ; de cette haine ôc ce mépris
cftant joints à l'ambition qui le follicitoit lans
cefTe de fe faire Chef d'un aulTi puifTant parti
que celuy d'une Ligue qui pafToit pour fainte
dans l'efprit des peuples, il ne balança plus
à fe prévaloir d'une fi belle occafion de le
former.
ohiet.t.i. Pour cet effet, il en fit dreffer d'abord un
^'^t. 1. ^' projet , par une Formule que fes Emilîaires de-
^^"■big. voient fecretement faire courir dans le Royau-
me parmi les Catholiques qui paroifloicnt les
plus zelez S^ les plus lîmples, & parmi ceux
qu'on
L I V R E ï, ij
qu'on ftjavoic cftre les plus attachez à la Mai- 1 5 7 <*.
Ion tle Guilc. Dans cette Formule, à laquelle
on efloit obligé de foutcrire, on promcttoit,
avec lerment,, d'obéïr à celuy qui feroit éleu
chef de cette (ainte Confédération, qui Ce
failoit pour maintenir la Religion Catholi-
que, pour faire rendre au Roy 6c a fes fuc-
celTeurs l'obéïflance qu'on leur doit, fans tou-
tefois que Ton pull rien faire au préjudice de
ce qui leroit ordonné par les Ellats, ôc pour
rétablir le Royaume dans fes premières libér-
iez dont il joûïlloit ious le Règne de Clovis,
Il fe trouva d'abord allez peu de perfon-
nes de condition , & de bons bourgeois dans
Paris qui olaflent loulcrire a cette Lio;ue, par-
ce que l'on ne fcavoit pas encore bien précis
fément qui oleroit s'en déclarer le Chef j ou-
tre que par les ioins du Premier Préiident
Chriltophle de Thou on découvrit, & en-
fuite on rompit ôc l'on diihpa fans peine les
AlTemblées lecretes qu'on tenoit déjà en plu-
fieurs quartiers de la Ville, pour faire entrer
dans cette Ligue naiilante tous ceux que leur
malice, ou leur faux zèle, ou leur fimplicitc
y pouvoient engager. Mais Monfieur de Gui-
fe ayant envoyé l'on projet au iieur de Humieres
duquel il le tenoit tort affeûré, ce Seieneur,.
qui outre Ion attachement a la Maiibn de
Guife, avoit un. intereft particulier,, <Sc aufli
grand que celuy de lenivimcenir dans fonGou-
• D
26 Histoire de la Ligue.
TfjT. vcrncmcnc de Peronne, qu'on luy olloit par
l'Edit de May, pour donner cette importante
Place au Prince de Condé, fît fi bien par le
grand crédit qu'il s'cftoit aquis dans toute la
Province , que comme d'ailleurs les Picards ont
toujours efté fort zelez pour l'ancienne Reli-
gion, il obligea preique toutes les Villes ôc
toute la NoblefTe de Picardie à déclarer hau-
tement qu'on ne vouloit point du Prince de
Condc, parce que, diloit-on dans le Ma-
nifcile que Ton publia pour juftifier ce refus,
l'on fçavoit de toute certitude que ce Prince
avoir rcfolu d'abolir la Foy Catholique, &c
d'établir univeriellement le Calvinilme dans
la Picardie.
En effet, on ne voulut jamais le recevoir
ni dans Peronne, ni dans le refte du Gouver-
nement j & pour fc maintenir contre tous ceux
qui voudroient entreprendre de faire oblerver
par force cet article de la Paix qu'on ne vou-
loit pas accepter, les Picards furent les pre-
miers à recevoir, d'un commun accord, de à
publier dans Peronne le Traité de la Ligue en
douze articles , où les plus fa^es mefme d'en-
tre les Catholiques , après l'illullre Préfident
' Chriilophle de Thou , remarquoient beaucoup
de choies qui choquoient directement les plus
iaintes Loix divines & humaines.
Car dans le premier on voit que les Prin-
ces, les Seigneurs ôc les Gentilshommes Carho-
Livre Ï.
^7
liqucs, en invoquant le nom de la Tres-Sainte
Trinité, font une aflbciation &: une ligue of-
fcn/ïve ôc défenfîve entre eux fans la permil-
fîon & le conlentcment de leur Roy, & de leur
Roy qui eftoit Catholique aufli-bicn qu'eux;
ce qui eft contraue à la Loy de Dieu, qui or-
donne que les fuiets foient tournis & unis à
leur Souverain , comme les membres à leur
Chef, quand melme il leroit déréglé & mé-
chant, pourveû qu'ils le loient en des chofes od
il n'y ait point de péché manifell:e.
Dans le tecond, l'on ne veut pas qu'on ren-
de obéïflance au Roy, que conformément aux
articles qui luy leront prelenrez par les Eftats,
au préjudice delquels il ne pourra rien faire.
Il ell évident que cela rcnverle l'Eftat Monar-
chique , pour établir en la place une efpccc
d'Arillocratie, contre une de nos Loix fonda-
mentales, qui veut que les Eltats n'ayent que
voix déliberative pour drefler leurs Cahiers, &
les preienter en toute hum.ihté au Roy qui Ics^
examine dans ion Conleil, pour ordonner en
fuite ce qu'il trouvera jufte &c raiionnable. Ils
ne font pas la loy au Prince, qui eft &c leur
Chef &c leur Maiftre , comme les Electeurs de
l'Empire, par certaines Capitulations, la fonr
aux Empereurs d'Allemagne , qui lont les-
Chefs & non pas les Maiftres de l'Empire : mais-
au contraire , ils la reçoivent de leur Roy;,
auquel ils tont kulement de crçs-humbles Re-
D i|
1 57 <j.
iS Histoire de la Ligue.
i/7(?. niontrances par les Cahiers qu'ils luy prefen-
tent.
Dans le troifiéme, les Afiociez fe veulent ren-
dre maiftres de l'Ellat, quand, fous prétexte
de le réformer, ils entreprennent ridiculement
d'abolir les Loix obfervées par nos Anceftres
dans la troifiéme & la féconde race, ^ veu-
lent rétablir les ulages & les couftumes que
l'on pratiquoit du temps du Roy Clovis. Et
c'eft là juilement ce qu'ont voulu faire autrefois
dans l'Eglife certains viiionnaires, qui , fous les
beaux mots de Réforme & de Primitive Egli-
fe , vouloient faire revivre quelques anciens
Canons qu'il y a plufieurs iiecles qu'on n'obfer-
ve plus, & fe donnoient la liberté de condam-
■ lier de relalchement èz d'abus les pratiques ôc
les ufages autorifez de l'Eglife, à laquelle il
appartient, lelon la diverfité des temps & des
occafions, de faire de nouveaux réglemenspour
la police & pour la dilcipline , {ans toucher
aux points capitaux qui regardent l'eflentiel de
la Religion.
Enfin, depuis le quatrième jufqu' au douziè-
me , on voit toutes les marques & toutes les
cntreprifes les plus criminelles d'une rébellion
toute formée contre fon Prince, particulière-
ment en ce qu'on y promet une obéi llance exadie
en toutes chofes au Chef qu'on élira ; que l'on
cmployera les biens 6^ la vie pour fon fervicej
que l'on fera dans toutes les Provmces des le-
L I V R E î. ' ip
vccs de deniers Se de foldacs pour le maintien 1 5 7 <î.
de la caufc commune y oc que tous ceux qui
fe déclareront contre la Ligue feront vivement
pourfuivis par les AfTocicz, pour s'en venger
fans acception de pcrlonne : ce qui dans la vé-
rité n'eiloit autre chofe que faire un lecond
Roy en France pour i'oppoler au premier, con-
tre lequel on s'engaCTcoit par ces terribles mots,
fans acception de perfonne, a prendre les armes,
s'il vouloir empelcher une ufurpation fi cri-.
minelle de l'autorité Royale.
Or comme les grands maux font ordinaire-
ment contagieux , & qu'une dangereufe conf-
piration elt lemblablc au venin, qui d'une pe-
tite partie, ii Ton n'y applique promptement
le fer &c le feu, ou quelque autre remède vio-
lent, &c (i l'on n'écraie le Icorpion fur la playc
qu'il a Laite , fe répand en très - peu de temps
par tout le corps : aulTi l'exemple des Picards,
faute d'avoir agi d'abord avec beaucoup de
force de de vigueur contre l'Auteur de cette
efpece de rébellion, fut bientoft luivi dans
toutes les Provinces du Royaume , de plulieurs
perfonnes de toutes les conditions , qui , fous
le beau prétexte de Religion, s'enrôUerent fous
main dans cette Ligue. Mais celuy qui fe dé-
clara le plus hautement pour ce parti, fut le
Seigneur Loûïs de la TrimouïUe , qui fut de-
puis Gouverneur de Poitou ôc du Pais d'Au-
ms. Car comme il ei^oii; cxcrimement ixrité
Dii;
— — 30 HïSTôiRè DE LA Ligue.
aj 7<î. contre les Hus;uenots, qui, parce qu'il ne leur
eftoit pas favorable , ne perdoient point d'oc-
cafion de luy faire infulte, de avoient fouvent
fait de grands ravages fur fes terres , Ôc que
tl'ailleurs il eftoit fort brouillé avec le Comte
du Lude Gouverneur de la Province, grand 1er-
viteur du Roy, il ne manqua pas de le pré-
valoir de l'occafion qui le prefenta de fe faire
Chef d'un puifTant parti contre eux, & de fe
déclarer pour la Ligue, dans laquelle il fit en-
trer une grande partie des Villes & de la No-
blefTe de la Touiaine de du Poitou.
Ainfila Li2:ue fe forma, ôc devint en fort
peu de temps tres-puiflante, lans que le Roy,
qui n'en pouvoir ignorer les deffeins , les me-
nées, & les dangereules conlequences, ou ofaft,,
ou vouluft s'y oppoler, ioit a caule de ce fa-
tal afToupiflement où il eftoit plonge dans les
délices, & rina«5tion d'une vie molle ennemie
du travail & de l'application aux affaires; foiç
parce que la Reine, qui n'eftoit encore alors
de cette cabale avec les Guifes que par la hai-
ne qu'elle portoit aux Huguenots qui avoienr
entrepris de la ruiner, luy fift accroire qu'il fc
devoir (ervir de cette Ligue pour les afïoiblir
de les abbaiiTer, en leur oftant par là tous ces
grands avantages qu'ils n'avoient obtenus que
par force dans la dernière paix £ odieule & fi
mfupportable aux Catholiques.
Ei c'eft ce qui fe fit aux premiers Lftats de
L I V R E I. 5r
Bloi'î, qui commencèrent au mois de Novembre 1^7^-
de cette melme année. Les Protcftans les avoient
demandez très - mftamment quand on fit ce
dernier .Traité, ne doutant pomt que, comme
ils eftoient jomts aux Politiques , ils n'y ful'-
fcnt les plus forts, &c qu'enfuite ils n'y fifTent
confirmer l'Edit de May qui leur eftoit fi favo-
rable. Mais ils furent trompez dans leur at-
tente. Car il fe trouva que par les pratiques de
Ja Reine Mère ôc des Guifes, & par l'argent
qui fut diifribué dans les AlTemblées particu-
lières des Provinces, non ieulement prelque
tous les Députez eftoient Catholiques , mais
aulli que la plulpart d'entre eux eftoient de la
Li2;ue. De iorte que lans avoir égard aux pro-
teftations du Roy de Navarre 6c du Prince de
Condé contre les Eftats, & après le refus que —
ces deux Princes &c le Marefchal de Damville y^nn.
Chef des Politiques firent d'y afilfter , com- i J 7 7-
me ils en furent vivement lollicitez par une
iolennelle dépuration, l'on révoqua l'Edit de
May i l'on défendit tout exercice de la Pré-
tendue Réforme j &c tous les Miniftres & les
iurveillans furent bannis du Royaume par
un nouvel Edit, jufques à ce qu'ils fulfent con-
vertis. Voilà comme les Proteftans trouvèrent
que la Ligue qu'ils n'apprchendoient pas en->
core, cftoit déjà beaucoup plus forte qu'eux,
dans les Eftats , commue le Roy l'avoïc ef-
pcré.
— — 32- Histoire de la Ligue.
^Sll' Mais d'autre part aufli ce Prince s'apperceûc
bientoft qu'elle n'agiflbit pas avec moins de
vigueur & d'artifice pour affoiblir ion auto-
rité, que pour abbatre le parti des Huguenots.
Car on eût l'audace de luy demander que les
articles qui ieroient approuvez du confcnte-
ment des trois Ordres paiTairent pour des Loix
inviolables fans que l'on y puft rien changer ;
&: que pour les autres iur leiquels on ne ie-
roit pas demeuré d'accord, SaMajefté en pull:
ordonner conformément à ce qui ieroit trou-
vé jufte & raiionnable de l'avis des Princes
& de douze Députez des Eftats: ce qui eftoit,
à proprement parler, ravir au Roy le fouvc-
rain pouvoir de faire des Loix & des Ordon-
nances, &: le tranfporcer aux Elfats félon le
projet de la Ligue. Cela fans doute le iurprit:
mais il fut encore bien plus étonné, quand on
, - luy fit voir en ce mefme temps les mémoires de
l'Avocat David, qui contenoienr certaines pro-
pofitions les plus horribles & les plus détefta-
bles qu'on puiffe jamais concevoir.
Car là cet homme , qui n'eftoit qu'un mife-
rable Avocat de cauies perdues, poie d'abord
c»'itt. t. !. comme un principe indubitable , Que la bmcdi-
Mem. de la ri- f r, r r^ ri r ^
Ligue, é'c- <:tion que les Papes :, cJr Jur tout tjhenne II. ont
donnée a la feule race de Charlemame , ne s'cfl poini
(tendue fur celle de Hugues C^pet^ ujurpateur de la
Couronne; (jr qu'au contr'aire, il a par cette ujurpatlon
Attiré fur fe s defcencLms les mdedicîions dont on a veâ
Us
Livret. 33
les fùnejies effets en tant d'herefes , (^ fur tout 1577.
en celle des Caivinifles ^ qui ont dejolé le Rojaumc
par les Guerres Cinjiles , lesquelles après les victoires
tnjrHèlueufes qu'on a gagnées fur eux , ont ejîéjui'vies
d'une paix très - avantageuje à ces Hérétiques. Que
Dieu néanmoins j dont le propre ejl de tirer le bien du
mal. Je veut fervir de l'extrême horreur que tous les
bons Catholiques ont conceùë de cette malheureufe paix,
pour rétablir dans leurs droits les Princes Lorrains ,
quiJoHtj comme cet Avocat le prétend, & com-
me on. le faifoit accroire au peuple, la vraye
tojlerité de Charlemagne. Il en fait en fuite un
fort grand éloge , les élevant infiniment par-
delTus les Princes du Sang Royal, dont il fait
une horrible fatyre. Après quoy il propofc
les moyens qu'il faut employer pour foule-
ver les Peuples contre eux, ôc pour les op-
primer dans les Eftats auffi - bien que les Hu-
guenots , voulant qu'on oblige le Roy à
leur déclarer la guerre , &c à donner le com-
mandement des armées au Duc de Guile. PuiSj,
ajoufte-t-il, quand ce Prince^ qui aura bientofi ex^
terminé les Huguenots, Je Jera rendu maijlre des prin-
cipales villes du Rojaume , ^ que tout pliera fous la.
puijjknce de la Ligue, il Jèra faire le procès a Aion-
fieur, comme a un fauteur mamfejle des Hérétiques ; cjt
Après avoir rafé ^ confiné le K,oj dans un Couvent,
il recevra , avec la benediéîion du Pape , la Couronne,
fera recevoir le Concile de Trente , foumettra les Fran-
pis , fans aucune refri^ion , à l'ohé'ijfance du Samt
_— - 54 Histoire de la Ligue.
j ^ -, -,^ Sieae, & abolira toutes les prétendîmes liberté:^ de l'E'
zlife Gdlicane.
Il faut reconnoiftre de bonne foy qu'on ne
peut pas dire, comme quelques-uns fe le font
imao-iné, que les Huguenots ayent luppolé ces
terribles Mémoires qu'ils firent imprimer, pour
rendre la Ligue odieufe &c exécrable à tous les
bons Franc^ois. Car il ell: certain que cet Avo-
cat, qui haïiroit mortellement les Huguenots,
defquels il avoit efté maltraité , 6c qui en fuite
s'eftoit entièrement dévoué à la Ligue , en-
treprit luy-meime tout exprés le voyage de
Rome , pour y porter ces Mémoires, & les pre-
fenter au Pape, afin de l'engager dans ce par-
ti ^ & qu'ayant efté tué, par je ne fçay quelle
aventure fur les chemins, on les trouva dans
fa valife. Outre que le Seigneur Jean de Vi-
vonne AmbalTadeur du Roy en Elpaane luy
en envoya une copie, l'afleûrant qu'on les avoit
fait Voir au Roy Philippes, Mais, pour en di*
re nettement la vérité, il y a très -grande ap-
parence que ces Mémoires ne iortirent jamais
que de la tefte creufe , & de l'imagination bief-
fée de ce fou d'Avocat, qui troublé de fa paf-
fîon, jetta fur le papier toutes fes furieufes rê-
veries ÔJ fes fonges chimériques, pour en for-
mer ce ridicule projet, que l'on ne peut lire
fans y découvrir auftitoft toutes les marques
d'un efprit pitoyablement égaré. Le Duc de
Guife, quelque ambition qu'il cuft, n'eftoit pas
Livre I.
3;
fi foible que de donner dans ccç cxtravagan- i $-}•],
ces i &: s'il eût l'audace de porter fes penlces
jufcju'au Trône , ce ne fut que long - temps
après , & lors qu'il vit que Monfieur eftant
mort, & le Roy fans apparence qu'il deuft ja-
mais avoir d'entans, la fuccelTion rc^ardoit le
Roy de Navarre, que ce Duc, fous prétexte
que ce Prince eftoit retombé dans l'iiérefie,
crut qu'il pourroit ailément faire exclure de la
Couronne, pour s'emparer luy-melme du Trô-
ne Royal en la place.
Ce qu'il y a de bien certain, c'eft qu'il
n'y eût jamais de malice ni plus noire ni Mem. de u
plus groiliere que celle de cet Ecrivain Pro- '^"
reliant , qui a compilé les Mémoires de la Li-
2;ue,&: qui veut que ces articles, qui iont con-
tenus dans ce milerable écrit de l'Avocat Da-
vid, ne loient qu'un extrait d'un conicil le-
cret tenu à Rome dans le Confiftoire par le
Pape Grégoire XIII. pour exterminer la race
Royale, & pour mettre les Princes Lorrains lur
le Trône. Car il eft d faux que ce Pape, qui
cftoit extrêmement iage àc modéré, ait jamais
rien fait de pareil, qu'au contraire, il refufa M.dt-^everr-,
^ 1^1 1 T • Traité di la
toujours conitammcnt d'approuver la L\<^\iz , fr.fc des A.r.
quelque inllance qu'on luy en fift ; àc quoy- ^^^lâ.t.i.p.u
qu'on luy promiil, pour l'y engager par Ion
intercft, de commencer l'exécution de ce ^rand
projet par chafl'cr tous les Huguenots du Com-
tac d'Avignon de du Dauphiné, afin de kut
E 1)
— 3' Hisforke ©E LA Ligue.
/^ 7 7. ofter tout moyen de troubler l'Eftat de l'Egli-
fe, & de pafTer en Italie: répondant au refte
toujours à ceux qui luy propofoient fans ceflc
le bien & la feûreté de la Religion pour faire
valoir cette Ligue, que cela, félon luy, n'ef-
toit qu'un prétexte , èc que ceux qui i'avoient
faite avoient d'autres deffeins cachez, qu'ils n'a-
voient eu garde de faire paroiftre parmi les
articles de leur alTociation.
Cependant ces pernicieux Mémoires joints
aux proportions extrêmement audacieufes des
Ligueurs, firent que le Roy commenta d'ap-
préhender bien fort que cette Ligue ne fuft
contre luy plus encore que contre les Hugue-
nots pour le dépouiller de fon autorité. Et
comme il n'avoit pas le cœur de prendre une
réfolution forte Se généreufe d'opprimer un fi
dangereux parti dans fa naiflance, ainfî qu'il
l'eult pu faire : il prit, pour fe délivrer d'un (î
grand danger, une voye détournée, ôc peu di-
gne d'un Roy , fuivant le confeil trop timide
que luy donna le fîeur de Morvillier. Ce fa-
meux Jean deMorviUier qui fut Evefque d'Or-
léans , & puis Garde des Sceaux de France
après la difgrace & la retraite du Chancelier
de l'Hofpital , eftoit fans contredit un des
plus grands hommes de ces temps-là , & celuy
qui avoit alors le plus de créance & d'autori-
té dans les confeils , ellimé & chcri de tout le
monde pour fes belles ^ aimables qualitez, ^
IVRE I.
37
(lir tout pour la douceur de Ton crpric , Se pour i J 7 7..
i'a rare modération jointe à une prudence con-
fomméc, 6c à une très -grande capacité, non
iculement dans le manîment des affaires , mais
aufli dans toutes fortes de fciences propres d'un
homme de la profellion, Ôc meime dans les
belles Lettres, la Poëfîe &c l'Eloquence.
C'cft ce qu'il fit paroiftre affez fouvent en ces
excellentes harangues qu'il compofa pour nos
Rois, de principalement en celle que Henry III. Le labeur,
prononça avec tant d'applaudiffement dans ces H^'m"^, i^
premiers Ellats deBlois. Cela fit qu'on le pref- c«/W/m«.
la fort d'écrire l'Hiftoire de fon temps, parce
qu'on efloit bien perfuadé qu'il n'y avoir per-
fonne qui puft s'aquiter d'un fii noble employ,
avec autant d'éloquence , de jugement & de
politeffe que luy. Mais comme le fujet n'eftoit
pas trop favorable pour la réputation des deux
derniers Rois Charles & Henry fous lefquels
il a vefcu \ que d'une part il eftoit trop géné-
reux & trop reconnoilfant pour vouloir rien
écrire qui puft flétrir ôc deshonorer la mé-
moire de ces deux Princes fes bienfaicleurs ;
& que de l'autre il eftoit trop fîncere, Si trop
homme de bien pour trahir he pour fupprimer
la vérité par une honteufe lalcheté, ou pour
l'altérer h. la corrompre par de baffes ftateries
tout-à-fait indignes de la majefté & de la no-
ble liberté de l'Hiftoire: il ditoit agréable-
ment à fes aiïùs pour s'en défendre , qu'il cftoijs
£ lij
t — ■■ — 3? Histoire de la Ligue.
1^77. trop ferviteur des Rois Tes bons maiftres , pour
entreprendre d'écrire leur Hiftoire. Belle pa-
role, qui eftant bien examinée pour en tuer
le véritable fens , doit obliger les grands Rois
à faire de grandes chofes, pour fournir à un
fîncere Hiftorien de quoy rendre leur mémoire
immortelle, &c remplir tout le monde de la
gloire de leur nom. Mais aufli d'autre part,
elle doit faire entendre à un Hiftorien , que
quand il eft oblicré 4' écrire l'Hiftoire, il n^ a
ni crainte, ni efpcrance, ni menaces, ni récom-
penfe , ni haine , ni affection , ni faveur , ni co -
1ère de qui que ce foit, qui le doive détourner
d'un feul pas de la vérité dont il eft redevable à
fon ledeur, s'il ne le veut attirer l'indignation
& le mépris de la pofterité, qui ne manquera
jamais de le condamner comme un impofteur
ôc un empoilonncur public.
Voilà quel eftoit le génie dc le caractère de
ce grand homme, à qui l'on ne peut rien re-
procher, finon qu'il eftoit un peu trop timide,
&c qu'il n'avoit pas autant de rélolution &c de
fermeté qu'il en faut avoir pour donner de gé-
néreux conleils dans les occafions preflantes,
afin de couper tout à coup racine aux grands
maux qui menacent l'Eftat. C eft pourquoy ,
comme il vit que le Roy, qui eftoit encore
plus timide que luy, eftoit fort étonné de l'au-
dace de ces Ligueurs j comme il ne croyoit pas
aufti que ce Prince, quand il euft voulu agir
L I V R E T. 3<,
fortement, les puil: opprimer-, cjuil connut fort i ; 7 7*
bien que la Renie, à laquelle il clloit fort at-
taché, ôc qui fouftenoit la Ligue fous main,
ne vouloit pas qu'on entrcprilt de la ruiner;
ôc que d'ailleurs il vouloir tirer le Roy de ce
mauvais pas : il prit entre deux un tempérament
par lequel il crut pouvoir conierver l'autorité
Royale fans détruire la Ligue. Pour cet effet,
ne doutant point que fi l'on ne la prévenoit,
elle ne fe choilill un Chef qui en euft difpofc
comme il euft voulu contre le Roy mefme , il
luy conteiUa de déclarer à l'Affcmbléeque bien
loin de s'oppofer a la Ligue des Catholiques
contre les Huguenots , il en vouloit eftre le
Chef, ce que l'on n'euft olé luy refuier, 6c que
par là il en feroit le maiftre , & empefcheroit
qu'elle n'entreprift rien contre luy.
A la venté ce n'eftoit pas là un trop mau-
vais expédient , pour arrefter quelque temps
l'exécution des grands defleins des Auteurs de
la Ligue. Mais il faut aulïi avouer qu'en la fî- ' ':
gnant, &c la failant figner aux autres, comme
il fit quand il s'en déclara le Chef, il en au-
toriioit tous les articles qui choquoient tout
ouvertement ion autorité ; il la mettoit en cC^ ' --
tat, &c mefme en droit, félon ce Traité qu'il
approuvoit, d'agir contre luy-melme, s'il fe
brouilloit&; rompoit jamais avec elle, comme ; ...'
jl eftoit impollible que cela n'arrivaft dans quel- • - "'' "'
(jue temps 3 il yioioïc la paix qu'il avoit don-.
';7 7-
40 HlSTOIÎlE DE LA L I G U E.
née à fes fujets par l'Edit de Pacification qu'il
venoit d'accorder aux Huguenots; &c préci-
pitoit la France dans cet abifmc d'une infi-
nité de malheurs qui font inféparables de la
guerre civile qu'il renouvella , Ôc qui ne luy
fut pas trop avantageufe.
Je n'en veux pas décrire les particularitcz
qui appartiennent à l'Hiftoire de France ôi point
du tout à celle de la Ligue, qui en cette oc-
cafion n'agit pas de fon chef contre l'autorité
du Roy, par les ordres duquel deux Armées,
dont l'une ertoit commandée par Monfieur_,
ôc l'autre par le Duc de Mayenne , attaquèrent
les Huguenots , fur lefquels on prit la Charité,
IfToire, Broûage, ôc quelques autres places de
moindre importance que celles -cy. Je diray
feulement que le Roy s'ennuyant bientoll des
foucis de la guerre dont il ne fe pouvoit ac-
commoder, aimant comme il faifoit palTion-
nément le repos &c les plaifirs, on donna de
nouveau la paix fur la fin de Septembre de
cette mefme année aux Huguenots par l'Edit
de Poitiers, tres-peu différent de celuy de May,
à la réfervc qu'on y rcftreignoir l'exercice du
Calvinifme aux limites des Pacifications pré-
cédentes, & qu'on le défendoit dans le Mar-
quifat de Saluiïes ôc dans le Comtat d'Avignon.
Ce fut au refte durant cette paix qui dé-
Ututnryju. plaifolt fott aux Ligueurs, que le Roy, pour
îe fortifier contre la Ligue,, en fe faifant des
créatures
Cayet,
iitvtn, t. t
Jturn/il
L I V R E I. 41 — _.
créatures qui s'attacha (Tenc inviolablemcnt à Ann.
Ion fervice par le nœud d'un ferment plus par- i j 7 p.
ticulier àc plus folcnncl que celuy qui obli-
treoit univerlcllcment tous Tes fujets à le fer-
vir, établit &: folennila Ion nouvel Ordre du
Saint Efprit, qui eft encore aujourd'huy, après
la révolution de tout un fîccle, une des plus
illuftres marques d'honneur dont nos Rois ont
couftume de récompenfer le mérite & les fer-
vices des Princes & des plus fignalez de la No-
bleffe. On a cru long - temps que Henry III,
en eftoit l'Inftituteur & le Fondateur, 6c luy-
mefme a fait ce qu'il a pu pour établir cette
créance dans le monde. Mais on s'eft enfin
pleinement éclairci de la vérité , qui , quelque
effort qu'on faffe pour la fupprimer, ne man-
que gueres de le produire toit ou tard , pour
rendre enfin à la perfonne, ou du moins à la
mémoire d'un chacun, le blafme ou la louan-
ge qu'il mérite. Car on a trouvé, par une voye
qui ne peut eftre nullement fufpedie, 6: qui
ne laiffe plus aucun doute fur ce lujet,que l'o-
rigine de cet Ordre fe doit rapporter à un au-
tre Prince de l' Augufte Sang de France, je veux
dire à Loûïs d'An)OU, dit de Tarente, Roy de
Jerufalem &c de Sicile, qui en l'année mil trois
cens cinquante deux, le jour meiine de la Pen-
tecofte , inftitua dans le Chafteau de l'Oeuf à.
Naples, l'Ordre des Chevaliers du Saint Efprir,,
par une Conltitution contenant vingt -cinq
F
42. Histoire de la Ligue.
ij-75). Chapitres, &: qui commence ainfî dans le ftylc
„ . de ce temps-là.
Nous Loys fur U ^ace de Dieu Roy de Jcmfa-
lem (^ de Secille y Allonmur du SMnt Eifrit, lequel
jour bar la ^ace nous fufmes couronne':^ de nos Royau-
mes j en ejjkucement de Chevalerie , & accroijjement
d'honneur, avons ordennê de faire une Compagnie de
Chevaliers y qui feront appelles les Chevaliers du Saint
Ef^rit du droit defir, ^ lefdits Chevaliers feront au
nombre de trois cens, defquels nous comme Trouveur
0* Fondeur de cette Compagnie , ferons Princeps , (^
aujji doivent ejlre tous nosfucceffeurs Rois de Jerufa-
lem cir de Secille.
Mais comme il mourut fans enfans de la
Reine Jeanne I. la femme, & qu'il y eût après
fa mort d'étranges révolutions dans ce Royau-
me-là, cet Ordre périt tellement avec luy, qu'il
n'en feroit pas meime reflé la mémoire, (î l'O-
riojinal de la Conllitution du Roy Louis ne
fuil tombé, je ne fcay par quelle aventure, au
pouvoir de la République de Venife, qui en
fit preient à Henry I H. à fon retour de Po-
logne, comme d'une pièce très -rare, ^ qui
venant d'un Prince du Sang de nos Rois, me-
ntoit bien d'eftre gardée dans les Archives de
France : &: c'eft ce que Henry ne vouloir pas.
Car trouvant cet Ordre très-beau, & de plus
qu'il luy convenoit parfaitement bien, parce
qu'elLint né le jour de la Pentecol^e, il avoit
efté couronné le meime jour, premièrement
L r V n E T.
45
Roy de Pologne , & puis Roy de France , com- ijjp.
mcLoûïs de Tarence avoit receû fcs deux Cou-
ronnes de Jcrufalem &c de Sicile à pareil jour:
il luy prit envie de le renouveller quatre ans
après. Mais comme il vouloir aufli que l'on
cruil qu'il en eftoit l'Auteur, il en chanc^ea le
Collier, où il mit certains Chiftres aufquels on
a depuis lublHtué des armes en forme de tro-
phées qu'on y voit encore aujourd'hoy ; & après
avoir pris ce qu'il voulut des Statuts de cet
Ordre, il commanda au fîeur de Chiverny de
brufler cet Original pour en abolir la mémoire.
Mais ce Miniftre, quoy - que tres-fidelle à Con
Maiftre, n'ayant pas cru eftre obligé d'exécuter
cet ordre, une fi rare pièce écheût à l'Evefque
de Chartres Ion fils, d'où par fiaccefiion de
temps elle tomba entre les mains de feu M. le
Préfident de Mailons, à ce que nous appre-
nons de M. le Laboureur, qui nous en a donné
la copie tout au loncr au iecond Tome de
fes Additions aux Mémoires du fieur de Caf-
telnau. C'efl ainfi que ce fameux Ordre fut
plûtoft rétabli qu'infiitué par le Roy Henry
III. pour avoir cette nouvelle milice de Che-
valiers qu'il puft oppoier aux Ligueurs, fort
mal iatisfaits de la paix qu'il avoit faite avec
les Huguenots.
Cette paix toutefois ne fut pas fi bien ob- cajet,t.i.
Tervée qu'ils n'excitafTent de temps en temps
de nouveaux troubles, qui deux ou trois ans
F ij
—44 Histoire de la Ligue.
JJ75?, après allumèrent une ieptiéme guerre, par le
refus qu'ils firent de rendre les places de feû-
reté qu'on leur avoir accordées pour un cer-
tain temps qui eftoit écoulé , & par la furprife
de quelques autres. Mais elle fut terminée dans
la féconde année après les Conférences de Ne-
j4m. rac & de Fleix , par une paix qui dura quatre
ïj8i. ou cinq ans, jufqu'à ce que la Ligue, laquelle
depuis que le Roy s'en eftoit fait Chef, n'avoit
ofé rien entreprendre, fe déclara tout à coup
contre luy fous un autre Chef, à cette occafion
que je vais dire.
Auflîtoll: que la paix fut faite , les Catholi-
ques & les Huguenots, que la guerre civile
avoir armez les uns contre les autres , fe réii-
nirent pour fervir dans l'armée de Monfîeur,
qui ayant efté déclaré par les Eftats des Païs-
Bas Duc de Brabant, eftoit entré comme en
triomphe dans Cambray, quand il en eût fait
lever le fiege que le Duc de Parme y avoit
mis. Et après avoir efté proclamé Prince Sou-
verain dans Anvers, & qu'on l'eût receû dans
• BruCTcs &c dans Gand en cette qualité , il conti-
nuoit la euerre , alTifté fous main du fecours
de France, & de la Reine d'Angleterre tout
ouvertement , pour chafTcr les Elpagnols de
tous les Païs-Bas. D'autre part, la Reine Ca-
. . therine qui avoit fes prétentions fur le Portu-
gal, avoit aufti envoyé dans les Ifles Terceres
«ne belle flote fous la conduite de Philippes
ieven.
Livre I. 4; — -,
Strofli Ton parent, & protcgcoic ouvertement i;8i.
Dom Antoine, qui après avoir perdu la ba-
taille devant Lilbonne , s'eftoit réfugié en
France, & ne laifloit pas de dilputer encore la
Couronne au Roy Philippes. C'eft pourquoy
ce Prince, qui d'ailleurs marchant fur les tra-
ces de ion père ôc du Roy Ferdinand fon bi-
fayeul maternel, ne longeoit qu'à s'agrandir à
nos dépens, s'appliqua de toute la force à nous
divifer de nouveau, pour nous empelcher de
le troubler dans fes Eilats. • ■-■■■' V-,Vi'.::"
Pour cet effet, il fit tous Tes efforts, Se em- cayet, Trêf.
ploya tous les artifices, pour obliger le Roy de ^Z'^""''''*
Navarre & Damville,qui après la mort de fon
frère aifné eftoit devenu Duc de Montmo-
rency , à rompre la paix , & à renouveller la
guerre en faveur des Huguenots , ne faifant
point du tout de fcrupule d'agir en cette oc-
cafion contre les véritables interefts de la Re-
ligion , en mefme temps qu'il reprochoit la
melme chofe à ceux , qui dans la venté ne fai-
foient la guerre en Flandre que pour la juftc
défenfe des peuples opprimez , dont melme la
plufpart eftoient Catholiques. Mais comme il
vit que ce deffein ne luy pouvoit pas réiilîîr,
pour des raifons qui ne font pas de cette Hif-
toire , il tourna toutes fes penlées vers le Duc
de Guife, & donna ordre à Ion Ambalîadeur
Mendoze de ne rien omettre pour l'obliger à
faire au plûtoft prendre les armes à la Ligue
Aid'it. 4UX
— ^6 HiSTOIÏlE DE LA LiGUE.
ij8i. qui efloit déjà tres-puifTante , & de laquelle il
pouvoit dilpofer comme en eftant l'ame & le
principal Auteur.
Ce Duc , qui eftoit courageux & hardi juf-
ques à la témérité , quand il avoir pris une fois
fon parti, ne laifToitpas pourtant d'eftre fort
adroit, clairvoyant, circonfpedt, &: prudent
pour prendre de juftes mefures,& pour ne pas
s'engager dans une entreprife qu'il ne fuft af-
feûré , autant qu'on le peut eflre , d'avoir des
moyens de la faire réiilTir. Delà vient qu'il fut
- ■- • aflcz long-temps fans fe vouloir rendre ni aux
offres des grandes fommes qu'on luy prefentoit,
ni aux menaces que l'Ambafladeur luy faifoit
de découvrir fon Traité fecret avec Dom Jean
d'Autriche, dont le Roy d'Efpagne avoit l'O-
riginal, ni aux prcffantes foUicitations de fes
frères &i des autres Princes de fa maifon, qui
plus impatiens, & moins habiles & éclairez que
luy, vouloient qu'il ne tardaft plus à fe décla-
rer. Mais enfin le moment fatal arriva, auquel,
après avoir bien examiné toutes chofes, il crut
que tout concouroit non feulement à favori-
fer le deflein qu'il avoit toujours eu de fe faire
Chef de la Ligue Catholique, mais aufTi de
porter fes efperances beaucoup plus loin que
ion ambition, quelque grande qu'elle fuft, ne
Juy avoit tait d'abord concevoir.
En effet, d'une part le Roy elfoit réduit dans
Wû eltat plus pitoyable que jamais. Ses inmien-
Livre t. o- :- 1:' ^-j
fcs profuflons en mille chofcs tout - à - fliit in- Ann.
dignes de la Majcftc Royale, &: de nul profit rjSi.
à l'Eftatj l'orgueil, le fallc, & l'infolcnce ni- i j8j.
fupportable de Tes favoris ; fa bizarre conduite
.qui le failoit aller fans ccflc d'une extrémité à
l'autre, de la retraite & de la folitude dans la
vie bourgeoiie, de la débauche dans la dévo-
tion, & dans une dévotion qui pafToit dans
l'elprit du Peuple pour une pure mommerie,en
ces ProcefTions de Penitens couverts de facs de
plufieurs fortes de couleurs où il alloit luy-
mefme avec le foilët à la ceinture , contre le
génie de la nation qui aime à fervir Dieu en
elprit&: en vérité; &:cent autres pareilles cho-
fes toutes contraires à nos mœurs , &: aux ma-
nières de fes Prédcceffeurs, luy avoient fî fore
attiré la haine &: le mépris de la plufpart de
fes fujets, que, contre l'ordinaire des Franc^ois
qui adorent leurs Rois, on donnoit tout pu-
bliquement des marques, principalement dans
Pans , de l'averfion qu'on avoir pour luy.
D'autre part, tout confpiroit en faveur du
Duc de Guife, pour le porter à ce haut point
de puiffance & d'autorité qui fembloit l'égaler
au Roy mefme, qui en effet le regardoit déjà
& le haïffoit comme fon rival, (ans néanmoiiii;
ofer encore rien entreprendre contre luy, pour
le prévenir, & fe mettre à couvert du mal qu'il
en appréhendoit. Le Peuple s'attachoit à ce
Duc conuïie à fon Protecteur^ ^ au foufticii
4^ Histoire ce la Ligue.
JJ83. de la Religion. La plufpart des Grands de la
Cour, mécontens du gouvernement, s'eftoient
jettez dans fon parti. Les Dames, à qui les
Mignons difoient tout, luy découvroient tous
les fecrets du cabinet, pour fe venger du Roy
qu'elles haïlToient pour certaines raifons qu'on
ne dit pas. Il eftoit alTeûré d'avoir pour Iby le
Duc de Lorraine , &c le Duc de Savoye , qui
prétendoient tirer de grands avantages de cette
Ligue 5 ôc principalement un auffi puillant Prin-
ce que le Roy d'Efpagne, qui luy olfroit deux
cens mille livres de peniion, outre l'argent qu'il
luy devoit fournir pour lever des troupes.
C'elloient là fans doute de grands fujets
de tentation pour un Prince de fon humeur,
de qui eftoit capable de donner à tout. Mais
— ce qui acheva enfin de le déterminer , fut la
^nn. mort de Monfieur, qui après fa malheureufe
.1784. cntreprifc d'Anvers, ayant efté contraint de
retourner en France fins honneur, mourut à
Chafteau - Thierry , foit de mélancolie, ioit
de fcs anciennes débauches , ou , comme le
bruit en courut , de poilon. Car ce fut pour
lors que comme il croyoit que le Roy n'au-
roit point d'enfans , &c qu'on feroit facile-
ment exclure de la iuccellion à la Couronne
le Roy de Navarre, pour plus d'une railon
qu'il eiperoit faire valoir par la force des ar-
mes plus encore que par les difcours & par les
écrits des Do(^eurs de la fadion j 6c que la.
Reme
L I V R 1 I. 4^
Reine Catherine, qui haïfloit ce Roy Ton gcn- is^ ^
dre, avoit la mclmc envie de l'exclure, pour
faire régner en C\ place le Prince de Lorrain,
ne Ton petit -fils : il conceût des penfées plus
hautes que celles que Ion ambition luy avoic
d'abord inipirécs, quand le Cardinal fon on-
cle luy tra^a le plan d'une Ligue de Catholi-
ques dont il poiirroit cftre le Chef. Et là-def-
fus il fe réfolut, lans plus balancer, de pren-
dre les armes , &: de faire la guerre au Roy,
Mais pour rendre plauiible une û criminelle
entreprife , il falloir du moins un prétexte qui
la juftifiaften quelque manière devant les hom-
mes. Et c'eil: ce que la fortune luy prefcnra le
plus avantageufement pour luy qu'il l'eull: pu
iouhaiter , prefque au melme temps qu'il pre-
noit une fi étrange rélolution.
Comme il eftoit impoflible qu'une fi gran-
de confpiration le tramait fi iecretement que
le Roy n'en fuft averti, ainfi qu'il le fut ef-
fectivement de plus d'un endroit : ce Prince ,
qui s'eftant lailTe amollir le courage dans l'oi-
fiveté d'une vie voluptueule & retirée, eftoic
devenu fort timide, &: ne pouvoit de luy-mef-
me fe réfoudre à étouffer , par une action £^é-
néreufe, de par un coup de maii-lre, un fi hor-
rible mal dans fa nailfance, avoir crrande envie
d'avoir auprès de loy fon beaufrere Henry
Roy de Navarre, qu'il reconnoilToit, félon la
Loy Salique, comme l'Iientier préfomptif dck
G
jo Histoire de la Ligue.
î r 8 4. Couronne , ôc le plus capable de rompre toutes
lesmefures du Duc de Guile. Mais voyant bien
quil falloit pour cela que ce Roy^ qui cftoit
chef des Huguenots, renonc^aft à fon hérefîe,
& rentraft dans l'Eglilc Catholique, il luy en-
voya le Duc d'Elpernon en Guyenne, pour
luy perfuader une choie iî neceflaire a l'établii-
fement de fa fortune , & de fon véritable in-
tercft fpirituel 5c temporel. Comme ce Prince
avoir toujours protefté fort fincerement qu'il
n'cftoit nullement opiniaftre , & qu il eftoit
tout preft de fc rendre a la vérité, aufïitoft
£aye:. Qu'on la luv auroit fait connoiftre , il receût
Thuan. /. Sa. i , . , , ' 1 T-^ 1-11
admirablement le Duc , auquel il donna une
audiance fecrete dans fon Cabinet, en prefen-
ce du Seigneur de Roquciaure Ion confident,
d'un Minière de fa Rclio-ion, & du Préfident
Ferrier ion Chancelier , qui avoit toujours pen-
.ché du cofté du Huguenotilmc, duquel il fit
enfin profefïion en fon extrême vieilleffe un
peu avant fa mort.
A la vérité cette Conférence ne fe fit pas
trop régulièrement, ni mefme d'alTez bonne
foy. Car d'Efpcrnon & Roquelaure, qui n'ef-
toient pas fort grands docteurs, ne luy propo-
foient pour le convertir que des railons hu-
maines, & point de plus fort argument que
celuy qu'ils tiroient de la Couronne de Fran-
ce, qu'ils luy faiioient valoir incomparable-
inent plus que les Plcaumes de Marot, que la
^->
Livre!. p
Cefic , Se que tous les Prcfchcs de fcs Miniftres. 1584.
Mais au contraire, le Muiil>rc & le Pré/îdcnc
qui en f(^avoient beaucoup plus que ces deux
courtilans, n allcguoicnt , pour détruire cette
foible railon de l'interefl:, que des motifs qu'ils
difoiem cftre Ipiritucls &c tout divins, & la pa-
role de Dieu qu'ils interprctoient à leur mode,
fans que ces bons Seigneurs, qui n'y enten-
doient rien du tout, enflent de quoy leur re-
partir. De forte que le Roy de Navarre qui fc
piquoit extrêmement de générofité , fc faifanc
honneur du mépris qu'il paroifToit faire d'une
fî augufte Couronne, pour lauver fa confcien-
ce , éc pour conferver (a Religion , le Duc fut
contraint de s'en retourner, fans avoir rien fait
de ce que le Roy prétcndoit. Mais ce qu'il y
eût encore de plus falcheux , c'eit que le fieur
du Pleflis Mornay , Gentilhomme d'une ancien-
ne & illuftre maiibn, de beaucoup d'efprir,
d'un f^avoir au defl.'us d'un homme de fa qua-
lité, fe fervant au refte aufli-bien de la plume
que de l'épée, & fur tout fort zélé Protêt-
tant, fît un écrit de cette Conférence, dans
lequel ayant expofc tout ce qui s'eftoit die
de part & d'autre, il prétend montrer l'avan-
tage que la Religion avoit remporté fur U
Catholique, de que le Roy de Navarre ayant
clairement reconnu le foible de celle -cy, a-
voit elle plus que jamais confirmé dans M
iienne, . ■. ;.
Ç i^
1.*
.^
j-z Histoire DE la Ligue.
IJ84. Cela fut caufe que les faôlicux, & les Catho-
liques faulTement zclez, commencèrent à s'em-
porter terriblement contre le Roy, qu'ils char-
gèrent de mille horribles calomnies, publiant
par tout qu'il s'entendoit avec le Roy de Na-
varre, auquel il avoit envoyé d'Eipernon, non
pas pour le convertir , mais plûtoft pour le
confirmer dans fes erreurs ; comme il paroiflbit
aflez par les A(5tes de cette Conférence , où rien
ne s'elloit dit à l'avantage de la Relieion , mais
au contraire , tout eftoit pour le Hugucnotif-
tne. Et comme prefque en mefme temps le Roy,
pour empelcher que les Huguenots, irritez des
mfultes que leur taifoient impunément les Li-
gueurs, ne reprifïent les armes, fe crut obligé
de leur accorder la prolongation que le Roy
de Navarre demandoit du terme qui leur eftoic
prelcrit pour rendre les places de leûreté qu'ils
avoient eues par le dernier Edit de paix : ces
factieux ne tardèrent plus de mefures. Ils di-
rent tout ouvertement, en toutes Icsoccalions,
Se mefme les Prédicateurs dans leurs chaires,
les Curez dans leurs profnes, les Confefleurs
dans leurs tribunaux , les ProfelTeurs dans leurs
leçons, & les Docteurs dans les rélolutions qu'ils
donnoient , qu'on eftoit obligé de s'oppofer
fortement au Roy, qui portoit le Navarrois,
èc vouloir que tout hérétique opmiaftrc qu'il
cftoit, il fuccedafl à la Couronne i ce que ion
Ije deyoït jamais Ibuiïiir, eilanc aifeviré que ce
1 I V R ï ï. 55
Prince, s'il moncoit jamais fur le Trône, abo- i^S^,
liroit en France la Religion Catholique.
Ce fut-la la grande machine dont on Ce fer-
vit pour remuer les Peuples, lur leiquels il n'y
a rien qui ait tant de pouvoir que le motif de
la Relio;ion, quand ils le font perfuadcz qu'on
la leur veut ravir par force j Ôc pour les atta-
cher indiflolublement aux interells ôc au parti
du Duc de Guile , qu'ils croyoient n'avoir
point d'autre but en tout ce qu'il entreprenoic
oue de la fouftenir &: de la défendre contre les
Hérétiques de les fauteurs de l'Hérefie. Mais
parce que ce Prince fort adroit ne vouloir pas
qu'on s'apperceuft qu'il agiflbit fous un fî beau
prétexte pour luy-mefme, outre qu'il ne croyoic
point qu'on puit encore tenter leûrement d'ex-
clure de la fucceflion les autres Princes du Sang;
^ui eftoient bons Catholiques : il entreprit de
mettre finement de fon cofté le bon homme
Charles Cardinal de Bourbon. Et de fait, après
avoir gagné par fes grandes liberalitez le ueur
de Rubempré qui le gouvernoit ablolument, il
luy perfuada, îans beaucoup de peine, qu'ef-
tant plus proche parent du Roy d'un degré que
le Roy de Navarre (on neveu, c'eftoit à luy
que le Royaume appartcnoit, au cas que le Roy
mourult fans enfans , ôc que toute la Ligue
Catholique foulliendroit de toutes les forces
ce droit qui luy elloit li legitemement aquis par
fk naiilance, ne tull-ce que pour empefclier
_f4 Histoire de la Liguk.
Bdrbonius
1J84. qu'un Prince Huguenot ne iuccedaft à la Cou-
ronne.
Il n'en falloit pas tant pour ébranler une amt
aufli foible que celle de ce Cardinal, qui, tout
dévot qu'il eftoit, fe laifTa facilement leduire
par une Ci vaine efperance de régner. Il fut
tellement ébloûï de ce faux éclat d'une Cou-
ronne imaginaire , que fans confîderer qu'il
Rcgnifiiccef- en portoit une de Preftre, qu'il approchoit de
ions nomen /'•^ ,. „ 1t-.>
afFcdat.fert- loixaiitc - dix ans , de que le Roy nen avoïc
fl^pSni P^s encore trente -cinq, il quitta ion habit de
fiatris fîiiura. Cardinal , de parut en public veftu en Gé-
iia-redem ,u- ncral d atmcc ; ce qui donna lieu de croire
quc"Làdnô que Ton grand âge luy avoit bien afFoibli l'eiZ.
habuTlibr prit, s'il ne l'avoir entièrement perdu. Cela
piacet m fa- pourtant n'empelctia pas que fe diiant héritier
bufdam ddi- préiomptif de la Couronne, il ne le déclaraft
rare yideatur z^l C J 1 t • r
ficran- ^out ouvertemcnt Cliet de la Ligue contre Ion
ra"donis*^ca'ut ^^^eu Ic Roy de Navarre , principalement quand
fe infert, & il yic que cc parti, fur lequel il le croyoït dé-
primas de- . -^ , . ■'• / 1 • I
pofcit. ja très- bien appuyé, devint encore beaucoup
s»jifq.Tj,.4ç. pjj^„ puiffant ôc plus formidable qu'auparavant
par la jondlion de la Ligue particulière des Pa-
rifiens, qui a fait de iî furieux defordres, fous
le fameux nom des Seî:(^e,ôc qui le forma dans
Paris en ce temps -cy de la manière qu'il faut
maintenant que je raconte.
Depuis que par les foins du Premier Prési-
dent Chriftophle de Thou, ôc de quelques au-
tres Maçiftrats oji eût d'abord arrelté dans
L I V R E I. j^
Paris le cours de la Li£:;uc qui con-smcnçoic à ^ j'^'4'
s'y former lors qu'elle fut fignce parles Picards,
on y velcut aflcz paifiblemcnt, Se lans qu'on
V ofali tenir aucune afTcmblce (ecrece contre
l'Eltat, juiques a ce qu'à l'occafion de la Con-
férence que le Duc d'Elpcrnon eût en Guyen-
ne avec le Roy de Navarre , on fit malicieufe-
mcnt courir le bruit que le Roy protegeoit les
Huguenots, qui aufTitoft que leur Chef feroic
lur le Trône, comme il le prétendoit, ne man-
queroient pas d'abolir en France la Religion
Catholique. Car alors un fîmplc bour^reois de
Paris nommé la Roche - Blond , homme plus
foiblc (Se plus idiot que méchant, prévenu par C".)"'- '•
1 I ^ • I r -> ■ 11- ^ vnilo^. dît
les calomnies que les ractieux publioient con- Man»»t ^
tre le Roy, le mit dans l'eiprit, par un fliux '^" '"'''"'"-'■
zelc de Religion , qu'il pourroit faire en forte
que les bons Catholiques de Paris s'unilfent en-
femble pour s'oppoler de toute leur force aux
defleins du Roy, qui, à ce qu'il s'eftoit imagi-
né , favoriïoit les Huguenots , de pour empel-
cher que le Roy de Navarre ne luccedall: à la
Couronne. Pour cet effet, il s'adrelfe d'abord
à un certain Maiftre Mathieu de Launoy, qui t^et.furh
de Preftre avoir cftéMiniftre de Sedan, d'où il ï''d°Kever:.
s'eftoit lauvé pour avoir efté iurpris en adul- '^l'^r^'/^l
tere , &: s'eftant de nouveau rendu Catholique
cftoit devenu Chanoine de SoilTonSjôc prefchoïc
alors à Paris. Il communique encore ion def-
fem à deux célèbres Dodeurs à<. Curez, l'ua
de L:t
;5 Histoire de la Ligue.
3/84. de Saint Severin nommé Jean Prevoft, &c l'au-
tre de Saint Benoift, qui eftoit le fameux M.
Jean Boucher, l'un des plus renommez Prédi-
cateurs de Paris, mais dont le talent confif-
toit particulièrement en une extrême hardiefïc
qui alloit jufqu'à l'impudence, homme cnfuite
beaucoup plus propre à exciter une grande
iedition par fes violentes èc furieufcs déclama-
tions, qu'à prefcher l'Evangile de Jeius-Chrift,
qui n'infpire que l'humilité, l'obéiflance &c la
foumifïlon aux puifTances qui nous gouvernent.
Ceux-cy s'eiLant trouvez tous quatre unis
dans une mefme penfée , que l'efprit de divi-
iion ôc de révolte déguiié lous une belle ap-
parence de zèle leur mfpira , le nommèrent
les uns aux autres tous ceux qu'ils connoifToient
dans Paris les plus propres à entrer avec eux
en focieté, &: à jetter les fondemcns de lafain-
te union des Catholiques de cette grande vil-
le, qu'ils conclurent, ians balancer, eftre abfo-
lument neceflaire, pour conferver en France la
Religion, ôc pour y éteindre la tyrannie ; car
c'ell ainfî que ces dévots factieux fe donnoient
la liberté d'appeller le Gouvernement. Mais de
peur d'eftre trop toft découverts par la multi-
tude, comme on l'avoit eilé quand on fit cou-
rir dans Paris le projet de la première Ligue,
ils s'accordèrent à nommer chacun deux afTo-
ciez, entre ceux dont ils fe pouvoient le plus
alTeûrerj ôc aufqucls ilscommuniqueroient tour
le
L t V R E ï. ;7
le Tecret de l'cntreprife. Sur quoy la Roche- 1J84.
blond choifit le fieur Loûïs d'Orléans fameux
Avocat, &le ficurAcarieMaiftre des Comptes,
qu'on appella depuis par ironie le Laquais de n»«. /«r/«
là Li^ue j parce qu citant boiteux, il eitoitun de
ceux qui alloient& venoient, & agifloient avec
le plus d'emprcflcment pour les interefts du
parti : c'ell celuy-là mefme qui fut mari de
laBienheureufc Marie de l'Incarnation, des bons
exemples de laquelle il profita mal. Le Curé
de Saint Benoill nomma Mignager Avocat, &
Crucé Procureur au Parlement. Celuy de Saint
Sevenn donna fa voix au fieur de Caumont
Avocat, & a un Marchand appelle Compan.
Matthieu de Launoy, qui ne fçavoit pas encore
il bien qu'eux la Carte de Pans, n'en put nom-
mer qu'un, qui fut le fieur de Manœuvre, Tre-
forier de France, de la Maifon des Hemiequins,
Mais pour remplir le nombre de huit, on luy
affocia le lieur d'Effiat, Gentilhomme d'Auver-
gne , lequel cftoit fort connu du Curé de Saint
Severin , qui en répondit.
Ce furent là comme les douze faux Apof-
très, & les fondateurs de la Ligue de Paris, qui
Gontrefaifant admirablement les zelez pour le
bien public, &: ne parlant en particulier à leurs
amis que de l'oppreflion du Peuple, de l'ava-
rice, & de l'inioknce des favoris, de l'intelli-
gence du Roy avec le Chef des Huguenots, &
du danger évident ou l'on fe trouvoit de pcr-
H
___„=«. ^S Histoire de la Ligue.
584. dre la Rcliçrion, eurent bientoft fait de nou-
veaux AlTociez, gens d'E^j;lile, de Palais, ou de
boutique, comme Jean Pelletier Curé de Samt
'"■ Jacques delà Boucherie, Guincellre Curé de
Saint Gervais, la Morliere Notaire, l'Ekû Ro-
land , le Commillaire Louchard , les Procureurs
Emonot, la Chapelle, & Bulfy le Clerc, le plus
factieux de tous les Ligueurs, & plufieurs au-
tres dont il importe fort peu qu'on fc^ache les
noms, qui d'ailleurs ne feroicnt pas beaucoup
d'honneur à ceux qui les portent encore au-
jourd'huy.
Au rclte, pour garder quelque ordre en un
iî furieux delordre qui alloit troubler tout l'Ef-
tat, 5c pour empelcher qu'on ne découvnft ce
qu'on trameroit en cette cabale, on établit un
conlcil compolé d'abord de dix perfonnes,
qu'on choiiit entre ce grand nombre, qui s'al-
fembloient tantoft chez run,tantoll: chez l'au-
tre fort fecretement, mais le plus fouvent chez
le plus déterminé de tous, & qui entrailnoic
la plufpart du temps tous les autres dans Ion
fentiment, à fçavoir, le Curé de Saint Benoift,
en fa chambre, au Collège de Sorbonne, &puis
au Collège de Forteret où il fe retira, &c qui
fut depuis appelle pour cela le Berceau de la
Ligue. Entre ceux-cy l'on en choifit lix, qui
furent la Roche-Blond, Compan, Crucé,Lou-
chart, la Chapelle, &: Bulfy, aufquels on dif>
rribua les leize quartiers de Pans, pour y ob-
I V R E I. j^
fcrvcr ce qui fe feroit qui leur puft ou nuire i;8 4.
ou lervir, pour y rcniarqucr ceux qu'on pour-
roic ailément faire entrer dans leur faclion, ôc
pour y faire exécuter par leurs partifans tout
ce qu'on auroit réfolu dans leur conleil, qui
fut peu de temps après de quarante des plus
connderables du parti. Et c'elt pour cela que
l'on appella cette première union des Parifîens
Les Sei-^e , du nombre, non pas des perionnes^
mais des quartiers, . .
Or comme il n'y a rien qui fe répande plus
facilement ô^ plûtoft, particulièrement parmi
le peuple , que le mal qui le prend par conta-
o|ion ; aufli par la communication que ces gens
infeclez de l'eiprit de rébellion eurent par eux-
mefmcs ÔJ par leurs émiflaircs avec les faux
zelcz, les iimples, les mécontens, les factieux,
& la plulpart de la populace & de la petite
bouriieoilie , ce mal extrêmement contaeieux
fe multiplia aifément , & le répandit bientoft
dans tous les quartiers de Paris. Et il s'accrut
fi fort, que ces mutins, qui au commencement
n'ofoient paroillre , bi ne faiioient que fort fe-
cretcmeiit leurs aflemblées de peur qu'on ne
les découvrit, le crurent devenus ii puiiîans
& il redoutables par leur grand nombre, qu'on,
n eull: oie les attaquer,
lis eurent meûiie la tiardiefl^ d'envoyer leurs '^j'^'i-/*
Députez dans toutes les Provinces, pour faire M^kct.
entrer dans leur nouvelle Ligue ceux qui b'el- ''" '
'60 Histoire de la Ligue.
1/84. toient déclarez pour celle de Pcronne, &c qui
fîgncrenc à ce coup une formule plus pernicieu-
(e encore que la première. Car au lieu que dans
celle -cy ils promettoient par le fécond article
d'employer leurs biens & leur vie pour con-
ferver le Roy Henry HI. dans fon autorité,
& pour luy faire rendre l'obéilTance qui luy
eft deûë, ils jurent dans l'autre qu'ils entrent
dans cette union avec les Pariiîens , non feu-
lement pour exterminer les Hérétiques, mais
auflî pour détruire rhypocrilie àc la tyrannie,
c'eft à dire, comme ils l'entendoient de la ma-
nière du monde la plus criminelle , pour ab-
batre l'autorité du Roy Henry I H. qu'ils ac-
cufoienc de ces deux crimes par la plus gran-
de injuflice qui fut jamais. Voilà ce qu'on ap-
pelloit la Ligue des Seize , laquelle , après que
la première s'y fut jointe par fes Agens qu'elle
cntretenoit auprès d'elle à Paris , reconnut en
effet le Duc de Guife pour fon Chef, & le Car-
dinal de Bourbon feulement en apparence.
Cependant ce Duc voyant qu'il cftoit ap-
puyé il puifTamment, & que toutes chofes fc
trouvoient aulli-bien difpolées pour fon entre-
prile qu'il i'eull pij louhaiter, réfolut enfin de
l'exécuter. Pour cet effet, s'cllant retiré de la
Cour en fon Gouvernement de Champagne,
fous prétexte de quelque mécontentement, il
s'alla rendre à Joinville, où, félon qu'ils avoient
concerté , fe trouvèrent ea niefme temps les
L I V R E L tfi
Envoyez du Roy d'Elpagne &c ceux du Car- i;8 4.
dinal de Bourbon, qui avoit pris la qualité de
premier Prince du Sang, héritier préfomptif
de la Couronne. Et là le Duc agifTant pour
foy-mcimc ôc pour les Princes fes Confcde-
rez , ils conclurent une Ligue offcnfivc ôc dé-
fenlive à perpétuité pour eux, pour leurs al-
liez, &: pour leurs delcendans, par laquelle il
fut arrefté , ^e pour conferver en France la. Reli-
gion Catholique j le Cardinal de Bourbon y au cas que
le Roj décedajljans enfanSy luji Juccederoit, comme le
plus proche héritier de la Couronne, de laquelle Jlroient
exclus pour toujours tous les Princes Hérétiques , ou
fauteurs des Hérétiques , &' fur tout les relaps , fans
qu'aucun de ceux qui auroient jamais fait profrjjion de
l'HéreJiey ou mefme qui l' auroient tolérée, pu jl ejhe jugé
capable de régner. Que le Cardinal ejlant Roy, ban-
niroit du Rojaume tous les Hérétiques ,j f mit obfer-
^ver tous les Décrets du Concile de Trente, ^ renon-
ceroit folennellement a l'alliance qu'on a'voit faite avec
le Turc; ^ que le Roy d'Ef^agne fourniroit tous les
mois cinquante mille pifloles pour les fais de la guerre
qu'on feroit obligé de faire aux Huguenots , ^' au
Roy mefme , s'il ne les leur abandonnoit. ^h4c récipro-
quement aujji le Cardinal (y les autres Princes liguc':^,
aideraient de toutes leurs forces Sa Aîajejié Catho-
lique a réduire jous fon obéijjance fes Sujets rebelles
des Païs-Bas, ft) feroient obferver exaélenient le Trai^
té de Cambray.
Après cela le Duc ayant touché fur le champ
€2. Histoire de la Ligue.
j 5 8 4. une partie de l'argent promis pour fa penfion,
£t faire quelques levées de SuifTes & de Rei-
tres par les Colonnels Phiffcr & Chriftophlc
de BafTompierre qui eftoicnt tout à fa dévo-
tion. Mais avant qu'il les puft avoir, comme les
Députez des Eftats des Païs-Bas eftoient venus
en ce mefme temps ie donner au Roy, &c qu'ils
le preffoicnt extrêmement de la part de leurs
Supérieurs d'accepter la Souverameté de leurs
Provinces : les Ei'pagnols , qui pour détourner
M-ih. aux ce coup fatal a leur ruine, & pour empefcher
Mtm. de CaJ. , , n ■ rr^
,,/„ qu on n envoyait contre eux une puiliante ar-
mée en Flandre, vouloient une diverfion pre-
fente, obligèrent ce Duc, qui dans l'engage-
ment où il eiloit ne leur pouvoir rien refufer^
à commencer enfin la guerre.
, C'eft ce qu'il fit par la furpriie de Toul &
jinn. ^^ Verdun, àc en s'emparant luy- mefme de
ij-Sf. Chaalons & de Mezieres ; de la plufpart des
places de la Picardie par (on coufin le Duc
d'Aumalcj de Dijon, ic de la plus grande par-
tie de la Bourgogne , par le Duc de Mayenne
Ion frère i d'Orléans, parle fieur d'Entragucsy
de plufieurs autres places, par fes créatures ■■> ôc.
de Lyon mefme , par les foldats du Capitaine
le Paffagc, que le Duc d'Efpernon y avoit mis,,
& qui ellant corrompus par les Emiflaires des
Guilcs, en chafferent leur Commendanr, qui te-
. , noit la Citadelle qu'eux - mefmes démolirent ,.
3.i.s.c.s. ôcic déclarèrent hautement pour la Ligue. Et
B'Aul
t.
L I V R E î. (fj
pour sVxcufer ils diloicnt malicieurement, ce 1585
qu'ils avoicnr appris des Ligueurs, qu'ils ne vou-
loicnt pas eftre damnez pour un fauteur d'hc-
rcciques en fervant le Roy, ajoullanc a cela
fciufToment, que les Jeluites qu'on avoir con-
fuirez U-dcirus les avoicnr ablous du ferment
qu'ils luy avoient fait.
Or comme prelque tous les favoris, & fur
tout d'Efpernon, eftoient autant haïs que le
Duc de Guile eftoit aimé, ces deux paillons,
outre l'efperance de s'avancer à la faveur des
troubles, engagèrent dans ce parti un grand
nombre des piusconiiderables, & des plus bra-
ves de la Cour, & entre autres Charles de Cof-
fc, Comte &puis Duc de Briflac, fiJs du grand
Marelchal de BrifTac Vice-Roy de Piémont, de
frère du brave Timoleon Colonel de l'Infan-
terie Fran(^oifej Claude de la Chaftre, Bailly
de Berrij Franc^ois d'Efpinay de Saint Luc; le
Comte de Randan; les Marquis de Bois-Dau-
phin de de Rane ; Claude de BaufFremont Ba-
ron de Senecey, qui y fît entrer Antoine de
Bnchanteau Beauvais-Naneis ion beaufrere,
fils de ce vaillant Marquis de Nangis Nicolas ^- ''^»^»i*f-
de Brichanteau chevalier de l'Ordre, qui mou- Memctrhis.
rut des bleileûres qu'il receût à la bataille de ^^
Dreux, en combatant pour la Religion &: pour
fon Roy.
Ce généreux fils , qui marchant fur les tra-
ces d'un fi brave perc , avoir rendu de fîgna-..
de lit Maife»
64 Histoire ï3ê la Ligue.
I j8j-. lez fcrvices en Pologne & en France au Roy
qui l'eftimoit beaucoup , & luy donnoit gran-
de part dans fa confidence, s'eftoir retiré de la
Cour^ parce que le Duc d'Efpernon, après luy
avoir enlevé la Charge de Colonel de l'Infan-
terie Franc^oife que le Roy luy avoir promife ,
luy avoir encore fait ofter celle de Meftre de
Camp du Régiment des Gardes, Dans le jufte
reflfentiment qu'il eût de cette injure, il ne put
réfîfter aux prefTantes follicitations de ces deux:
Seigneurs de Rane & de Senecey, qui pour
l'cntrailner avec eux dans le parti du Duc de
Guife , luy promirent de fa part ce qju'on ne
îuy tint pasi fc^avoir, qu'on ne feroit jamais
. de paix qu'à condition que d'Efpernon Ion
ennemi fortiroit de la Cour, & que fa Charge
de Colonel de l'Infanterie Fran(^oife luy feroit
remile, l'alTcûrant au refle que cependant il exer-
ceroit cette Charge dans l'armée de la Li^ue.
. Voilà ce que l'humeur altiere de malfai-
fànte de ce favori valut au Duc de Guife.
Aufïi, comme un de fes Capitaines qui luy
avoit oûï faire de grandes plaintes du Duc
d'Efpernon , fc fuft offert à le tuer en galant
Mem. Ms. homme , lors qu'il paUeroit par Chaalons à fon
retour de Metz: Uardez-'voui en bien, luy dit-il ;.
je ferois bien marri qu'il j-uji mort, car il nous don-
ne force branjes hommes , qui n entrevoient pas dans
nope parti, /t le defir de Je 'venger des infultes ^ des
ajpvnts que ce petit Cadtt de Cafcome fait tous les
jours
Livre I. . " ! cj — —
jours aux plus honnejles gens de la Cour, ne les y at- 158 5.
C'eft ainfî que le Duc de Guife fe rendoit
tous les jours plus puiflant &par l'amour qu'on
Juy portoïc, 6c par la haine qu'on avoir pour
les Favoris. De tbrre que le Roy voyant un fi
furieux parti armé contre luy, fut contramt
de répondre, la larme à l'ocil, aux Députez des
Provmccs-Unics, qu'en l'eftat ou il le trouvoit
il ne pouvoir accepter leurs oftVes, comme il
feroit aireùrément dans une meilleure occa-
iion qui ne fe prefenta jamais. Voila quel fut
le premier exploit de la Ligue i &: quand elle
n'auroit jamais fait d'autre mal que d'cmpef-
cher ainfî que l'on ne réiinift à la Couronne
les Païs-Bas, qui font la première conquefte,
& le plus ancien patrimoine de nos Rois, il
elt certain qu'elle meriteroit d'cflre détel^ée de
tous les bons Franc^ois.
Mais ce qui la doit rendre encore plus odieu- - ■ '
fe, c'clt qu'en prenant les armes, par une ma-
nifefte rébellion contre fon Roy, elle le fie
tellement a contre -temps, que bien loin d'ex-»
terminer les Huguenots, comme elle faifoit
femblant de le prétendre, elle cmpefcha par
cette guerre la ruine du Huguenotilme , qui
s'alloit intenfîblement détruire par la paix. Et CAyn, préf.
certes , tout y elloit tellement difpofé , que n" v»»''"'
pour peu que l'on demeuraft encore en cet
cftat paifible où l'on Yivoit^^on ne pouvoit
i
d»
(^d HisTOïiîË CE LA Ligue.
I j 8 j. prcfque douter qu'on ne vift bientoft cette hc-
reiie, qui s'afFoiblifloit tous les jours, entière-
ment anéantie. En effet, le Roy, qui haïiToic
mortellement les Huguenots , comme il n' avoir
que trop paru par le mafl'acre de la Saint Bar-
tlielemy , ôc qui n'avoit pu les détruire par l'a
force, avoir fi bien pris les mefures en chan-i
géant de manière, quil y a grande apparence
qu'il en full venu à bout par la paix, lî elle
curt un peu plus duré.
Car lors que le Duc de Guife , qui fut long
temps à fe déterminer, fe réiolut enfin à pren-
dre les armes, fous prétexte de vouloir abolir
l'Héreiîe en France, il n'y avoir pas plus de
vingt Minières dans toutes les Provinces qui
font au-de(jà de la Loire. Aucun d'eux n'écrivoic
contre la Religion Catholique ; ôc il n'y avoit
plus de Huguenots dans les Charges ôc les Of-
fices. Le Roy de Navarre , qui elloit Chef de
ce parti, ne defiroit alors rien tant que de ren-
trer dans les bonnes grâces du Roy; &c pour
mériter cet honneur, il l'avoir peu auparavant
averti que ce meime Philippe Roy d'Efpagne,
qui afïcdoit de paroiftre avec tant d'éclat le
grand défenfeur de la Foy Catholique contre
les Proteftans, luy avoit offert de très-grandes
fommcs, ôc luy promettoit de l'aider à fe ren-
dre maiitre de la Guyenne, pourveû que vio-
lant la paix que le Roy avoit donnée aux Hu-
guenots, il leur fiil reprendre les armes, ce qu'il
L I V R. E T. ' '(î7 ^
ne voulut jamais faire. Auflî le Roy, qui fc ijSy,
tenoic déjà comme tout afleûrc de luy, ne
manqua pas de l'avertir qu'il falloir qu'il prift
garde aux lecretes menées des Huguenots, qui
commenqoient à fe défier un peu de fa con-
duite, & qu'il ne iouffrill pas qu'un autre fc
Ei\ Chef de Protecteur des Proteftans. Ainii
l'on pouvoit cfperer qu'à la faveur de cette
paix, qui avoit defarmé les Huguenots, on les
cull inlcnfiblement réduits, û les Ligueurs, en
prenant les armes, pour contraindre le Roy,
comme ils firent , de rompre la paix qu'il leur
avoit donnée, ne les euifent obligez à recom-
mencer la guerre, qui dans la fuite leur fut
favorable.
Cependant, parmi tant de bonnes fortunes lettre de m,
que la Ligue eût d'abord, elle eût aufTi le dé- ^^f.l'tj^^
plaifîr d'avoir manqué à s'emparer de deux vil- ''^ c*^/'^"»'
î I > r 1 I 1 1 î^ 2i. Avril ii$i,
les des plus conliderables du Royaume, & qui uttr, du Roy
l'eufTent rendue maiitrefTe de la Provence & de ^'^ ''"Luù»
la Guyenne. L'une fut Marfeille, que le fécond
Conful feignant avoir receil ordre du Roy de
courir fus aux Huguenots, avoit fait foulever,
tout preft de la livrer aux partifans du Duc de
Guife,lors que s'eftant laiffé furprendre luy-
mefme par quelques bons bourgeois qui avaient
découvert la trahifon, il fut aufTitoft pendu,
& appaifa par la mort la fcdition qu'il vcnoic
d'y exciter pour les trahir. On accula Ludovic
<ie.Goiizaguc, Duc de Nevers, d'avoir efté l'Au-
, .gS HiSTOIRErDE LA'LiGUE.
I j 8 5. tcur de cette cntrepriie, pour s'emparerdu Gou-
vernement de Provence: mais il le ma toujours
-fortement. Et comme en mefme temps il eût
renoncé à la Ligue, le Duc deGuife fon bcau-
frere luy reprocha qu'il ne l'avoit fait que par
Ja honte & par le dépit qu'il avoit eu d'avoir
manqué un fi beau coup. Luy au contraire,
protelloit qu'il n'avoit changé de parti que
pour fatisfaire à fa confcience qui l'y oblicreoit.
Sur quoy, pour juftifier fa conduite, il difoic
qu'il n'y elloit entré que parce qu'on l'avoit
affeûré que le Pape le trouvoit julle, & l'ap-
prouvoitj mais qu'ayant cû grand fujet d'en
douter, il avoit envoyé jufques à trois fois au
Pape Gréaoïre XI IL pour s'en éclaircir, le
Père Claude Mathieu Jeluite , qu'on appelloic
le Courrier de la Ligue , parce qu'il alloit ÔC
venoit éternellement en polie de Paris à Rome,
& de Rome à Paris, pour les affaires de la fain-
te union, dont il eiloit comme le Promoteur
'"'"■''""■ le plus ardent qui fut jamais: & ce Duc affeû-
rr»ttFTu ^^^^ qu'après tout , il n'avoit jamais pu tirer
frif, dis Ar. aucune approbation, non pas mefme par la
moindre bonne parole, beaucoup moins par
écrit, du Saint Père, qui difoit toujours que
ne voyant pas clair en cette affaire , il ne vou»
loit pas s'y engager.
L'autre ville qu'on manqua de furprendre,
fut Bordeaux, où les plus zclcz Catholiques
fort échaufez contre les Huguenots, s'en vou*
.vi
Livre ,I. ^ ■ <?5? — •
Litit rendre mailbcs pour la Ligue, âvoîent de- i;8j.
ia poufTe leurs barricades jufqu'au logis duMa-
rdchal de Matignon leur. Gouverneur, grand
ierviteur du Roy, ^ennemi déclaré des. GuU
iès[ Mais ce Seigneur é<ialemenc la2:e , vaillant
& rélolu iceiit fi- bien, par adrefTe, ménager
les elprits de ces bourgeois, que s'ellant fait
pafTage au -travers des barricades, fans autres
armes que l'épée au cofté 6c une baguette à
la main, il (e faifit d.'unc porte, par où ayant
fait entrer quelques troupes qui n'eftoient pas
loin de là, non leulement il s'afTeiira de la vil-
le, mais il s'empara mefme duChafteau Trom-
pette, après s'ellrc laifi du Gouverneiu: quiluy
eftoic fufped, &c qui fut fî peu fin que de
fortir de ia place , pour le trouver à un feftin
où le Marefchal Tavoit invité avec les premiers
de la ville. '• .
Au refte , au mefme temps que la Ligue pre-
noit les armes, Se commençoit la guerre, en fur-
prenant par artifice, ou prenant par force tant
de villes au Roy, elle publia fon Manifeile
fous le nom du Cardinal de Bourbon, qui par
la plus bizarre foiblefle du monde s'eftoit laïC
fé mettre dans l'efprit, à l'âge de foixante ÔC
tant d'années, qu'il pourroit fucceder à un Roy
qui eftoit encore alors dans la fleur de fon âge.
Ce Cardinal, après avoir dit contre luy dans cet
Ecrit, & contre le Roy de Navarre, ce que les ^,',',^{fjj^
fadicux publioient ordinairement contre ces
- 7ô Histoire de la Ligue.
3j8j. deux Princes, pour les rendre odieux aupeuplc,
conclut qu'on ne s'eft armé que pour la ieûreté
de la Religion, pour exterminer l'Hérefie , pour
chafler de la Cour ceux qui abufoient de l'au-
torité Royale, Ôc pour rétablir tous les Ordres
du Royaume dans leur premier eftat.
Le Manifefte d'un Roy contre Tes Sujets re-
belles ne dcvroit jamais eftrc qu'une bonne
armée, qu'il peut avoir bien plûtoft qu'eux,
pour les réduire a la raifon, avant qu'ils ayent
le temps & les moyens d'amalTer autant de for-
ces qu'il leur en faudroit pour les oppofer à
celles de leur Maiftre. C'eft ce que conleil-
loicnt au Roy fes bons ferviteurs , ôc fur tout
Je Seigneur Jean d'Aumont, Comte de Chaf-
teau-Roux , & Mareichal de France 5 celuy que
fa fidélité inviolable au fcrvice des Rois fes
Maiftres, &c fa valeur extraordinaire éprouvée
en cent belles occafions, jointe à une parfaite
connoiflance de tout ce qui doit faire la fcicn-
ce d'un grand Capitaine , ont rendu un des
plus illuflres hommes de fon fiecle. Or ce iî-
dellc ferviteur ne pouvant fouffrir ni l'info-
îcnce des Rebelles, ni la trop grande bonté de
fon Maiilre, vouloir abiolument qu'avec les
Gardes & les vieux Régimens que le Roy pou-
voir mettre dans peu de jours en corps d'ar-
mée, il allajft fondre en Champagne fur lesLi-
\b gueurs,qui n'cftojent pas encore alors en cilat
L ï V R E T. yi
£c certes, il ne parut que trop que c'cftoit ij8;.
là le confcil que l'on devoit iuivre. Car au com-
mencement de cette première guerre de la Li- C'fyt- f- '-
eue , le Duc de Guilc , à qui les Elpaanols , ^""- *'^-
après de li ma^nihques promelles de tant de
milliers de piftolcs, n'en avoient pas fait en- ' / „
cote toucher une leulc, outre la penlîon, n'a-
voit p'î faite , avec toute Ton adrefTe & tout
fon crédit, que quatre à cinq mille hommes,
la plulpart des troupes Lorraines qui le ve- ' ••" •
noient joindre a la file, & que le Roy, s'il euft
cû encore une feule étincelle de ce beau feu
qui l'animoit, & le faiioit agir d'une manière
i\ héroïque quand il n'eftoit que Duc d'An-
jou, euft pu aifément dilîiper, en montant à
cheval avec faMaifon & ce qu'il avoit deNo-
blefTe, qui euft efté bientoft fuivie de tous les
braves du Royaume, li on l'euft veû en cet eftat.
Auili Beauvais-Nangis , qui fut extrême-
ment furpris de trouver à Chaalons le Duc de
Guilc avec iî peu de troupes , luy ayant de-
mandé ce qu'il prétendoit faire fî le Roy le ve-
noit attaquer avant qu'il euft aflemblé de plus a^^w- m^. ^-
grandes forces, il luy répondit froidement, '^'^'"^"'
qu'alors il n'y auroit point d'autre parti à pren- >
dre que de fe retirer bien vifte en Allemagne. -'
Mais la Reine fa mère , qui s'entendoit alors
avec les Guifes, &: cet amour fatal de la vie
douce & du repos qu'il ne pouvoir quitter qu'a-
vec une furieule répugnance qui le replongeoit
T rince: de la
«i— — — 71 Hi5T0îft.E î>E LA Ligue.
i^^l. aufll tbft après dans fon délicieux fommeiî ou
il fembloit cftre enchanté, rendirent inutile
' ^ - un fi lalutaire confeil. De forte qu'il fe con-
DUiar du tenta de faire une foible &c molle Déclaration,
Roy centre **,,,, / , '
iManif des dans laquelle , en répondant aux Conjurez
d'une manière prcfque refpe6tueufe , comme
s'il eull craint qu'ils ne s'en offençairent, il fem-
bloit [lûtoll fc juftifier devant fes Juches, que
condamner comme Roy fes Sujets rebelles; de
■Mer». Ms. Cependant, le Duc de Guile eût le loifir de fai-
' ' ''"^" re un corps de: dix ou douze mille hommes de
pied, & d'environ douze cens chevaux.
Le Roy de Navarre, à qui les Ligueurs en
vouloient particuherement, fit aulTi a la vérité
Déclarât, é- fa Déclaration , qu'il adrclTa au Roy, & à tous
ji-cydeNav^r. Ics Ptinces & Potcncats de laChrcitiente: mais
z/^r^.r /!* ii ^^ fie d'une manière digne de la grandeur de
fon courage, par la plume éloquente 6c forte
de du Pleflîs-Mornay, qui f(^avoit parfaitement
bien fervir fon Maiiire lelon fon génie. Car là,,
après avoir réfuté noblement les calomnies dont
les factieux le chargeoient, il protelle qu'il n'eft
nullement ennemi des Catholiques, ni de leur
Religion, laquelle il eftoit tout prell d'cmbraf.
fer, quand on l'auroit inftruit d'une autre ma-
nière qu'on n'avoir fait après la Saint Barthé-
lémy , en luy tenant le poignard fur la gorge.
Puis il déclare que tous ceux qui avoient eii la
malice èc l'effronterie de dire qu'il eiloit en-
iiemi de l'Ellat àL de la Relisiion, 6c qu'il la vou-
Loit
iS»tet , t. X.
L I V R E ï. 73 .
îoit opprimer par une Ligue imaginaire, qu'on i ; S j.
ruppoloic avoir efté faite pour ce fujec à Mac;-
debourg, lauf Thonneur du Roy, en avoient
menti, & lur tous les autres le Duc de Guifci
&c il fuppiic très -humblement Sa Majcfté do
luy permettre , lans avoir égard à la qua-
lité de premier Prince du Sang, de s'égaler
pour ce coup à ce Duc, afin de vuider leur
difterend par les armes entre eux deux leuls,
ou par un combat de deux à deux, de dix à
dix, ou de vinsjt contre vingt, pour épargner
le lans; de tant de milliers de Franc^ois, qu'une
guerre civile , qu'on ne pouvoir autrement évi-
ter, feroit indubitablement périr.
Mais quoy que ce Prince pufl faire pour
exciter le Roy à prendre une généreule réio-
lution de s'armer contre ces Rebelles ; quoy-
qu'il luy offrirt pour les aller combatre, ôz la
perionne , &c toutes les forces de fon parti qui
le joindroient aux Catholiques ennemis de la.
Ligue j & qu'il l'afleuralt d'un puiiTant lecours
d'Angleterre 6c d'Allemagne qu'on luy avoit
promis : il ne put jamais rien produire dans
cet eiprit irréiolu que quelques légers mouve-
mens d'une colère laiche & impuiflante, que la
crainte 6c la m oie fie refroidmoient bientofty
femblabies à ces foibles eliorts qu'un homme
encore demi-endormi iemble faire pour le le-
ver, 6c qui cèdent aulTicotl après à cette force
imperieuie du lommeil^ auq^uel il le rend oc le:
K
74 Histoire dS la Iiguë.
1J85. laifTe aller par fa larcheté,& qui en un inftant
le fait retomber dans fon lir.
En effet, il fit desEd.ts contre eux, leur or-»
donnant de mettre bas les armes, &c comman-
dant à tous fes Sujets de fonner le tocfin fur
eux, de de les tailler en pièces s'ils n'obéiffoient.
Il manda fa Noblelfc, &c les Princes du Sang,
qui fc rendirent auprès de luy. Il donna des
commifTions & des ordres pour faire une gran-
de levée de Reitres ôc de Suifles, & fit tenir
preftes fes Compagnies d'Ordonnances & fes
Gardes , pour marcher au rendez-vous qui fe-
roit afligné. Mais après tout cette paflion qu'il
avoit pour le repos & les plaifirs du cabinet,
& la crainte que la Reine fa Mère , qui eftoit
d'intelligence avec le Duc de Guife , luy don-
noit de la Ligue, qu'elle luy figuroit incom-
f)arablement plus puiflante qu'elle n'eftoit, ô.:
es avis de quelques-uns de fon conleil, qui
aimoient mieux qu'on fiit la guerre au Roy de
Navarre, fidelle au Roy, qu'à des Catholiques,
quoy-que Rebelles, firent enfin qu'il (e relaf^
cha plus que jamais, &c remit tout entre les
mains de la Reine, à laquelle il donna plein
pouvoir de traiter avec les Princes liguez, la
priant mcfme de conclure au plûtoft avec eux,
a toutes les conditions qu'il luy plairoit.
Tr-«Vrf«N«- Ainfi, après une Conférence qui fut com-
^;uu!hid. mcncée à Epernay , & puis terminée à Nemours
k feptiéiïie de Juillet , on fit la paix avec les
Htm
L I V R E r 7; —
Liguez, en leur accordant tout ce qu'ils pou- 158 j.
voient demander pour la Religion & pour ^"•'''^ "
i .01 ftril. au »,
cux-meimes. Car pour ce qui regarde la Rcli- d» Roy.^^
gion, on fie un Edic, par lequel on révoqua c«/«,Vr.
tous ceux qu'on avoit jamais faits en faveur
des Huguenots: on défendit tout exercice de
la Prétendue Réformée : on fit commandement
a tous les Miniilres de vuidcr le Royaume un
mois après que l'Edit feroit publié, 6c à tous
les Sujets du Roy de faire profcflîon publique
dp la Foy Catholique dans fix mois, fur peine
de banniflement. Et pour l'intcreft des Princes
Confederez, qui affectoient fur tout de faire
croire que leur principal but cftoit la confcr-
vation de la Foy Catholique, on avoûoit tout
ce qu'ils avoient fait, comme n'ayant efté en-
trepris que pour maintenir la Religion, &pour
le feivice du Roy, èc de plus, on leur pro-
mettoit le commandement des armées pour exé-
cuter cet Edit , 5c pour faire la ojuerre aux Ï-Iu-
guenots, s'ils refuloient de s'y foumettre. Et
pour places de feûreté, on leur accordoit ou-
tre Toul &c Verdun , dont ils s'eftoient empa-
rez d'abord, trois villes en Champagne, Reims,
Chaalons, & Saint Dizietj Rue en Picardie,
outre celles ou ils eftoient déjà les maiftres dans
cette Province, qui le déclara la première pour
la Ligue; Soiflon?, en rifle de France; en Bre-
tagne, Dinan& Concarneau, & Dijon & Beau-
ne en Bourgogne. De plus , on leur donna de
K ii
— 7<5 Histoire t)E la Ligue.
jSj. quoy payer les loldats qu'ils avoienc levez , ÔC
au Cardinal de Bourbon, au Duc de Guile, à
fes deux frères, & à leurs coufins les Ducs de
Mercœur, d'Aumale & d'Elbœuf, a chacun
une Compagnie entretenue d'Argoulets ou
d'Arquebufiers à cheval pour leur garde, com-
me fi l'on euft voulu, par une marque d'hon-
neur fi éclatante, qu'ils triomphaflent de l'au-
torité Royale, iur laquelle ilsvenoient de rem-
porter une fi grande victoire fans combat,
f)ar la feule terreur qu'ils luy donnèrent de
eur entreprife, &c qui, contre l'ordre de la
nature, de Maiflre &c de Souverain, le rendit
Miniftre ôc exécuteur des volontez de fes Su-
jets.
Voilà quel fut cet Edit de Juillet, que l'on
tira par force de la foibleffe du Roy, qui s'ap-
pcrceût bientoil, qu'au lieu d'affeûrer la Reli-
gion & fon propre repos, en accordant tout à
la Ligue , comme on le luy faifoit accroire , il
s'engageoit dans une furieuic guerre,quipour-
roit extrêmement nuire à la Relio-ion , iî les
Huguenots y avoient une fois l'avantage fur
les Catholiques. C'eft ce qu'il fît affez connoil-
trc, lors que parmi les acclamations &c les cris
de Ftve le Roy qu'on cntendoit de toutes parts,
quand il alla luy - mefme faire enregiftrer l'E-
dit au Parlement, il ne fe put tenir de dire à
quelques-uns , en gémiffant : J'ay bien peur qu'en
voulant perdre le Prefche, nofn ne hai^ardions fort U
^ " " L I V R E "^ î '^ " ■ • ^ ■ ' ^y >- •• "
Aleffc; ce que depuis il répéta plus d'une fois l's^'r-
en diverfes occaiions." -"^" '• '."■"'' ^ ■ '~: ' ':>
Et certes, on ne manqua pas, au fTicoll: après
cette publication, de voir la guerre allumée par
toute la France. Car comme le Roy de Navar-i
re eût appris que l'on avoit vérifié cet Edit,
qui eiloit effectivement une folennelle Décla-
ration de guerre contre luy , il s'unit plus étroi--
tement que jamais avec le Prince dcCondé,&
tout le parti Huguenot, dans une Aflemblée
qui fut tenue pour cet effet à Bergerac. Et ces
deux Princes ellant allez de Guyenne en Lan- ' .
guedoc, firent fi-bicn comprendre au Maref- " \
chai Duc de Montmorency , Gouverneur de
cette Province , qu'il y alloit non feulement de
ion intereft particulier de s'oppoier aux Gui-
fes, qui ne l'aimoient pas, mais auiïi du fervi-
ce du Roy, dont on vouloit anéantir l'autori-
té, & de la coniervation de la Monarchie, de
laquelle ces Ligueurs fappoient les fondemens,
en attaquant directement la Loy Salique, qu'ils
le firent entrer dans leur Confédération avec
tout le parti des Politiques dont il avoit tou-
jours cité le Chef.
Ainfi, au lieu que ious les Règnes précedens
tous les Catholiques cftoient unis contre les
Huguenots, Ious ceux de Henry H L 6^ de fon
Succeffeur ils furent divifez en deux partis,
dont l'un fut des Ligueurs , & l'autre des Poli-
tiques, qui furent auffi appeliez Royaliiles. Et
k 11^
7§ Histoire de la Ligue.
I j8j. ce fut pour lors qu'on put voir manifeftement
que cette guerre n'eftoit point du tout une
guerre de Religion , comme les Ligueurs le
prétendoient ; mais une guerre purement d'Ef-
tat, puis que le Duc de Montmorency, Chef
des Catholiques unis avec les Huguenots pour
maintenir l'autorité du Roy &c la Maifon Roya-
le , comme ils le difent dans leur Manifefte du
dixième d'Aouft, fe montra toujours tres-zelé
défenfeur de la Religion, fuivant l'exemple
de fon père le Grand Conneftable.
tetahonreur. £n cffct , il la proteo;ea fi - bien dans Ton
adait aux C r ■
MeTT, de c»f- Gouvernement, que ce ne tut pas lans pemc
'^Znt0f^>,'e . cjue le Roy de Navarre put obtenir des Hu-
clSJ/k guenots qu'ils priiTcnt confiance en luy , parce
qu'il s'efloit toujours oppofé aux progrés qu'ils
y vouloient faire. Il étendit mclme fon zèle
jufques dans le Comtat avec tant de fuccésy
pour empefcher qu'on n'y établifl. l'Hérefie, que
Grégoire XHL te crut obligé de luy en faire
de grands rcmercîmcns par plufîeurs Brefs. Ce
ne fut donc nullement pour ruiner la Religion
que le Roy de Navarre Chef des Huguenots,
unis avec une partie des Catholiques fît la
guerre, mais pour lauver l'Eltat & le Roy que
iaLic;uc vouloit opprimer, comme le Roy mef.
me le reconnut quelque temps après, avouant
qu'il n'avoit point eu de meilleur ferviteur que
le Marelchai de Montmorency. Aufît dcmeu-
ra-t-il toujours ii attaché au iervicede ce Pria-
L I V R s ï. ' ^ 75> —
ce Se àc Ton fuccclfeur le Roy de Navarre, que i j8 j.
ccluy-cy qui l'honoroit comme Ion père, ainfi
qu'il l'appcUoit alors, eftant depuis devenu Roy
de France, le ficConncllable, pour récomp°n-
fer Ton rare mérite , & les grandi icrvices qu'il
avoir rendus à l'Ellatj &c depuis ce tcmps-la,
pour le traiter de la mefme manière que Henry
II. traitoit le Conneftablc Anne de Montmo-
rency père de ce Duc , il ne l'appelloit plus que
fon Compère. Ainfi, par la jondtion des forces
d'un 11 grand homme, qui eitoit fuivi d'une
partie des Catholiques, avec celles du Roy de
Navarre, ce généreux Prince fe trouvadumoins
en eftat de ie défendre contre les Ligueurs . ■
qui outre qu'ils avoient pour eux l'autorité du
Roy qu'on avoïc cntrailhé comme par force
en cette guerre, tirèrent encore grand avanta-
ge des foudres que le Pape lançi cette mefme
année contre le Roy de Navarre &c le Prince
de Condé.
Les Ligueurs avoient déjà fait plus d'une
fois de grands efforts auprès du Pape Grégoi-^
re XIII. pour obtenir de luy ce qu'ils défi-
roient pafTionnément, qu'il approuvait le Trai-
té de leur Ligue. Et comme ils furent fur le
point de fe déclarer plus ouvertement qu'ils
n'avoient encore fait, &c de prendre les armes
après la mort du Duc d'Alenc^on, ils recom-
mencèrent à preffer ce Pontife plus fort qu'au-
paravaiic, pour obtenir de l.uy ceccc Déclara-
8a Histoire de la Ligue.
j jSj. ' tion qu'ils luy demandoient, afin de s'autorî-
fer davantage dans l'eipric des Peuples qui o-
béïfifent au Saint Siecre. Pour cet effet, ils dé-
pclcherent de nouveau a Rome le Perc Claude
Mathieu, qui, félon la couftumc, ne manqua
pas de s'adrelTer Se de (c joindre au Cardmal
de Pellevé, le plus opiniallre parcifm que la Li-
gue ait jamais eu, & le loliiciteur éternel des
affaires de ce parti en Cour de Rome.
srartiejmt . Ce Cardinal eftoit d'une ancienne & illuftre
éicgede par. ]sAàiCon dc Normandic, c'efl ainii qu'en parle
j.virq.deva. le lieur de Brantotme, ^ de Liquelle font lor-
'7r . tis les Marquis de Boury & les Comtes dc
jiaiiittons i ri T • •
nux Mem. di Fkrs : ce qui doit conrondre ces Ecrivains pai-
H.ftlile de^' fionnez , qui , en haine de la Ligue, l'ont traité
card.d'Auic J-J-^omme de tres-bafle naiffincc, qui de marmi-
ton de Collège avoir ei^é valet d'école du Car-
dmal de Lorraine. Il eil: vray que parce qu'il
ne pouvoir pas avoir beaucoup de biens d'une
i'uccefTion qu'il falloir partager enti-c huit frè-
res , il ie mit au fervice de ce Cardinal qui le
fit Intendant dc la maiton. Mais on n'a pas pu.
inférer de là, comme on a fait malicieuiement,
qu'il fulf de baffe extraction; de de plus, l'on
ne peut nier qu'il n'ait eu beaucoup de bon-
nes, qualitez, qui eilant iouilenuës du crédit
de la Maifon de Guiie, à laquelle il s'ciloit en-
Eieremcnt dévoué , luy aquirent l'eilime dc Hen-
ry 1 1. qui le fit Maiif re des Requeites , & luy
donna i'Evelché d'Amiens, d'où il paffa quel-
que
L I V R E I. 8i
que temps après à rArchcvcfché de Sens, par 158 j.
la faveur de Loûïs Cardinal de Guiie, qui îuy
procura mefmc le Chapeau. Tant de bienfaits
rcceûs de cette puilTante Mailon l'atracherenc
fi fortement &: avec tant d'aveugle pafTion aux
interdis des Guiles, qu'il fit tout ce qu'il pue
pour faire réùffir en leur faveur les encrepriies
de la Ligue contre Henry I V. mefme après fa
converlion, juiqu'à ce que voyant à Paris, où
il eftoit alors, que ce Prince vid:orieux y ef-
toit entré avec une incroyable joye des Pari-
fîens, il en mourut de déplaifir.
Or ce Cardinal & le Perc Mathieu clpe-
roient que le Pape voyant la Ligue devenue fî
puifTante qu'elle fe trouvoit en eftat de faire
la guerre, fe déclareroit à ce coup pour elle.
Sur cette elperance ils renouvellerent avec beau-
coup de chaleur les inftances qu'ils Iuy en
a voient fou vent faites, & les continuèrent avec
la mefme pallion jufqu'à la mort, qui arriva
cette mefme année, fins qu'ils eulTent rien ob-
tenu de ce qu'ils prétendoient. Il eût pour luc-
ceffeur le fameux Cordeher Félix Peretti Car-
dinal de Montalte, appelle, quand il fut créé
Pape, Sixte V. celuy qui de la plus miierable vit di srm
des conditions, où par l'extrême baflelTe de ià
naiflance il elloit redmt en la jeuneiîe à gar-
der les pourceaux, monta de degré en degré^
par fon mérite & par ion adrefle, jufques au
Souverain Pontificat, qu'il porta plus haut en
L
■^ El Histoire ce la Ligtte.
I çSj. cinq ans qu'il régna, que Tes PrédecefTeurs n'a-
voient fait en pluiïeurs iiecles. Comme il avoit
cfté grand Inquifiteur, 5c l'un des plus feveres
qu'on eull jamais veûs dans cette Charge : ces
Âgens de la Ligue s'eltant joints aux Eipa-
gnols, crurent qu'ils obtiendroient de luy faci-
lement qu'il l'approuvaft, 6c qu'il joignift aux
armes qu'elle avoit déjà prifes, celles de l'Egli-
fe, en frapaiit d'Anathême le Roy de Navarre.
- ■ Mais ils ne fçavoient pas encore à quel Pa-
Îyc ils avoient affaire : car comme il eftoit d'une
lumeur extrêmement fiere, hautaine, imperieu-
fe, & inflexible, 6s: qu'il vouloir faire connoif-
tre à tout le monde qu'il n'agiffoit point du
tout par les mouvemens de qui que ce fuft, Se
beaucoup moins des Efpagnols qu'il n'aimoit
pas, il leur parla d'abord d'un certain air de
majerté qui leur fit bien fcntir qu'il ne le lail-
foit pas tromper par les apparences, & qu'il ef-
toit maiftre aufTi éclairé qu'ablolu. En effet,
ces gens bien iurpris deiefpcrerent de pouvoir
jamais rien gagner fur un ciprit qu'ils connoif-
foient alors cltre tout autre que celuy qui leur
paroiffoit fi modéré, fi humble, fi doux, & fi
complaiiant, lors qu'cftant Cardinal il marchoit
la telle baiffée, en cherchant finement par là.
Vie ^e sixte commc on aflcûrc qu'il le dît luy-mefme, le
Pontificat qu'il avoit enfin trouvé.
Cependant, comme d'autre parc il crut avoir
une belle occafion de £iirc hautement éclater
L I V R E î. §3
la fuprcmc puiflance du Pontificat qu'il vou- i;8j-.
loit rendre formidable à toute la terre par
un coup extraordinaire , il fit peu de temps
après, de luy-mcrmc, ôc lors qu'on ne l'en
preflbit pas, la plus foudroyante de toutes Ici; ' ' ■ -
Bulles contre le Roy de Navarre & le Prince T^nUeduv^ts
d/-« _ 1 / /"' _ ' ' \ ' ■ r ■ Sh:!! contre It
e Conde. Car, après avoir eieve inhniment R^y dt n-i-^;
la puilTancc 5c l'autorité Pontificale pardeflus t!^^'"'"^'
tous les Rois de la terre, julqu'a dire qu'elle '^""- ^' ^*
les peut rcnverier de leur Trône par des Juge- c'«;'«, t. .-.
mens &: des Arrefts irrévocables quand ils man-
quent à leur devoir, & les terrafl'er comme mi-
nillres de Satan \ & après avoir expofé fort au
long tout ce qui le peut dire de faicheux & de
rude contre ces deux Princes, en des termes qu'on
ne peut nier qui ne toient extrêmement inju-
rieux : il les prive de tous les Eftats & Domai-
nes qu'Us pofTcdent, èc les déclare incapables,
eux & toute leur polterité, à perpétuité, de fuc»
céder à quelque Eîtat 6c Principauté que ce foit,
& particulièrement au Royaume de France ;i
abfout du lermcnt de fidélité tous leurs vaf-
iaux &c leurs lujets , auiquels il défend trés-^
étroitement de leur obéir j & avertit le Roy
de France de tenir la main à l'exécution de ce
Décret.
Autant que cette Bulle, qui fut fignée de
vingt-cinq Cardmaux , & envoyée par le Pape
en France, réjouit les Ligueurs qui la publiè-
rent: autant affligea - 1 - ciie cous les Catholi-
L ijt
Histoire de la Ligue.
ij8j. ques & les bons Franc^ois oppofez à cette fa-
dtion. Ils ne pouvoient fouffrir que les Papes,
qui cftoient autrefois fournis aux Empereurs &:
aux Rois, aufquels ils fe croyoient obligez d'o-
J /; ;/j *^ béïr, comme Saint Grégoire le Grand le protefte
j»ft.io.t.9. ^ l'Empereur Maurice, 6c les Papes Lcon IV.
c*n. it. r ' 1 1 1 ! r r
T'''g £f. si &c Pelage aux Rois Lothaire & Childebert, oial-
' ' fent entreprendre de les dépofcr, & de difpen-
'• fer leurs fujetsdu ferment de fidélité, contre la
. .i Loy toute manifefte de Dieu, qui leur comman-
de de leur obéir en tant d'endroits de l'Ecritu-
re, quand mcfme ils manqueroicnt à leur devoir.
Dieu, difoient - ils , a tellement partagé les
deux puiffances, la temporelle & la fpirituelle,
entre les Rois ôc les autres Princes d'une part,
ôc de l'autre le Pape Se les Evefques qui font
les Princes de l'Eglifc: que comme il n'eft pas
permis à ceux-là de rien entreprendre furie
fpirituel, ni de mettre la main a l'encenfoir,
il n'eft aufTi nullement loifible à ceux-cy d'at-
tenter fur le temporel, en abufant de cette
puiflance fpirituelle qui ne leur a cfté donnée
de Jefus-Chrift que pour l'exercer fur des
chofes qui font entièrement détachées du tem-
porel , fur quoy ils ne peuvent rien ni dire-
dément, ni indire(5lement j beaucoup moins
peuvent-ils dépofer les Rois, & empefcher par
les Cenfures &c par les foudres de î'Ef^life que
leurs Sujets ne leur rendent ce qu'ils leur doi-
vent. Ils ajoulloicnt que la do(^rinc contraire
L î V R E ï. ' 8;
fouftcnuc par quelques Ecrivains de delà les ij8j.
Monts, pour flater la Cour de Rome, avoir tou-
jours efté condamnée par les Décifîons de l'E-
glife Gallicane, par les Arrefts du Parlement,
& par les Protertations que nos Rois ont faites
alTez fouvent contre cette cntreprife inouïe en
l'Eglifc de Dieu pendant plus d'onze fiecles^ de
qu'on n'a jamais pu fouffriren France.
Et tandis que j'écris cette partie de mon Hif-
toirc, le vingt-troifiéme jour du mois de Mars,
j'apprcns qu'on enregiftrc au Parlement l'Edit
perpétuel & irrévocable, par lequel Louis le
Grand, qui fçait maintenir avec tant de force
les droits de fa Couronne, ôc avec tant de pie-
té ceux de l'Eglife, ordonne que l'indépendan-
ce abfoluë des Rois, pour le temporel, fans
que quelque puiffance que ce foit y puifle don-
ner atteinte ni dirc6lement, ni indirectement,
fous quelque prétexte que ce puifle élire, foie
fouftenuë &c enfeignée dans fon Royaume par
les ProfelTeurs en Théologie, Séculiers & Ré-
guliers, conformément à ce que i'Afl'emblée
générale du Clergé, reprefentant TEglile Galli-
cane, en a folcnnellemcnt déclaré, en expli-
quant le fentiment qu'elle a &: que l'on doit
avoir avec elle fur ce fujet.
Au relie , cette Bulle de Sixte ne parut pas
plûtoft en France, par le foin que les Ligueurs
en prirent, qu'on fit courir une infinité d'E-
crits, dans icf^ucls ceux de l'une 6c de l'autre
8(î Histoire DE la Ligue.
ij8j|. Religion, qui conviennent dans la mefmc do-
urine de l'indépendance des Rois de toute
autre puilTance que de Dieu, à l'égard de leur
Couronne, en montroient les nullitez-, les uns
aflez paiiiblcment, fe contentant de la force de
la raiibn, lans y meller l'aigreur & l'emporte-
ment de la pafGoni & les autres en ftyle de
déclamatcur &c de latyrique , avec de furieufes
inventives. Le plus alpre & le plus injurieux
de ces Ecrivains paffionnez, mais qui n'eft pas
pourtant le moins fort &c le moins Içavant,
eft l'Auteur de l'Ecrit, intitulé Xrutum Fulmcn ,
que quelques-uns ont attribué au Jurifconfulte
François Hotman. Mais cet Ecrivain, quel qu'il
foit, euil beaucoup mieux ibuRenu les droits
des Souverains, s'il eull écrit avec un zèle plus
réglé, & avec plus de modération, lans ic dé-
chailner, comme il fait, contre les Papes , auf-
quels , quand meime l'on prétend qu'ils ayent
manqué en quelque chofe , il n'cft pourtant ja-
mais permis de manquer de refped:.
-s.t»>t7>trance ^^ Parlement, qui s'eft toujours vigoureufe-
«HR-yf-^r u ment oppofé à de pareilles entreprifes, ncman-
Ccur de Pari. /^ ^ -
' qua pas de faire au Roy iur ce iujet de tres-
humbles remontrances, dignes de la faeefTe dc
de la fermeté que cette Augufte Compagnie
fait éclater en toutes les occaiions où il s'a-
3éciar. jst gjj. jg maintenir les Droits de la Couronne
Roy de \a~j CI
comte la Eid. & Ics libertcz du Royaume, Le Roy de Na-
Mem. de la ■ ■ ■ \ r ^ 1 T i"
iig:it. v.arre y joignit les iicnnes, ou il rait connoiir-
Livre Ï. 87
ri'C au Roy qu'il avoit encore plus d'intcrcft que i ; 8 j.
luy à ne pas loufFrir une il hardie 6»: fi infoul-
tenable entreprile de Sixte. Et comme il crut
qu'il devoit icpoufTer, par un coup d'une force
<3c d'une hauteur extraordinaire, l'injure atroce
qu'il avoit receiië dans une Bulle où il croyoit
cllre traité de la manière du monde la plus in-
digne : il eût le courage , & trouva le moyen
de faire afficher dans Rome mefme, juiqu'aux
portes du Vatican, la Proteftation iolennelle
qu'il fit contre cette Bulle, 6c par laquelle,
après en avoir appelle comme d'abus à la Cour opfoftionf^u
des Pairs, & au Concile comme au Supérieur du de k^iv. con.
Pape, il protefte de nullité de tout le procédé de "^c.affickl'eà
Sixte; d: il aiouile que Ci les Princes & les Rois Ces ^'""' '', '^\
Predecejjeurs ont bien jceu réprimer les Papes lors au ils
[^ font oublie':^, ^ au ils ont paj^é au-delà des bornes
de leurnjocation^en confondant le temporel avec le fhiri-
tuel, il ef^ere cme Dieu luy fera la grâce de venger fur
Sixte l'injure qui ejl faite enjaperfonne à toute la Aïai-
Jon de France, implorant pour cela le fecours de tous
les Rois, de tous les Princes, & de toutes les Républi-
ques de la Chrejlienté qu'on attaque aujfi-bien que luy
par cette Bulle. Quoy-que le Pape Sixte, luivanc
ion naturel & fon génie impérieux 5c inflexi-
ble, ne révoqua point pour cela ia Bulle*, néan-
moins, comme il avoit l'amc tout- à-fait crran^
de, il ne laiffa pas de trouver cette a6tion fort
généreufe , & ne put s'empefcher de dire à '
i'Ambafradeur de France, qu'il fouhaiteroitquc
- — " — S8 Histoire ce la Ligue.
I j8 j. le Roy fon Maiftrc euffc autant de cœur & de
réfolution contre les véritables ennemis, que
le Navarrois en avoit témoigné contre ceux
qui haïlToient fon hérefie , &c non pas fa per-
fonnc.
Mais ce fouhait eftoit fort inutile. Car ce
pauvre Prince avoit tant de peur de la Ligue,
que quelques remontrances qu'on luy fîil, ôc
quoy-qu'on luy propofaft l'exemple du feu Roy
fon frère, qui agît avec beaucoup de force en
une pareille occasion, au fujet de la Reine de
Navarre qu'on vouloit dépoter à Rome , il n'o-
fa jamais permettre que l'on procedaft contre
cette Bulle. De forte qu'il fe contenta qu'elle
ne fuil point publiée en France par Arrefti fans
mefme demander au Pape qu'il la révoquaft,
comme avoit fait Charles I X. qui obligea, par
une forte proteftation, le Pape Pie IV. à révo-
<juer la Bulle qu'il avoit faite contre la Reine
Jeanne d'Albret. Ce fut-là l'eifet de la crainte
peu digne d'un Roy, que Henry HL conceût
de la Ligue , laquelle tirant avantage de fa foi-
blefle, en devint plus fiere, & plus hardie, pour
l'obliger, comme elle fit, malgré toute fa ré-
pugnance, à rompre la paix qu'il avoit don-
née à la France , & à faire la guerre au Roy de
Navarre qui luy avoit toujours ponctuellement
Zfttre,fu^ey obéï , lors mefmc qu'il luy défendit de pren-
*« n>y de dre les armes pour marcher a ion lecours con-
fTlftiTarm. tre la Ligue. Touç ce qu'il put obtenir des Li-
gueurs ^
L I V R E T. ' Sp
crucurs, pour différer du moins autant qu'il pour- 1585'.
roit d'en venir à cette extrémité, dont il pré-
voyoit aflez les dangerculcs coniequences, fut
d'envoyer à ce 'Prince MefTne Philippes de Le-
noncour, qui fut depuis Cardinal, & le Pré-
fidcnt Brulart, avec quelques DoiLlcurs de Sor-
bonne, pour luy perluader de rentrer dans la ^f'^'J'"'/"
Communion de l'Egliic Catholique, &;de iul- ^ir tr,v,j,i
pendre l'exercice du Calvinilme, du moins pour "i^^vlrrs!
iîx mois, pendant lelquels on trouveroit les
voycs d'accommoder toutes choies à l'amiable.
On ne pouvoit mieux choifir pour traiter
d'une affaire de cette importance que ce célè-
bre Nicolas Brulart, Marquis de Sillery, dont
la fidélité toujours conftantc au fervice de nos
Rois , &: la lageile & l'habileté confommée
dans le manîment des affaires furent enfin ré-
compenlécs par Henry IV- de la première di-
gnité de la Robe, où il a fini eloneuiement fes
jours lous le Règne du rcu Roy. Et c'eft ce
qui diftingue avec grand honneur cette illuftre
Mailon, qui a l'avantage de pouvoir compter
parmi les grands hommes qui en font fortis ,,
deux Chambelans de nos Rois, un Maiftredes wji. "'dV
Engins ôt des Machines, un Commandant de ''^'""""'•
Cavalerie tué à la bataille d'Azincour, en com- cLUeucUr.^
bâtant pour fa patrie, un Procureur Général,^''"'
&: trois Prélidcns au Parlement de Paris , deux de L'/u^^^'h!
Premiers Préhdens au Parlement de Bouro-Qc^ne, ^^'>^'<:'"<n dti.
c r 1 ^1 1 i T- ^ V* 9 Prejîdais »>^
ùc lur le tout un Chanceiicr çk France, Cela s ap- Mm,
H
i>o Histoire de la Ligue.
1585. pelle ce qui fait la vraye grandeur d'une Mai-
fon, & l'un des plus beaux titres de NoblefTe
que rEpée&: la Robe puifl'cnt fournir.
Or ce fut cet excellent homme qu'on joignit
au fîeur de Lenoncour pour cette importante
nécrotiation, parce qu'on elpera que par fon
y- adrelTe, &: par fa manière d'agir également
douce, infinuante ôc efficace il pourroit por-
ter plus facilement que tout autre le Roy de
Navarre à donner au Roy la fatisfadion qu'il
defiroit de luy, pour ne ie voir pas obligé à
luy faire la guerre malgré qu'il en cuft. Mais
comme cet heureux moment n'eftoit pas en-
core venu , & que c'eft un mauvais moyen de
procurer la converfion d'un homme, &: fur
tout d'un grand Prince qui a de quoy le bien
défendre quand on l'attaquera, que de l'y por^
ter en le menaçant , &: en luy montrant les ar-
mes qu'on tient toutes preftes pour l'y con-
traindre : il ne répondit autre choie, finon qu'il
avoir toujours eilé diipofé, comme il l'eltoit
encore, à recevoir l'inifruôlion qu'on luy vou-
droit donner, félon les décifîons d'un Conci-
le libre, & non pas le poignard iur la gorge,
comme on avoit fait après la Saint Barthé-
lémy.
C'eft pourquoy il fallut enfin qu'on envinft
^ la guerre , ainfi que la Ligue le fouhaitoit ,
croyant qu'elle accableroit tout- à- coup ce
Prince &c Ion parti , avant qu'il puft recevoir
Livre T. •' ''^^ 5,1
les forces des Eftrangcrs. Mais elle fe trouva 1585.
bien rronipcc dans fon attente. Car des deux
armées que le Roy fut obligé, félon le Traité
de Nemours, de donner aux deux Princes Lor^
rains , l'une au Duc de Guile pour s'oppofer
aux Allemans , s'ils entreprenoicnt d'entrer en
France, comme les Huguenots les en iollici-
toient, l'autre au Duc de Mayenne pour aller
en Guyenne contre le Roy de Navarre, dont
les Lij^ucurs tenoient la défaite ôc la ruine pour
indubitable, celle-cy, après environ dix mois
de campapie, ians avoir fait autre chofe que
prendre quelques petites places de peu d'im-
portance , qui furent ailément repriics , le
trouva prefque entièrement ruinée & dilTipée
faute d'argent, de vivres, de munitions, d'é-
quipage d'artillerie, & d'autres lecours qu'on
luy promettoit tous les jours, ôc qu'on ne luy
envoyoit jamais, de lur tout par la mauvaiie
intelligence qui eftoit entre le Duc de Mayen-
ne ôc les Marelchaux de Matignon Gouverneur
de Guyenne, ôc de Biron commandant une pe-
tite armée en Poitou pour iouil:enir ce Duc.
Car ces deux fidèles ferviteurs du Roy Içachant
le fecret de leur Maiftre, qui ne vouloir pas la
perte du Roy de Navarre , de peur de fe voir
avec toute la Maiion Royale à la diicretion
de la Ligue qui n'avoit pas envie de l'épar-
gner, rompirent adroitement toutes les mciu-
res de M. de Mayeime : de ipitc qu'il fe vit
M i)
9t Histoire de la Ligue.
ij8;. contraint de s'en retourner auprès du Roy,
fans luy emmener captif le Roy de Navarre ,
comme il le luy avoir promis, & fans avoir
rien fait de ce que les Ligueurs attendoienr de
fon zclc pour le parti. Pour le Duc de Guife,
comme il ne trouva point fur la frontière de
Champagne d'Allemans à combatre, &c qu'il
n'avoit que peu de troupes , toute ton expédi-
tion fe termina a prendre Douzy ôc Raucour,
deux petites villes du Duc de Bouillon auquel
le Duc de Lorraine faifoit la guerre , de laquel-
le je ne diray rien, parce qu'elle n'eft point de
l'Hiltoire de la Ligue.
D'autre cofté, les Huguenots ne faifoient
pas mieux leurs affaires. Il eft vray que le fieur
de Lefditruieres ciît de l'avantage fur des Li-
er) o
gueurs en Dauphiné, où il leur enleva quel-
ques places, &c entre autres Montelimar & fon
Chafteau, qu'il prit par un fîege réglé, ôc Am-
- brun qu'il lurprit, & où les riches ornemens
de l'Eglife Métropolitaine furent pillez par fes
foldats, félon la couftume des Huguenots, a
laquelle, quoy-qu'il fuft homme d'ordre &:fort
modéré, il ne put s'oppofer. Mais outre qu'ils
furent affez malmenez dans les autres Provin-
ces, &: que tout ce que put faire le Roy de
Navarre, qui n'avoit pas encore alfcmblé tou-
tes les troupes qu'il attendoit, fut de le tenir
fur la défenfive : ils receûrent un grand échec,
par la mémorable déroute de f armée de Mon-
Livre Ï-ct.uH p3 ■•
ficur le Prince, qui pcnfa périr dans" îa mal- iJ^J-
lieureuic cntrcprile qu'il fit lur le Chalteau
d'Angers. Ce Prince, qui avoir fait un petit
corps d'armée aux environs de Saint Jean d'An-
gely qu'il tenoit au lieu de Peronne , avoir lieu-
reukmenc commencé la campagne dans lePoi- ^''y"-
I n'' 1 T\ 1 T->. I ly' Auhigné.
tou, ayant chaiie de cette Province le Duc de «-/««n du
Mercœur, qui de ion Gouvernement de Brc- ^, Ifwœw ""
tagne y eftoit venu au Tecours des Litiueurs. t^'"'- '^' '"
Et comme après cette belle aôtion il eût ren-
forcé Ion armée des troupes qui accouroient
à luy des Provinces voifines au bruit de la
victoire , il entreprit le fiege de Broûage en
faveur des Rochelois, qui le lecoururent d'ar-^
gent & de munitions.
Il avoit avec luy quantité de brave Noblef-
-fc &: de Seigneurs de grande qualité , & entre
autres René Vicomte de Rohan, François Com-
te de la Rochefoucault , Mont-guyon Lieute-
nant du Prince , Georo-c de Clermont d'Am-
boile, Loûïs de Saint Gelais, & Claude de la
Trimouïlle, qui fut depuis Duc de Thoûars,
& dont il recherchoit la lœur qu'il époula peu
de temps après i &: il y a de l'apparence que ce
fut plûtoft pour cela que par un motif de
confcience & de Religion, que ce jeune Sei-
gneur, bien loin de luivre l'exemple de fon
père qui le déclara Chef de Li Ligue en Poitou,
donna dans l'autre extrémité , &: te fit Hugue- '^
ftot auJOTi - bien que fa fœur Charlotte Catlie-
M li^
54 Histoire de la Ligue.
ijHj. rine de la TrimouïUe, pour avoir l'honneur
d'cpoufer le Prince de Condé. Grand pouvoir
de Tambition lur les efprits qu'elle éblouît de
l'éclat trompeur des grandeurs du monde, d'a-
voir pli obliger le frère & la fœur nez de Loûïs
de la TrimouïUe , & de Jeanne de Montmo-
rency fille du Grand Connétable, tous deux
trcs-Catholiqucs aufli - bien que tous leurs il-
lullrcs Ancenres, a fe faire Calvinilles, l'un
pour devenir beaufrere d'un Prince du Sang,
ôc l'autre pour cftre ia femme.
C'eft de ce mariage que naquit le premier
de Septembre de l'année mil cmq cens quatre-
vingts -huit, le feu Prince de Condé Henry
de Bourbon, qui par un bienheureux fort op-
polé directement à celuy de cette Prmcefl'e,
eftant lorti d'un père & d'une mcre très -atta-
chez au Calvmiime, a cfté l'un des Princes les
plus zelez pour la Foy Catholique que la France
ait jamais eus , Ôc ccluy qui s'eft le plus hau-
tement déclaré l'ennemi de l'hérelie des Cal-
vinilles. AufTi a-t-il laifTé à la poflerité une
très - glorieufe mémoire de fon nom , qui ne
périra jamais dans celle de tous les bons Fran-
çois , pour avoir toujours défendu la Reli-
gion de toute fa force, employant à ce faine
éc divin -employ fon bras, 6c fon efprit qu'il
avoit excellent, comme il l'a fait paroiilre en
toutes les occalions, & principalement dans le
ponfcil, dont U eftoit le Chef, quand il mou-
Livre T.
5>;
fut; d'une mort que les adcs de toutes les ver- i j8j,
tus les plus ioUdcs dont elle fut accompagnée
renducnt précicule devant Dieu. J'ay crû que
j'eftois oblige, par reconnoiiïance, à rendre juf-
ticc dans ce petit éloge au grand mente de ce '
Prince, qui m'a fait autrefois l'honneur de me
donner en plus d'une rencontre quelques mar-
ques aflez particulières de fon eftime & de Ton /
affedtion ; & j'efpere que ceux qui prendront
la peine de lire mon Ouvrage, ne trouveront
pas mauvais que j'ayc fait pour luy cette cour-
te digrelTion, à l'occafion du Prince fon père,
auquel il faut maintenant revenir.
Ces Seigneurs qui s'eftoient rendus auprès de
luy pour le fervir à cet important fiege de
Broûage, y avoient amené une belle fuite de
Gentilshommes Huguenots, ôcmelme de quel-
ques Catholiques ennemis de la Ligue. Et avec
ce fecours il avoit enfin réduit la place aux
termes d'eftre bientoll prife , lors que par un p-^^^,^/.
trait, qui affeûrémcnt n'eftoit pas d'un Capi- ^'"y"- \ '■
'■ ,- / 1 • I 1 t MtflJ. de î»
tainc coniomme, il prit le change aime ma- i»x»«.©.c
niere qui luy fit perdre tout le fruit de fes tra-
vaux paffez , (Se le mit en un extrême danger
de périr, (ans avoir rien fait de ce qu'il pré-
tendoit. Comme il eût appris que le Capitaine ^'oy"ll\uîu
Roche -morte, l'un de les meilleurs Officiers, ^- '^' ^""f
dr y - tnrreprtr à
avoir iurpris le Chafteau d'Anc^ers en l'ablen- Angers. é"it
u Comte de Briflac, qui en ayant eu du Arm.
Roy le Çouvernement après la mort du Duc u^t^^l!*
t>c Histoire de la Ligue.
3j8j, d'Alençon, s'cftoit déclaré pour la Ligue: iî
laiiTa devant Broiiage le iieur de la Roche-
Baucour Sainte -Mefme avecl'Infanterie pour
en continuer le ficcre, àc s'en alla luy-meimc
avec toute fa Cavalerie ^ Gonfîftant en deux
mille chevaux, pour fecourir ce Capitaine^ qui
avec dix-fept ou dix-huit loldats leulement te-
noit contre les Bourgeois d'Angers qui l'aflie-
^eoient dans le Challeau. Mais ayant un peu-
trop tardé à fe mettre en marche, & confumé
encore trop de temps à faire cette cavalcade
dont le bon fuccés dépendoit uniquement de
la célérité , il n'eût pas plûtoft paflé la rivière
de Loire iur des batteaux entre Saumur 5>: An-
gers au bourg de Gènes & aux Roiiers, qu'il
eût avis que Roche- morte ayant elle tué d'une
arque bufade comme il regardoit par une fe-
neltre, il y avoit deux jours que le Chafteau
s'elloit rendu,
Nonobllant ce malheur, que la plufpart
des liens ne vouloient pas croire, comme il
eût joint quinze cens hommes que Clermont
d'Amboile,un peu avant qu'on allall inveilir
Broûage, eiloit venu lever pour luy en Anjou,,
il ne laiifa pas d'attaquer les faux bourgs. Mais,
il en fut vigoureuiement rcpoulfé par de bon-
nes troupes que le Roy y avoit envoyées, pour
fouftenir les Bourgeois qui s'eiloient retranchez
contre le Challeau qu'ils alliegeoicnt. Après
quoy, comme il penia repaflcr ia nvierc, il trou-
va
L I V R E" T. «jy
va non feulement que tous les pafTaores eftoienc ij^j.
gardez, mais auili qu'il alloit cftrc cnvelopé
parles troupes du Roy (Se de la Ligue, qui ac-
couroient de tous coftez de delà 6c de de(jà la
Loire pour l'enfermer. De forte que ne pou-
vant plus ni avancer ni reculer fans eftrc pris
ou taillé en pièces avec tous fes gens, ils fu-
rent enfin contraints de le débander, fe fcpa-
rantles uns des autres en petites troupes de fepc
ou huit, de dix ou douze, pour fe fauver, cha-
cun comme il pourroit, ne marchant que de
nuit par des lieux fort écartez des grands che-
mins. Se par les bois, de peur de rencontrer
les foidats ou les païians qui en tuoient tout
autant qu'ils en pouvoient trouver, & leur don-
noient la chafle , comme on fait aux Loups
quand ils s'enfuyent, après qu'on les a décou-
verts fur le point qu'ils eftoicnt d'entrer dans
une berojerie. Le Prince fur tout eût bien de la
peine à le lauver luy dixième, &c travefti, dans
la Balfc Normandie, d'où il paffa iur quelque
barque de pcicheur, entre Avranche & Saint
Malo, dans i'Ifle de Grenczay, de de là iur un
vaifleau Angiois en Angleterre , où il fut très-
bien reccû de la Reine Elizabeth, qui le fit
repafTcr l'année d'après à la Rochelle avec un.
fecours alfez confiderable.
Cependant Sainte Mefme, qui durant cette
malheureuie expédition du Prince continuoic
le fîege de Broùage, fe tiouyant trop foible
N
î?§ HiSTQÎRÉ DE LA llGUÈ.
158 j. pour réfifter au MareichaJ de Matignon, qui
par ordre du Roy s'avanxjoic avec des troupes
aguerries pour donner tefte baifTée dans fes re-
tranchemens, plia bagage, & fe retira bien vifte,
avec tant d'épouvante & de delordre, qu'il per-
dit une bonne partie de les gens dans fa mar-
che précipitée, &c fîngulierement au pafTagcde
la Charante , où Saint Luc Gouverneur de
Broûage,qui le montra toujours aufïi brave à
la guerre qu'il efloit agréable courtilan du-
rant la paix , l'ayant chargé en queue, luy tail-
la en pièces fon arriercgarde. Ainfi la Ligue
&c le Calvinifme perdirent en cette occafion,
l'une le Chafteau d'Angers, où le Roy mit
LejîfHrju un Gouvcmcur, fiir la fidélité duquel il s'af-
Bou(h«s'- leûroit; & l'autre prefque toutes les forces,
qui après cet échec n'ofoicnt plus paroiftrc en
campagne.
Cela fit que le Roy prenant fon temps pu-
blia de nouvelles Ordonnances , par lelquelles
il commandoit qu'on iaifift les biens des Re-
belles , ôc particulièrement de ceux qui avoient
fuivi le Prince de Condé, promettant de les
rétablir s'ils rentroient dans l'Eghfe Catholi-
que , &c donnoient bonne caution d'y pcrfifler,
ordonnant au refte qu'en exécution de l'Edit de
Juillet on fift iortir du Royaume tous ceux qui
refuferoient de faire entre les mains des Evef-
ques abjuration du Calviniimc ; de l'on vou-
lut qu'ils la fiffent fclon le Formulaire qui en
L I V R E I. ' ■ r)c,
fut lircflc par Guillaume Ruzc Evcfque d'An- 1585.
2;crs. L'on en u(a de la forte, parce qu'on avoit
obfcrvé que la pluipart des Huguenots s'ef-
toient imaginé que pour ne pas perdre leurs
biens &: lortu" du Royaume , il leur eftoit per-
mis de s'accommoder au temps, & de trom-
per les hommes en failant une faulTc profef-
fion de Foy , Iculement pour garder la police,
& obéir à l'extérieur aux Edits ; ce qu'ils ex-
primoicnt par ces paroles , fu'u qu'il pLijî au Rcy,
qu'ils ne manquoient jamais de dire, quand ils
ribles profanations des Sacremcns que ces faux L>iue.f. 44?.
Convertis ne faitoient point de icrupule de re-
cevoir, en trahiflant par cette damnable im-
pofturc l'une &: l'autre Religion : il n'en vou-
lut recevoir aucun à la Communion de l'Eo-li-
fe qu'il n'euft fait fa profefTion de Foy félon ion
Formulaire ailcz femblable à celuy du Pape
Pie IV. que l'on preicnte à iigner depuis ce
temps-là à tous ceux qui abjurent l'Hércfic.
A la vérité ces Edits joints a l'extrême foi-
blefleoù le trouvoicnt alors les Huguenots, fi-
rent en peu de tem-ps beaucoup plus de con-
verfions, véritables ou feintes, que n'en avoic
fait le maflacrc de la Saint Barthélémy. Mais
auili d'autre part, ils firent que les Protcftans
d'Allemagne, que le Roy de Navarre n'avoir
N i)
BlBLlOTHtCA
— — ■ lOO HiSTOÏRE DE LA LlGUE.
I j 8 j. pu encore attirer a Ton parti contre les Ligueurs,
commencèrent à s'ébranler en fa faveur. Il y
avoit prés de deux ans que ce Roy, qui fc
vouloir mettre à couvert de la Conlpiration
que la Ligue avoit faite principalement con-
tre luy, afin de l'exclure de la lucceflion de la
Couronne contre la Loy fondamentale du
Royaume , follicitoit ces Princes par les ficurs
de Segur-Pardaillan & de Clervant de lever
une armée pour fon fecours ; & d'ailleurs, il preC
foit par ceux de Genève les Cantons Proteftans
des SuilTes de faire pour le mefmc effet une
contre -ligue avec les Allemans. La Reine Eli-
zabeth, qui outre l'intereÛ: de fa Religion Pro-
reliante avoit une eftime &c une affe^Stion tou-
te particulière pour ce Prince, le Duc de Bouil-
lon ennemi déclaré des Princes Lorrains, &c le
Comte dcMontbeliard Frideric deVirtemberg
fort zélé Calvinifte, faifoient tous leurs efforts
auprès de ces Proteftans pour les émouvoir.
Ceux-cy néanmoins avoient grand' peine a fe
réfoudre à la guerre contre un Roy de France
leur allié, diiant toujours qu'ils ne s'y enga-
geroient jamais qu'on ne leur fift voir claire-
ment que la guerre qu'on falloir aux Hugue-
nots n eftoit pas une guerre d'Eftat contre des
Rebelles, & que c'eftoit uniquement à la Re-
ligion Protellantc qu'on en vouloit. M.iis quand
on leur eût fait voir ces Edits & ces Ordon-
uances du Roy , qui ne vouloir abfolumcnt plus
Livre I. "
lor
fouffrii" d'autre Religion que la Catholique en i j8;.
ion Royaume, &: qu'on leur eût donné d'ail-
leurs toutes les (curetez qu'ils pouvoicnt fou-
haiter pour le payement de leur armée ; alors
ils réiolurent d'en lever une bonne pourlccou- .
rir puifTammcnt le Roy de Navarre, après qu'ils
auroicnt envoyé une Ambafl'ade lolennelle au ^
Roy, pour luy demander la révocation de les
Edits,6«: une entière liberté de conlcience pour
les Proteftans,
Le Roy de Danncmarc, les Electeurs de Harj»gutdeî
Saxe de de Brandebourg, le Prince Palatin Jean f^„'!'s^pr)t/:
Cafîmir, les Ducs de Saxe, de Pomeranie, &: l^''"/','*
deBrunfvic, le Lantgrave de HelTc, de JcanFri-
deric Adminirtrateur de Macrdebouro; furent
les Princes qui s'aflocierent avec les villes de
Francfort, Ulmes, Nuremberg &: Stralboure,
pour envoyer cette Ambaflade au Roy, qui ne
r<jachant que leur répondre, de peur d'irriter
la Ligue, en leur accordant, ou de s'attirer fur
les bras les forces de prefque tous les Protef-
tans d'Allemagne, en leur refufantce qu'ils dc-
mandoient, fit , pour gagner du temps, un voya-
ge jufqu'à Lyon, tandis que les Députez de ces
Princes ertoienc à Paris j ce qui obligea le
Comte de Montbeliard & le Comte d'ifem-
bourg Chefs de l'AmbalTade a s'en retour-
ner. Il n'en fut pas de mefmc des autres, qui
s'obifinerent à attendre le retour du Roy, qui
fut contraint, vaincu par une û longue paticn-
-, N iij
— ICI Histoire de la Ligue.
ijS6, ce quil avoit cru pouvoir lafler, de leur don-
ner enfin l'audiance qu'ils demandoient. Celuy
qui portoit la parole perdant le reipe6t, parla
d'une manière extrêmement hautaine & teme-
'""" xaire, en luy reprochant, en certains termes qui
^^'^''" ji'eftoient que trop intelligibles, que contre fa
*'' " ^ confcience de Ion honneur il avoit violé la
foy fi fialcnnellement donnée à les fidelles Su-
jets de la RclicTion Réformée , de leur en laif.-
1er l'exercice libre, en demeurant, comme ils
l'avoient fait, dans les termes de robéïiî'ance
qu'on doit à (on Roy.
- Ce Prince, qui n'eftoit d'ailleurs que trop
patient, ou plûtoft trop foible & trop timide,
le trouva fi fort ofïenié de cette brutale info-
lence, qu'il ne put s'empetchcr de faire haute-
ment éclater la colère en cette occafion. Car
il leur répondit d'abord de cet air également
lier &c majeftucux qu'il fcjavoit fort bien pren-
dre quand il le vouloir, que comme on avoit
laifle leurs Maiftres en liberté de gouverner
leurs Eftats ainfi qu'ils l'entendoient, en y chan-
geant ce qu'ils avoient voulu dans la Police de
la Religion, il prétendoit aufii de fon collé
qu'ils ne trouvallent pas à redire aux change-
mcns qu'il trouvoit à propos de faire dans fes
Edits, lelon la diverlité des temps & des oc-
cafions pour le bien de les Peuples, qui dépen-
doit principalement de la vraye Religion Ca-
tholique oc Romaine, que les Rois Tres-Chref-
L I V R E î Î03
ciciw Tes PrcdcccfTcurs avoiem toujours main- i;8 6.
tenue en France à l'exclufion de toute autre.
Puis s'eftant retiré dans ion cabinet, où après
avoir repafTé dans ion clprit tout ce qui s'clloit
dit de paît & d'autre, il ne trouva pas que cette
réponie fuil encore afTez forte, il leur envoya
par un Secrétaire d'Eilat un billet écrit de i'a
propre main qu'on leur leût, &c par lequel il
donnoit en termes formels le démenti a tous
ceux qui diioient qu'il avoir fait contre Ibn
honneur & violé fa foy, en révoquant l'Edit
de May par l'Edit de Juillet: fur quoy on leur
dit de t'a part, qu'ils n'avoient qu'à i'e retirer,
fans plus attendre d'audiance.
C'cftoit-la ians doute une réponfe digne d'un
grand Roy , s'il l'euft iouftcnue par fes adtions
aulTi-bicn que par les paroles, &: s'il n'eull: pas
un peu trop témoigné par ia conduite la crain-
te qu'il avoit de l'irruption de ces Allemans.
Car pour l'empefcher, il voulut bien en quel-
que manière deiccndrc de cette haute ëc iuprê-
me élévation de laMajefté Royale, en traitant
prelque d'égal à égal avec le Duc de Guilé,
& luy ojfFrant, outre tous les grands avantages
qu'il euft pu iouhaiter en honneurs &: en pen-
fions, plusieurs villes de leûreté qui luy eui-
fent fait dans le Royaume une eipece d'Eftat
indépendant, pourveCi ieulement qu'il vouluit
s'accommoder avec le Roy de Navarre, & le
laifTer vivre en repos, comme fi c'euil elle à \^ ^[.
I04 Histoire de la Ligue.
2;8(;. ce Duc, & non pas au Roy, de luy donner la
paix.
Quoy-que des conditions fi avantagcufes
fuflent aflcz capables de tenter l'ambition du
Duc, il ne voulut pas toutefois les accepter,
parce qu'il elperoit la fatisfaire beaucoup mieux
en continuant la guerre à laquelle il avoir en-
gagé le Roy, qui ne s'en pouvoit plus dédire:
outre qu'il ne vouloir pas détrmre l'opinion
que les Peuples avoient qu'il n'agifToit nulle-
ment pour ion inrercft , mais feulement pour
la Religion. Ce moyen donc d'avoir la paix
ayant manqué au Roy, qui la fouhaitoit ar-
demment, il en prit un autre, qui fut de prier
; la Reine fa Mère de conférer avec le Roy de
Navarre Ion gendre, pour tafchcr, avec fon
adrclTe ordinaire, de le réduire à quelque ac-
commodement qui puft contenter la Ligue, &
arreftcrlcs Allcmans, du lecours dcfqucls après
cela il n'auroit plus befoin. Cette PrincelTc
qui dcfiroit alors la paix du moins autant que
luy , parce qu'elle craignoit de demeurer à la
difcretîon de l'un ou de l'autre des deux partis
dont elle efloit également haïe , accepta tres-
volonticrs cette commiffion , elperant beau-
coup de fes artifices qui luy avoient fi louvent
, . , réiilfi en fcmblablcs occafions.
voy«gtieU S'eitant donc avancée julqua Champigny,
jJ7^» nIv." belle maifon du Duc de Montpcnfier , elle fit
u^'t î '" ^^ '^^^^^ j P''^^ l'entremile de ce Prince qui fut
trouver
L" I V R E î. lOjr
trouver de fa parc le Roy de Navarre, qu'on de- ijS6.
meura d'accord que la Conférence, après bien
des difliculccz qu'on y oppoloïc, &c qu'on eût
bien de la peine à rcloudre , ie feroit à Saint
Brix , Challcau prés de Cognac appartenant
au iieur de Fors qui elloit du parti de ce Roy.
Elle s'y rendit accompacinée des Ducs de Mont-
peniîer &c de Nevers, du Marelchal de Biron,
ôc de quelques autres Seigneurs qui n'ciloicnt
point amis des Guiics ni des Lif^ucurs , afin que
la Conférence en fufl plus paiiiblc. Le Roy de
Navarre s'y rendit auili avec le Prince de Con-
dé, le Vicomte de Turenne, ôc les principaux
Chefs de leur parti.
Il parut bien à ce coup que la Reine n'avoir
plus cette grande autorité qu'elle s'eftoit don-
née dans les autres Conférences, où elle ame-
noit preique toujours leschofes au point qu'el-
le vouloit par ce merveilleux alccndant qu'elle
avoit pris lur les efprits ■■, & elle ne reconnut
que trop d'abord qu'elle avoit affaire à des gens
qui fe défîoient de Tes artifices, & qui ne fe
laifTeroientpas aifémentfurprendre comme a la
Saint Barthélémy dont ils le iouvenoient tou-
jours. Car ils ne voulurent jamais entrer tous
trois eniemblc dans li chambre de la Confé-
rence. Lors que le Roy de Navarre y eftoit, le
Prince & le Vicomte bien accompagnez fai-
foient la garde à la porte ; Se quand l'un des-
deux y cntroit, le Roy de Navarre &c l'aune
O
— îo(J Histoire de la LjIgue.
158 (î. en faifoienc autant, pour ne fc pas mettre im-
prudemment entre les mains de celle à la pa-
role de laquelle ils croyoïent avoir tout lujet
de ne fe pas fier , & qui n'euft olé en faire ar-
reftcr un fcui^ les deux autres eftant libres ÔC
en eilat de s'en faire raifon li on l'entrepre-
noit.
Ainii, comme les efprits eftoient trop dé-
fians Se trop aigris pour pouvoir a^ir raifonna-
blement en cette Conférence, tout fc palfa dans
les trois entreveûës qui s'y firent en paroles
allez fafclieufes. Se en reproches réciproques
fans rien conclure quitendlll à un bon accord.
Le Prince de Condé, félon Ion limncur altiere
Se fevere, parla toujours plus durement que les
deux autres , en rejettant toute voye d'accom-
modement , Se difant d'un au extrêmement fier,
qu'on ne le pouvoir nullement fier à ceux qui
avoient fi vilainement faulTé leur foy, en vio-
lant les Edits du Roy pour iatisfaire des Sédi-
tieux Se des Rebelles. Le Roy de Navarre, d'un
naturel beaucoup plus doux Se complaifant,
quoy-que, comme il eftoit aufli fort généreux,
il ne manquait pas de faire lentir à la Reine
qu'il n'avoit pas iujet de fe louer de fa con-
duite, ne perdit néanmoins jamais le refpeét
qui luy eftoit dcû. Et fur ce qu'elle luy re-
montroit que la paix de la France dépcndoitdc
fa convcrfion,puis que la leule crainte de tom-
ber fous la domination d'un Prince Husuenoc
Livre I. ^ : i 107
avoir fait & armé la Ligue qui n'en vouloir c]u'a ijS6.
Ton Hércjie (îk nullement a la perionne : il ne
répondit autre choie , finon que la Rclicrion
n'eiloit qu'un prétexte que les Auteurs ic la
Ligue avoicnt pris pour couvrir leur ambition,
qui alloit tout droit à la ruine entière de la
Mailon Royale ■■> & quant à la convcriîon , qu'il
y clloit tout diipptc,pourvcù qu'il fuli inlhuit
de la vérité par un Concile libre qu'il avoit
fouvcnt demandé, & au jugement duquel luy
ôc tous ceux de fon parti le loumettroient. Il
conlentit mefme à une trêve de douze jours,
durant Iclquels on envoyeroit au Roy pour luy
propoier cette condition qu'on i^avoit bien
qu'il n'accorderoit jamais. Et cependant le Vi-
comte de Turenne eftant allé trouver la Rei-
ne qui s'eftoit retirée à Fontenay , on y re-
prit la Conférence, mais ce fut pour la deniere
rois.
Car après que l'on eût exagéré de parc ôc
d'autre les forces qu'on avoir, & les avantacres
que l'on croyoït avoir, ce qui ne le put rairc
fans aigreur, àc meime ians menaces, la Reine
perdant patience , & reprenant cet air de hau-
teur & de ma)efté qu'elle avoit* fouvent pris
en de pareilles Conférences ious les Règnes pré-
cedens & an commencement de ccluy-cy, dit
d'un ton fort impérieux, qu'il n'y avoit plus
à délibérer, <Sc que le Roy, qui vouloir ellrc
ablolument le Maiftre dans Ton Royaume, von-
l
io8 Histoire de la Ligue.
i)S6. loit aufTi réfolumenr qu'il n'y euft plus qu'une
Teule Religion en France. Et bien ^ Aîadame , re-
parc iur le champ le Vicomte avec un certain
fourire fier & méprifant, nom le 'voulons bien aujft,
mais pourveû que ce foit la ncjlre ^ autrement nom nous
battrons bien. Sur quoy , (ans attendre de repar-
tie, il fait une profonde révérence, & fe retire.
Ainfî finit la Conférence au grand regret du
Roy, qui pour fe mettre à couvert de cette tem-
pcile d'Allemans qu'il voyoit bien qui vien-
droient bientoft fondre fur la France, defiroic
afiionnément la paix, qu'il ne put avoir ni avec
e Roy de Navarre , ni mcfme avec la Ligue ,
pour laquelle il s'elloic obligé de faire la guer-
re à ce Roy.
Car les Ligueurs, dont le nombre s'eftoit
merveilleufemcnt accru, fur tout dans Paris,
ayant pris jaloufie de ce qu'on traitoic fi fou-
vent avec le Roy de Navarre, fe déchaifnerent
plus brutalement que jamais contre le Roy, com-
me s'il le fuil entendu fecretemcnt avec les FIu-
guenots, en mcfme temps qu'il joûoit la Ligue,
en faiianc femblant de les vouloir exterminer.
Il y en a melme qui difent qu'ils firent en ce
temps-là une effroyable confpiration, dans la-
quelle ils engagèrent le Duc de Mayenne , qui
fe fit leur Chef en l'ablence de fon frcre, &
que les Conjurez avoicnt réiolu de faire main-
baffe iur les Gardes du Roy , de fe faifir de la
perfpone pour le confiner dans un Monallere,
Livre!. " ro?
ou l'enfermer dans une tour j de couper la aor- i j8^,
<rc au Chancelier -ciu Premier Prelident, & aux
principaux Ofhciers pour en mettre d'autres eu
leur place , &c former un nouveau Conieil qui
full tout de gens de leur fatlion ; de le iaiiîr de
la BaftiUc, de l'Arfcnal, des Challclcts, du Pa-
lais, ôc du Temple; de fliirc entrer en France
par Boulogne les Eipagnols de la grande ar-
mée Navale qu'on avoit drell'ce contre l'Angle-
terre; ôiicent autres particularitez de cette Con-
juration, que le Préiident de Thou à cru de- H'At>'«4»»
voir mettre dans fon Hiftoirc, fur la foy du
nommé Nicolas Poulain Lieutenant en la Prc-
volté de rifle de France, qui ayant efté du
Conieil de la Ligue, en révéla, à ce qu'il dit,
tout le fecrct au Chancelier de Chiverny, à M.
de Villcroy Secrétaire d'Eftat, & au Roy mei-
me. Mais, outre qu'on ne doit donner aucune
créance à un homme double qui a trahi les
deux partis, ôc qui pour le remettre bien avec
celuy qu'il a quitté, peut dire contre l'autre
mille choies qu'il ne peut prouver, ce qui a
fouvent attiré au délateur la punition de la
corde : on ne voit rien de tout cela dans les
écrits qui fe firent en ce temps-là pour ôc con-
tre la Ligue, lur tout dans ceux des Huguenots,
qui fans doute n'auroient eu garde d'épargner
La Ligue dans une occafion qui leur auroit elle
fi favorable, ni dans les Mémoires du Chan-
celier de ChiYcrny, ù de M. de Ville roy , qui
O ii; '
IIO
Histoire de la Ligue.
ij2 6. apparemment n'eufTent pas omis une chofc de
cette importance, s'ils l'euiTent appnie de la
bouche meimc du délatcm', ou s'ils l'culTent
cru véritable.
Et certes , il y a tant de chofes fî peu vray-
iemblablcs dans le Procès verbal de ce Nicolas
Poulain que j'ay leû fort exadbementi il y en a
mcime de Ci mamfeftement fauiles,&:fi oppo-
fées au génie &c à. l'humeur du Duc de Mayen-
ne, qu'on a fujet de s'étonner que M. de Thou
"**•'" ait bien voulu prendre la peine de le tranicnre
piefque mot à mot dans une Hiftoire auili
élégante &c aulIi terieule que la fienne. Cela
doit avertir ceux qui entreprennent d'écrire
l'Hiiloire de ne fe pas fier à toute iorte d'Ecri-
vains, & ne fe pas trop cmpreflcr de grollir leur
ouvrage de tout ce qu'ils trouvent en certains
Mémoires peu authentiques fans fe donner le
loifir d'en examiner le mente &: la qualité. Ce
qu'il y a de vray , c'ell que les Ligueurs de Pa-
ns interprétant malignement ces negotiations
& ces Conférences qu'on failoitavec le Roy de
Navarre, ne manquoicnt pas de faire entendre
au Peuple que le Roy s'entendoit avec luy , ôc
protcgeoit les Huguenots. Ce fut auffi pour
tlétruirc cette créance de cette faullc opinion,
laquelle on faiioit concevoir au Peuple à Ion
deiavantao;e , qu'il recommença, avec plus de
ferveur apparente èc d'appareil , les dévotions
extraordinaires qu'il pratiqupit de temps en
• • "LlVR E -lii ^;TRiI-I ' III
temps, &: fur toiit les Proccirions de Pcnitcns, i;8(J.
qui Dien loin de Icrvir a Ion dclllin, le rendis
rcnt encore &: plus méprHable&iplus odieux.
Comme le mal, par l'abus qu'on peut faire
des choies les meilleures 6: les plus Ciinccs, vient
aflfez louvcnt du bien qui dégénère infcniible-
ment en corruption : il arrive aulli quelquefois
que le bien naift par occafion du mal qu'on
rectifie , en oftant ce qu'il y avoit de mauvais
dans une pratique de dévotion , pour n'en re-
tenir que le bon. C'eil ce qui s'elt veû au iu-
jet des Confréries des Penitens. Il y a plus de
quatre cens ans qu'un bon Hermite le fcn- i ^ <? o-
tant fortement inipiré de Dieu de prefcher
dans une ville d'Italie , comme Jonas avoit
fait à Ninive, fe mit à menacer les ha bi tans
d'eftre bientoft enlevclis fous les ruines de leurs
mailons qui le renverieroicnt lur eux, s'ils n'ap-
paifoient l'ire de Dieu par une prompte &c ri-
gourcufe pénitence publique. Ses Auditeurs , à
l'exemple desNimvites, touchez d'une ii forte
prédication, & craignant de lentir l'effet d'une
ïî terrible menace, le reveftirent de fac,&:s'ar-
mant de fouets ôc de difciplines, allèrent en
proceiïion par les rues, le irappant rudement
lut les épaules , pour expier leurs crimes par
leurs larmes & par leur lang. Cette clpcce de
pénitence, qui partant d'un bon principe 6c
d'un grand defir de fatisfaire à la Jultice divi-
ne peut ertrc très -bonne, fut depuis pratiquée
.o ^ z
m Histoire de la Ligue.
8 $. en quelques autres païs , &: fingulicremcnt en
Hongrie, durant une furieufc pefte qui rava-^
geoit tout ce pauvre Royaume. Mais peu de
temps après elle dégénéra dans la dangercufe
fcdte des Flagellans , qui parcourant à grofTes
troupes, nuds jufqu'à la ceinture, la plufpart
des provinces de l'Europe, le mcctoicnt tout en
fang à force de coups de fouet, dilant, par
une horrible impieté, que ce nouveau bapteime
de fans avoit encore plus de force que celuv de
V ^ '1 1 "^ u ''
1 eau, en ce qu il exploit tous les péchez qu us
pouvoient après cela commettre impunément.
On eût bien de la pcme à abolir un li per-
nicieux abus-, & pour ramener doucement ces
efprits égarez dans les termes d'une pénitence
réglée, on leur permit de retenir ce qui pou-
voit eftre de bon dans une pratique fi aullerc.
Et de là font venues les Confréries des Peni-
tcns de différentes couleurs qu'on voit encore
en Italie, fur les terres du Pape, au Comtat,
ÔC en Languedoc, qui ont leurs Chapelles où
ils s'alfcmblent pour y pratiquer leurs exer-
cices de dévotion, & qui font leurs Procef-
lîons où ils vont particulièrement le Jcudy Saint
reveftus de leur fac avec le fouet à la ceintu •
re, duquel pourtant ils ne fc fervent gueres
que par une pieufe cérémonie, pour marquer
la profellion publique qu'ils font de leur citât
dePenitcns,& l'amour qu'Us ont pour la péni-
tence. Chi-ellicnnc,
Or
Livret. 115
Or comme le Roy, qui, outre qu'il cftoit na-
turellement porté à la dévotion, vouloir d'a-
bord à ion. retour de Pologne faire connoi(^
trc qu'il cftoit fort zclé Catholique, eût vcû
la dévote Proceilion des Penitens blancs d'A-
vignon, il voulut eftre enrôUé dans leur Con-
frérie, & fept ou huit ans après il en établit
une lemblable à Paris dans l'Ealife des Auo-ul-
tins, fous le titre de l'Annonciation de Noftre-
Dame. La plufpart des Princes, des Grands de
la Cour, de des principaux Officiers en eftoienr,
ôc tous fes Favoris, qui ne manquoient pas d'af-
fifter avec luy à ces Proceflions ou il alloit
fans Gardes 6c fans aucune marque qui le dil-
tinguaft des autres, veftu d'un long habit blanc
de toile de hollande, en forme de fac, allant juf-
ques lur les pieds, afTez laro;e, avec deux lon-
gues manches de un capuchon fort pointu^
ayant deux grands trous à l'endroit des yeux,
couiu par derrière iur le collet, ôe deicendanc
par le devant en pointe julqu'à demi-pied au
deflous de la ceinture tiiîuë d'un fil délicat de
fin lin, avec de petits nœuds allans julques au
deflous du genou, 6c de laquelle pendoit une
jolic diicipline de mefme fil, qui n eiloit gueres
propre à faire bien du mal au pénitent ^ ôc fur
l'épaule gauche, il y avoit une Croix de fatm
blanc, fur un fond de velours tanné prefque
tout rond.
Il faifoit au refte profellion de garder fort
P
i;8(î.
114 Histoire de la Ligue.
I ; 8 6. cxadlemcnt les refiles & les ilatuts de cette Con-
frérie, que le Père Emond Auger célèbre Je-
fuite, qui cftoit alors ion Confefl'eur & ion Pré-
dicateur, avoit faits par fon ordre. Ce bon Père
l'entretenoit avec grand ioin dans ces fortes de
dévotions, quoy- qu'elles ne ioient gueres à
l'uiage d'un Roy auquel il en faut d'autres
beaucoup plus iblidcs, & dont la principale
doit eilre une forte application au gouverne-
ment que Dieu, qui luy en fera rendre compte,
luy a confié comme à fon Minill:ie &: ion Lieu-
tenant.
Auffi dit -on, comme rAmbaifadcur Bufbc-
quius l'écrivit de Pans à l'Empereur Rodolphe
ionMaiftre, que la Reine Mère voyant le tort
que cette bizarre conduite faifoit à la réputa-
ccrtcRctrina ^^ï^n du Roy fon fils, ôv: il l'Eftat dont il aban-
fcnior pertï- (jonnoit le loin, pour prendre uniquement ce-
la ncgiectam i:-. i . i / •
muitarum re- luy dc ces Pioceilions ôc de ces dévotions ex-
munens Rc- traordinaiics qui peuvent eitre bonnes pour
Imunlura Je"- ^^^ Cloiftrc , ôc point du tout pout un grand
luitamquem- PriRce , s'cn prit à ce Teluite, luy reprochant
dam, quem '11 ■ C 11
Rcïautorem, avcc aigrcur, quii diricreoit tort mai celuyqui
rc°quuuî"Tn- s'eftoit mis ious fa conduite , ëc que d'un Roy
ctcpuifle du jçj q^ç DicQ l'avoit fait il en failoit un Moi-
citur , quod H i ' j- i i
fîbi fiiium ex ne, au o-rand préjudice de tout le Royaume. Et
Rcge penè > n l r 1 o 1'
Monachum C cit pout ccU meimc que le temps ôc 1 expc-
magnt'^cum ^^ïencc ayant fait voir qu'il s'eftoit glilTé beau-
Regni tonus coup dc delordi'e dans ces alTociations de Pe-
Bujiej. Ef. 20. niZQns blancs auiîi-bien que parmi les bleus
L I V R E I. n^
&: les noirs, &c que lous prétexte d'y pratiquer i j8 6.
de laints exercices de pieté on y fliifoit de
dangereux complots contre l'Eftat, elles furent
entièrement abolies à Paris dix ou douze ans
après.
Ce fut donc principalement cette année que
le Roy voulant faire paroiftre qu'il avoit plus
de zèle que jamais pour la Foy Catholique,
renouvella avec plus de ferveur qu'auparavant
ces dévotions éclatantes de fa Confrérie, juf-
ques-là que n'eftant pas encore content des
Procédions ordinaires qu'il faifoit en habit de
Pénitent par les rues de Paris, il en fit une ex- pimai dt
traordinaire , allant à pied en ce mefme habit '"'"^
avec ce qu'il put amalTer de fcs plus dévots &:
fervens Confrères, depuis les Chartreux jufqu'à
Noftre-Dame de Chartres, d'où il revint au
mefme eftat en deux jours à Paris. A la vérité
l'on peut croire que cela venoit d'un crrand
fonds de piété, que ce Prince, dont le naturel
eftoit fort beau, s'il ne l'cult laiffé corrom-
pre par les voluptez, avoir dans l'ame. Mais
comme les Ligueurs n'eftoient pas bien perfua-
dcz de cette vérité, & que par la haine qu'ils
luy portoient, ils interpretoient en mal toutes
fes meilleures actions, ils décrièrent hautement
celle -cy, dilant que ce n'eftoit-la qu'une pu-
re hypocrilic, & une ridicule mafcarade qu'il
avoir inventée pour femoquer de Dieu, & pour
tromper les hommes, en couvrant (es vices
P ij,
u6 Histoire de la Ligue.
i^Sc. &c Ion peu de Religion fous ce maique de
piété.
Ce n'cftoit pas toutefois feulement ceux de
la Ligue qui trouvoient à redire à ces nouvel-
les fortes de Proceffions qui ne font gueres du
goull; des Fran(^ois : elles eltoient prefque uni-
verfcllement blafmées de tout le monde ; 6c
ceux qui en difoient le moins de mal, s'en mo-
quoient tout ouvertement. Ce qu'il y eût de
plus ridicule en cecy, de qu'on peut dire qui
fit une elpece de tragicomedie où il y eût de
quoy rire ^ de quoy pleurer, fut que les la-
quais des Courtifans qui pour plaire au Roy
' s'eftoient enrôliez en cette Confrérie de Peni-
tens, eurent l'infolence de la contrefaire, en dé-
rifîon de leurs Maiftres, jufques dans la cour
du Louvre, faifant Icmblant de fe fraper bien
fort, comme s'ils eulTcnt eilé de véritables Fla-
rfptiS gellans, Mais le Roy l'ayant (ccû., avant que
ocioginta la farce fuft achevée , en fit prendre iuiques à
atque ibidem quatre-vinc;ts qu'on entrailna dans la cour des
flas^ris ad fa- p '^\ ^ C r } ■ C ^ >I
tieutem ex- cuiliiics , OU ils tureut II- bien rouetez, qu ils
a'um^filuu- ^^ trouvèrent en cftat de bien reprefenter l'ef-
crum riagei- tat OU les anciciis Flaçellans le mettoient par
latorum & , ^ , . o l
Pcrnitentium kut lauglante pénitence.
B«/fj.£;.is. Cela pourtant nempeicha pas quon ne hit
encore quelque chofe de bien plus criminel
que ce qu'avoient fait ces pauvres laquais. Car
il le trouva de médians elprits, qui eurent
l'audace d'expofcr publiquement une peinture
abre
ad
in coq
Livre T, uy
ou l'on voyoit le Roy vcftu de (on habit de i^S6.
Pénitent qui tuoit le miel 6c la cire d'une ru- chrooi.
1 1 • /* 1 > ■ r Novennirt
chc , allant ces paroles qu on avoit miles au ^, c»ytt.
haut du tableau, comme l'ame de cet Emblè-
me : Sic eomm aculeos cvito ; C'ejl ainfi que je me
garantis de leurs pianeures. Comme fi on eull vou-
lu faire entendre par cette ingenieuie , mais
extrêmement maligne cxpreffion, qu'un hom-
me qui veut dépouiller une ruche, doit fe cou-
vrir le vilage & les mains pour éviter les aiguil-
lons des abeilles qui font toutes réunies con-
tre leur voleur -, qu'ainfi , luy qui vouloit tirer
tout le fuc de la France, pour le donner par
fes immenfes prodigahtez à les Mignons, &c
qui avoit entrepris de ruiner la Religion par
l'intelligence lecrete qu'il avoit avec le Roy de
Navarre & les Huguenots, fe couvroit de ce
fac de Pénitent, pour fe mettre, en trompant
la Lieue , à couvert de la lulte indienation des
Catholiques unis contre luy. Mais ceux qui
failoient plus de bruit que tous les autres, ei-
toient certains Prédicateurs de la Ligue, qui
profanant le ficré miniftcre de la Prédication
de l'Evangile par leur langue feditieuie, &: dé-
bitant mille impoftures dans la Chaire de véri-
té, qu'ils changeoient en un infâme bureau de
menloncre, déclamoient Icandaleufement con-
tre l'Oincrt du Seigneur, dont ils blalmoienc
toutes les a£tions,julqu'a celles qui reflentoient
le plus la pieté.
■ P iij
n8 Histoire de là Ligue.
îj8^. Celuy de tous ces Satyriques qui parloit le
plus infolemment de ces dévotions du Roy,
'.i-v^ »i eftoit le Docteur Poncet Curé de Saint Pierre
des Arfis, qui avoir couftume de raconter ctour-
diment dans les Sermons toutes les lotifes qu'il
avoit oûï dire aux plus paflîonnez Ligueurs, ôi
les prefclioit hardiment à fes Auditeurs , com-
me fi c'euit efté la vérité mefme de l'Evangi-
le. Ce n eft pas qu'il n'euft de i'eiprit , comme
il le fît affez paroiftre un jour que le Duc de
Srantofmt. Joyeufc Favori du Roy. luy ayant dit, en lé
raillant, qu'il eftoit bien- aile de connoiftre un
homme qui avoit un iî beau talent de divertir
& faire rire le Peuple en les Sermons, il luy
répondit froidement : // ejl bien jufle que je le
fajje me , puis Que 'vous le Jkites tant pleurer, à cau-
fe des fuhjides extraordinaires dont on la, chargé, pour
auoir de quoj fournir aux excejjtves dépenfes qu'on a
faites a ^vos belles nopces ; car le bruit couroit que
le Roy n'en feroit pas quitte en tout pour
douze cens mille écus.
Or ce Prédicateur ieditieux dit tant de cho-
fes contre ces ProcefTions, &c tant de faufTetez
dyet, t. T. Icandalcufes du Roy meime &c de fa Confré-
rie de Penitens qu'il appelloit la Confrérie des
Hypocrites 6c des Atheiftes , que le Roy le fie
mettre en prilon durant quelques jours : après
quoy il le renvoya, croyant que ce léger chaf-
timent le rendroit plus fage. Mais comme il
elloit vainjSc qu'il eût appris qu'on difoit qu'il
Livre I. .;: 119
cliangcroit bien de langage après avoir cfté 158 <;.
repris &c traité de la lorte, il eût l'effronterie
de dire en Chaire qu'il n'eftoit pas un perro-
quet à qui l'on apprift à parler , de là-deffus fc
mît à déclamer plus outrageuiement encore
qu'il n'avoir fait auparavant. Il ne fut pas tou-
tefois long- temps (ans en recevoir par luy-
meime la punition qu'il mentoit bien.
Comme la licence de médire des Puiffances
cftoit très- grande parmi les Ligueurs, un cer-
tain Avocat de Poitiers nomme le Breton , qui
avoit perdu la caufe à Poitiers àc à Paris en
plaidant pour une veuve, irrité de ce que les
Ducs de Guife ôc de Mayenne, le Roy de Na-
varre, &c le Roy mcfme, aulquels il s'eftoit a-
dreffé, allant de l'un à l'autre, 6<: failant tant de
voyages inutiles pour s'en plaindre , l'avoient
rebuté comme un fou, fit un libelle tout rem-
pli d'injures atroces & de calomnies contre le
Roy &: contre MelTieurs du Parlement. L'Ecrit
ayant efté laifi avec l'Auteur, on crut qu'il faL
loit un exemple pour arrefter le cours de cette
furieufe liberté qu'on prenoit d'écrire, & de
parler d'une manière u criminelle : fur quoy
l'on fit bonne & briéve juftice à cet infolent
Avocat, qui fut pendu devant les devrez du
Palais. Il n'y a rien de plus timide &c de plus
laiche dans une occafion où il paroiil quelque
danger, que ceux qui font les plus hardis à par-
ier quand ils croyent qu'il n'y a rien à cram-
liO HiSTOÎRE DE LA LiGUË.
ijB 6. tire. Lors qu'on apprit cette exécution au Do-
(5teur Poncct, & qu'il vit par ce terrible exem-
ple qu'on punifToit de mort ceux qui avoient
ofé choquer la Majefté du Prince par leurs in-
vedbives Icditieufes, il en conceût tant de crain-
te & tant de frayeur, que fe Tentant le cœur
faifi & le fang tout glacé, il fe mit au lit, d'où
cet intrépide en paroles ne releva plus. Il mou-
rut peu de jours après de la peur qu'il eiit qu'on
ne luy en vouluft faire autant qu'à ce milera-
ble Avocat.
Cependant le Roy qui defiroit toujours paf.
fionnémcnt d'avoir la paix dans fon Royaume,
fit encore une fois, mais ijnutilement, tous fcs
efforts, pour obliger d'une part le Duc de Gui-
fe à s'accommoder avec le Roy de Navarre à
des conditions encore plus avantageufes que
celles qu'il avoir auparavant offertes à ce Duc j
& de l'autre, pour faire rentrer ce Roy dans
i'Eglifc Catholique, luy promettant, s'il lefai-
loit , de le déclarer ion Lieutenant Général dans
tout le Royaume, de luy donner encore plus
d'autorité queluy-melme n'en avoir eu lors
qu'il commandoit les armées du feu Roy fon
frère, de le faire Chef du Confeil, & mefme
enfin, ce que ce Prince louhaitoit de tout fon
cœur , de faire diffoudre fon mariage avec la
Reine Marguerite, ôc luy faire épouier la Prin-
ceffe de Lorraine, petite fille de la Reine Mère,
laquelle conientuoic volontiers v\ ce mviriagc ,
qui
L I V R E T. m
qui pourroit faire un jour Reine de France cette i j 8 (î.
Princeflc qu'elle aimoit tendrement.
Ceftoicnt-là (ans doute des offres tres-avan-
tageulcs^ ôc capables de tenter un homme du
caradicre de ce Prince, qui, à dire la venté, n'el^
toit pas trop bon Huguenot, ni trop grand
ennemi des Catholiques. Mais comme il ne crut
pas , après ce qu'on avoir fait contre luy, qu'il
le puft raifonnablement fier à toutes ces bel-
les prome (Tes j qu'il craignit de tomber des deux
collez 5 &c melme,iî on le voyoit balancer,
d'eftre bientoft abandonné de fon parti qui
panchoit déjà bien fort vers le Prince de Con-
dé, qu'on f(javoit eftrc bien meilleur Protef-
tant que luy 5 & de plus, qu'il fe tenoit fort
afl'eûré du grand fecours des Allemans: il ne
voulut plus rien entendre là-deiTus , &: fit tout
court aux Envoyez du Roy une réponfe digne
de de fon efprit &c de fon courage : Que Jes en-
nemis ne defiroient rien moins que Ja converfion , par-
ce qu'ils n'ai'oient pris les armes que pour l'exclure
de la fuccejjwn de la Couronne , C^ pour partager le
Royaume entre eux, fou^ prétexte d'y 'vouloir conjèr-
ler la Religion Catholique qu'tljy maintiendroit en-
core mieux queux ; Qi^^l fupplioit très - humblement
le Roy de luji laijjer dêmejler cette querelle aire les
Princes de la Ligue , pins que Sa Alajejlé fe donnaji
la peine de s'en méfier , 0' qu'il aurait dans trois mois
cinquante mille hommes , avec lejquels il efberoit que
Dieu luy fèroit la ^ace de ranger hkntoji les Ligueurs
m Histoire de la Ligue,
1586. à leur devoir, (^ de réduire ces perturbateurs du re-
pos public f0 ces rebelles aux termes de l'ohéifjunce
au ils doi'vent a, leur Souverain.
Cette réponie mit le Roy dans une peine
extrême, ne l(^achant à quoy (e réfoudre, &
lequel des trois partis qu'il pouvoit prendre, il
devoit luivre. Car s'il demeuroit neutre entre
le Roy de Navarre &c la Ligue, il couroit for-
tune de fuccomber après fous la puifîancc du
vainqueur: s'il fe joignoit au parti du Roy de
Navarre contre les Ligueurs, comme il fut quel-
que temps après contraint de le faire , il crai-
gnoit de palfer pour Hérétique , ou pour fau-
teur des Hérétiques, comme la Ligue s'efFor-
(^oit de le faire croire par fes calomnies, & en
fuite de s'attirer toutes les forces de l'Elpagne,
&c tous les foudres de Rome qu'il redoutoit en-
core plus en ce temps -là que la Ligue &c les
Elpagnols. Ainfi , comme il ne fe croyoit pas
-rf««. ^{[çx fort tout feul pour contraindre les uns &
^^^7- les autres à luy obéir, cette dernière crainte
l'emporta lur l'inclination qu'il avoit pour le
parti du Roy de Navarre, qu'il jugeoit eftre le
plus jurte hors la Religion, de laquelle ce Prin-
ce proteftoit qu'il ne s'agifloit pas alors. De
forte que , luivant en cela les avis de la Reine
fa Mcie, ôc de quelques-uns de fon Confeil,
qui par la haine qu'ils avoient pour l'Hérefie,
favorifoient la Ligue, il fe joignit à ceux qu'il
regardoit comme fes plus grands ennemis, afin
Livre I.
ïi5
de faire à fon bcaufrcre, dont il connoifToir
les bonnes intentions pour le bien de l'Ellat,
cette guerre qui fit répandre dans les deux par-
tis tant de lanti & tant de larmes , & de la--
quelle nous verrons les differcns luccés dvins
le Livre fuivant.
1J87,
QL'1
HISTOIRE
DE
LA LIGUE.
LIVRE
•
SECOND.
Ann.
i;87.
E Roy, félon fa couftume,
jafTa l'hiver de cette mémora-
)le année mil cinq cens quatre-
vingts-fept, partie en jeux, en
feftins, en balets, en mafcara-
des , & en autres femblables divertiffemens , &
partie en fes Proceffions,fes Confréries, fes re-
traites & fes pénitences chez les Feuïllans qu'il
avoit fondez au fauxbourg Saint Honoré, chez
it6 Histoire de la Ligue.
1/87. les Capucins, de fur tout dans fes Cellules du
Monailiere du Bois de Vincennes, où il avoit
mis les Jeronimites venus d'Elpagne, & où de-
puis on plaça les Minimes. Mais il falut, à Ton
crrand retrrct, qu'il quitcaft au Printemps les
plailirs &c les exercices de cette forte de vie qui
avoit tant de charmes pour luy, ôc qu'il fe dif-
pofaft à faire la guerre conjointement avec les
Ligueurs au Roy de Navarre, &C aux Allemans
qui le vouloient joindre.
A cet effet, le Duc de Guife, qui avoit fait
cayit,iitzin. jufqu'alots Li guerte au jeune Duc de Bouillon
la Mark fans grand avantage, le rendit auprès
du Roy, qui cifoit à Meaux j & après l'avoir
alfeûré qu'il y avoit une crrande armée d'Aile-
mans toute prelte a le mettre en marche vers
nos frontières, 5c luy avoir demandé des for-
ces capables de les arrefter, il fit de grandes
o—---"- — plaintes iur les contraventions qu'il prétendoit
,r.uK avoir elle faites au Traité de Nemours. Ceux
*.''., ■ de la Ligue louffcenoient que ces plaintes cC-
toient fort juftes ; les autres au contraire , fai-
ioient voir qu'elles efloient tout- à -fait dérai-
lonnables..o pniD Iimc
Il fe plaignoit entre autres chofes de ce qu'on
n'avoit pas rétabli le Comte deBrilTac au Gou-
vernement du Cliafteau d'Angers. Mais on ré-
pondoit a cela que le Roy l'avoit repris fur les
gens du Roy de Navarre , aulquels Brillàc , qui
le tenoit poiu- la Ligue contre l'intention du
Livre I Î.
II"?
Roy, l'avoir laifle iuprcndrc. Il ajoufi:oit,que 15^*7.
ceux qui s'clloienc attachez à ion icrvicc ou a
Tes intercils n'eiloient pas trairez fi flivorablc-
menc à la Cour que les autres j comme û le Roy
cuft elle oblicré non ieulement de pardonner .
mais aulli de rauc des o-races particulières a
ceux qui avoient pris les armes contre iuy, 8c
de leur donner récompenfe pour avoir tiré le
canon lur fcs bons lerviteurs, ainfî que Fran-
(jois de Balzac fîcur d'Entragues avoir fait fur
le Duc de Montpcnfier que Sa Majefté envoyoit
à Orléans. Enfin, il trouvoit fort mauvais qu'on
cuft laifi le temporel du Cardinal de Pellevé Ar-
cheveique de Sens, comme ii rout le monde ne
l(^avoit pas que ce Prélat, penfionnaire de l'Ei'-
pagnol, & qui s'eiloit déclaré tout ouverte-
ment ennemi du Roy, n'eftoit à Rome que
pour luy rendre auprès du Pape tous les mau-
vais offices qu'il pouvoit, ôc pour y décrier
éternellement ia conduite par les médilances
&c par les calomnies. .,.-..
Le Roy eût toutefois tant de bonté, que peu
de jours après il luy fit donner mainlevée de
tous les revenus, pour complaire au Pape qui
l'en avoir prié par Ion Nonce Morofini : mais
il fit dire aulTi au Pape qu'il le iupplioit d'aver-
tir fecrctement ce Cardinal de ne plus retom-
ber en une faute 11 énorme, & que s'il le fai^ J^^_,„^ ^ f^
foit , Sa Sainteté le chargeroit de punir neou- C"/""- ■"'*■
reuiement cette mjure, comme li elle eltoit /.«.*. <..
— ii8 Histoire de la Ligue.
1587 faire à clle-mefme. Pour le prefent, il fe con-
tenta d'adoucir l'aigreur du Duc de Guife par
de belles paroles, l'alTeûrant qu'il pourvoiroit
à tout de forte qu'il auroit tout fujet d'eftrc
fatisfait. Et comme après l'avoir encore exhor-
té à faire la paix avec le Navarrois , il vit qu'il
eftoit toujours inflexible fur ce point-là, il prit
enfin la réfolution de difpofer tellement des
forces qu'il avoir déjà (ur pied, &c de celles
qu'il attendoit encore des Cantons Catholi-
ques, qu'il put trouver les voyes de fe rendre
maiftre de tout, en affoibliffant le Roy de Na-
varre & la Ligue, Ôc en diffipant l'armée Alle-
mande.
Pour cet effet, il voulut avoir trois armées;
l'une bien forte, fous le commandement du Duc
de Joyeufe en Poitou, contre le Roy de Navar-
re , qui ne pourroit encore avoir, à ce qu'il
croyoit, affez de forces pour luy réiifterj l'au-
tre en apparence, & fur le papier, du moins aufïî
forte, mais en effet beaucoup plus foibic, fous
le Duc de Guile, contre les Allemans, defqucls
il pouvoir raifonnablement efperer, vcû leur
grand nombre, que ce Duc feroit batu, ce qu'il
croyoit avoir grande raifon de Ibuhaitcr j &c la
ttoiiiémc, incomparablement plus forte que les
deux autres, 6c qu'il commanderoit en per-
ionne , pour empefchcr les Eftrangcrs, qui fe-
roient fort affoiblis d'une il longue marche, de
paffer la nvierc de Loire, & de fe joindre au
Roy
L'IVRE II. ' izp '■
Roy de Navarre, & pour les obliger en fuite, 1587.
en traitant avec eux, de retourner en leur pais:
après quoy il le trouveroit en eflat de réduu-c
ficilemcnt les deux partis à l'obciiTance qu'ils
luy dévoient.
. A la vérité ce defTein n'cftoit pas mal con-
certé : mais par la lage conduite ôc par la va-
leur d'une part du Roy de Navarre, Ôc de l'au-
tre du Duc de Guile, tout ce beau projet rciif-
fit de toute autre manière qu'il ne le l'eftoïc
imaginé. Ceft ce qu'il faut maintenant que je
fade voir, en décrivant exactement & par or-
dre les exploits de ces trois armées qui curent
des fiiccés bien differens.
Le premier qui fut obligé de le mettre en
campagne fut le Duc de Joyeuie, pour s'op-
polcr aux progrés que le Roy de Navarre com-
mcn(^oit à faire en Guyenne (S: en Poitou, Ce
Duc clloit ce fameux Favori que le Roy, pour
fe conioler de la perte qu'il avoit faite de fes
autres Mignons, Quelus & Maugiron tuez en
duel , &c Saint Megrin qu'on aflalTina au for-
tir du Louvre, prit plaiiir d'élever à tout ce
qu'il y a de grand dans le Royaume ^ jufqu'à
le faire Ion beaufrere , en luy failant époufer
la Prince (le de Vaudémont Marguerite locur
de la Reine, & le comblant en fuite de toutes
fortes de biens & de grâces, qu'il répandoit a
pleine main iur luy fans règle &c fans meiure,;
de forte qu'il fembloit qu'il voulut^ partager _-
130 Histoire de la Licite.
I j 8 7. avec luy fa Couronne, ôc l'égaler à Coj-mcCmci
ce que la Royauté , ni conlequcmmenc l'ami-
tié d'un Roy ne fouffre pas, conime celle des
autres hommes.
Il cft vray que de tout ce grand nombre de
Favoris ôc de Mignons qui le rendirent infup-
portables ious ce Règne, particulièrement aux
Princes &: aux Grands , par l'inlolente manière
dont ils abufoient de la faveur du Prince, ce-
Mem.'decaf, luy-cy fut Ic moins odieux de tous. Car outre
'B^fieq.sf.17. 4^'^^ eltoit d'une naifTancc beaucoup plus illus-
tre que tous les autres , il eftoit encore lans
comparaifon de meilleur naturel , eftant doux,
obligeant, civil, bienfaifant à tout le monde,
& lur tout magnifique au-delà de ce qu'on
en peut dire, comme s'il euft entrepris d'égaler
la grandeur de la fortune par celle de feslibe-
ralitez, qui pouvoient en quelque fac^ondifpu-
ter avec la prodigalité du Roy ion Maiftre,
juiques-là qu'ayant un jour trouvé, au fortir
de la chambre du Pvoy , les quatre Secrétaires
d'Eilat qui l'avoient long-temps attendu, après
s'en eftre excuié fort civilement, il leur fit pre-
lent des cent mille écus dont ce Prince vcnoit
de le gratifier.
Mais comme avec toutes ces bonnes quali-
tez il eftoit afTcz vain, & qu'il fe croyoït ca-
pable de tout, quoy- qu'il n'euft encore nulle
expérience: le Duc d'Elpernon Ion rival, qui
vouloir profiter à la Cour de Ton abfence pour
Livre I T.
131
prendre le delTus dans la faveur, luy Hr adroi- ijSy.
tcmcnt inlpircr l'envie de commander l'armée
qu'on envoyoit en Guyenne contre le Roy de
Navarre. En effet, il la demanda, & il ne man-
qua pas de l'obtenir du Roy qui ne la luy put
refuier, quoy-qu'il l'eull promiie au Marelchal
d'Aumont, qui ayant autant de conduite, de
valeur de d'expérience que de fidélité, le tuil
bien mieux aquité de cet cmploy. .t :
D'abord il eût aflez de iuccés en Auvercrne, },um. de u
en Givaudan^ &c en Roûercrue, qu'il eût ordre ^'*- ^•'•. „
de nettoyer deHuc^uenots, pour delà pafler en
Languedoc, de puis en Guyenne, Il prit quel-
ques petites places affez fortes, entre autres Ma-
leziou, Marenghol, la Peyre en Givaudan, &c
Salva2;nac en Roûerojue, d'où il s'alla prefen-
ter en bataille à la veûe de Touloute, comme
pour faire Ic^avoir au Parlement qu'il eftoit ve^
nu le joindre au Klarelchal de Joyeule ion pè-
re Lieutenant de Roy en Languedoc, pour dé-
livrer cette erande ville du fardieux voiiinaee
des Huguenots. Apres quoy, comme ion ar-
mée efloit fort diminuée par les maladies, &z
par la retraite de pluiieurs de la NoblcfTe en
leurs mailons, il la laifla au Marquis de Lavar-
din Jean de Bcaumanoir fon Marelchal de
Camp, & s'en retourna en pofte à la Cour
pour y paffer l'hiver.
Il eût prefque le mclme fort l'année iuivan-
te , qui eit celle dont j'écris les éveiicmens,
Rij
131 Histoire i>e la Ligue.
zj-Sy. Car, comme on eût appris que le Roy de Na-
varre, qui s'cftoit mis en campagne au com-
mencement d'Avril, avoir déjà pris en Poitou
les places deTalmont, Chizay, Salay, Samt
Maixant, Fontenay, 6c Mauleon, il retourna
promptcment à l'armée avec un renfort de fix
a fept mille hommes, avec lelqucls il reprit
Saint Maixant, s'empara de Tonnay-Charantc
& de Mallezais, courut jufqu'aux portes de la
ç' Rochelle , &c tailla en pièces deux ou trois Ré-
gimens du Roy de Navarre qu'il for(^a dans
leurs quartiers. Mais après deux mois de cam-
pagne la pefte & les déferrions ayant extrême-
ment affoibli Ion armée, il reprit une leconde
fois le chemin de la Cour , laiffant encore fon
armée au Marquis de Lavardin, qui n'eût pas
le bonheur de la conlerver auffi-bien que l'an-
née précédente.
Car le Roy de Navarre , qui eftoit lorti de
la Rochelle, avec tout ce qu'il y avoit de trou-
pes, pour la harceler, ayant appris qu'elle fe re-
tiroit vers la rivière de Loire , la fuivit de fî
îlT/ï/' prés, que le vingt-huit & le vingt -neuvième
Morn«y, 1. 1. d'Aoult il futorit & tailla en pièces une par-
tie de la Cavalerie, & melme la Compagnie de
Genfdarmes du Duc de loixante & dix Mai(-
tres, qui furent tous tuez ou pris avec la Cor-
nette blanche. Tout ce que put faire le Mar-
quis de Lavardin après cette défaite , fut de fe
retirer bien vifte à la Haye lui la Creufe.
Livre II. 133 ■•
Ce fut devant cette place, qui ne fut pas ij^Z*
attaquée faute de canon , que le Roy de Na -
varrc receût le renfort de ux cens chevaux, &
de deux mille Arqucbuficrs que le Vicomte de
Turenne luy amena du Perigord & du Limou-
fin ; «S<: prelque en mefme temps le Prmcc de
Condé l'y vmt joindre avec la meilleure par- i
tie de laNoblefTe de Saintonçie. Et comme on
eût appris là-meime, que le jeune Comte de
SoilTons, qu'il avoit attiré dans Ion parti par
de grandes promefles, aulîi-bien que le Prince
de Conty frère de ce Comte, s'approchoit de la
Loire avec trois cens Gentilshommes & cinq
cens Arquebufîers à cheval, il s'avança julques
à Monioreau fur cette rivière , où le Vicomte
de Turenne , qui l'alla prendre au Lude avec
une elcorte de iept cens chevaux, l'amena fans
perte d'un leul homme , quoy-que tout le pais
aux environs fuft couvert d'ennemis.
Cela fait, on réfolut dans le Conleil de ne
point paffer outre pour s'aller joindre par le
droit chemin aux Allcmans, parce qu'on n'a-
voit pas encore afTez de force, ^ qu'on au-
roit fur les bras l'armée du Roy &: celle du
Duc de Joyeufe, qui affeûrément les battroient,
ce qui attircroit en luite la défaite de l'armée
eftrangere. Sur quoy on retourna dans le Poi-
tou, à deflein d'aller prendre par un long cir-
cuit le defTus de la rivière vers Roane, 6<: puii
pafler en Bourgogne, pour y recevoir l'armée
R ii;
. '134 Histoire de la Ligue.
1 j 8 7. Allemande , aux Chefs de laquelle le Roy de
Navarre dépefcha Morlas, pour les prier de
prendre cette route. Mais ce Roy n'eût pas le
loifîr d'exécuter cette cntreprife, parce qu'il fut
fuivi (î promptement par le Duc de Joycufe,
qu'il en fallut bicntoll: venir à la bataille, qui
fe donna de la manière que je le vais repre •
fenter.
i/^r, , !. l^f. Comme on eût appris à la Cour les nouveaux
^^fà'fuiv. progrés du Roy de Navarre, le Duc de Joyeu-
DAuiignê. fe, à qui le Roy avoit donné un renfort tres-
Kelation de U r J I I o • H. • ' J
hittaïUe de conliderable,ôs: quieltoit accompagne de tout
iT'Zn'T ce qu'il y avoit de plus brave & de plus leftc
joyeufe. en la parmi Ics icuncs Seigncui's de la Cour . qui, Cc-
Vse du Cari, f ) P- ■ \ r ^ a
de ce n,m. lon la couitumc , luivoient la taveur, reccuc
luan. 0<e. ^^^^^ d'aller au plûtoft rejoindre les troupes
qu'il avoit laiflees au Marquis de Lavardin,
êc de fuivre par tout le Navarrois, pour em-
pcfchcr la jonction avec les Allemans. Pour
cet effet, il le rendit à Tours; & comme il fceût
que ce Prince, quittant Monforeau, rebroufloit
en Poitou pour aller en Guyenne, il pourfui-
vit fon armée avec tant de viteflè, qu'il ga-
ena le devant dans la Saintono;e. De forte
qu'ayant pafle laCharante à Challeauneuf, en
coftoyant toujours à eauchc cette armée, il fc
rendit par Barbelieux à Chalais, fort prés de la
Drogne,lc mcfme jour dix-huitiéme d'06bo-
^"""'"J ^* bre que le Roy de Navarre , qui avoit paffé
Aiernay.t.i. pjus d. ûi'oitpar laïUcDourg, alla loger a
L I V R E I I, 13;
Monlicu un peu plus au-dc(jà de cette rivière, 1487.
avec quelque renfort, & le canon qu'il avoit
cû de la Rochelle.
Peu loin de cet endroit cette petite rivière
de Drogne fe jette dans celle de l'Ifle qui ell
un peu plus grande. Celle -cy prend la fource
dans le Limoufin prés de Saint Irier, &c l'autre
dans le Perigord auprès deBrantofme, & après
avoir coulé toutes deux eniemblc trois ou qua-
tre lieues , elles le vont perdre dans la Dordo-
gne tout contre Libourne, Un peu au deflbus
de l'endroit où ces deux rivières le joignent eft
litué le Bourg de Guitre, & un peu au deflus
on trouve celuy de Courras, avec unaflez bon
Chartcau luf la Droene entre les deux rivières.
Or comme il falloir necclTiirement que le Roy
de Navarre les paflaft pour continuer Ion che-
min vers la Guyenne, le Mareichal de Mati-
gnon Gouverneur de cette Province, l'un des
plus fidelles , des plus vaillans , de des plus fa-
ges Capitaines que la France ait jamais eus, ÔC
qui avoit ordre du Roy d'alTifter M.de Joyeu-
fe, luy avoit écrit qu'il luy conieilloit de fe
faifir promptement de ces deux Bourgs, Se de
s'y retrancher, l'alTeûrant qu'il le rendroit dans
le vingt-deuxiémc à Libourne avec toutes les
forces qu'il avoit pu aflemblcr de la Galcogne,
du Qucrcy, du Perigord, £c du Limoufin. Il ju-
geoit lagemcnt qu'il n'y avoit rien de plus ia-
lutaire que ce çonleil , parce qu'en le luiyant
i3<>. Histoire de la Ligue.
1587. on eurt ailément arrcfté le Roy de Navarre;
fans qu'il cuft ofé tenter le pallage ni au dcC-
fous, ni au dcfTus du confluent des deux riviè-
res ■■, ou s'il l'euft fait, on l'cuft tenu enfermé en-
tre deux armées, dont chacune n'auroit affaire
qu'à une moitié de la ficnne quand l'autre au-
roit pafTé la rivière de l'Ifle.
Mais la prévoyance, la promptitude. Se la
réfolution du Roy de Navarre d'une partj &cdc
l'autre, la témérité, la prélomption éc la vani-
té du Duc de Joyeule rompirent les juftes me-
fures que leMareichal avoit fi bien priles. Car
le lendemain Lundy dix -neuvième Lavardin
Marelchal de Camp de Joyeuie s'eftant avan-
cé iur le loir avec fix-vinsts Chevaux- Levers
pour le laifir du logis de Courras, trouva que
la Trimouïlle s'en elloit emparé une heure avant
fon arrivée avec plus de forces qu'il n'en a-
voit. De forte qu'il fut obhgé de s'en retour-
ner vers le Duc , qui alla paffer la Drogne plus
haut 3. h Roche-Chalais, où il le logea , tandis
que le Roy de Navarre, qui avoir luivi de bien
prés la Trimouïlle, faifoit paffer fes troupes au
gué de Courras. Ainii les deux armées le trou-
vèrent en melme temps entre les deux rivières,
à deux petites lieues 1 une de l'autre, fans qu'il
y eulf rien entre-deux qui luft capable de les
empefcher d'en venir aux mains fi elles le vou-
loient.
Car il y avoir de parc de d'autre de bonnes
raifons
Livre II. : I 137
raifons qui pouvoient leur ortcr l'envie de Te 1 5 S 7.
bacrc. Pour le Roy de Navarre, s'il pcrdoit la
bataille il n'avoir plus de rcfTource, puis qu'il
le crouvoic (ans aucunes forces à la diicretion
de deux puiflantcs armées qui l'accableroient;
& en la gagnant, il n'avançoit pas beaucoup
les affaires, puis qu'outre qu'il auroit encore
fur les bras l'armée du Marelchal de Matignon,
bien plus habile homme que Joyeufe, le Roy
en avoir trois autres lur pied qui le pouvoienc
joindre aifément, pour le mettre entre luy &
les Allemans , & empcfcher leur jondion.
Quant au Duc de Joyeule, il devoit confi-
derer qu'il auroit affaire à de vieux ioldats plus
af^uerris lans compauailon que les liens, qui
elloient pour la pluipart de nouvelles levées,
&c que les jeunes Gentilshommes qui l'accom-
pagnoicnt eftoient à la vérité gens de cœur,
mais qui n'avoienc non plus que luy aucune
expérience : ainfi , que pour agir prudem-
ment, il lalloic attendre le Marelchal de Ma-
tignon, qui leroit dans quatre jours au plus
tard à Libourne, d'où il pourroit fe joindre a,
fon armées & il le Roy de Navarre vouloit
l'en empcfcher, il le trouvcroit entre deux ar-
mées, dont l'une l'attaqueroit de front, tandis
-que l'autre luy donneroit à dos, C'cft ce que
la raifon vouloir qu'on tiil. îviais cette aveu-
gle paillon que ceL)uc avoit de combatrc pour
le remettre en crédit à la Cour, <3c retra- uex
138 Histoire de la Ligue.
1J87. dans la faveur du Prince l'avantage fur Ton ri-
val, par une cclebr;: vidoire que fa vanité luy
faifoit tenir pour indubitable, l'emporta fur de
fî fortes confiderations , &c fur toutes les loix
de la guerre &c du bon (ens.
En fuite, comme il eût conclu le premier à
la bataille, en difant pour toute raifonque l'en-
nemi qu'il tenoit enfermé entre deux rivières
ne pouvoir plus luy échaper, pourveû qu'on
allail droit à luy avant qu'il euft le temps de fe
fauver, toute cette jeune Nobleffe qui l'envi-
ronnoit fit tant de bruit, en luy applaudiflant,
de ensuit y 'Bataille j bataille, qu'elle entraifna dans
le mefme avis tout le relie , qui ne put, ou n o-
fa s'oppofer à ce torrent. Et il y eût tant de
préfomption dans ce Conieil qui fut tenu fore
à la haile , que le Duc , comme ties-afrcûré de
vaincre, bc ne craignant autre choie, finon que
l'ennemi ne luy échapaft avant qu'on le puft
- joindre , commença mefme avant minuit à faire
marcher l'armée vers Courras, pour y attaquer
le Roy de Navarre dés la pointe du jour. Mais
ce Prince ayant fceii cette réfolution par fes
Coureurs, hc voyant bien qu'elle l'obligeoit à
Ja bataille , pour le danger extrême qu'il y a
toujours d'eilre batu quand on fe retire à la
veiië de l'ennemi, ne manqua pas de luy épar«
gner une partie du chemiin.
En efiet, après qu'on luy eût rendu compte
d'une allez rude efcarmouche qui s'cftoit faite
Livre II.'* ' 139
durant la nuit entre les Coureurs &c une par- 1587.
tic de la Cavalerie légère des deux armées, fans
beaucoup d'avantage de part ni d'autre , il mon-
te à cheval un peu avant le jour, &s'avan(^ant
vers l'ennemi, il va prendre Ton champ de ba- ^' -^"^'i»^'
taille dans une plaine de i\:ii a icpt cens pas de
diamettrc, au-delà d'un petit bocage, à une
demi-lieuë de Courras, ayant ce Bourg à dos,
à fa gauche la Drognc , qui termine la plaine
de ce coité-là, & à (a droite une garenne, un
taillis coupé depuis un an, & une cfpece de
parc fort petit, fe courbant vers les ennemis,
& retranché iculement d'une haye & d'un fof-
fé. Ce fut-là qu'il rangea lelon cet ordre fou
armée, qui n'eftoit que de quatre à cinq mille duvïu.
fantallîns, & d'environ deux mille cinq cens
chevaux.
Il mit à la droite le plus gros des deux ba- i^em. de u
taillons de fon Infanterie, compolé des Réei- ^'^?' '"^'
mens de Caftelnau , de Parabere , de Sali^nac,
& de quelques autres troupes, qui s'étendirent
dans la garenne, s'avançant julqu'àla haye, 8c
au foifé qui retranchoit le petit parc dont ils
efttoient couverts. Ceux-cy eftoient louftenus
à gauche de l'Elcadron des Chevaux -Lcf^ers,
ayant à leur telle laTnmouïlle, Vivans, Aram-
bure, 6c Yignoles qui les commandoienr, ôc D'Anhii^ê.
devant eux lix vingts Arquebufieis pour en-
fans perdus. Suivoit, en tirant toujours fur la
gauche, toute la Gendarmerie divifée en qua-
14© HlSTÇTlRE DE LA LiGUE.
If 1^7*^ tre Eicadrons» Le premier cftoit de plus de
deux cens Gentilshommes prcfque tous Galcons,
commandé par le Vicomte de Turenne, ac-
comp^igné de Pardaillan, de Fontrailles, ôc de
• " Cboupes.
Vcnoit après, à loixante pas de diftance,
l'Efcadron de M. le Pruice, qui avoit avec luy
Loûïs de Saint Gelais Mareichal de Camp, des
Aiiucaux, Montaterre, le Vicomte de Gour-
don, le Vidame de Chartres, & plus de deux
cens cinquante Maiftres. Il y avoit un inter-
valle de cent cinquante pas entre le Prince &c
le Roy de Navarre, qui eftoit à la telle de fon
Elcadron de trois cens Gentilshommes, entre
.•..^,. Iclquels eftoient les Seigneurs de la Force, de
Ponts, de la Boulaye, & de Foix-Candale qui
portoit la Cornette blanche. Suivoit enfin le
jeune Comte de Soiflons , ayant prés de ioy le
fameux Capitaine Favas, de deux cens chevaux
dans Ton Efcadron, diftant de ccluy du Roy
d'environ ioixante pas, ôc fermé fur la gauche
le long de la rivière, d'un autre aifez gros ba-
taillon formé de l'élite des Récrimens de Char-
bonnieres, du jeune Montgommery, de Préaux,
de la Borie , 6^ de Neuvy.
Tous CCS Elcadrons avoient un irrand front
Se peu de hauteur pour avoir plus d'étendue i
& le Roy de Navarre , comme il l'avoit veû
pratiquer à l'Admirai de Coligny, avoit jette
dans leurs intervalles, aux eflriers des Cavaliers,
Mem. lie ta
,1 • r t' I V R E II.: r:-^ 141
à droit & à gauche, des pelotons de quinze de iS^7'
de vingt Arquebuiiers , qui partie un genou
en terre, partie à demi -courbez, &c partie de-
bout pour ne pas s'entrenuire, cievoicnt tirer à
coup leur de quatorze à quinze pas lur les en-
nemis Et l'on Artillerie qu'il avoir lailTée le foir D'AnHiné,
du jour précèdent au-delà de la nviere, afin de
la pafler plus vifte pour gagner Courras, cf^
tant arrivée là deflus fous la conduite du Grand-
Maiftre Georges de Clermont d'Amboile, fut
placée tres-avanrageufemeut fur une petite
hauteur à la main droite du Comte de Soiiîons.
Ainfi fat rangée cette armée en forme de croif-
lant, dont les deux bataillons d'Infanterie plus
avancez que les Efcadrons vers l'ennemi fai-
foient les deux cornes, & l'entre-deux des Ef-
cadrons du Prince de Condé & du Vicomte
de Turcnne formoient le milieu.
Cependant le Duc de Joycule ayant palTé D»viu.
avec beaucoup de peine &c de dclordre , caufé
par la jeune NoblclTe volontaire dont on ne
pouvoit arrefter la fougue, certains falcheux
défilez qui citoient entre Ion logis & la plai-
ne , le Marquis de Lavardin Ion Marcfchal de
Camp, grand homme de guerre, fur lequel il
fe repofoit , y mit , comme il put , en bataille
cette armée, qui ne montoit alors à gueres plus
de neuf mille hommes, & gardoit tres-pcu de ■
difcipline. A l'oppofite du ^ros Bataillon qui
tcrmoit la droite des ennemis, il rangea lur la
S iij
142. Histoire dé la Ligue.
j j 8 7. gauche les Régimcns de Picardie & de Ticrcc-
lin , qui formoient un Bataillon de dix - huit
cens Moufquetaires couvert d'environ mille cor-
celets. Ils avoient à leur droite les Ciievaux-
Légers & les Albanois commandez par leur
Capitaine Mercure Buat, & un autre Efcadron
de quatre cens lances que Lavardm voulut
conduire à la place du fieur de Souvré dan-
gereufement blefl'é d'une chiite. Montigny,
qui en commandoit un autre de cinq cens lan-
ces, fut placé lur la meimc main, ôc oppoié à
celuy du Vicomte dcTurenne; après quoy,en
tirant vers laiiviere qu'ils avoient à droit, on
étendit en haye, vis-à-vis des trois Princes, un
gros de douze cens lances, où eftoit le Géné-
v'Ai.b'grj. j-^i ^ j^ Cornette blanche portée par le Heur
de Mailly-Brelïay.
Toute la jeune Nobleffe volontaire, Se la
plufpart des Seigneurs & des Gentilshommes
cftoient dans ce eros, dont le premier rano n'eC
1 ■ 1
toit que de Comtes, de Marquis & de Barons^
ayant à leur telle le Duc de Joyeufe accom-
pagné de ion cadet le Marquis de Saint Sau-
veur, & du brave Saint Luc; & pour fermer la
pointe droite, on mit entre la Cornette blanche
& la Drogue un autre gros Bataillon compofé
^i,u7i'H.]uire ^^^ Régimcns de des Clufeaux & de Verdui-
</« czrjinj iant, (oullenus de lept Cornettes d'ArgouIets
^' ' * ou d'Arqucbuliers à cheval : ce qui pouvoir faire
un gros de prés de trois mille hommes. L'Ar-
yiem. de la
L'gue.
L I V R E I T. T43
tillcrie, qui comme celle du Roy de Navarre IJ87,
n'eftoit que de tres-peu de pièces, fut placée,
avançant un peu lur la droite, entre le gros
Efcadron du Duc de Joyeufe &c celuy deMoii-
tigny.
Les deux armées , qui demeurèrent en pre- i^,"^- ''' '»
Icnce près d une heure ians s ébranler, railoicnt
voir deux fpeâracles bien differens. Car d'une
part on ne voyoit que des armes dorées & fu-
perbement damalqumées reluire au foleil , des i>'^«*'*'»«'-
lances pemtes ùc toutes couvertes de rubans,
avec leurs banderoUes volticreantes au eré du
vent, de riches calaques de velours, avec de
grands pafTemens & galons d'or àc d'argent,
dont chaque Compac^nie cftoit revcftuë diver-
fement félon les couleurs de fon Capitamc , de
belles & çrrandes plumes flotantcs fur les caf-
ques a gros bouillons, de magnifiques échar-
pcs en broderies, avec de longues franges d'or;
& tous les jeunes Cavaliers portant les chiffres
& les couleurs de leurs Maiftre(fes, & aulli pa-
rez que fi l'on eufl deû faire un carroufel &c non ,
pas donner une bataille. Enfin, l'on euft pu.
dire que c'eftoit une armée toute équipée à la
Perfienne, tant on y voyoit de luxe & de pom-
pe, & tant il y avoic d'or àc de ioye fur les
nommes & fur les chevaux.
Mais d'autre part on ne voyoit que de vieux
foldats endurcis au travail , avec une mine fie-
re &: menaçante, mal peignez ^ mal veftus,avec ■■^- A-- i
vS
144 Histoire de la Ligue.
I j- 8 7. leurs grands bufles tout crafleux lur leurs habits
de bure prefque tout ufez , n'ayant pour toute
parure que le fer & de bonnes armes, montez
îur des chevaux faits à la faticrue, (ans houfTe,
fans caparaflbn, & fans aucun autre ornement
que leur Cavalier 5 enfin une lecondc armée
d'Alexandre contre un autre Darius.
Ces deux armées fi différentes s'cftant alTez
confiderées l'une l'autre pour prendre leurs me-
-V-' •- fures, le Roy de Navarre, comme il eftoit dé-
jà prés de neuf heures, fit faire par tout la
prière, pour demander a Dieu la victoire, pro-
teftant tout haut que ce n'ciloit point contre
Ion Roy qu'il alloit combatte , mais contre
des Ligueurs, qui avoient entrepris d'abbatre la
Mailon Royale , en privant de fon droit l'hé-
ritier prélomptif de la Couronne. On ne fit
pas la meimc choie dans l'armée du Duc de
Joycuie. Au contraire, comme on apperceût le
mouvement que ces gens-là failoient pour prier
Dieu , quelques - uns de ceux qui eitoient les
pfr'LTJe plus proches de ce Duc fe prirent à crier, en fe
Mfnry 211. jTioquant d'eux. Ils font à nous, ils tremblent les
poltrons. Mais le fieur de Vaux Lieutenant de
M. de Bellegarde Gouverneur de Saintonge,
iuy dit, Non, non, Adonfieur, n'en cfoje:^ rien, je
les connois mieux que ces gens - là : ils font maintenant
les dsiots, mais ils combatront tantoji comme des lions.
Sur cela, le canon commence à joûer. Ccluy
r>Ani<ir.i. tlu j^oy de Navarre donna du premier coup
dans
L I V R E I I. I4J
dans la Cornette blanche du Duc, ce qui fut 1J87.
un mauvais prélao-e pour luy ; & toutes les au- D<iviu.
très volées donnant au travers de 1 cpailie ro-
rcrt de lances de leurs Elcadrons dans ce gros
bataillon qui fermoir la pointe gauche , il mit
tout en dcfordre dans le Régiment de Tiercelin,
d'où il cmportoit les rangs tout entiers. Au
contraire, celuy du Duc fut il mal exécuté,
qu'outre qu'il ne répondit à l'autre que long-
temps après que ce tonnerre eût commencé, il
ne tua jamais qu'un feul cheval de l'Elcadron du
Prince de Condé , parce que ce canon fut fi
mal placé, &: que les Canoniers prirent \^ui Mem.de u
vifée fi bas, que les boulets s'cnfonçoient dans ^'-^ '" *"
la terre un peu élevée en cet endroit, avant
que d'arriver à l'ennemi.
Alors Lavardin criant à Ton Général que tout
cftoit perdu fi l'on donnoit aux ennemis le
temps de recharger, fait ionner la charge, &
s'eftant joint avec ion Efcadron à ceux des Che-
vaux-Légers &: des Albanois, va donner avec
tant de furie dans le gros de la Cavalerie-Lege-
re, qu'ayant renverfé d'abord à grands coups
de lance la TrimouïUe & Arambure , & blcHe
grièvement Vivans, tout cet Efcadron fut en-
foncé, rompu, mis en déroute, & pouriuivi
jufqucs dans Coutras, où les Albanois fe mi-
rent à piller le bagage que le Roy de Navarre
y avoir lailTé. En melme temps Montigny, qui
cftoit vis-à-vis du Vicomte de Turenne, zïo\x^v>'AHhisnf,
.T
i^6 Histoire de la Ligue.
{ 587. vant le flanc de les Galcons découvert par la
fuite des Chevaux-Legcrs qu'ils avoient à leur
droite, les enfonça fî vivement par là, qu'il
perça ôc ouvrit fans peine d'un bout à l'autre
cet Efcadron , qui fe trouvant tout en defor-
dre, fut contraint de lafcher le pied aufli-bien
que la Cavalerie Légère. Il y en eût mefme, ôc
ue ceux qui paflfoient pour les plus braves, que
cette foudaine frayeur dont ils furent laids em-
porta fi loin, qu'ils fe fauverent au-delà de la
rivicre, &: allèrent porter, en fuyant toujours
jufqu'à Pons, la faulTe nouvelle de la défaite
entière de l'armée, dont ils eurent après tant
- de regret, qu'ils en moururent de honte &c de
douleur. Et cette fuite de ces Efcadrons fut fi
précipitée &c fi générale, qu'il n'y eût d'abord
que Turcnne ôc Choupes avec un autre Gen-
tilhomme , auquel la Trimouïlle & Aramburc
s'allèrent joindre, qui demeurèrent fermes, &c
qui ayant elle remontez, ôc fe voyant aban-
donnez de leurs gens , le jetterent dans l'Efca-
dron du Prince de Condé pour y combatte à
les collez.
Il ell vray que la plufpart de ces fuyards
s'cftant bientoft ralliez, fe remirent en ordre
derrière les Efcadrons des Princes, pour répa-
rer leur faute, en combatant, comme ils firent
après, très -vaillamment. Cela pourtant n'em-
pefcha pas qu'il ne leur falut efiuycr une fan-
.■ ■ glante raillerie de leurs gens mefmes. Car com-
Livre II. 147
me il y a d'ordinaire de la jaloiific, Ôz niclme 15S7.
quelque cipece d'inimitié entre les Provinces
voifines, ceux de Saintongc & du Poitou, qui
n'aimoienc pas trop les Gafcons , ôc qui d'ail- r>'>*"^'X'"'-
leurs avoient quelque dépit de ce que le Roy
de Navarre les loûoit allez fouvenc avec un
peu d'excès, les voyant en delordrc, ôc puis en
fuite, fe mirent à crier aufli haut qu'ils purent,
comme le Seigneur de Montaufier qui leur en
donna l'exemple , c^« moins on ne fourra pas
dire que ce Joient-U m des Poitevins, ni des Sainton-
geou. Cela fit frémir de colère les Galcons: mais
toute la vengeance qu'ils en prirent, fut de s'ef-
forcer, comme ils firent, par une noble ému-
lation, de faire encore mieux que ces vaillans
hommes.
Au refte , ce premier defordre, bien loin d'en
attirer encore un plus grand, comme il arrive
d'ordinaire, ne fit qu'augmenter le courage &
la valeur des autres. Car d'une part les Fantaf-
fins de la pointe gauche, qui s'eftoient brave-
ment avancez jufqu'au bout des piques duçrros
Bataillon de des Cluleaux, ayant veû delà les
Gaicons & les Chevaux-Légers en fuite, &: en-
tendant le cry de victoire qu'on jettoïc déj*
dans l'armée du Duc , ne laiflent pas de pafler
outre, & de faire de près une furieule déchar-
ge: puis jcttant le moufquet à gauche, mettant
l'èpée à la main, & fe criant les uns aux autres
par un généreux delefpoir. Il faut que nous allions
14S Histoire de la Ligue.
1/87. tous mourir dans ce Bamllon, ils s'y font pafTa^c
au travers des piques qu'ils coupent ou qu'ils
détournent à grands coups d'épée, ils y en-
trent, ils l'enfoncent, ils y font une horrible
exécution.
D'autre part, les Gentilshommes èc les Ca-
valiers des Efcadrons des Princes voyant ceux
de leurs compagnons qui fuy oient, & leurs erv=
nemis qui couroient après, &c poufloient de
grands cris de joye, regardoient tout cela d'un
œil fier &: mépriiant, &s'entrediloient en riant.
Ces gens - là ne tiennent encore rien , cejl à nous
enfin au il faut quon ^vienne. En effet, ils y vin-
rent. Car le Duc de Joyeufe enflé de cet heu-
reux fuccés du premier choc , &c croyant aller
à une victoire toute certaine plùtoft qu'au com-
bat, fe jette au-devant de la grofle troupe ma-
gnifiquement paré de fes belles armes toutes
brillantes d'or, d'argent & d'émail, tout cou-
vert de plumes &c de rubans ; &c faiiant fignc
de la voix & de la main à tous les braves de le
fuivre, ils prennent tous enlemblc leur carrière
de quatre cens pas, & courent à toute bride, la
lance en arreft, contre les trois Princes.
Cependant le Roy de Navarre, qui ce jour-
là n'elloit couvert comme tous les autres que
de fimples armes grifes fans aucun ornement,
la falade en tefte , ôc le vifage découvert pour
eftre reconnu dans le plus fort de la méfiée,
parcouic les rangs , exhorte en peu de paroles
L I V R E I T. x^ff
les plus proches , de du gcftc de des yeux les i j 8 7.
plus cloi£;nez,à bien combatre pour les droits
de Li Maifon Royale, &: à faire leulcmcnc com-
me luy : puis il mec devant loy huit Gentils-
hommes des plus forts armez de grolles lances
pour renverfer les premiers qu'il auroit en telle,
ôc luy faire un paflage pour entrer dans leur
Efcadron. Il fait en fuite avancer fes gens feu-
lement dix pas, de attend de pied ferme l'en-
nemi, ordonnant à fes Cavaliers, qui n'avoienc
pour la plufpart que les piftolers ôc l'épée , de
ne tirer que de fort prés, pour ne perdre pas
un leul coup.
Cet ordre bien exécuté fut la caufe du craiii
o
de la bataille. Car ce ^rand corps de gendar-
merie qui venoit à la charge au grand galop ,
fe trouva d'abord bien éclairci par la funcule
décharge que firent iur les premiers rangs les
Arquebufiers que les Elcadrons des Princes a-
voient aux eftriers. Plufieurs de ces Marquis
& de ces Comtes 6i de ces jeunes Courtifans
qui y avoienc voulu eftre placez en furent ab-
batus ; ôc comme les autres, pour avoir pris
leur courte de trop loin, elloient tout hors
d'haleine quand il fallut donner le coup de
lance, ces coups furent fi foibles, qu'ils ne fi-
rent prefquc nul effet , & les Princes les enfon-
cèrent avec tant de vigueur &de promptitude^
qu'ils ne donnèrent pas aux autres le temps de
baiffer leur bois qu'il fallut qu'ils jettalfenc
rjo Histoire de la Ligue.
1J87. pour prendre Tépée &: le piftolet. Ainfi ron
fut bicnroft réduit à combatre à armes pareil-
les, mais avec des fuccés bien differens.
Car les trois Efcadrons des Prmces eftant fe-
parez l'un de l'autre d'une jufte diftance & en
très -bon ordre , attaquèrent de trois coftcz:
celuy de Joyeufe, qui n'cilant que trop éten-
du, eftoit encore tout en confulion Se en de-
iTufj/' tordre. Le Roy de Navarre le chargea de fronts
les deux Princes le prirent par les flancs, le Com-
te de Soiflons a droit, Se le Prince de Condé
à gauche. Ils firent tous trois en cette fanglan-
re mcflce tout ce que l'on pourroit attendre
des plus vaillans hommes du monde : iur tout
■D'Auhignc. le Roy de Navarre, pour animer les fiens, qui le
J5« ^iijf'!- voyoiciit s'expoier au péril comme le moindre
des ioldats, donna par tout des preuves admi-
rables de ion courage. Il en vint mefme jufqu'i
colleter dans la prefTe ceux que l'ardeur du
combat ou la foule des combatans poufToic
par hazard contre luyj & fe trouvant entre
deux vaillans hommes , le Baron de Fumel & le
fieur de Chafl^eau - Renard Guidon de Sanfac^
qui venoient à luy l'épée haute, en mefme
temps qu'un Gendarme frapoit d'un tronc^on
de lance fur fa falade, il tire a l'un fon pifto-
let, empoigne l'autre qu'il fait fon prifonnierg,
en criant, Rends -toj Phihjlin, & fe démefle du
îroifiéme, qui fut auflitofl arrefté par un de
les Elcuyers.
L I V R E I I. i;i
Enfin tout ce grand corps de gendarmerie i^'iy-
en quoy confilloit prefqiie toute la force de
l'armée du Duc ayant eftc fi vivement atta-
qué, enfoncé Ôz percé de tout colté, fut ren-
verlé, taillé en pièces, & entièrement défait en
moins de demi-heure , fans que l'on puft faire
aucun ralliment, non point par lalcheté, mais
tout au contraire, ce qui n'arrive gueres,par
le trop de coura2;e des vamcus. Car comme ils
eitoient pour la pluipart Seigneurs de marque,
ou Gentilshommes prefque tous jeunes, & pleins '
de courage & de feu, ils fongerent ii peu à
s'écarter, ou à fuir, qu'il n'y en eût pas dix de
tuez ou faits prifonniers hors du Champ de
bataille, où ils aimèrent mieux périr que de re-
culer d'un feul pas.
Après cette défaite, les vidtorieux s'eftant
joints à leurs Bataillons, qui animez par leur
exemple, combatoient avec preique autant d'a-
vantage contre l'Infanterie , ce ne fut plus un
combat, mais un horrible carnage de cette pau-
vre Infanterie, à laquelle on ne donnoit point
de quartier, parce quejoyeufe n'en avoir point
voulu donner aux deux Régimens qu'il défit
auprès de Saint Maixant. Pour ce Duc , com-
me il vit que tout eftoit perdu, au lieu de pren-
dre à droit pour le fauver à la Roche-Chalais,
il tourna fur la gauche pour aller au canon, ôi
y rendre un dernier combat, difant à Saint Luc sr^M/m.-.
qui luy demandoit ce qu'il vouioic fairc^ Ne
ip Histoire de la Ligue.
I j 8 7. vivre plus , Monfteur de Saint Luc, ç^r mourir gêné-
reufement après mon malheur. Mais il n'eût pas mef-
me en cela ce qu'il fouhaitoit. Car il n'eût pas
fait vingt ou trente pas vers Ion Artillerie,
qu'il tomba entre les mains des Capitaines Saint
Chriftophlc & la Viole j &: comme il leur of-
froit pour fa rancjon cent mille écus , que ces
deux Capitaines n'euflent pas efté trop marris
de recevoir , il en vint deux autres , nommez
Bordeaux & des Ccntiers , qui foit par hai-
ne, par vengeance, ou par dépit de ne l'avoir
pas pris pour avoir part à une Ç\ grande ran-
çon, luy déchargèrent lafchement leurs piftolets
dans la tefte , & le renverferent mort fur k
place.
Le vaillant Saint Luc, qui prit fur le champ
une réfolution aufïi généreufe, & beaucoup
plus hardie que la fienne, fut aufli plus heu-
reux. Car ayant appcrceû de loin le Prince de
Condé qui pourluivoit ardemment la victoire,
il va droit a luy la lance baiifée, le renverle
par terre d'un grand coup qu'il luy donne dans
la cuira{re,fe jette en fuite promptement à bas
de fon cheval , luy prefente la main avec un
extrême refpeâ: pour le relever, & le fupplie en
mefme temps de le recevoir comme fon priion-
nier ; ce que ce brave Prince, admirant le cou-
rage & l'elprit d'un fi vaillant & fi fage ennemi,
fit, en l'embralTant avec toute la générofité
dont il faifoit protelfion.
^ , Cette
L I V R E I I. Î53
Cette vidoire fut complctc. Les drapeaux, ijSy.
le canon, le bagage demeurèrent au vidtorieux,
avec le Champ de bataille couvert de quatre à
cinq mille loldats, & de plus de quatre cens
Gentilshommes de l'armée du Duc étendus fur
la place, entre leiquels, outre le Duc de Joyeu-
fe & ion jeune frcre de Saint Sauveur, eltoicnc
les Comtes de la Suzc, d'Avaugour, d'Aubi-
joux, les fleurs de Neuvy, du Border, de Mailly-
BrefTay, de Rouilay puifné de Piennes Guidon
de Joyeuie, de Vaux Lieutenant de Bellegarde,
d'Alluin, de Fumel, de Rochefort, de Croi-
fettc , de Tiercelin Saveule Meftre de Camp, &c
le fieur de Saint Lary- Bellegarde fils du Ma-
refchal de mefme nom,6(: Gouverneur de Sain-
tonge & d'Angoumois, qui eftant pris griève-
ment bleffé mourut peu de temps après de fes
bleffeûres. Prefque tout ce qui refta de cette
armée fut fait pri(onnier, à la rélervc des Al-
banois , qui abandonnant le pillage où ils s'a-
mufoient à Coutras , fe fauverent , ôc du Mar-
quis de Lavardin, lequel n'ayant pu rallier fes
gens qui avoient pouriuivi trop loin les fuyards,
fe retira prefque tout leul à la Roche-Chalais,
avec un Drapeau qu'il iauva du Régiment de
Picardie.
Cette retraite fut très -honorable à ce vail-
lant homme, qui ayant renoncé auCalvinifme
que fon père avoir embrairé,combatit en cette
journée contre le Roy de Navarre, comme con-
V
154 Histoire de la Ligue.
î 5 8 7. tre le Chef des Huguenots. Mais peu de temps
après s'ellant jette dans Ton parti pour la dé-
fenie de l'Eilat &c des droits de la Couronne,
il combatit toujours pour luy contre la Ligue
avec tant de fidélité , de valeur ôc de condui-
te , qu'il en receût enfin pour récompenfe de
fcs longs fervices le Bafton de Mareichal de
France.
Au refte , une fi belle vidoire ne confia au
Victorieux que cinq ou fix Gentilshommes, &c
quelque cent ou fix -vingts foldats; &c ce qui
la rendit encore beaucoup plus illullre , fut la
merveilleute clémence du Roy de Navarre. Il
arrclla par la prelence la fureur du foldat qui
faiioit main baiTe fur l'Infanterie. Il receût tous
les priionniers de qualité avec une extrême
bonté ; il les confola de leur perte , en louant
leur courage j il les renvoya prefque tous fans
rançon : il rendit aux parens les corps de ceux
qui avoient péri honorablement fur le Champ
de bataille, &c fur tout celuyduDuc dejoyeu-
fe, à qui le Roy, pour continuer fa faveur en-
core après fa mort, fit faire de magnifiques fu-
nérailles avec une pompe Royale. Enfin ce gé-
néreux vainqueur eût tant de modération, qu'il
, envoya fur le champ proteflcr au Roy qu'après
cet avantage il ne demandoit rien que l'hon-
neur de fes bonnes grâces, & la paix que Sa
Majefté avoir eu la bonté de luy donner, Ôc
que leurs communs ennemis avoient rompue.
L I V R E î I. 1^1
Mais après tout, il faut que l'on avoue de 1587.
bonne foy, que s'il eût la conduite & la valeur
d'Annibal en cette bataille , il eût auflï com-
me luy le malheur de n'avoir pas fceû l'art de
bien ufer de fa vi6loirc, ou qu'il ne s'en vou-
lut pas fervir. Car ioit que les vainqueurs en-
nchis des dépouilles des vaincus foupiraflent
après le repos pour joûïr à leur aile de leur MtnohtsJe
butin i loit que la NoblelTe qui l'avoit fuivi '!!?/'
1 ■ r c a ' ^ I r • ^ ^■'«^'in-
volontairement ne le ruit engaiiee a le lervir
que juiques environ ce temps - la 5 ou qu'ayant
afïbibli par fa vidoire le parti de la Ligue, il
ne vouluft pas que celuy des Huguenots, qui
fe fîoient plus au Prince de Condé qu'à luy,
devinft trop fort ; foit enfin que certains encrj-
gemeiis peu dignes d'un héros vidorieux le D'ArM^né.
rappellalîcnt en Bearn: il ell certain qu'il con-
gédia ion armée julqu'à un certain temps, ôc
qu'il repafïa bien viRe la Garonne avec une
partie des Cornettes &c des Drapeaux gagnez
îur l'ennemi, qu'il voulut prefenter a la per-
fonne qu'il aimoit, au heu de fe mettre en ellat
de recueillir le plus grand fruit qu'il pouvoic
efperer de la victoire, en s'allant joindre prom-
ptement, par le détour qu'il avoir pris, à cette
grande armée d'Allemans qui marchoit à Ion
fecours , Se dont il faut maintenant qjue je
parle.
Car tandis que ces chofes fe faifoient en Fran-
ce j les Princes Proteitans d'Allemagne furieu-
V 11
i;^ Histoire be la Ligue.
1587. fcment irritez de la rcponlc fiere &c outrageufe
que le Roy avoir faite à leurs AmbafTadeurs^
mirent fur pied la plus puiflantc armée qu'ils
cufTent encore envoyée en ce Royaume pour
fecourir les Huguenots. Il y avoit dans cette
armée huit mille cinq cens Reitres, cinq à iîx
mille Lanfquenets , & feize mille SuifTes, que le
fîeur de Clervant avoit obtenus des cinq Can-
tons Proteftans pour le Roy de Navarre y outre
quatre mille autres qu'il avoit laifTez en pafTanc
■ dans le Dauphinc, pour renforcer l'armée de
Lefdiguieres , mais qui avant leur jonction fu-
rent entièrement défaits par le fameux Colo-
nel Corfe Alphonfe d'Ornano. Le Duc Jean
Cafîmir, dont j'ay alTez parlé dans mesHilloi-
.:: . • • • • res du Lutheranifme & du Calviniimc, devoit
commander en perlonne les Allemans : mais
comme on eftoit fur le point de fe mettre en
marche, il s'en excuia,fur ce qu'il eftoit obli-
gé de demeurer en Allemagne pour y gouver-
ner le Palatinat pendant la minorité du jeune
Elcdleur fon neveu. De forte que l'on fut con-
traint de recevoir le Baron de Dona fon favo-
ri, qu'il avoit réfolu depuis long-temps de fub-
ftituer en fa place.
Il faut rendre juftice au mérite d'un chacun,
en difant nettement la vérité , fans fe laifler al-
ler aux préjugez, lur des opinions communes
tres-fouvent mal fondées. Qupy- que la pluf-
part des HJftoriens Fran<^ois ôc Italiens aycnt
L I V R E I I. IJ7
parle peu avcintageufcmcnt de ce Baron, il cil iJ^T-
pourrant certain qu'il eftoic d'une nailîancc à chromc.sîif».
loultcnir la qualité de General, & cju clic nel- pn-^Ug.
toit point du tout au dellous de cet cmploy, iTjUnfifr!'
puis qu'il cftoit d'une des plus anciennes & des
plus lUurtres Maiibns de la Prufl'e , & que les
Anceltrcs avoient polTede depuis plufieurs fic-
elés la dignité de Burgrave, qui eft une des
plus confiderables de l'Empire. Il avoit aufïi
de l'elprit, de l'adrefle, &c beaucoup de cœur:
mais d'autre part il n'avoit pas afTez d'autorité
ôc d'expérience pour conduire une aufli grande
armée que celle-cy , dont la pluipart des Chefs
ne s'accordoient2;ueres,&:ne vouloient pasluy
obéir,
AufTi ne fut -il à proprement parler que
Général des Reitres, quoy-que les Lanfquenets
&: les SuifTes le reconnulTent pour leur Chef en
la place du Prince Cafimir. Ce fut le jeune
Duc de Bouillon que le Roy de Navarre avoit
nommé pour fon Lieutenant, qui eût le titre
de Général de cette armée ; mais il n'en ciit
pas pour cela le commandement abfolu, parce
qu'on luy donna un conleil compofé de ilx
Officiers François, & d'autant d'Allemans, avec
le Baron de Dona, qui décidoient de tout à la
pluralité des voix , ce qui caula bien du détor-
dre. Car ni les Allemans n'eftoient prcfque ja- Keut. d'un
mais d'accord avec les François, ni ceux-cy ^;7„'^2J,*^^'^
qui avouent de la jaloufic l'un de l'autre ne
ij8 Histoire de la Ligue.
I j 8 7 pouvoient eftre de bonne intelligence entre
eux. Il y en avoit mefme quelques-uns que le
Duc de Guife , le plus adroit de tous les hom-
mes, avoit (ccù gagner, de qui l'avertijOToient
fous main des réfolutions que l'on prenoit dans
le ConleiL
Relation d'un ^^ ^.^^^ aptés Que CCS Eftrançrers eurent
rravçok à la touclié unc partie de leur arg-ent que la Reine
imp i-a»nss. a Angleterre avoit rournii qu on les eut ailcu-
L'gucft. 'l ^^ <^u refte -, & qu'on leur eût promis que le
^'Ja'^^?'"^' Rov de Navarre les ioindroit bicntoft,&: qu'ils
iroubiti.é'c. n'auroient arraire qu'a la Ligue, & nullement
au Roy, qui n'cftoit armé que pour les aider à
la détruire : ils palTerent le Rhin environ le
vingtième d'Aouft, & trouvèrent dans la plai-
ne de Strafbourg Guillaume Robert de la Mark
Duc de Bouillon , & Ton frère Jean Robert
Comte de la Mark , qui les attcndoient là de-
. puis quinze jours avec deux mille hommes de
pied , & trois à quatre cens chevaux François.
Ain/î cette armée dans la reveûe qui s'en fit
auprès de Strafbourg (e trouva eftre d'environ
trente-trois mille hommes effc6tifs, tous gens
aguerris d>c bien équipez, fans compter les quinze
à feize cens fantalfins, & deux cens chevaux
que le Comte de Chaftillon,fils du feu Admi-
rai , y amena bientoft après , ^ environ deux
mille autres qui s'y joignirent dans la marche..
De lortc que quand elle entra dans le Royau-
me elle n'eftoit de gueres moins de quarante
L I V R E I I. Tj-p
mille hommes j avec dix -huit ou vingt pièces ijS/.
d'artillerie; ce qui afTeûrémcnt eiloit capable
de faire trembler ceux contre lelquels elle mar-
choit au Iccours du Roy de Navarre,
Aufli ce terrible tonnerre, dont l'éclat fe fai-
foit entendre de fî loin jufques à Paris, alarma
il fort le Confeil des Seize , que pour fe met- ^"f^'t^,^""'
tre à couvert de cette tempellc , qui les mena- j^^^^^ir. vro.
^oit de les mettre en poudre, ils envoyèrent ^''''"■/^J^-
aux principales villes du Royaume de nouveaux ■voyi^'^ux
Mémoires, 6c une nouvelle forme de lerment c'Jyeu 1. 1'.
pour les unir plus étroitement avec eux à leur ?• *"• «^ Z'"'^'
commune défenle, leur failant accroire, par
une extrême malignité, que c'elfoit le Roy
melme qui avoit appelle ces Hérétiques Eif ran-
gers, pour ruiner ceux qui défendoicnt la Re-
ligion Catholique, ô>: pour faire régner enFran-
ce l'Hérefie avec ceux qui la foullenoient. Mais
le Duc de Guiic , dont le grand cœur ne fut
jamais capable de la moindre lafcheté, prit bien
d'autres voyes pour arriver à cette meime fin ,
en ruinant cette formidable armée qui le me-
naçoit d'une ruine inévitable ; & il en vint
heureufement & glorieufement à bout, en fai-
fant, avec une admirable conduite, une force
d'elprit, & un courage tout-à-fait héroïque,
une des plus belles actions qui fe foient ja-
mais faites , de qui toute icule pourroit juif e-
ment l'égaler aux plus grands hommes de l'An-
tiquité. jj:.\'. .
i<Jo Histoire de la Ligue.
ï^Sy. Il n'avoit prefquc rien de tout ce qu'on luy
Mititn à 1.1 avoit promis à Meaux , quand on y fit le par-
Keint E.ix.. ^^^^ ^^^ troupcs qui dévoient fervir dans l'ar-
mée du Roy ôc dans la fienne. Des vingt Com-
pagnies d'Ordonnances qu'il devoit avoir, pas
une ne parut au rendez- vous qui fut alTigné
à Chaumont. On ne luy envoya ni argent, ni
munitions , ni canon : de forte qu'ayant fait
venir à Vaucouleur le vingt-deuxième du mois
d'Aouft tout ce qu'il avoit pu affcmbler de trou-
pes par le moyen de fes amis, &c en partie de
l'argent des Parifiens, il ne s'y trouva qu'un peu
plus de trois mille hommes j fçavoir, environ
îix cens CuirafTiers de fa Compagnie , ôc de cel-
les du Prince de Joinville, du Comte de Chal-
ligny, du Chevalier d'Aumale, des fieurs de la
Chaftre & d' Amblize , quelque trois cens che-
vaux qui luy furent envoyez de la garnifon de
Cambray parBalagny, qui s'eftoit fait Ligueur,
pour changer fon Gouvernement en Principau-
té, à la faveur des troubles de la Ligue, outre
prefque autant de Chevaux-Legers, Italiens ou
Albanois, que luy prefla le Duc de Parme Gou-
verneur des Païs-Bas. Et pour l'Infanterie, il
n'avoit que les deux Régimens des Capitaines
Saint Paul &Joannés, aufquelsil fe fioit beau-
coup.
Avec ce peu de forces il s'alla joindre à cel-
les de Charles Duc de Lorraine , qui avec le
fecours que ce Prince avoit receû de Flandre
fous
L I V R E I T. I^I
fous la conduite du Marquis d'Avré & du 1587.
Marquis de Varambon, &c ce qu'il avoit pu
lever en Allemagne, ne montoienc qu'à fepc
mille fantaflins, & environ quinze cens che-
vaux : de lorte qu'ils n'avoient en tout que dou-
ze à treize mille hommes pour oppofer à plus
de trente - cinq mille qui s'en venoient fon^
dre fur eux. Le Duc de Lorraine qui prévit cet
orage, avoir fait tour ce qu'il avoit pu pour fc
mettre à couvert, ôc en cftat de fe détendre,
en fortifiant la plufpart de les places. Et com-
me il vit que Nancy ia Capitale cftoit trop
petite pour recevoir le grand nombre de per-
sonnes de qualité & d'Eccleiiaftiques qui s'y
réfugioient de tous coftez de leurs maifons de
campagne, de leurs chafteaux , ôc des petites
villes qui efloient hors de défcnfe : ce fut en
cette occaflon qu'il l'agrandit de cette belle &
grande partie qu'on appelle la Ville neuve, aux
fortifications de laquelle, qui furent lans con-
tredit les plus belles &: les meilleures de ce temps-
là , il avoit fait travailler avec tant de diheren-
ce, q
u'elle fe trouvoit dcia en eftat de fe bien
défendre contre cette armée , qui, toute nom-
breufe ôc puiflante qu'elle eltoit, n'ofa entre-
prendre de l'attaquer.
Comme ces deux armées eftoient, l'une au-
de<^a des montagnes de Vaugc en Lorraine, &
l'autre au-delà dans l'Allace, on tint Confeil
en melme temps dans toutes les deux, 6c il ar-
X
l6t HiSTOrRE DE LA LiGUE.
'■j^j, riva, par ufic rencontre aflez rare, qu'on prit
de part ôc d'autre une mefme rélolution. Dans
l'armée Allemande le Duc de Bouillon & une
partie des Chefs vouloient que ce full en Lor-
raine que l'on fiftla guerre, pour l'achever tout
d'un coup, diloicnt-ils, en ruinant la Mailon
qui l'avoit fait naiftre , ôc qui eftoit le plus
grand fouftien de la Ligue. Mais c'eil qu'en
effet les Allemans eulTent bien voulu ne s'é-
loigner pas fi fort de leur païs, &c que le Duc
de Bouillon euft efté bien-aiie d'affeûrer parla
Sedan & Jametz, à qui les Lorrains en vouloient.
Les Franc^ois au contraire, les Envoyez du Roy
de Navarre, &c le Baron de Dona, qui fuivoK
les ordres qu'il avoit receûs du Duc Cafîmir,
firent conclure qu'on le contenteroit de faire,
en pafîant, le plus de ravage qu'on pourroit
dans la Lorraine, où l'on n'avoit point eu de
guerre depuis celle des Bourguignons qui fu-
rent défaits avec leur dernier Duc à la Bataille
de Nancy, &c que, fans s'arrefter a faire des fîe-
ges, on iroit le joindre au plûtoft au Roy de
Navarre qui les attendoit.
D'autre part, dans le Confeil que l'on tint
à Nancy , le Duc de Guife vouloit qu'on s'op-
pofail au partage des ennemis , parce qu'eftant
bien informé de leur divifion , Ôc du defordre
qui eftoit parmi leurs gens, il ne doutoit point
qu'avec ce peu de troupes qu'il avoir , mais
toutes cojnpofécs de loidats bien difciplincz
L I V R E ï L 1^5
^rac^ucrris, il ne crouvaft occafîon de les dé- IJ87.
faire dans un pais étroit, & reflcrré entre des
montaj^nes Se des rivières , ou qu'enfin il ne les
contraio-nift de rebroufler chemin, & recour-
ncr en leur pais. C'eft à quoy concluoicnt auiTi
les François qui l'accompagnoicnt. Mais le Duc
de Lorraine, qui ne vouloir pas expoier fon
Eftat au hazard d'une bataille, de qui après
tout aimoit mieux pais ruiné que païs perdu,
voulut ablolument que, fans s'oppofer au paf.
lage de cette armée , on mift une partie de fes
troupes dans les villes où les païfans fc rctire-
roient avec tout ce qu'ils y pourroient porter
de vivres; qu'on fift rompre les fours & les
moulins, &c bruflerles fouragcsi & qu'avec ce
qui refteroit de gens de sjuerre on coftoyaft les
ennemis, pour les obliger, par la difette de tou-
tes cliofes, & en les harcelant toujours, de for-
tir promptement de la Lorraine, 6c de paiTer
en France où il ne voulut jamais entrer. Et
craignant que le Duc de Guife, dont il con-
noiflbit le deifein & le courage, n'cneaeeaft fa
petite armée, malgré qu'il en euft, en quelque
dangereux combat, il la voulut luy-mefme
commander, & la fit camper entre la Ville
neuve & un petit bois fervant de parc à ce que
l'on appelle la Maie-Grange, Maifon de cette
Altefle, attendant l'occalion de s'en fervir où
il faudroit, félon la route que prcndroicnt les
ennemis.
Xij
— — i(j4 Histoire de la Ligue.
X f 8 7. Ceux cy donc ayant joint dans la plaine de
ScralLourg prcfque toutes leurs troupes, & trou-
vant les paflages libres par la retraite de ceux
qui eftoient deftinez pour les garder. Se que
l'on avoir rappeliez pour les mettre dans les
villes , palTerent la montagne prés de Saverne,
fans autre obftacle que la peine qu'ils eurent
trois jours durant à débarralTer les chemins des
gros arbres coupez dont on les avoit traverfez.
Ils ne furent pas plûtolt paflez , que le Duc de
Guire,qui ne perdit jamais aucune occafiondc
furprendre les Reitres, vers leiquels il s'eftoic
avancé avec l'avantgarde, leur fit donner la
première camifade par le fameux Colonel Rô-
ne, qu'on fit depuis Marefchal de la Ligue, &c
parle Baron de Suarzembourg, qui attaque-
. . lent de nuit le quartier du Colonel Boucq, qui
eftoit (ans contredit le plus habile de leurs
Officiers. Auffi ne fut -il pas furpris, car on
failoit fi bonne garde dans [on logement, qu'il
citoit à cheval quand il fut attaqué : mais il
le fut avec tant de vigueur, qu'avec toute fa
brave réfiltance il ne put empefcher que la
place ne demeuraft aux aflaïUans , & qu'on
ne luy enlevaft une de fes Cornettes, que le
Duc de Lorraine envoya fur le champ au Roy,
comme pour l'avertir que l'ennemi eiloit déjà
dans fon pais, & qu'il elloit temps d'envoyer
à M. de Guifc toutes les troupes que Sa Ma-
jcilé luy avoir promifes.
Livre II. i<;;
Le lendemain dernier jour d'Aoïift, les Al- 1J87.
lemans encrant dans la Lorraine, s'emparèrent
d'abord deSarboura, qu'un Gentilhomme Lor-
rain, qui y eftoit avec deux Compagnies pour
s'y défendre du moins quelque temps, rendit
laichement à la feule veûe des Coureurs, fans
attendre melmc qu'on l'inveftift. Il n'en fut
pas ainfi de Blamont, qu'un autre jeune Gen-.
tilhomme du melme païs défendit fi bien ,
quoy-que l'Infanterie des ennemis full logée
avec le canon dans le fauxbourg, qu'après leur
avoir tué plus de deux cens hommes en une
attaque, il les contraignit de déloger avec hon-
te, pour aller recevoir encore un plus grand
affront devant LunéviUe. En effet, le Baron
d'Olfonville Colonel de l'Infanterie Lorraine
ayant entrepris de défendre une fi méchante
place où il avoir fait à la halle quelques for-
tifications, témoigna tant de rélolution fur la
promeffe que le Duc de Guife luy fit de le fè-
courir, qu'on n'ofa mefme l'attaquer. Ainfi ces
Eftrangers agiffant plûtoft en voleurs 6c en ban-
dits qu'en foldats, ne failoient que courir la
campagne, pillant, brillant, faccageanc, maC
facrant juiqu'aux femmes ôc aux enfans , pour
le venger de ce qu'ils ne trouvoient pas de
quoy fubfifter, tout eftant reflerré dans les vil-
les, au fiege dclquelles ils ne vouloicnt pas s'en-
gager , de peur d'y cftre arrelfez trop long-
temps.
X iij
x6ô Histoire de la Ligue.
1/87. Ce qu'on craigiioit le plus, eftoic que cette
armée ne facca^eaft Saint Nicolas, ce grand &
fameux Bonrg auquel il ne manquoit en ce
temps -là que des murailles pour eftre la plus
b^lle &c la plus riche ville de Lorraine après
Nancy, comme elle le feroit encore aujour-
d'Iiuy, fi les Impériaux, qui fe vantoient de ré-
tablir le feu Duc Charles dans fes Eftats, n'euf.
fenc achevé de les ruiner par un funefte de im-
puidant fecours, en defolant les villages & les
bourgs ouverts de fans défenle, Se fur tout un
lieu fi faint de fi célèbre, dont ils n euffent ja-
mais violé la fainteté, comme ils ont fait, en
le réduifant prefque tout en cendres , s'il fuft
relié quelque fentiment d'humanité de de Reli-
gion dans des cœurs fi inhumains & fi barbares.
Je veux croire que mon Lecteur me voudra
bien pardonner cette expreflion un peu forte
de ma jufte douleur, pour l'intereft que cer-
taine confideration tres-lecritime m'oblige de
prendre à la fortune de cette miierable ville,
qui n'euft pas cfté defolée par les Cravates de
par les Allemans, fi elle eull eu pour fa défen-
fe un Duc de Guife , comme elle l'eût en l'oc-
cafion dont je parle.
Car ce brave Prince voyant que le Duc de
Lorraine craignoit fur toutes choies que les
Allemans ne s'y jettafTcnt, ce qui fembloit iné-
vitable, eftant ouverte de tous les coftez, il y
prit fon quartier ; de non content de s'y mec^
-'''»
Livre T T. Y(;y — ^ —
xrc en cflat de la cicfendrc, il en fortit plus ij8
d'une fois pour donner, comme il fit avec grand
fuccés, dans quelques-uns de leurs quartiers
qu'il enleva. De (orte que craignant d'avoir
affaire à un homme dont ils redoutoientle cou-
rage, la conduite &: le bonheur, & qui efloit
réiblu de périr ou de les arreller devant la pla-
ce qu'il avoir entrepris de défendre avec l'é-
lite de l'armée, ils n'oferent s'en approcher j &c
au lieu de defcendre le long de la Mcurte , fur
laquelle ce bourg eft fîtué, à deux lieues de leurs
logemens aux environs de LunéviUe, ils tour-
nèrent tout court fur la gauche vers la MolcI-
%^, qu'ils pafferent prés de Bayon, pour aller
delà dans le Comté de Vaudémont.
Alors, comme il n'y avoir plus rien à crain-
dre pour les places qui font au-delà de ces deux
rivières, on joignit enicmble toutes les forces,
èc l'on fe mit en corps d'armée pour coifoyer les
ennemis, &: pour empefcher, en les tenant tou-
jours plus ferrez , qu'ils ne continuafïènt à fac-
cager le plat pais auffi librement qu'ils avoient
fait auparavant. Sur cette réfolution le Duc
de Guife, qui menoit l'avantgarde, envoya vers
la mi-Septembre M. de la Chaftre Marefchal
de Camp faire le logis de l'armée au Pont Saine
Vincent. Or parce que le Duc fit icy une des
plus belles aillions qui fe foient jamais faites à
la guerre , 6c qui fait mieux connoiftre quelle
cftoïc la force de fon efprit 6c la grandeur de
1^8 Histoire de la Ligue.
IJ87. fon génie: je croy qu'il me fera permis de la
décrire le plus exadlement que je pourray, pour
en faire comprendre l'imporcance, de en faire
voir toute la beauté,
La rivière de Madon , peu large , mais aflez
profonde, qui prend fa fource au pied des mon-
tao-nes de Vauee, coule du Midy au Septentrion ;
& après avoir rcccu dans ion lit les petites ri-
vières de Dompaire, lUon, Vittelle, Coulon
& Brenon, ôc arrofé la ville de Mirecour, &c
les bourgades d'Haro lié. Ormes, Buligny, A-
craigne, Blainville, & neuf ou dix lieuës de
païs, fe va jetter dans la Mofelle, à deux licuës
de Nancy , Se à quatre au dclTus de Toul. Un
peu au deflous de ce confluent, & au-deçà de
la Mofelle eft le Pont Saint Vincent, petite vil-
le, ou plûtoft un gros bourg fitué fur le pen-
chant d'une montagne , fermé en quelques en-
droits de foibles murailles, & en d'autres d'une
haye vive, s'étendant au bas de lacofte le long
de la Mofelle, fur laquelle il y avoir un pont,
& ayant à droit la rivière de Madon, ôc un
coftau fort roide planté de vignes entourées
de fortes hayes, couvert fur la cime de ces
grands bois qui s'étendent jufques aux envi-
rons de Toul, de ieparé du Madon par une
prairie, à laquelle cette rivière qui la borne
îaifTe aflez peu d'étendue en largeur.
Ce fut là que l'armée Catholique s'alla lo-
ger le quinzième jour de Septembre. M. de
Guile
Livre II. " is^ —
Guife y arriva fur les fcpt heures du matin, &c 1587.
fans attendre le gros de l'avantgarde qui Im-
voit, n'eftant accompagné que des (leurs de la
Chaftre , de Baflbmpicrre , & de Dunes frerc
du fleur d'Entragues, & de trois ou quatre au-
tres montez Tur des courtaux , de fans armes
comme luy , il en fortit lur le champ pour al-
ler reconnoillre une place avantageufc où il
Î)uft loger toute Ton avantgarde à Ta faveur de
a rivière deMadon, qu'on l'avoit afleûrc n'ef-
tre guéable en nul endroit depuis quatre ou
cinq jours qu'il avoir plû ians dilcontinuer. Or
n'ayant pomt reconnu de poftc à fon gré en
cet endroit , il s'avancja jufqu'au quartier de
fes Chevaux-Légers, qui avoient pris le devant
lous la conduite de Rône & du Baron de Suar-
zembourg, &: s'eftoicnt logez à prés de deux
lieues au-delà du Pont Saint Vincent, dans les
bourgades d' Acraigne & de Buligny , où il y
avoir des ponts de pierre iur le Madon. Il les
trouva qui montoient à cheval avec précipita-
tion, lur l'avis qu'ils venoient de recevoir que
toute l'armée ennemie, qui marchoit entre les
deux rivières, leur alloit tomber fur les bras.
Cela pourtant n'empefcha pas qu'il ne paf ■
faft le Madon luy leptiéme, commcil eftoit ve-
nu, de qu'il n'avançaft dans la plaine vers les
ennemis pour les reconnoiftre. Mais il ne fut
pas loin, qu'ayant découvert les Coureurs de
deux Cornettes de Rcitres détachez du gros dq
y
170 Histoire de la Ligue,
1 j 8 7, l'armée venant droit à luy pour l'envcloper, il
tourne bride, rcpaflfe le pont, & s'arrefte au-
delà d'un ruiflcau fur une colline ou il range
fes Chevaux-Lcgers, qui cftoient environ qua-
tie cens, pour faite tefte à l'ennemi. Les Reitres
c]ui avoient pafTé après eux le pont de Buligny
6c les pourfuivoient aflez vivement, s'arrefterent
fur le bord du ruifleau, attendant leurs gens
C[u'ils croyoient bien plus avancez ; Se cepen-
dant le Duc de Guife voyant qu'ils n'cftoient pas
iuivis, détache fur eux les lieurs de Rône ôcdz
là Route, qui les pouflerent & les pourfuivirent
fuyans à toute bride jufques bien avant dans
la plaine au-delà de la rivière. Mais ces Reitres
trouvant là trois cens chevaux François, quel-
que iîx- vingts Arquebufîers à cheval, & trois
autres Cornettes de leurs compagnons, tour-
nent tefte, de pouffent tous enicmble vigoureu-
femcnt ces deux Compagnies de Chevaux-Lc-
gers, qui tafchent de regagner au grand galop
la colline où eftoient leurs gens.
Ce fut alors, que comme on découvrit du
fommet de ce coltau toute l'armée qui palloic
à la file fur le pont de Buligny , on vit claire-
ment l'extrême danger où l'on fc trouvoit.
D'attendre là de pied ferme l'ennemi, c'eftoit
le réfoudre en dcfclperez à fe faire tous tailler
en pièces: car comment voudroit-on que qua-
tre cens chevaux ians Infanterie & fans canon
puffcnt tenir contre une armée de trente -cmq
L I V R E I I. l-I
mille hommes qui venoient les attaquer avec i^f,n
dix -huit ou vingt pièces d'Artillerie ? De le
retirer, on le pouvoit aulli peu: car qui ne fcait
qu'une retraite de deux lieues devant une ar-
mée forte de plus de douze mille chevaux ^ &
en plein jour, ne fe peut jamais faire fans s'ex-
pofer à un pcril inévitable d'eftre contraint
de la changer bicntoft en une déroute généra-
le , & confcquemment à eflre tous ou pris ou
tuez ?
Cela fît que la Chaftre &: Baflompierrc, qui
cftoicnt auprès du Duc, le conjurèrent de fe
mettre en heu de feûreté , tandis qu'ils arrefte-
roient durant quelque temps les ennemis, pour
luy donner le moyen de fe retirer au gros de
l'armée, lailfant le foin du relie à la fortune,,
qui fait trouver quelquefois des refiburces im-
préveûës lors que tout iemble defelperé. A
quoy le Duc les regardant d'un vifage riant &
alTeûré, Non y non, Adejjteurs, leur dît-il, je na-
handonne faS ainfi ces braves gens que j'ay moy-mefme
expofe:^ au pcril où nous femmes. J'en comprens fin
hien toute la grandeur, mats il me femble aujji que
j'ay trouvé en mejmc temps le moyen de nous en tirer.
Le confeil que vous m'ave"^ donne le croyant neccffai-
re pour ma feûreté , je vous ordonne de le prendre pour
vous ^ pour nous, «^//e:^ donc donner ordre à l'ar-
mée, (^ range:(^-la dans le détroit, ^ fur le coJfaH
planté de vignes hors du Pont Saint Vincent, pour
me recevoir après avoir fait la retïMU dont je me çhar>^
171 Histoire de la Ligue.
I j 8 7. ge , ^ (jue je 'veux faire de la mani.re que fdy ima-
^ine y ^ qui Jera ùetit-ejlre fans danger, comme fans
exemple.
Apres cela Rônc & la Route s'eftant déjà
rejoints fans perte au gros de Tes Chcvaux-Le-
gers, il fe mit à les exhorter, beaucoup moins
par Tes paroles que par fa contenance _, par fa
demarcne, & par cet air héroïque qui animoit
toutes fes a<Stions , & infpiroit aux plus timides
une partie de fon courage & de ion aflcûrancc.
Car paroilTant à la terte de fa petite troupe ,
l'épée à la main, en pourpoint, fur un cour-
taut , & regardant les foldats èc les officiers de
cet œil vif &c pénétrant qu'il f<javoit admira*
blement faire entrer dans le fond des cœurs,
pour les tourner comme il vouloir , il dît feu-
lement un mot aux officiers François, Italiens
& Allemans, parlant à chacun en fa langue, &
les appellant par leur nom, pour les alTeûrer
qu'il fcjavoit le moyen infaillible de les confer-
ver, pourvcû que fans s'étonner ils filfent feu-
lement ce qu'il leur diroit, ôc qu'ils luy vcr-
roient faire.
Ce peu de paroles prononcées d'un ton fer-
me par un Prince qui faifoit toujours plus qu'il
ne difoit, animèrent tellement ces quatre cens
hommes , que fans plus fonger au perd où ils
cftoient de périr tous, fans aucune apparence
d'en pouvoir échaper, ils regardoient fièrement
du foœmet de la coUmc cette grande année
>
L I V R E I î. 175
d'Allcmalis, qui ayant déjà prefque touspaf- ijSy.
fé le Madon au pont de Buligny, marchoicnt
droit à eux en bataille, ne doutant point qu'ils
ne les deufTent cnveloper 6c tailler en pièces,
s'ils avoient l'afleûrance de les attendre ; ou les
mettre en déroute & les défaire, s'ils entrepre-
noient de le retirer en leur preience. Ils furent
pourtant un peu étonnez d'abord , lors qu'ayant
pafle le ruillcau qui les feparoit de ce collau,
ils virent qu'ils ne branloicnt point, 6c paroif-
foient tout diipofez à les recevoir l'épée à la
inain.
Un Tpc^laclc ù peu commun leur fit tenir
quelque temps bride en main, pour obfcrver
leur contenance, craignant peut-ellre que cette
grande hardiefl'e ne leur vint de ce qu'ils ef-
toient fouftenus de toute leur armée. Mais en-
fin s'ellant rafTeûrez, ôc ayant quelque honte
d'avoir pu balancer un moment à donner dans
une fi petite troupe , ils font fonner la charge.
Sept Cornettes de Reitres ayant devant eux
trois cens hommes d'armes Franc^ois, & fix a
fept- vingts Arquebufiers à cheval, marchent
les premiers, &c commencent à monter, en pi-
quant de toute leur force vers l'ennemi : mais
le coflau eftoit fi roide, que leurs chevaux
trop vivement pouffez perdant haleine, fu-
rent bientoft contraints de s'arrelfer, ôc de
changer au petit pas le trot qu'ils avoicnt pris
4'abord, :, - i ..
- Y iij
174 Histoire de la Ligue.
•ij-gy. Alors le Duc de Guife prenant Ton temps
pour fau'e fa retraite de la manière que luy (eul
avoit concciië^ & que l'on n'avoit jamais pra-
tiquée, fe retire un peu plus avant lur la mon-
tagne hors de la veûe des ennemis: puis ayant
fait demi tour à droit, il tourne tout court lur
la main gauche à la droite des ennemis par
un petit vallon qui eftoit entre eux & la riviè-
re ; il marche par là fans cftre vcû, à la faveur
des collines qui couvroient ce vallon, julqu'à
un gué qu'il avoit remarqué , quoy-qu'on luy
eult dit qu'il n'en trouveroit point, & cil il y
avoit un moulin dans lequel il loge douze ar-
quebufiers bien réfolus de le défendre j & là
il pafl'e le Madon du cofté d'où les ennemis cC-
toicnt partis pour venir à luy. Il n'y avoit plus
de ce cofté-là que les Suiflfes qui marchoient
pour pafTer après les autres au pont de Buligny,
ôc qui eftant à pied ne pouvoicnt ni arreller ni
luivre cette Cavalerie qui avoit pafle la rivière
au dcflbus de cette bourgade , &c ainfi avoit
l'avantage lur eux. De lorte que tournant vi-
fage, &i defcendant à gauche le long de cette
petite rivière, au-delà de laquelle les ennemis
eftoient pafTez pour l'attaquer, il continue à
faire fa retraite vers le gros de l'armée Catho-
lique qui fe mettoit en bataille prés le Pont
Saint Vincent.
Cependant les ennemis eftant montez avec
beaucoup de peine fur le haut de la colline oii
Livre II. 'î 17;
ils pcnfoicnc trouv-r le Duc de Guifc, furent 1/87.
bien furpris de le voir delà l'eau fe retirant tout
à Ton aile. Ils defcendircnt alors beaucoup plus
vifte qu'ils n'clloient montez, & le mirent à
courir après. Mais ils furent Ci long-temps ar-
rcilcz par ces douze vaillans hommes qui dé-
fendirent le moulin fur le gué aux dépens de
leur vie, laquelle ils vendirent bien cher, qu'a-
vant qu'on les y pull forcer le Duc eull le loilir,
lans aller plus ville que le pas, de repaffer la
rivière en de(^à à un autre gué qu'il avoit en-
core remarqué tout joignant cet efpace étroit,
&: ce collau planté de vignes où eiïoit le o-ros
de 1 armée. 1
Ainii ce Prince , qui s'eftoit encrac^é un peu
trop avant pour reconnoiftre l'ennemi, trouva
moyen de iauver fa petite troupe, & de le reti-
rer en preience d'une grande armée, non pas en
luy tournant le dos comme on a toiljours fait,
mais allant droit de Ion collé par un ftratagc-
me affez nouveau, Se mettant en luite par deux
fois une rivière entre luy & fes ennemis. Ce
qu'il y eue encore de plus glorieux en cette
adion , c'ell que s'eftant mis à la telle de cinq
à fix cens chevaux, dans cette petite prairie qui
cft au pied du coflau fur lequel l'armée n'ei-
toit pas encore toute rangée , il défendit le
pallage de la rivière, &z rcpoulTa toujours les
Reitres qui retournèrent deux ou trois fois à
Ja charge pour le forcer j ôc que l'avant laifîc
tiS Histoire de la Ligue.
i/Sy. libre le lendemain, fclon la rélolution qui en
fut prifc dans le Confeil de guerre, il fit faire
la retraite à toute l'armée au - delà de la Mo-
felle fans perte d'un feul homme.
Apres qu'on fc fut rafraifchi deux ou trois
purs de part & d'autre, les Allemans toujours
coftoyez fur la droite, & continuellement har-
celiez par le Duc de Guifc qui menoit l'avant-
garde, ayant palTé la Meufe prés de Neufcha-
teau, entrèrent en France par la Principauté de
Joinville, où ils firent leur premier logement
à Saint Urbain, Le Duc de Lorraine qui les
avoit fuivis jufqu'à la frontière, & avoir ce qu'il
prétendoit, en voyant cette grande armée d'Ef^
rrangers hors de fes Eftats, ne voulut pas paf-
fer plus outre, & fe retira dans leBarrois, com-
me fit aufli le Marquis d'Havre avec fes "Wa-
lons, difant tous deux qu'ils ne pouvoient en-
trer en France fans la permiflion du Roy. De
forte que le Duc de Guife fe trouva feul avec
(&s troupes qui ne montoient pas à quatre mil-
le hommes ^ &: néanmoins il entreprit avec un
courage invincible 6c fi peu de forces, de pour-
iuivre & d'afFoiblir, bc melme de ruiner entiè-
rement cette grande armée qui s'accrut encore
dans le Bafiigny par la jonction des troupes
que le brave Chaltiilon, fils de l'Admirai, luy
amena du Languedoc ô: du Dauphiné , après
avoir traverlé le Lyonnois& la Bourgogne avec
des peines incroyables,
Le
Livre II, ' 177 —
Le Duc fe mit donc à leurs troufles , fuivi 1587.
tic les loldats infatigables comme luy, de qui
croyoient que rien ne leur eiloit impoilible fous
ù conduite -, &: paroilTant tantoft à leur telle ,
tantoll à leur queue , les coftoyanc à droit 6c
puis à gauche, leur coupant les vivres, leur
donnant de continuelles allarmes, de les harce-
lant nuit &c jour en cent différentes manières,
il les réduifoit iouvent à de grandes extrémi-
tez, particulièrement depuis qu'ayant reccû les
troupes que luy amenèrent MelTicurs de Mayen-
ne, de Chali^ny, d'Aumalle, d'Elbeuf, & de
Briflac qu'il joignit à Joigny & à Auxeire, il le
trouva prés de iix mille hommes de pied de
quelque dix huit cens chevaux.
Ce fut avec ces incommoditez jointes à cel-
les que les pluyes très - fréquentes , les chemins
tout rompus, la gourmandiie, & en fuite les
maladies rirent louffrir aux Allemans , qu'après
avoir paffe la Seine prés de ChaifiUon, & l'Yon-
ne à Mailly-la- Ville , ils s'avancèrent environ
la mi-Octobre jufques lur les bords de la Loire
qu'ils penloient palfer a la Chanté. Mais ou-
tre que cette Place le trouva en eftat de ie bien
défendre, ils furent fort furpris de voir que le
Roy eiloit en perlonne au-delà de ce fleuve
avec une puiffantc armée pour leur en diiputer
le paflage par tout ou Us ofcroient le tenter.
En effet, ce Prince, iuivant la rélolutiori.
qu'il avoir prife d'empelcher que le Roy de
~ 178 Histoire de la Ligué.
1587. Navarre &c le Duc de Guife ne fe rendifTetit
trop puifTins, le premier par la jonction de l'ar-
mée des Reitrcs, & le fécond par leur défaite,
n'avoir prefquc rien donné à ce Duc de ce qu'il
luy avoir promis, pour arrefter, ou pour com-
batte cette armée, &c en avoir fait aflemblcr
une très-belle aux environs de Gicn fur la Loi-
re, pour s'oppofer à fon pafTage. Cette armée
Royale eftoit de dix mille hommes de pied Fran-
çois, de huit mille SuifTes la plufpart des Can-
tons Catholiques, &C de huit mille chevaux,
moitié Francjois, &c moitié AUemans. Le Duc
de Montpenfier y avoir joint le petit corps qu'il
commandoit à part ; les Ducs de Nevers Se d'Et
pernon, les Marefchaux d'Aumont &c de Rctz;^
Ôc la Guiche Grand - Maiftre de l' Artillerie y
avoient chacun leur part du commandement,
ôc ne s'accordoient pas trop bien, iî ce n'ell:
en ce que par l'ordre exprés qu'ils en avoient,
ils firent gafter tous les guez depuis celuy du
Pas de fer prés de Nevers juiqu'à Gien, en les
travcrfant de grands arbres &c de tout ce qui
pourroit embarrafTcr les pieds des hommes ôc
des chevaux.
Ce peu d'intelligence qui eftoit entre les
Chefs, les grands éloges qu'on faifoit du Duc
de Guife dans Paris au moindre avantage qu'il
remportoit fur l'ennemi, de fur tout les mur-
mures, ou plûtoft les infultes des Ligueurs qui
açcuioicnt malignement le Roy de s'entendre
L I V R E I I. i-jc,
avec le Navarrois, furent enfin caufe que rc- 1587.
non(^anc à ce repos faral & aux délices de fa
Cour qu'il avoir tant de peine de quitter, il
fe rendit vers la mi-Odobre au-delà de Gicn
dans fon armée, où il ne fut pas plûtoft, qu'il
fembla revivre, & eftre tout-à-coup redevenu
le brave Duc d'Anjou, avec cet eiprit martial
qui l'animoit d'un fi beau feu , lors qu'il corn-
mandoit dans les plaines dejarnac & de Mon-
contour les armées du feu Roy fon frère.
En effet, on ne peut rien voir de plus géné^
reux ni de plus prudent que ce qu'il fit en cette
occafion. il fe mit à la telle de l'armée. Il don-
na luy-mefme les ordres, qu'il faifoit exécuter
avec beaucoup d'exaâ:itude. Il réiinit les ef-
prits des Chefs & des Officiers , prenant foin
que chacun fift fa charge fans entreprendre
fur celle d'un autre. Il partageoit avec eux les
travaux bi. les fatigues de la guerre, campant
fous les tentes, dormant peu, toujours le pre-
mier à cheval, & paroiflant toujours en armes
& en bon ordre fur le bord de la rivière , par
tout ou les ennemis le prefentoient, kur fai-
fant voir par la montre de ion armée rangée
le long du fleuve à une jufte diftance pour les
recevoir, & leur faifant aufil entendre parle
fon des tambours & des trompettes , qu il ne
fouhaitoit rien tant que de donner bataille,,
s'ils ofoicnt entreprendre de pafler.
Cela mit tous cesEftrangers dans une extré-
Zi,
— iSo Histoire de la Ligue.
1^87. me confternation. LesFrancjois Huguenots qui
les conduifoient leur avoicnt fait accroire, avant
que d'entrer en Lorraine, qu'ils auroient la ville
éc le pont de la Chanté pour euxj que quand
cela leur manqueroit, la Loire eftoit guéablc
prefque par tout au mois d'Oôtobre; que le
Roy, qui avoit une intelligence lecrete avec le
Roy de Navarre , pour fe venger de la Ligue
leur commune ennemie, ou fe joindroit avec
eux , ou du moins favorifcroit leur paflagc , ÔC
qu'ils trouveroient le Roy de Navarre fur l'au-
tre bord de la rivière pour les recevoir. Cepen-
dant ils trouvoient tout le contraire, la ville de
la Charité contre eux , les guez gaftez prefque
par tout, le Roy en armes preft à les comba-
tre, 6c au lieu du Roy de Navarre, des En-
voyez de fa part, qui, fans leur pouvoir rien
dire de bien certain, leur promettoient feule-
ment qu'ils l'auroient bientoft, ou du moins
en fa place un Prince du Sang à leur telle.
Cela remplit de plaintes, de murmures, de dc-
fordre &c de fedition toute l'armée qui ef-
toit dcfcenduë jufqu'à Ncuvy, fans cfperance
de pouvoir forcer le paflagc que l'armée Roya-
le, qu'ils voyoïent en bataille au-delà de la ri-
vière, défcndoit.
Les Reitres demandoient l'argent qu'on leur
avoit promis aufTitoft qu'ils feroient en France,
&mena(^oient de rebrouffcr chemin, &c de s'en
retourner en leur païs s'ils n'eftoicnt prompte-
Livre II. ' i8i
ment (ansfaits. Les Suiflcs écoucoicnt déji la 15^7-
propolicion que quelques-uns de leurs Officiers
qu'on avoit ça^^ncz leur faifoient de pafTer dans
l'armée du Roy, qui leur promeccoïc de leur
faire de grands avantages. Les Laniquenets cf^
coient tout prefts d'en faire autant. Tout ten-
doit manifeilement à la révolte ; & ce ne fut
qu'avec une peine incroyable que le Baron de
Dona, le Duc de Bouillon, &: les Oificiers Fran-
çois purent enfin apparier ce tumulte, en leur
promettant de les mener dans la Beauce , pais
abondant en toutes fortes de commoditez, oii
ils pourroient fe rafraifchir en attendant l'ar-
gent ôc le Prince que le Roy de Navarre leur
envoyeroit, pour les conduire par le Vando-
mois à Monforeau fur Loire , ou il les atten-
droit avec fes troupes pour les recevoir. Ainfj
l'armée délogeant de Neuvy, &c tournant le dos
lia Loire, prit la route de la Beauce, marchant
à petites journées le long de la rivière de Loing,
où elle trouvoit de bons logemens fur les ter-
res du Comte de ChaftiUon qui n'épargnoic
rien pour contenter ces Allcmans.
Le Duc de Guife cependant qui eftoit entre
cette rivière & l'Yonne, & avoit raflemblé tou-
tes fes forces auprès de Charny , pour obicrver
delà les mouvemens de l'ennemi, ayant fccà
qu'il s'efloit logé Icvingt-quatriémed'Odobre
aux environs de Chaibllon, s'avan(^a jufqu'a
Courtcnay , pour s'aller jneccre en fuite vers le
Z iij
iSi Histoire de la Ligue.
IJ87, bas de la rivière entre cetre armée & Paris,
afin de couvrir cette grande ville qui n' avoir
aucune défenfe , &c où cinq ou fix mille Rci-
tres détachez de leur armée euflent pu donner
en une nuit une furieufe allarme aux bourgeois,
en defolant & brûlant les fauxbourgs. Cela fut
caufe que les Pariflens redoublèrent encore cette
ardente aifedion qu'ils avoient pour ce Prince,
îe regardant alors comme leur unique libéra-
teur j de que les Ligueurs qui ne pcrdoient au-
cune occafion de décrier la conduite du Roy,
leur firent accroire qu'il s'arrcftoit tout exprés
àGien pour les abandonner à la difcretion des
Reitres, qui fans le Duc de Guife euffent tout
ravagé juiqu'à leurs portes.
Ce n'eftoit pas là pourtant leur dcflfein. Car
ils ne fongeoient qu'a paiTer fur la gauche par
un païs un peu plus découvert & plus aifé, en-
tre laForeft d'Orléans & Montargis, pour ga-
gner au plûtoft les plaines de la Beauce. C'eft
pourquoy, comme il eût appris par fes efpions
ou'ils dévoient loger le vingt -lixiéme à quel-
que deux licuës prés de Montargis , fur le cofté
gauche de la rivière , il fit partir tur le minuit
avec les Chevaux-Légers le iieur de la Chaflrc,
qui eftant arrivé à Montargis à fept heures
du matin dumclme jourvingt-fixiéme, fitauffi-
tofl fermer les portes de la ville pour empef-
cher que perfonne n'en puft donner avis aux
cnneiîiis j Ôi le Duc de Guifc s'y rendit environ
Livre ï Ï. 183
midy avec une partie de l'armée , l'autre n'ayant i ; ^J 7.
pu arriver que lur le foir.
Comme il eftoit à table , foupant avec
les Princes qui l'accompagnoient, un de les
meilleurs Ofhciers qui crtoit allé reconnoillrc
l'ennemi vint faire ion rapport, diiant qu'il
avoit veû fept ou huit Cornettes de Reitres
fc loger avec leur Général à Vimory, bour-
gade de prés de demi -lieue d'étendue, à une
Iieuë & demie au defTus de Montar^is, ôc un
peu éloignée de la rivière qu'elle avoit à droit.
Ce rapport eftoit vray ; mais il ne l(^avoit pas
que les autres quatorze Cornettes qui vinrent
après y prirent aufîi leur logement j que les
François n'eftoient logez qu'à une lieuë delà a
Ladon, Se les Laniqucnets Se les SuifTcs en deux
autres villages qui n'eftoient aulli éloignez
d'eux que d'une lieué.
Le Duc, après avoir un peu foncré à ce qu'il
avoit a raire lur ce rapport, crut qui! enlevé-
roit aifémcnt de nuit ce quartier ; que les au-
tres , en quelque endroit qu'ils fulTcnt , enten-
dant l'allarmc, & craignant d'eftre aulTi atta-
quez en mefme temps, penfcroient pliitoft à
le fortifier dans leur poftc , en attendant le
jour, qu'à marcher dans les ténèbres au fccours
de leurs compagnons j qu'après avoir défait les
Reitresjil pourroit en fuite attaquer les autres,
& mettre en déroute toute l'armée j & qu'après
tout, quand il auroit manqué fon coup, il
■ 1S4 HlSTOlrRE DE LA II GUE.
1J87. avoit toujours fa retraite afTeûrée à Montar-
gis.
' Sur cela, fe levant brufquement de table, 6c
fans achever de iouper, il fait fonner le boute-
felle, & commande qu'on foit à cheval &prefl:
à marcher au plus tard dans une heure. Le Duc
de Mayenne fort furpris d'un ordre lî ioudain,
1-uy demande où il veut aller. Comhatre l'ennemi,
luy rcpond-t-il froidement; &c après avoir ex-
poié en peu de mots les raifons de Ion entrcprife,
il ajoufte que fi quelqu'un la trouve un peu
trop hazardeufe, il pourra demeurer fort libre-
ment à Montargis. Elle peut lans doute réiif-
iîr, dît alors le Duc de Mayenne, & nous vous
fuivrons, mai? il me Icmble que c'eft aller un
peu bien viftc a l'exécution, ôc qu'il y faudroir
bien penicr auparavant. Or ffache:^^, mon jrere ,
luy repart Guile d'un ton plus élevé qu'à l'or-
dinaire , que je ne réfoudro'is pas, en y penfant toute
ma 'vie, ce que je n'auray pu réfoudre en un quart
d'heure. Là deflus il s'arme, &c monte à cheval,
Se trouve tout ce qu'il y avoit de gens auprès
de luy toutprefts à le luivre gaymcnt par tout,
ne doutant point, quelque péril qu'ils viiTent
dans cette entrcpnie pour la grande inégalité
du nombre, qu'ils n'allaflent fous la conduite
à une victoire certaine. Tant il importe à la
guerre que les foldats ayent tant de créance en
leur Chef, qu'ils croyent que (a fortune, fa
valeur & la haute capacité leur répondront
toujours
L I V R E î T. 18;
toujours du bon fuccés de tout ce qu'il entre- 1J87.
prendra.
Tous les ordres eftant donnez, on fie pafler
l'Infanterie qui eiloit au hiuxbours; par dedans
la ville deMontargis, une demi -heure avant
la nuit. Elle s'alla mettre en bataille à demi-
Iieuë de là, divifée en trois Bataillons d'envi-
ron mille hommes chacun. Le Capitaine Saint
Paul commandoit celuy de la droite ; Joan-
nés avoit la gauche avec Ton Régiment qui
formoit le fécond i Chevriers &c Pontfenac te-
noient le milieu à la tefte du troisième j lereftc
fut lailTé à l'entrée du pont ôc dans la ville
pour favorifer la retraite. Le Duc de Guife,
qui avoit attendu jufqu'à huit heures fept à
huit cens chevaux de fon armée qui n'elioienc
pas encore arrivez de Courtenay, diftant de
fept bonnes lieues de Montargis, ne laifla pas
de pafTer outre , &c de faire avancer devant les
Fantaflins le gros de fa Cavalerie qu'il rangea
en quatre Efcadrons. M. de Mayenne condui-
foic le premier de trois cens chevaux à la tefte
de l'armée. Il eftoit iouftenu de M. d'Elbeuf
avec le fien de deux cens Maiftres. Le Duc de
Guife fe mit à la gauche, & M. d'Aumale à la
droite de l'Infanterie, ayant chacun trois cens
chevaux.
Ce fut en cet ordre que cette petite armée
marcha droit à Vimory par une longue plame,
durant une nuitii obicure, qu'on ne fepouYOiC
- ' ' A a
i8(î Histoire de la Ligue.
1J87. reconnoiftre. On ne s'arrella pourtant point,
jufqu'à ce que les Guides ayant averti M. de
Mayenne qu'ils eftoient tout joignant Vimory,
il envoya devant quatre Cavaliers, qui ne trou-
vèrent ni fentinclle, ni garde avancée, ni bar-
rière à la telle du village , dont l'entrée eftoic
toute libre, C'eft pourquoy, comme il fe fut
un peu écarté fur la gauche , comme fit aufli
M. d'Elbeuf fur la droite , pour faire place
aux gens de pied, M. de Guife ayant donné le
fignal à cette Infanterie, les trois Bataillons en-
trèrent l'un après l'autre dans la grand' rue de
Vimorv où eftoit le bagage des Reitres. Et d'a-
bord ayant mis par terre, avant qu'on euft de-
mandé qui VA la, ceux qui fe prefenterent les
premiers, ils fe jettent a droit & à gauche dans
les maifons où ils tuent tout ce qu'ils y ren-
contrent de ces AUemans , partie à table , par-
tie dans leur lit, & y mettent le feu pour y
confumer ceux qui fe cachoient dans les gre-
niers & dans les caves.
Cette exécution dura prés de demi -heure,
pendant laquelle ils s'avancoient toujours, met-
tant le feu dans les mailons , qui pour eftre fe-
parées les unes des autres, ne pouvoient répan-
dre cet incendie ni fi loin ni n vifte qu'on euft
voulu i & cependant les foldats tentez par la
veûë des chariots des Reitres, au lieu d'atten-
dre à butiner que l'on euft achevé de vaincre,
comme ou doit toujours faire en pareilles oc-
L I V R E I I. 187
cifions, Te jettent en foule fur le bagage, & fc 1587,
chargent de tout ce qu'ils y trouvent de plus
précieux. Cela donna le loifir au Baron de Do-
na, logé à l'autre extrémité de la Bourgade,
de monter à cheval , &c de rallier flx ou fept
Cornettes, avec leiquelles il fit mine de s'avan-
cer contre les gens de pied , qui le voyant en
cet eltat fe mirent aullitolt en défenle, quit-
tant le pillage, ôc criant de toute leur force à la
Cavalerie qu'elle entrait pour les iouftenir.
Ce cry fit deux effets contraires qui caufe-
rcnt un grand combat. D'une part, le Baron
craignant, s'il alloit plus avant dans la grand'
rue parmi les flammes &c les chariots dont elle
clfoit embaraffee, de s'expofer, fans fe pou-
voir défendre,aux arquebutadesde cette Infan-
terie, tourna fur la main droite par une autre
rue qui aboutifloit à la plaine. D'autre coifé
le Duc de Mayenne qui avoit pris la gauche
hors de la Bourgade, en colloyant les gens de
pied , entendant leur cry , s'avance avec préci-
pitation loin de fon Elcadron, qui le perdit
bientoil: de veile dans une ii grande oblcurité,
& fuivi feulement de foixante Maiilres , te mec
au galop pour aller au fccours des fiens , par
cette meime rué, à l'entrée de laquelle il ren-
contre le Baron avec fon gros deReitres qui le
charge avec une extrême furie.
On n'a gueres veû de combat ni plus inégal,
ni plus afpre que celuy-cy. Le Baron qui ei-
Aa ij
— i§8 Histoire de la Ligue.
ijSj. toit fort brave, voyant cette Cavalerie dont
il ne pouvoir reconnoiftre le nombre dans les
ténèbres, va droit à celuy qui cftoit fur un
cheval blanc à la tefte de ces Cavaliers, ôc luy
tire dans la vifiere un coup de piftolet, qui ne
porta que fur la mentonnière de Ion cafque.
C'eftoit le Duc de Mayenne, qui en mefmc
temps luy donne un grand coup d'épée fur la
tcite, dont il iuy enleva une bonne partie de
la peau i en fuite l'un & l'autre pourfuivant fa
pointe , le Baron d'un fécond coup de pifto-
let tué Rouvroy, qui portoit la Cornette du
Duc , &: la luy enlevé ■■, &c le Duc fécondé de ce
peu de braves hommes qui l'accompagnoient,
perce enfin ce gros Efcadron de (epc Cornet-
tes, ayant perdu dix-fcpt Gentilshommes dans
ce combat, qui coufta la vie à quatre-vingts
Reitrcs.
Apres cela, comme il lurvint un grand orage
qui fepara les combatans ; que le relie des Rei-
tresmontoient à cheval, & qu'il y avoit danger
que ceux des autres quartiers qui avoient déjà
pris l'alarme ne furvinflent avant le jour, le
Duc de Guife fit lonner la retraite. Il la fit fort
heureufement à Montargis, au mcfme ordre
qu'il en eftoit venu, ôc y ramena fes gens en-
richis du butin qu'ils avoicnt fait fur les Rci-
tres, qui perdirent en cette occafion prés de
mille hommes tant loldats que valets, une bon-
ne partie de leur bagage, &c plus de douze ceng
L I V R E I I. 189
clicvaux, fur Icfquels autant de fantafTins re- ijHj.
tournèrent à Montargis, &, ce qui fafcha le plus
le Baron, deux Chameaux qu'ils avoicnt dcf-
kin de prcienter au Roy de Navarre, &c les At-
tabalcs qu'on porte devant le General pour
marque de fa dignité , & dont la perte eft en-
core plus honte ufe que ne leroit celle de fa
Cornette.
Quoy-que cette victoire ne fuft pas fort
grande , elle fit néanmoins un fort grand effet,
Se donna lieu , par les dangereufes fuites qu'elle
eût, à la déroute entière de l'armée. Les Rei-
très qui avoient perdu la meilleure partie de
leur baeaee fe mutinèrent de nouveau, deman-
dant leur paye , de voulant fe retirer a toute
force, au cas qu'on ne les fatisfift; ce qu'on
ne pouvoit faire. Les Suiffes envoyèrent au
Roy des Députez pour negotier leur retour ; 5c
la chofe alla fî avant, que le Duc d'Efpernon,
qui menoit l'avantgarde de l'armée Royale,
conclut avec eux le Traité, par lequel on leur
devoir donner quatre cens mille ccus, &lepaf.
fage libre pour retourner en leur pais. Les Lanf
quenets, que les fatigues d'une fi longue mar-
che avoient réduits en très-mauvais eftat, fon-
geoient aufli à trouver les moyens d'obtenir la
liberté de leur retour. Le Baron de Dona, dé-
crié pour fon extrême néglic^ence à pourvoir a
la (eûreté de fes quartiers, n'avoit plus nulle
autorité ; ôc les François leurs conducteurs ^
Aa lij
15)0 Histoire de la Ligue.
ijSy. à qui on rcprochoit fans ccfTe l'infidélité de
leurs promefTcs, n'ofoient prefque plus fe mon-
trer.
Mais enfin la nouvelle afTeiirée de la grande
vidoire du Roy de Nvivarre, l'efperance que
Ton conceûc en fiiice qu'il paroiftroit bientoft:
avec fon armée vi6torieure , & l'arrivée du Prm-
ce de Conty , qu'il envoyoir commander en fa
place en attendant qu'il vinftluy-merm c, remj
rent le courage &c la joye dans cette armée. Et
parce que celle du Roy s'elloit allé camper à
Bonne val pour luy couper chemin, & l'empef-
cher de defcendre plus bas par le Vandomois
vers la Loire , on réfolut de changer de route,
ôc de remonter vers la fource de ce fleuve com-
me le Roy de Navarre le defiroit. Mais com-
me on elloit alors en de bons quartiers en plei-
ne Beauce aux environs de Chartres, on dif-
féra de quelques jours le départ de l'armée. Et
cela donna lieu au Duc de Guife d'achever en-
fin avec tant de gloire l'exécution de fon def-
fein, par la fameule défaite des Reitres à Au-
neau, qui fut bientoll après fuivie de l'entière
déroute de cette formidable armée.
Ce Prince, peu de jours après le combat de
Vimory, s'eftoit retiré à Montercau faut- Yonne,
comme s'il euil tourné le dos aux Allemans,
qui entrèrent en mefme temps dans la Beauce j
& fans fe foncier de ce qu'on pourroit dire de
cette rccraice dont on parloit peu favorable-
Livre II. 1* 19!
ment, il y rafraiichit Tes gens dix ou douze 1J87.
jours, &i renvoya de la les Ducs de Mayenne
& d' Aumalc avec leurs troupes dans leurs Gou-
vernemens de Bouro-ocrne de de Picardie , fur
lefquels il crut que les ennemis de fa Maifon
avoicnt quelque deiTcin, Après cela, quoy-
qu'iln'cull plus dans la petite armée que douze
cens chevaux &; trois à quatre mille fantaiTins ,
il le mit à fon ordinaire après les ennemis qui
marchoient fort lentement, Se ne ceffa point
de les liarceller julques à ce qu'avant que de
fe joindre à l'armée du Roy, qui l'en preffoic
fort, il eût trouve l'occafion de faire ce qu'il
meditoit depuis (i lon^-temps, & qu'il eût en-
levé leur principal quartier, en fe rendant maif.
tre de leur place de bataille. Car il ne doutoic
nullement que cela ne deuil eftre la caufe de la
ruine entière de leur armée. C'eft ce qu'il fit
de la manière que je vais brièvement repre-
fenter.
Comme il fut arrivé le dix-huitiéme de No-
vembre à Ellampes, après avoir durant quel-
ques jours coHioyé les ennemis fur la droite, il
envoya le lendemain le fleur de la Chaftre avec
fept à huit cens chevaux à Dourdan, d'où le
fleur de Vins qui commandoit la Cavalerie lé-
gère fut détaché pour aller reconnoiftre leurs
logemens. Il le lit fort exactement, & après
quelques petits combats où il eût de l'avanta-
ge, il apprit parles prilomiiers qu'il avoir faits^
i5>i Histoire de la Ligue.
IJ87. qu'ils eftoicnt logez fort au large en cinq ou
^x gros villages, a quelque deux ou trois lieues
au-dc^à de Chartres, aux environs d'Auneau où
cftoit le quartier des Reitrcs.
Auneau eft un gros bourg ou une petite
ville fermée de fimples murailles de fix ou fept
f)ieds de haut fans foffez qui vaillent , ni pont-
evis aux portes , comme font tous les bourgs
de la Bcauce. A colté de ce bourg, il y a un
marais &c un grand eftang, d'où fort un ruif-
feau , dont les bords font plantez de faules ôc
d'autres arbres qui aiment la moiteur. Il eft af-
fez profond, & l'on ne le peut aifément paffer
que par des moulins & des villages que les en-
nemis tenoient à plus de deux lieues au deflous
de ce ruilfeau, qui fe meflant avec le Lorray,
fc va rendre dans la rivicre d'Eure prés de Main-
tenon. A l'un des bouts de l'eftang il y a une
chauffée, qui après avoir traverfé tout le ma-
rais fe termine à un petit bois & à une garen-
ne, vis-à-vis de la porte duChafteau qui com-
mande la ville. Il eft beau, grand, & affez
fort pour fe défendre d'une infulte, ayant une
grande baffe-cour où l'on peut mettre des trou-
pes en bataille, &c qui eft feparée des maifons
de la ville par une place qui empefchc qu'on
n'en puiffe approcher fans cftre veû,
Auflitoft que le Baron de Dona fe fut logé
dans ce Bourg où il entra fans aucune réiîf^
tance avec fes troupes , les plus échauffez au
pillage
Livre II. " 1^3
pillage ne manqucrcnt pas de donner jufqu'à h. x;8 7,
porte de la bafTe-cour du chafteau dans la-
quelle les habitans avoicnt retiré à la haftc
tout ce qu'ils avoicnt de meilleur, &: une gran-
de partie de leur beftail que ces Allemans vou-
loient avoir. Mais ils en furent repouffez à
grands coups de moufquet, qui en couchèrent
trois ou quatre par terre. Sur cela le Baron
envoyé au Capitaine du chafteau un trompet-
te , qui le menace de la part de mettre le feu
par tout, &c de le foudroyer luy-mefme dans
fa place avec l'Artillerie qu'il feroit venir, s'il
continuoit à tirer. Mais le Capitaine qui eftoit
I Gafcon, de tenoit ce chafteau pour le Roy,
répondit d'une manière qui eft affez commune
i aux braves de fa nation, faifant dire au Baron
par fon trompette, qu'il ne craignoit m luy
ni fon canon, de que (i fes gens approchoient
j encore du chafteau, il n'épargneroit ni fa pou-
dre ni ion plomb, pour les repoufter comme
on avoit fait.
Voilà tout le pourparler qu'il y eût entre
eux , fans que le Gafcon s'engageaft , comme
on l'a voulu dire, à ne rien entreprendre con-
tre ces fafcheux hoftes qu'il avoir malgré luy
dans Auneau. AuiTi, pour s'aiTcûrer contre un
homme de cette humeur, les Reitres fe barri- '
caderent , & mirent une forte garde aux avc-
nues par ou l'on pouvoitpafter dans deux gran-
des rues qui font toute la longueur de ce bourg.
Bb
— îi7'4 H I s T Ô lîl E ; D E LA L I G U E.
ijS-j. Apres quoy fe croyant en affeûrance, ils de-
meurcrcnt là dans un profond repos fept ou
huit jours, pendant Iclqucls, comme on com-
men(^oit à boire les vms nouveaux dont il y
eût cette amiée là grande abondance, ils célé-
brèrent la victoire du Roy de Navarre &c l'ar-
rivée du Prince de Conty par toutes fortes de
réjoiiïfTances , fur tout en faiiant débauche, &
bcuvant à leur mode nuit ôc jour à la fanté de
ces deux Princes.
Cependant le Duc dcGuife, qui ne fongeoit
qu'à trouver le moyen de les lurprendre, ayant
receû le pian des logemens de cette armée par
le iîeur de Vins qui les avoit luy-mefme re-
connus, rélolut de les attaquer dans Auneau.
Pour cet effet, il negotia fi adroitement avec le
Capitaine du challeau, qu'après bien des dif-
ficultcz qu'il fallut furmonter par des promef.
fes tres-avantageufes, ôi par les grandes libe-
ralitez de ce Prince qui donnoit tout, ëc ne fc
réfervoit, comme Alexandre, que l'efperance
d'arriver où il prérendoit, ce Gaicon, qui ne
haïffoit pas l'argent, luy promit enfin la chofe
du monde la plus délicate pour un Gouverneur
de place qui le doit défier de tout. Ce fut de
recevoir fes troupes dans le chaileau, pour en-
trer par là dans la ville.
Il s'eftoit avancé d'Eftampcs jufqu'à Dour-
dan le Vendredy vingtième de Novembre lors
qu'il receuc cette afl'eûrance j de comme fa pc-<
«
L I V R E I I. 15);
titc armcc maichoit déjà le lendemain pour 1587^
cxccutcr l'entrcprilc, il apprit que les ennemis
l'avoient découverte par la priie d'un païian
qui luy apportoit une lettre du Gouverneur.
Cela fans doute eftoit capable de la luy faire
rompre , & prciquc tous fes Capitaines le luy
confeilloient. Mais il ne fit que la différer de
deux jours, lur ce qu'il eût avis que les Rei-
tres n'en eftoient pas plus lur leur garde, & ne
laifl'oient pas de continuer leurs débauches ,
nonobftant qu'il leur eufttué dans une embuf-
cade cent ou fîx-vingts des plus braves de leur
armée, entre lelquels, outre trente -cinq Gen-
tilshommes des plus illuftres Maiions d'Alle-
magne, le trouvèrent un Comte de Mansfeld
& Ion allié le neveu de l'Archevefque de Co-
logne Gebbard Truchfes , celuy-la melme qui
par un déplorable aveuglement préfera la pof-
fe/îion de la belle Chanoinefle Ac^nés de Manf-
feld à ion Eledorat & à fa Religion , à la-
quelle il renonc^a pour avoir la liberté de l'é-
poufer. 'jj ... :>
Le Duc cftant donc réfolu de pafier outre^
quoy-qu'on luy remontraft qu'il y avoir gran-
de apparence que les ennemis ne s'arreftoient
fi long -temps à Auneau de aux environs que
pour l'attirer dans la plaine qu'il falloir ne-
ceilairement que l'on traveriaft pour y arriver^
donna ordre que tout fuft preft pour marcher
la nuit du Lundy au Mardy vmgt- quatrième
Bb ij
-— 15><? Histoire ùe la Ligue.
1587. de Novembre , qui eftoit juftemcnt le jour que
les Allemans avoient pris pour s'en retourner
vers la fource de la Loire. Il ne Te fia pas tant
néanmoins pour ce coup à Ton bonheur, qu'il
ne prift d'ailleurs toutes les précautions, (îngu-
lierement du cofté du Ciel. Car avant que de
fortir de Dourdan pour fe mettre en marche ,
il fit publiquement Tes dévotions à l'Eglile où.
iUmplora l'afïiftanceduDieu des batailles pour
l'heureux fuccés de fon entreprifc.
Il y laifla mefme Ton Aumofnier pour y con-
tinuer toute la nuit avec le Cierge les prières
devant le tres-Saint Sacrement qui fut expofé;
ôc par une certaine faillie furprenante &c toute
extraordinaire de pieté il fît une action qu'on
ne doit nullement imiter, &: que l'on peut tou-
tefois excufer en un Prince qui agiffoit à la ca-
valière de bonne foy en cette occafîon, où
bien loin de s'appercevoir qu'il y euft la moin-
dre ombre de mal en ce qu'il alloit faire, il
croyoit au contraire, fans qu'il s'avifaft jamais
d'en douter, que ce fuil une action tres-agréa-
ble à Dieu, Car il ordonna de fon autorité,
que chaque Preftre célebrail: cette nuit-là trois
Mcffes, comme on fait en celle de Noël. Et ces
bons Preftres qui n'en f(javoient pas tant en ce
temps-là qu'on en ferait aujourd'huy,luy obéi-
rent fimplemcnt, dévotement, &c fans fcrupu-
k j & l'on peut croire pieufement que Dieu, qui
c;cauça leurs prières &c leurs facrifices, comme
L î V R E I I. r^7
révencment le fit aflez voir, ne rebuta pas 1/87.
ccluy qu'ils luy firent de leur {implicite lans y
pcnlcr.
Ce Prince s'cftant donc prémuni de la forte
s'alla rendre fur les (cpt heures du loir au ren-
dez-vous qu'il avoir donné à fes troupes au
fortir du bois de Dourdan en une belle plai-
ne, où, félon l'ordre qu'il en avoir donné, M.
de la Chaftre Marefchal de Camp les avoit
rangez en bataille. Le fieur de Vins eftoit avec
trois cens Chevaux -Légers à la telle de cette
petite armée. Le ficur de la Chaftre le luivoic
avec fon Elcadron d'un peu plus de deux cens
hommes d'armes j &c Meifieursde Guife Ôc:û'E1-
beuf les fouftenoicnt à droit & à gauche avec
leurs deux Eicadrons qui eftoient chacun d'en-
viron trois cens chevaux. L'Infanterie divi-
fée en quatre Bataillons fous les Colonels Joan-
nés, Ponti'enac, Bourg, &c Gié, fut rangée fur la
main droite de la Cavalerie qui la couvroit des
ennemis qui ne pouvoient venir à eux que par la
gauche dans une grande plaine où il n'y avoit
ni arbre ni buiflfon, ni haye où elle fe puft
mettre à couvert. Ils marchèrent en cet ordre
durant prefque toute la nuit , qui clloit fi ob-
fcure, que s'égarant de temps en temps, ils n'ar-
rivèrent que iùr les quatre heures du matin à
mille pas d'Auneau, dans un vallon, à l'un des
bouts de la chauU'éc qui conduit à la fauffc
porte du chaftcau, :ouç joignant la garenne ,
Bb iij
- i5>8 Histoire de la Ligue.
j 8 7. julqu'oii la Chaftre s'cftant avancé, il rapporta
qu'il avoir entendu les trompettes.
C'elloit qu'en effet l'armée s'appreiloit à
quitter ce jour-là Tes logemens : mais on avoir
fujet d'appréhender que ce ne fuft qu'on euft
eu avis de leur marche. Cela fut caulc que
le Duc de Guife , qui eftoit trop avancé pour
reculer, &c qui vouloir abiolument attaquer
l'ennemi, averti ou non, & le prévenir, fit en-
filer promptement la chauflée à les gens de pied,
qu'il conduifit luy-melme, fans que les ennemis
s'en apperceuffent, jufqu'à la faullc porte qui
leur fut ouverte , & par où il les fit entrer à la
file, exhortant avec fa gayetc ordinaire les fol-
dats & les officiers à bien faire, & à fe rendre
maiftres de ce logement ôc du crrand butin
qui les y attendoit, pour les enrichir des dé-
pouilles des Reitres. Après quoy s'eftant reti-
ré à fa Cavalerie, qui en l'attendant faifoit al-
tc au bout du marais , il alla difpofer fes qua-
tre Efcadrons dans la plaine tout autour du
" bourg, pour recevoir & railler en pièces ceux
qui en fortiroient pour fe fauver.
Cependant le Capitaine Saint Paul ayant
laifle dans le chafteau autant d'hommes qu'il
en falloit pour s'afieûrer en tout cas la retrai-.
te, elloit paffé dans la balTe-cour, où il donna
fes ordres pour l'attaque en cette manière. Il
prit la gauche à la telle de cinq à fix cens Ar-
quebufiers, pour donner dans la grand' rue ou
.? ' : L r V R E î T. " i9<,
le Baron de Dona cftoit loge. Il en pla(ja llir i jb'7.
la droite autres cinq cens du Régiment de Pont-
Icnac , commandez par leur Colonel pour en-
trer dans le bourg par l'autre rue. Il en ordon-
na c|uatrc cens qui dévoient demeurer en ba-
taille dans la balîe-cour, pour Ibuilenir & pour
rafraifchir les premiers, Ôc en jetta devant luy
trois à quatre cens avec les enfans perdus pour
faire la pointe , donnant ordre à ce qui relloit
qu'aullitoft que l'on commcnceroit l'attaque, on
le coulaft entre les murailles ôc les maifons pour
fc (aifîr des portes où il n'y avoit ni gardes ni
icntinelles , tant le Baron avoit mal profité de
la leçon qu'on luy avoit faite à Vimory, où il
fut furpris par une pareille négligence.
Cela difpolé de la iorte, 6c la grand' porte
de la bafle-cour que l'on avoit fait démurer,
citant ouverte, les enfans perdus fe jettent à la
pointe du jour dans la place qui eft entre le
chafteau &c la ville, où ils trouvent quelque
cinquante Cavaliers des ennemis ordonnez pour
la garde des barricades, qui eftant accourus au
bruit les recjoivent fî-bien & les repouflent fi
vertement, qu'ayant pris l'épouvante pour fc
voir l'ans Cavalerie qui les puft fouftenir, ils
reculent julqu'à la porte. Mais le Capitaine
Saint Paul lurvenant la-defTus , ôc tous les au-
tres en fuite après luy, les ramené au combat
i'épée dans les reins, criant tant qu'il pouvoir
à ceux qui cftoient demeurez dans la bafle-
loo Histoire de la Ligue.
ijSy. cour, qu'ils tiraflenc hardiment fur cous ceux
qui rcculeroient d'un feul pas. Et ce qui fit en>.
cote plus d'effet fur ces gens effrayez que ce
terrible commandement, &c le péril inévitable
d'une mort prefente s'ils laichoient le pied , fut
l'exemple de ce brave Capitaine &c de tous les
Officiers, qui fe détachant de leurs Compagnies
fe mirent à la tcflc de leurs gens.
Car après avoir repouffé ces Cavaliers qui
furent bientoft démontez, & tuez par une greflc
d'arquebulades que déchargèrent furieulement
fur eux les foldats qui fuivoient leurs Officiers,
ces braves gens donnèrent avec tant de furie
dans les barricades, que les ayant forcées,rom-
pues & renverfées prefque en un moment, &
paifé au fîl de i'épéc ceux qu'on y avoit mis
pour les garder, toute cette Infanterie fe ré-
pandit comme un torrent impétueux à droite
a gauche dans les deux rues, &c fans s'arref-
ter au pillage, comme on avoit fait à Vimory,
ce qui donna loiflr aux Reitres de monter à
cheval, ils renverfcnt de loin à grands coups
d'arqucbufe ces pauvres Allemans, qui fortam
de leur logis encore prefque tout affoupisj.demi-
yvrcs & demi-nuds, les uns le piftolet au
poing, ôc les autres n'ayant que leur épée, ne
pouvoient atteindre leurs ennemis, qui avoient
toute forte d'avantage fur eux , &: les tuoicnt
fans peine , &c fans partager avec eux le pe-
liL
Ceux
Livre II. ioi —
f Ceux qui cftoicnt dcja montez à cheval pour ijSy.
partir, ne pouvant ni former d'cicadron , ni
marcher avec quelque ordre contre l'ennemi
dans CCS rues cmbarraflées de ce grand nombre
de chariots tout attelez, cftoient d'autant plus
aifemcnt tuez, qu'ils elloient plus en but que
les autres aux arquebufades dont ils ne fe pou-
voient défendre; de cet embarras, qui leur el-
toit fi funcfte, iervoit aux Catholiques comme
d'un rempart d'où ils tiroicnt fur eux fans
péril, &c fans perdre un feul coup.
Dans le deiefpoir où ces pauvres Reitres fe
trouvoient, il ne leur rcftoit qu'une voye de fe
mettre à couvert d'une Ci furieule tempeftc
qu'ils voyoient fondre tout -à- coup fur eux j
c'eftoit de gagner promptement les portes, foie
pour fe rallier dans la campagne, foit pour fe
fauvcr dans les autres quartiers. Mais y clfant
accourus en foule , ils trouvèrent qu'elles cf-
toient laifies par les gens du Capitaine JoaiK
nés qui les en repoufferent, en faifant tomber
fur eux une horrible grcfle de moufquetades,
Ainfî les uns n'en pouvant plus fe laifl'oicnt
miferablement tailler en pièces; les autres re-
tournant fur leurs pas, s'alloient jetter au mi-
lieu de ceux qui les pourfuivoient, & fe fai-
foient tuer en combatant, pour avoir du moins
cette trifte confolation de périr avec honneur
&: en foldat les armes à la main. Quelques-
uns le cachoient dans les logis , d'où le feu
Ce
=- 2.01 Histoire de la Ligue.
ÎJ87. qu'on y mit les faifanc forcir demi - roftis ,
ils tomboient entre les mains de ceux qui
croyoicnt que ce fuft leur faire grâce que de
les achever dans le déplorable eftat où ils les
voyoient. Il y en eût qui s'eftant coulez du
haut des murailles , fe voulurent fauver au
travers des champs &: des marais ; mais la Ca-
valerie qui couroit après les tailla tous en piè-
ces.
Enfin, de tout ce qui eftoit dans ce loge-
ment, je trouve qu'il n'y eût que le Baron de
Dona qui fe fauva luy dix ou douzième, foit
par une maifon attenante à la muraille, & de-
là par de petits fenticrs qu'il trouva dans les
marais, foit au commencement de l'alarme par
une des portes que les foldats de Joannés n'a-
voient pas encore fermée. Tout le rcîtc fut ou
tué, ou pris lors qu'après la chaleur de cette
fanglante exécution, qui ne dura gueres plus de
demi-heure, il n'y eût plus de réfiilance. Voilà
quelle fut la défaite des Reitres à Auneau, ou,
fans que le victorieux y pcrdill un leul hom-
me, il y eût environ trois mille de ces Ellran-
gers qui furent tuez fur la place , & quelque
cinq cens prifonniers , lans compter une de
leurs Compagnies, qui cftant accourue d'un
quartier voifin au fecours des autres , fe ren-
dit lafchemcnt, fans fe défendre, aullitoft
qu'elle fe vit attaquée dans la campagne. Ou-
tre fa Cornette on en prit neuf ou dix autres
L I V R E I I. 10$ '
que le Duc de Guifc envoya fur le champ au i ; 8 7.
Roy. Tout le bagage, tous les chariots char-
o-cz & attelez tout prefts à partir, les armes, la
vaiflelle d'argent, les chaifnes d'or des Officiers,
&: tout le refte du butm demeurèrent au vam-
Queur, & les Fantaflms devenus Cavaliers &c
montez fur les chevaux qu'ils trouvèrent fêliez
Se bridez avec les piftolcts à l'arcon, retournè-
rent comme en triomphe à Eftampcs, où le
Duc de Guile s'eftoit rendu auflitoil après fa
vidoire , qui eût l'heureuie fuite qu'il avoit
préveûë.
Car il y eût une fi grande confternation
dans le refte de cette armée, qui, après cette
défaite, s'cftoit ralliée à une lieue prés d'Au-
neau, que le pauvre Baron de Dona, quelque
raifon qu'il allcguaft pour faire valoir ion avis,
ne put jamais perluadcr aux Chefs qu'on dévoie
aller fur le champ inveltir les Catholiques, qui
ne fongeant plus qu'au pillage, feroient iur-
pris, envelopez, èc en luite ailcment défaits ôc
tous pris ou tuez dans le dclordre où ils eftoient.
Bien loin de cela, les Suilfes épouvantez de ce
fécond malheur beaucoup plus grand que le
prem.ier, Se fort affoiblis de diminuez par le>
fatigues d'une marche de plus de trois mois ,
ie feparerent du corps de l'armée, & après avoir
accepté les conditions que le Roy leur avoic
accordées, le mirent en chemin pour retourner
en leur païs.
Ce ij
-104 Histoire de la Ligue.
15-87. Ce peu de Reitres qui rcftoient encore dans
cette armée, & les Lanfquenets qui le trouvoient
en un très -pitoyable eftat, firent quatre ou
cinq jours après lamefme choie. Ils fe voyoient
pouriiiivis d'un cofté par l'avantgarde de l'ar-
mée du Roy fous la conduite du Duc d'Elpcr-
non, & de l'autre par le Duc de Guife, auquel le
Marquis du Pont avoit amené trois à quatre
mille chevaux Italiens que le Duc de Lorraine
avoit donné ordre de lever dés le commence-
ment de cette guerre. Ils avoient appris que
le iîeur de Mandelot Gouverneur de Lyon, en
clloit ibrti avec cinq ou fîx mille hommes pour
leur couper chemin ; & ils eltoient réduits,
après la défaite d'Auneau, par les déferrions
fréquentes, par les maladies, Ôc par les fatigues
de leurs longues traites , à un fort petit nom-
bre, lans vivres, lans munition , fans bao;aec,
de prclquc fans armes, &c fans elperance de
pouvoir échaper au milieu de tant d'ennemis
qui les alloient enveloper. Ainfi la dernière ne-
ccllité les obligea d'accepter enfin le Traité que
le Duc d'Eipernon, par la permifiion du Roy,
leur offroit encore, pour empcfcherque le Duc
de Guife, qu'il n'aimoit pas, n'euft la gloire
d'avoir défait entièrement cette grande armée
d'Eftrangers.
Les conditions furent, que les Lanfqucnets
rcndroieiit leurs Drapeaux ; que les Reitres cm-
portcroicnt leurs Cornettes ferrées dans leurs
L' I V R E II. 105 •
vailles ; que les François Protcftans auroicnc 15^7.
mmn-Icvéc de leurs biens, mais qu'ils iortiroient
du Royaume s'ils ne le failoicnc Catholiques j
que les uns & les autres prometcroient de ne
porter jamais les armes contre le lervice du
Roy ; de que Sa Majcftc leur donneroit avec ef-
corte un laufconduic tres-ample pour palier en
toute IcLireté par Tes Eftats , &c pour fe retirer
hors des honticres de la France où ils vou-
droicnt. i
Les Francjois firent tous leurs efforts pour
empelcher que les AUemans n'acccptaflent des
conditions il honteules, leur promettant de les
conduire ians penl julques à l'armée du Roy
de Navarre. Mais comme ils s'apperceûrent que
bien loin de les écouter, ces Eftransers avoient
dellein de les arrcfter , pour s'alTeûrer de leurs
payes qu'on leur avoir filouvent promifes fans
effet, ils fe feparerent fecretement, de prirent
de différentes routes pour fe fauver. Le Prince
de Conty avec quatorze ou quinze Cavaliers
fe retira par des chemins fort écartez, & Ians
cflre reconnu, en l'une de les terres au pais du
Mayne. Le Duc de Bouillon prit lur la droite,
de après avoir traveric avec des peines incroya-
ble le Lionnois & la Breffe , fuyant toiajours
les grands chemins , le rendit enfin à Genève ,
où peu de temps après il mourut de tant de fa-
tigues , comme le Comte de la Mark fon frère
en eltoit more durant leur marche à Ançy4c-»
Ce iij
ro6 Histoire de la Ligue.
1J87. Franc dans le Senonois. Les autres Capitaines
fe retirèrent, avec peu de fuite, & beaucoup de
péril & de peine, en divers endroits.
Il n'y eût que le brave ChaliiUon, qui avec
environ fîx-vingts Cavaliers qui s'abandonnè-
rent à fa conduite, perqa, avec une grande ré-
folution favorifée de la fortune, tout au travers
des troupes deMandelot, & de tout le pais du
Lionnois, du Foreft, du Velay, d'où l'on ve-
noit fondre fur luy de tous coftez au fon du
tocfin qu'on fonnoit dans toutes les villes &
les bourgades & dans tous les villages, & fe
rendit fans beaucoup de perte dans le Vivarez
où il avoit de bonnes places, & de la dans le
Languedoc. Pour les Lanfquenets àc les Rei-
tres, après leur Traité conclu & fignc, ils fu-
rent magnifiquement traitez à Mariigny parle
Duc d'Efpernon, qui leur donna une efcortc
de quelques Compagnies d'Ordonnances & de
gens de pied , pour les conduire jufques au-
delà, de la Saône qu'on leur fit pafler à Mafcon.
Cela pourtant n'empeicha pas la perte d'une
grande partie de ces pauvres Allemans , qui
tombant malades, ou demeurant derrière par
foiblcffc, ou pour cilre trop loin de leur efcor-
tc, dans des logemcns fort éloignez les uns des
autres, eftoient miferablement égorgez & af-
fommez lans réfilliance & fans miiericorde par
les païians, pour le venger des horribles rava-
ges que ces Etrangers av oient faits en France,
Cayet.
Livre II. zoy
Ce fut en un cftac fi pitoyable que le Biron 1J87.
de Dona & le Colonel Boucq demeurez feuls
en vie des hauts Officiers de cette armée rédui-
te prefque à rien, eftant arrivez fur les frontiè-
res de Savoye , nnplorerent la mifericorde du
Duc, qui, pour obliger les Princes Allemans,
leur donna pafHige par fes terres, pour fe reti-
rer par le païs des Suifl'es en Allemagne, où l'on
ne fut jamais fi iurpris que de voir une fi
grande delolation, 6l de iî déplorables rcftes
de la plus grande armée qui en fuft encore
fortic pour entrer en France au lecours des
Huguenots. Car enfin de vino;t mille Suiflcs ,
neuf ou dix mille Laniquenets , & huit mille
Reitres qui y furent levez en leur faveur, il
n'y en rentra pas quatre mille tant maiftres
que valets, dont la plufpart moquez & mépri-
fez de leurs compatriotes, ne iurvécurent gue-
res à leur infortune, mourant bientoft après
autant de honte & de regret que des maladies
contractées par tant d'incom.moditez qu'ils a-
voient louffertes en une fi longue 6c fi mallieu-
reule expédition. ■
Le Duc deCuiie 6c le Marquis du Pont, qui
depuis que ces miterables furent hors de la Fran-
ce, les fuivirent juiqu'auprés de Genève, ayant
fccâ par les lettres que le Duc de Savoye leur
écrivit, qu'il les avoit pris en la proteâ:ion, les
abandonnèrent à leur mauvaife fortune, qui
leur fit encore plus de mal qu'ils ne leur en fou-
loS Histoire de la Ligue.
ijSy. haicoicnr. Apres quoy, pour remettre en bon
eftat leurs troupes, qui, à la réfcrve des Ita-
liens arrivez les derniers, a voient extrêmement
fouffert depuis quatre mois qu elles fuivoient
ôc harcelloicnt continuellement Tarmée Protef-
tante , ils les menèrent rafraifchir dans le petit
Eftat du Comte de Montbelliardjl'un des prin-
cipaux Auteurs de l'armement des Reitres. Et
ce fut-là que leurs loldats, aufquels ils donnè-
rent trop de licence, fe vengèrent impitoyable-
i>i. t. 3. nient par toutes lortes d excès d avarice & de
cruauté, pillant, brûlant, malTacrant, & defo-
lant tout, des maux que les AUemans, dont
ils ne dévoient pas luivre l'exemple, avoientfait
fouffrir aux pauvres Lorrains.
Cette grande victoire remportée fur une Çi
puiflante armée, fans qu'il en couftaft preiquc
rien, fut lans doute tres-glorieufe, mais auffi
trcs-funeflc à la France, par l'extrême malice, ^
par l'iniolcncc infupportable des Ligueurs, qui
en tirèrent avantage pour élever leur idole au
defîus des nues, en abbaiffant infiniment celuy
qui tcnoit la place de Dieu, dont par le cara-
^ere ineffac^able de la Royauté il eftoit en
France la vive imacre. Tout rerenniToit dans
Paris des loûano;es du Duc de Guife. Dans les
mailons particulières, dans les places publiques,
dans le Palais, & dans les écoles deTÛniverlité,
dans les cgliics &: dans les chaires des Prédi-
cateurs J on ne parloit que de la défaite des
Reitres ,
Livre II. 109
Rcitrcs, comme d'un miracle quon luy attri- 1587,
buoit uniquement , en le comparant à Moïlc,
à Gedeon, & à David exterminateur des Philil-
tins, &c à tout ce qu'il y a de Héros dans J'Hil-
toire Sainte. Et en mefme temps, bien loin de
f)arler comme ils dévoient avec éloge de ce que
e Roy avoit fait avec tant de conduite &: de
valeur pour empctcher les Allemans de pafTcr
la rivière de Loire, ils continuèrent, par une
effroyable malice, à le charger d'horribles ca-
lomnies, avec d'autant plus d'inlolence, qu'on
avoit témoiç^né plus de foibleife & de timidi-
té lors qu'il falloit feverement punir les fcele-
rars, qui trois ou quatre mois auparavant avoient
eu l'audace de les publier &c de les louftenir
hautement dans Paris.
Car Prevoft Curé de Saint Severin, l'un des coyet.
plus feditieux & des plus impudens hommes hiZ^iu.
qui fut jamais , ayant ofé dire dans un de les
fermons, que le Roy, qu'il accuioit, comme
faiioient les Seize, d'avoir appelle les Reitres
pour oppprimer les Catholiques, cftoit un Ty-
ran ennemi de Dieu & de fon Emilie : Bufî'y, le
Clerc àc Crucé le mirent en armes aux envi-
rons de la Parroiffe, pour empefcher qu'on ne
fe faiiift de la perlonne du Curé. Et en mefme
temps celuy de Saint Benoift Jean Boucher,
le plus opiniaftre & le plus emporté de tous
les Ligueurs, ayant fait fonner le tocfin dans
fon Eglife, toute la populace du quartier de
Dd
iio Histoire de la Ligue.
1J87. l'Univerfîté qui accourut les armes à la main,
pour les fouftenir, fe jetta fur les CommilTai-
res, fur les Sercrens & les Archers que le Lieu-
tenant Civil & celuy du Grand Prevoft avoient
amenez pour les prendre, Se les repoufla char-
gez d'injures di de coups au-delà des Ponts.
Et comme s'ils enflent remporté une glorieufc
■vi6Voire en bataille rangée fur le Roy meime,
qui au lieu de faire marcher dés le commence-
ment de la fedition Ion Régiment des Gardes
contre ces mutins pour en arrefler les Chefs,
eût la foiblefle de réprimer de de cacher la
' jufte indignation, julqu'à les flater encore, dc
à les carefler : les Seize, pour triompher après
un ù grand avantage, voulurent que l'on ap-
pellaft ce jour là, qui c^oit le troifîéme de
Septembre , l'hcureuie journée de Saint Se-
. vérin.
Or comme ils eftoicnt devenus plus infolens
par l'impunité d'un ii grand crime, & par la
déroute des Reitres, leurs Prédicateurs animez
de l'elprit de rébellion fe mirent à l'infpirer
plus furieufemcnt que jamais au Peuple, en di-
lant effrontément en pleine chaire, que le Roy,
qui avoit fait venir les Reitres, defefperé de
voir fon deflein ruiné par les vid:oires que le
Duc de Guife venoit de remporter fur eux,
avoit empefché que ce grand défcnfeur de la
Religion ne taillait en pièces le rerte de ces
Hérétiques, que le Duc d'Eipernon leur fau-
Ciytt, t. !.
Livre Î T. ' m
tciir (Se leur protcdlcur avoir comme retirez ijb'7.
d'entre Tes mains par l'ordre de Ton Maiilrc ,
^' par un traité qu'il avoir fait avec eux , pour
leur donner moyen de s'aller remettre en eltat
de retourner bientoft en France, Et la cliofe
alla fi avant, que ce détcftable eiprit de révolte
que les directeurs des confciences, les confei-
leurs, les prédicateurs, &c les docteurs dévoient
combatte de toute leur force comme eftant
tout contraire à l'Evangile qui n'enlcigne qu'c-
béilfance & loumifTion aux Puiffances leo-iti-
mes, eftoit non feulement inlpiré aux Peuples
dans les conférences particulières, dans les con-
feflions de dans les prédications, mais aulli en
quelque manière autorifé par la Sorbonne.
Je ne croy pas qu'on me puifle accufer de
n'avoir pas tous les égards qu'on doit avoir
pour cet illulfre Corps, puis que quand l'oc-
cafion s'en eft prelcntée , ce qui eft arrivé plus
d'une fois, j'en ay fait en quelques-uns de
mes Ouvrages tous ces grands éloges que la
pure venté, à laquelle je me luis tout dévoué,
a tirez de ma plume, MaisaulTi parce dévoile-
ment qui m'attache indilpenlablcment à la vé-
rité, je fuis obligé de dire qu'il eft impolli-
ble qu'en une fi nombreule Compagnie de jeu-
nes &c de vieux Dod:eurs il ne fe forme en
certaines faicheuks conjonctures, par le mal-
heur des temps, quelque facliion de certains
cfprits écartez ëc mutms qui ne iont pas de Ta^
Pd 1;
" ■■ —tu Histoire de la Ligue.
1587. vis des plus fages. Et comme nous en avons
veû une de nos jours , qui au lujet d'un livre
que l'on condamna, fuc lurmontée par le plus
grand nombre des bons Douleurs, qui préva-
lent encore aujourd'huy: aufTi durant la Li-
gue , qui avoit gafté la pluipart des eiprits
dans Paris, il y en eût une qui l'emporta par fa
cabale fur les bons qui gemifloient du déplo-
c^yet.Trifxf. lablc avcuglcmcnt de leurs confrères , ainiî
dH I. tom. q^•QJ^ \ç. pourra voir dans la luite de cette Hif
toirc.
Or fur CCS calomnies que les Prédicateurs de
la Ligue & les Seize publioient comme autant
de veritez inconteftables, cette faction deDo-
<Steurs corrompus s'cftant affemblée le feiziéme
de Décembre, fit un Décret, par lequel on dé-
jeurnai du c\d.ïQ. Qu'il cft Dermis aux Sujets d'ofter le Gou-
Kegne de Hsn- ^ n t-i ■ • » •
ry /;/. vernemcnt a un Prince qui n agit pas comme
il doit pour le bien de la Religion ic de l'Eftat,
ainfi qu'on peut ofter l'adminiftrationdes biens
d'un pupille à un tuteur qu'on a raifon de te-
nir pour fufpc6t. C'eftoit-là fans doute décider
en une matière tres-importantc un cas de con-
Iciencc félon les faux & pernicieux principes
de la morale la plus corrompue qui fut jamais.
AufTi le Roy, qui, après avoir mis hors de Fran-
ce les EilrantTcrs, veiioit de rentrer en armes
dans Paris, fut extrêmement lurpris d'une fifu-
rieufe audace, 6ide cette licence effrénée qu'on
prcnoit de décrier fa conduite dans les ier-
L I V R E I r. ii3
mohs, pourcmouvoir le peuple contre luy. Mais ijSy.
au lieu de s'en lefTcntir en Roy, en punidanc
cet attentat par le rigoureux (upplice que me-
ritoicnt les Auteurs d'une fi dcteltable doctri-
ne qui tend a la fubverfion des Monarchies,
il le contenta d'af^ir en ccnleur, ou pliuoll en
pcre fpirituel & en directeur de confcience.
Car toute la punition qu'il Hi d'une fi mé-
chante & fi déteftable aclion, fut de faire a.
ces factieux, & iur tout au Dodteur Boucher
le plus Icditieux de tous, en preiencc des Dé-
putez du Parlement qu'il fit venir au Louvre,
une belle & charitable remontrance, paria-
quelle il leur fit comprendre l'énormité de leur
crime qui les rendort dignes de la damnation
éternelle, pour avoir médit de leur Roy, par
mille horribles impofiures, dans la chaire de vé-
rité qu'ils avoicntchano-éc en une chaire peflihme cathedra
d-*- P II- / peltilentijc.
e menlonge & de calomnie i après quoy, com- pf. '■
me ils en eftoient defcendus , ils ne faiioicnt
point de fcrupule d'aller à l'Autel offrir à Dieu
le facrifice de l'Euchariftie , avant que de s'ei-
tre réconcilié avec celuy qu'ils avoicnt fi in-
dignement outragé. Il ajoulla, qu'encore qu'il
les puft juftement traiter comm.e le Pape Sixte
avoit tait depuis peu quelques Religieux de
fon Ordre, qu'il avoir envoyez aux galères pour
s'eftre méfiez de parler de luy dans leurs fer-
mons, il ne vouloir pas néanmoins pour cette
fois en ufer dç la forte à leur égard : mais quQ
Dd iij
1T4 Histoire de la Licite.
ïjSy. s'ils commettoient encore un pareil crime, il
vouloir que {'on Parlement en lîlt une jullice fi
exemplaire &c fi Icvere, qu'elle donnaft de la
terreur à tous les fceleracs &L Icditieux qui leur
reflcmbloient.
Ce fut-là toute la vengeance que ce Roy
trop bon prit de ces ^cns-là, qui abufant de
fa bonté qu'ils méprilbient, en devinrent en-
core après plus infolens. Cela fait bien voir
qu'il importe extrêmement au Prince de mo-
dérer tellement les vertus qu'il doit avoir, que
l'une ne nuife pas à l'autre par fon excès , &C
en fiiite à luy-mefme j que fa jullice &c la bon-
té s'accordent ians que l'une détruifc l'au-
tre ; que pour vouloir eilre trop jufte, il ne de-»
vienne pas odieux à fes Sujets ; & pour vou-
loir eftre trop bon, il ne ic rende pomt mépri-
fable.
Cependant il fut impofiible "que ces louan-
ges exceffives qu'on donnoit au lerviteur en
meime temps qu'on mcdiioit du Maiftre avec
tant de malice &c d'indignité, ne luy donnaf-
fent beaucoup de jaloufie & de chagrin, &c qu'un
Julie reflentiment ne luy fill prendre la réiblu-
tion de veno;cr tant d'outrages qu'on faifoit à
la Majefté Royale , ôc de mettre enfin les Li-
gueurs , ôc iur tout les Seize de leur Chef, en
cilat de ne pouvoir plus dilputer avec leur Sou-
verain, à qui dcmcureroit le maiilre. D'autre
cofté le Duc de Guiie clloit plus que jamais
L I V H E II. ir^
enflé de tant d'heureux fucccs, &: des illuftrcs i jS/.
témoi<rnac;cs que le Pane Sixte 6c Alexandre ./*""''"'' ''"
Duc de Parme avoicnt li lolenncilemcnc ren- ryui.
dus à Ton mérite; l'un, en luy envoyant l'épée
bénite; & l'autre, fes armes, comme à ccluy
qui entre tous les Princes mcritoit le mieux le
glorieux titre de grand Capitaine. Et comme
d'ailleurs il eftoit trop clair-voyant pour ne fe
pas appercevoir des marques toutes vifiblesque
le Roy, quelque diflimulé qu'il full , ne pou-
voit s'empeicher de donner quelquefois de Ton
dépit j 6c meime de la haine qu'il avoit con-
ceûë contre luy: il rélolut de fortifier telle-
ment Ton parti, que non Iculement iln'cull: rien
à craindre, mais aufTi qu'il pull tout elperer de
fon bonheur. Et il le fit avec d'autant plus
d'ardeur & de fermeté , qu'il cftoit alors plus
aigri qu'il ne l'avoir jamais efté, & prclqu'au
delefpoir, pour un refus que le Roy venoit de
luy faire d'une manière fort delobligeante, en
luy préférant Ion rival en ambition, ce qu'il
crut eftre le plus fenfible affront qu'il eulf pu
recevoir, 6c qui en fuite mit les chofes en eftat
de ne pouvoir plus eftrc accommodées. Voicy
comment cela le fit.
Le Duc deGuile, après le fignalé fervice qu'il
venoit de rendre à rEilatjCrut que s'il deman-
doit une partie de la dépouille du feu Duc de
Joycule Admirai de France & Gouverneur de
Normandie^ on ne pourroit la luy réfuter. Et
us Histoire de la Ligue.
ij-Sy. pour l'obtenir plus facilement, il fe contenta,
de demander l'Admirauté, non pas mefmepour
luy, ni pour aucun des Princes de fa Maifon,
mais pour le Comte de BnflTac, que fa naifTan-
ce tres-illuftre, & Ton grand mérite, joint aux
fervices rendus à la France par le brave Timo-
leon de Cofle fon frère Colonel de l'Infante-
rie Franc^oiie , ôc par fon père le Grand Maref-
chal de Brifl'ac Vice -Roy de Piémont, pou-
voient élever fans envie & avec l'applaudifl'e-
ment de tout le monde à cette haute dignité.
Après qu'on eût amufé ce Duc par des bel-
les ^faufles eipcrances,non feulement il n'ob-
tint pas cette Charge qu'il dcmandoit , mais
comme pour luy faire encore plus de dépit,
elle fut donnée avec le Gouvernement de Nor-
mandie au Duc d'Efpernon, qui eftoit fon plus
grand ennemi, & dont voicy le caradtere.
M/iit. MX Jean Loûïs de Nogaret cadet de ia Maifon,
uîn.' ' ^ qu'on appelloit quand il vint à la Cour, le
jeune la Valette, fceût il bien gagner les bon-
nes grâces du Roy, particulièrement depuis que
o Ouelus , l'un de ces malheureux Mignons qui
s entretuerent en duel, le luy eut recommande
en mourant, qu'il tint bientoft le premier rang
entre les Favoris avec le Duc de Joyeufe, fur
lequel mefme enfin il l'emporta, ayant eu l'a^
dreffe de luy faire demander le commandement
d'une armée pour l'éloigner finement de la
Cour. Il n'y a forte de faveurs, de biens, d'hon-
neurs
L I V R E I L iiy
ncurs Se de dignitcz dont le Roy ne comblaft 1 5 î) 7.
ce nouveau Mii^non, en faveur duquel il éri-
gea la terre d'Efpernon en Duché, pour le faire
Duc de Pair aulli-bicn qu'Anne de Joyeufc,
parce qu'il avoit entrepris de les égaler tous
deux en toutes choies, ayant meime pour eux
tant de tendrefle, peu digne d'un Roy, ouplû-
toft tant de foiblelfe, qu'il répondoit à ceux
qui luy remontroient qu'il prodiguoit tout, &
s'appauvrifloit luy-mefme pour les élever & les
enrichir, que quand il auroit marié fcs deux
enfans, car c'efl ainfi qu'il les appclloit ordi-
nairement, il deviendroit bon ménager. Il y
avoit pourtant cette différence entre eux, que
Joyeule, pour fon humeur douce, civile & ma-
gnifique , fe faitoit aimer. Mais au contraire ,
d'Elpernon, pour fon naturel brufque, fier, im- ^f,^ feréodio-
r ^1 -II ri omnibus
perieux & hautain, eltoit haï non leulemcnt propter ingc-
du peuple & des Ligueurs, qui faifoicnt mille rup«biam;
fanglantes fatyres contre luy , mais aufTi des pt-fl-,n:^|i,n'
plus Grands de la Cour qu'il traitoit de haut r^'icipes i^
en bas, comme fi la faveur de fonMaiftre, de tufoe^.Ef.ir,
laquelle il abufoit,luy euft donné droit de faire "* " "
infulte à ceux dont le Roy connoiffoit & mef-
me refpedtoit le mérite & la vertu. Car c'eft
ainfi qu'entre pluficurs autres il traita mefme
avec outrage François d'Efpinac Archevefque
de Lyon, &M. de ViUc-Roy, l'un des plus fa-
ges & des plus fidelles Mimftres que nos Rois
aycnt jamais eûsj ce qui ne nuifit pas au Dua
Ee
îi8 Histoire de la Ligue.
1587. de Guife , qui trouva par. là le moyen de s'a-
qucrir entièrement cet Archevefque.
Sur tout il y avoit une invincible antipathie
entre ce Prince & ce fier Favori , qui loit pour
plaire à l'on Maiftre , foit pour obliger le Roy
de Navarre, avec lequel il avoit alors une in-
telligence lecrete, ou pour la contrariété de
leurs humeurs le déclaroit en toutes les ren-
contres ouvertement Ton ennemi, & ne per-
doit aucune occafion de le rendre lulped: &
odieux au Roy, & d'allumer toujours de plus
en plus la colère & fa haine contre luy. Et ré-
ciproquement auili le Duc de Guife ne man-
quoit pas de ion codé d'animer le peuple de
Pans contre d'E(pernon,qui courut mclme rif-
que un jour en paflant (ur le Pont Nollre-Dame,
d'eftre allommé par le bourgeois, qui fortant
des boutiques en foule , l'alloit invelf ir , s'il
ne fe fuft fauve bien vifte. Il eft vray que le
mÙ ?/u' Nonce Morofini prévoyant les funcftes fuites
■vtt deicard. çmz Douvolt avoit ccttc inimitié, fit tout ce
qu il put par les lages remontrances pour 1 e-
teindre. Mais s'il l'alToupit pour un peu de
temps, il ne put empeicher qu'elle ne fe ral-
lumaft bientolt après. De forte qu'elle eftoit
plus forte que jamais, lors que le Roy, qui
ne pouvoir ou n'ofoit rien refufer à ce Favo-
ri, réunit en luy feul tout ce qu'il avoit par-
tagé entre luy & Joyeufc, &: luy donna le
Gouvernement de Normandie & l'Admirau-
L I V R E T I. irp
te que le Duc de Guilc avoïc demande pour i^Hy.
BrifTac.
Cela le fit avec un éclat extraordinaire, Se p^rn^i j,
l'Avocat Générai, dans la longue harangue qu'il """'^ ^^^'
dt en la réception du Duc d'Efpcrnon, dît
hardiment, cjue le Roy qui avoit fait un ii
beau choix eRoit un grand Saint, qui meritoit
d'eftre canoniie du moins autant que Saint ■"' ']
Louis, &c que celuy qu'il venoit de faire Ad- ' ' '■
mirai répareroit les fautes de l'Admirai de
Coligny , & f croit refleurir dans toute la France
la Religion Catholique. Une louange fade, &c . ^:.
qui n'ell qu'une baife & honteufe flaterie, fi
ce n'eft que celuy qui la donne prétende qu'on
la prenne pour une contre-vérité, doit cftre ,: "
plus iniupportable aux Grands qui aiment la '/.
véritable gloire, qu'une injure & qu'une faty-
rci & ils ne doivent point fouffrir d'autre en-
cens que celuy qui vient d'un éloge iolidc &: ' ""''-■
bien établi fur des vcritcz il connues de tout
le monde, que leurs ennemis meime n'en ofe-
roient difconvenir.
Celuy que cet Avocat du Rov fit en ccrrc
occalion nuifît plus a ce Prince & à l'Admi-
rai que tous les furieux libelles de la Li^ue. Il
attira lur eux le mépris &la raillerie, qui donr.c
quelquefois plus de chagrin que les invcclivcs,
& qu'une colère impuiilante ■■> Se il fît naiftre
cette fameufe Epigramme, par laquelle on con-
clut qu'on ne peut mer que Henry ne foit un
Ee ij
110 Histoire de la Ligue.
1587. grand Saint qui fait de^ miracles, puis que d'une
petite vallée il vient de faire tout-à-coup une
montagne. On vouloit faire allufîon à Ton fur-
nom de la Valette, ce qui eftoit affez du gouffc
de ce temps-là, ôc qui ne l'eft plus gueres de
celuy-cy , dc l'on prétendoit aum par là rava-
Qui fecit j^j. ç^ naiflance , conformément à ce que Buf-
modo valus bequius, qui eftoit Amballadeur de l'Empereur
j,urn*i de Rodolphe auprès du Roy en a écrit dans une
^'"'^' de fes Lettres, peut-eftre avec un peu de ma-
Reg^înTiui- lignite, &:fuivant les fots dilcours du petit peu-
pnVerlfmc'^c, pl^ , qui aime d'ordinaire à parler mal des Fa-
(inc nomme, voris. Ce OU il y a de bien certain, c'cft que
la Valitte , 1 r / 1 1 1 r ^
Tocabatur. ccttc ptodigieule ckvation du Duc d'Elpernon,
Patrem ha- cuncmi déclaré du Duc de Guife, fut caufe que.
buit belle e- r ■ r ■ ■ 1 \ C >T-
gregiura , a- cc Ptiuce luneuiement irrite du rerus qu u avoïc
ironem^fivV teceii , & dc l'agrandiiTement de celuy qui le
s«r/' Eft.i-. vouloit perdre , crut qu'il n'avoir plus rien à
*dR<id»i. II. ménager, & qu'il devoir poufler les chofes aufli
loin qu'elles pouvoient aller. Et delà s'enfui-
virent tous ces funeftcs &r tragiques évenemens
dont le feul fouvenir me fait horreur, & qu'il
faut néanmoins, pour m'aquitcr de mon de-
voir, que je rcprefente fidellcment dans le Livre
fuivanc.
HISTOIRE
DE
LA LIGUE.
LIVRE TROISIEME. '
I je voulois fuivre l'exemple du
Prince des Hiftoriens Latins,
lui ne laiflc échaper aucun pro-
ige qu'il n'expoie à la veûë de
fon Lecteur avec autant de lu-
pcrftition peut - eilrc que d'exaditudc : je pro-
duirois icy le Soleil obfcurci tout-à-coup (ans
aucun nuage , une épce flamboyante fortie du
centre de cet aftrc, des ténèbres palpables corn-
Ee iij
f
du
Ann.
*,
111 Histoire de la Ligue.
I j8 8. me celles de l'Egypte en plein midy , des tem-
Journal de pcftes extraordinalfes , des tremblemens de ter-
""^ ■ rc, des fantoimes de feu en l'air, & cent au-
tres prodiges qu'on dit qui arrivèrent en cette
malheureule année mil cmq cens quatre-vingts-
huit, & qu'on prétend avoir efté tout autant
de préfages des horribles defordres qu'on y
vit.
Mais parce que je ne fuis pas perfuadé qu'on
doive donner Beaucoup de créance à ces for-
tes de fîcrnes, qui font d'ordinaire des effets
d'une caufe naturelle, quoy-que bien fouvent
inconnue , ni aux prédiclions des All:rologues,
dont quelques-uns crurent avoir trouvé dans
i'cmlm^^ les Aftres que cette mefme année fcroit la der-
nière du monde: je diray feulement que lepré-
fage le plus afl'eijré de tant de malheurs fu-
rent les efprits trop aigris de part &c d'autre
pour pouvoir vivre en paix, ôc pour ne pas
chercher toutes les voyes de s'affeûrer de tous
ceux dont ils fe défioient,&:d'en difpofer com-
me il leur plairoit.
Pour cet efiet, le Duc de Guife, après avoir
achevé de ruiner le Comté de Montbeliard , fe
ï.T't.i'. '* rendit a Nancy, où il avoit fait convoquer au
mois de Janvier une Affemblée des Princes de
cZ't."' ^^ Maïf on, pour y prendre des réfolutions con-
formes à l'clfat prelént des affaires, & à l'heu-
reux lucçés qu'Us avoient eu dans U guerre des
Rcicrcs. On dit qu'il y en eût qui enflez de
Livre I I T. II 213
cette victoire, 6j aveuglez de leur profpcrité, ij8 8,
propoferent en cette Conférence les chofes du
monde les plus filcheutcs &c les plus violentes,
6c que le Duc de Lorraine , Prince lage ôc d'un
cipnt fort modéré, n'y voulut jamais confen-
tir. Quoy qu'il en foit, car je ne trouve rien
de cela, non pas melme dans les Mémoires de Mem. je u
leurs plus grands ennemis qui ont écrit fort ^'^"^' '" ''
exactement de cette AlTemblée, il eft certain
que il l'on n'alla pas à de fî terribles cxtrémi-
tcz, ce que l'on y conclut ne laifla pas de paf-
1er dans le monde pour une cntrepriie tres-
mjuil:e, & qui fut blalmce de tous ceux qui
ne s'eftoient pas encore aveuglément dévouez
à la Ligue.
Ce fut qu'on pretentcroit au Roy une Re-
quelle contenant des articles qui , lous le pré-
texte ordinaire de vouloir conierver en France
la Relie^ion Catholique, tendoient manifefte-
ment à le dépouiller de fon autorité & de fa
puiHance , pour la traniporter aux Chefs de la '
LiCTue. Car ces Articles Icandaleux portoienc
en lubllance. Que pour le fervice de Dieu, ^ pour ^f''<:^" p^»-
te maintien cir lajemrte de la l{eligion , le Hoy Je- chefs de u
roit, non pas très - humblement fùpp lié, ^^ais fommé f^H'J"!//^-^'
d'établir Ujainte Inqui/ition dans Jon Royaume; dy^'""y-
faire publier le Concile de Trente , en fuffendant l'Ar-^'/^^ll ''
ride cjui ré'voaue l'exemption que quelques Chapitres
Cir Abbajes prétendent contre les Enjejques ; de con-
tinuer U Tuerre contre les HuzHenots, ^ de faire a'f«-
p
i24 Histoire de la Ligue.
I j8 8. dre leurs biens (^ ceux de leurs ajfocie:!^, pour four-
nir aux jrîiu de cette guerre , (^ pour p'^jer les dettes
que les Chefs de la Ligue avaient ejlê contraints de
faire pour l'entretenir; de ne donner lanjie a ceux au on
fera prifonniers y au' à condition au ils payeront comptant
la taleur de tous leurs biens , ^ au ils donneront af-
feûrance de 'vivre dejôrmais en bons Catholiques.
Voilà la belle apparence d'un fore grand
zèle pour la Religion : mais voicy le venin ca-
ché lous un il fpecieux prétexte, ^ue le Rojje
joindra plus Jincerement ç^r plus ouvertement qu'aupa-
ravant a la fainte Union , pour en garder exactement
toutes les loix aufquelies on s'ejî obligé par le plus
% folennel ç^ le plus inviolable de tous les fcrniens.
Qu'outre les forces qu'il mettra fur pied pour faire la
guerre aux Huguenots, il entretiendra fur la Jrvntiere
de Lorraine une armée , pour s'oppofer aux Protejlans
d' Allemagne , s'il leur prenait envie de rentrer en Fran-
ce. Qu'outre les places que ceux de la Ligue tiennent
pour leur feûreté, on leur en donnera encore un certain
nombre d'autres pluf importantes qu'on luj marquera ^
C3r où ils pourront établir pour Gouverneurs les Chefs
qui luj feront nomme^^ avec pouvoir d'y mettre telle
çArnifon , & d'y faire telles fortifications qu'il leur
pUira aux dépens des Provinces ou elles font f tuées.
Et enfin que pour ajfeûrance qu'on n'empcfchera plus,
comme on a fit jufquà prefent , l'exécution des chofes
promifes pour la fèûreté de la I{eligion , Sa jMajeflê
chajjera de fon Confeil ^ de la Cour , ^privera de
leurs Gouvernemens (^ de leurs Charges , ceux qui
luy
L I V R E I I î. xiy
///y fennt nomme'^ , comme fauteurs des Hérétiques, 1588,
1^ ennemis de la Rclu^ion cïr de l'E^.tt.
C'cft-là cette ctranorc Rcc[uclle qui commen-
ça de faire ouvrir les yeux à plufieurs très-bons
Catholiques , Iclquels s'cftoient uinocemment
lailîc feduire à l'apparence d'un bon zèle, qui
citant peu éclairé , n'eftoit pas félon la icience^
comme parle l'Apoltrc. Car ils crurent voir
clairement en quelques-uns de ces Articles, que
laLi2;ue, pour en2;acrer dans fon parti le Pape
&: le Roy d'Efpagne, vouloit abandonner nos
Libcrtez,que nos Anceltrcs ont toujours main-
tenues avec tant de vigueur &: de fermeté, &:
foumettre au jouçr de î'Inquilition d'Elpag^ne
les François qui ne l'ont jamais pu fouffnr; ^
dans les autres, qu'elle prétendoit olfer au Roy
tout le lolide & l'elfentiel de la Royauté, pour
ne luy en laiifer que l'ombre 6c l'apparence,
de pour difpofer en fuite de fa perionne mel-
me comme il plairoit aux Chefs de ce parti.
Aulfi quand la Requefte fut prefentée au ^'V'fit dt.-
Roy de la part des Princes liguez de du Car- lum'de^u
dinal de Bourbon, de la iimplicité &: du nom ^'■^"''^- ^
duquel ils abufoient pour couvrir leur ambi-
tion, il en conceiit une extrême indignation.
qui parut d'abord dans fes yeux & fur Ion vi-
fage. Il crut néanmoins qu'il talloit dilfimuler,
ne le trouvant pas alors en elf at d'y faire une
réponfe digne d'un Roy jugement irrité con-
tre des Sujets qui parioient en mailtres. C'eit
Ff
ii6 Histoire DE LA Ligue.
X 5 8 8. pourquoy il le contenta, pour pgner du temps,
de du-e qu'il en exammeroit les Articles dans
fon Conteil, pour y répondre après, en forte
que tous les bons Catholiques eufTent tout lu-
jet d'eftrc fatisfaits.
Mais cependant le Duc de Guife , qui ne le
payoït pas de paroles connoiflant fort bien
le deffein du Roy, &c qui ne vouloit pas don-
ner au Duc d'Efpernon le temps de conjurer
cette tempcfte excitée contre luy , &c d'infpirer
à fon Maiftre les vigourcufes réfolutions qu'il
devoit prendre, prefloit continuellement le Roy
de faire une réponfe précifc fur tous ces Arti-
cles. Car il ne doutoit point que fi elle eftoit
favorable, il ne fuft bientoft maiftrc abfolu de
toutes chofes; & fi elle ne l'eftoit pas, qu'on
ne cruft que le Roy vouloir maintenir les Hu-
guenots , ôc qu'en fuite les Catholiques ne luy
hffent ouvertement la guerre.
C'eft pour cela qu'il envoyoit fans^ cefle de
fon Gouvernement de Champagne, où il eftoit
allé après la Conférence de Nancy, des Gentils-
hommes coup fur coup au Roy , pour deman-
der une réponfe précife : & il le faifoit avee
d'autant plus d'inftancc &c d'ardeur, que d'une
part il fe trouvoit plus puiiïant que jamais,
ayant une grande partie de laNobleffe,& pref-
nue tous les Peuples, & fur tout les Parifiens
pour luy i & que de l'autre il voyoït le parti
des Husueiiots extrêmement foible ôc abbatu
Livre 1 1 Î. ^ ; m 117
par la défaite de leur grand iccours d'Allc- ijSS.
iiians, & par la perte qu'ils vcnoient de faire
du Prince dcCondé, ccluy qu'ils croyoient cf-
trc le plus fortement attaché à leur Religion,
& auquel en luite ils fe fioicnt plus qu'à tous
les autres, & melme qu'au Roy de Navarre.
Il moumt le cinquième de Mars à Saint Jean Mem. de u
d'Angcly, d'une maladie trcs-violcnte, dont il '^"^''■■'•
fut foudainement attaqué un foir après Ton
loupé, & qui l'emporta dans deux jours. Les
Seize, par une infâme lafcheté, en firent de fort
grandes réjoiàiïTances , 8c leurs Prédicateurs ne
manquèrent pas de dire en leurs (ermons que
c'eftoit un effet de l'excommunication dont le
Pape Sixte i'avoit foudroyé. Mais outre que le J-"*"^'''*
Roy de Navarre, qui en avoir efté frapé com- ' ''
me luy par la melme Bulle, fe portoit fort bien ;
le Roy, auquel le bon homme Cardinal de
Bourbon alla dire la mefme choie en failant
de ojrandes exclamations , luy répondit fort fa-
gement &: en fouriant, que cela pourroit eftrc,
mais qu'autre choie y avoir bien aidé. Et cer-
tes, on n'en peut douter après l'atteilation de
quatre Médecins, &c de deux Maiftres Chiiur- ^"'fort du
giens, qui dépoient avec ferment avoir veû a/.w ^///^
maniteftement dans la plufpart des parties de ^'f ■ ''• -^ ^
fon corps toutes les marques & tous les effets
les plus Icnfibles d'un poifou cauftique, brû-
lant & ulcérant. Exécrable attentat qu'on ne
peut affez rigoureufement punir, & qui le fut
Ff ij
ii8 Histoire de la Ligue.
ij88. pourtant félon les loix, en la pcrfonnc d'un
de fes domeftiqucs , qui fut tiré à quatre che-
vaux en la place de Saint Jean d'Angely.
Ce fut au refte un Prince, qui, a la réfervc
de Ion opiniaftre attachement à la Religion
dans laquelle il eftoit né , & dont il euft pu
.1 •» connoiftrc la fauffeté s'il n'euil; elle trop pré-
venu, poifedoit à l'âge de trente-cinq ans au-
quel il mourut , toutes les perfections qui peu-
vent concourir à faire l'un des plus grands ôc
des plus honneftes hommes du monde, fans
<ju'on ait jamais remarque dans fa conduite &c
dans les mœurs aucun melme de ces petits dé-
fauts dont les plus iages ne font pas exempts,
•" • &c qu'on leur pardonne aiiément lans rien di-
minuer de la haute eftime qu'on a pour eux.
Que (î la fortune, qui ne le déclare pas toujours
pour le mente , ne luy fut pas trop favorable
en quelques rencontres où il eût beloin de fon
fecours, elle luy lervit pourtant beaucoup, en
ce qu'elle luy donna lieu de faire éclater hau-
tement fon courage dans fes adverfitez, où il le
mit infiniment au deilus d'elle par la force de
fon efprit, &c par la grandeur de fon ame.
, . Aufli la mort de ce grand Prince fut pleu-
■. '•■ i-ée non feulement de ceux de ion parti qui
J'aimoient paflionnément, mais aufTi des Ca-
tholiques, & du Duc de Guile mcfme, qui
tout chef qu'il elloit d'une méchante ôc lafche
faCtion dont il fe feryoït pour aller à les fins.
L I V R. E I I I. Z15)
avoir néanmoins de Ton fonds, &c de la beauté ij8 8.
de ion naturel extrêmement noble, toute la
généroficé qu'on doit avoir pouraimer, & pour
relpecter la vertu, julqucs dans la perfonne du
plus grand èc plus redoutable ennemi qu'on
ait.
Il ne laiflfa pas cependant de tirer d'un fi
funefte accident tout l'avantaçre qu'il put pour
l'exécution de Ion defTcin. Et comme il vit par
là, & par plufieurs autres difgraces arrivées
coup fur coup aux Huguenots leur parti de-
venu plus foible Se plus abbatu, &c le fien plus
entreprenant & plus hardi : il le mit à pour-
luivre vivement fa pointe, & à demander iatis-
faction lur tous les Articles de la Requefte,
qui avoit tellement liauffe le cœur aux Seize ,
qu'ils ne crardoient plus de melures, &c le ren-
doient tous les jours plus iniupportables. Il ar-
riva meime que le Roy receûc en ce temps -là
plufieurs avis de la rélolution qu'on avoit pri-
fe en leur Confcil de fe lailir de la pcrlonne ,
&C de l'enfermer dans un Monallere ; & ce mei-
me Lieutenant de la Prevofté de l'Ide Nicolas Pr»as vcrui
Poulain, qui luy avoit autrefois découvert une J,,^'""
pareille confpiration qu'on ne crut pas, luy
dît tant de parncularitez de celle-cy , qu'enco-
re qu'il le dcfiail: de cet homme double qui
luy eltoit extrêmement lulpcct, cela toutefois,
joint à l'extrême intolencc des Seize qui ren-
doit ion rapport plus croyable, ne laifla pas
ffiij
1^0 Histoire de la Ligue.
ij-ôS. de faire une très -forte imprcfïion lur Ton eC-
prit. De forte que, fuivant enfin le conlcil de
ceux qui vouloient depuis fi long -temps qu'il
emplovaft la force & la juftice contre ces mu-
tins , il réfolut de le mettre une bonne fois
l'clprit en repos de ce collé- là, de réduire Pa-
ns dans l'cftat de foumifTion&rd'obcïllance où
il dcvoit eftre, &d'étemdre la faction des Seize
par le chaiiiment exemplaire des plus feditieux
d'entre eux.
Les préparatifs qu'il luy fallut faire pour exé-
cuter fcûrcment cette entrepnie , les trois mille
Suifles qu'il fit locrer à LatTny,les Compagnies
<les Gardes qu'il fit renforcer, les troupes que
le Duc d'Efpcrnon, qui ciloit allé en fon Gou-
vernement de Normandie , luy envoy oit, & tous
les paiTages au deflus & au delTous de la riviè-
re qui cltoient occupez, mettent l'allarme par-
mi ces mutins, qui le croyant déjà perdus, im-
plorent le fecours du Duc de Guiie. Ce Prince
qui s'eftoit avancé de Reims julqu'a Soiflbns
pour appuyer le Duc d'Aumalc fon coufin
qui trouvoit de la réfiftance & de la peine à
s'établir dans le Gouvernement de Picardie,
fe contenta d'abord de leur envoyer quelques--
uns de fcs plus expérimentez Capitaines , pour
reo;ler 6c conduire leur milice en cas de bcioin.
Mais comme il le vit peu de jours après plus
vivement preffé par ces gens qui ciloient au
deiclpoir, de qu'il craignit que ce fondement
L I V R F. I I I. 151 —
de la Ligue fur lequel il avoir hafli, cflanc iy!>8-
unc fois renvcilé, i! ne perift luy-iTcfmc, &
qu'on ne vinll a luy après s'eftre défait de ceux
dont il eftoit en effet le Chef & lcProrecl:ur:
il fit avertir les amis & les créatures de te ren-
dre les uns après les autres, par différences por-
te';, à Paris, ôc donna ordre qu'on affeûrall les
Seize qu'il y feroit bientoll luy -mefme pour
vivre ik mourir avec eux.
Le Roy qui eût avis de cette rcfolution , ôc
qui appréhenda bien fort que faprefence n'em-
pefchall l'exécution de fon deffein , & ne mift
d'un clin d'oeil en armes cette grande ville qui
cftoit toute à ia dévotion, luy envoya le Pré-
fident de Bclliévre, homme de grande autorité.
Se d'une lageffe conlommée, pour luy dire de
fa part que dans l'eftat prêtent des choies, &c
dans la jufte appréhenfîon qu'on avoit que ta
venue ne caufalf de grands troubles dans Pa-
ris , il ne trouvoit pas bon qu'il y vint jut-
ques à nouvel ordre, de peur qu'il ne te rendift
coupable de tous les defordres qui en arrive -
roient,
A cela le Duc, qui ne défîftoit jamais de ce d^viu.
qu'il avoit une fois réfolu, répond froidement M^m. <i, u
& en termes ambigus, qu'il eft preft d'obéir ^'^^'^,^J;
au Roy; qu'il ne prétendoit aller à Paris qu'en '• ^- '•'• ,
riomme prive & tans tuite, pour le juttirier des dt m. ujfii
calomnies dont il f(^avoit bien que fes ennemis ^''
l'aycient lafcbement chargé pendant ion ab-
231 Histoire de la Ligue.
ï j8 8. fence; qu'il a fujet de craindre qu'on ne veuil-
le opprimer les bons Catholiques dont il s'eft
déclaré le Protc61:eur5& qu'il fupplie tres-hum-
blement Sa Majcfté de luy vouloir donner quel-
que fcûreté contre une lî jufte appréhcniion.
Belliévre qui i^avoit qu'on luy promettroit tout
ce qu'il voudroit, pourvcû qu'il ne pafTaft pas
outre, l'afTcûra qu'on luy donneroit toutes les
leûretez qu'il demandoit. En effet, le Roy ré-
folut de les luy envoyer telles qu'il les pouvoir
fouhaiter. Mais le malheur voulut qu'on ne le
fit pas dans le temps qu'on avoit arrcfté. De
forte que, fans plus difterer,il monte à cheval,
& marchant par des chemins écartez, pour ne
. pas rencontrer ceux qu'il icavoit bien qu'on
luy envoyeroit pour luy porter de nouveaux
ordres, il entra le Lundy neuvième de May,
luy neuvième , à Paris , fur le midy, par la porte
de Saint Denis,
On peut dire en quelque manière que ce fut-
là le jour le plus funefte & tout eniemble le
plus glorieux de fa vie. Car loit que le peuple,
à qui les Seize prcnoient arand loin de faire
accroire qu'on vouloir laccager la ville, fuft
averti par eux de la venue, ou que le bruit
s'en tuit répandu par tout en un inftant dés.
qu'on le vit approcher du tauxbourg, il ne l'eût
pas fitoft palle, que route la ville accourue de
' 'tous les quartiers remplit toute la rue & tou-
tes les autres iur fon pallngc, &c toutes les fe-
ncflres
\
L I V R E T 1 1. 133
neftrcs jufqu'aux toits, faifant retentir l'air de 1588.
mille fortes d'acclamations ôc des hauts cris de
Vive Guife, qu'on poufToit avec plus de force
& d'éclat qu'on ne faifoit auparavant ceux de
Fii;e le Roy, dont la Ligue fembioit avoir entre-
pris d'abolir l'ulagc.
Il y avoir de la manie dans ce tranfport, ou
plijtoft dans ce furieux emportement de joyc,
qui alloit julqu'a une efpcce d'idolâtrie. On le
battoit à qui approcheroit le plus prés de ce
Prince. Ceux que la foule, qu'ils nepouvoienc
percer, en éloignoit, tendoient vers luy les bras
en joignant les mains. Ceux qui le pouvoienc
atteindre, s'ellimoient heureux de luy pouvoir
toucher le bout du manteau ou la botte. Il y
en avoit meime, qui, quand il pafToit devant
eux, flechiflbicnt les genoux, & quelques-uns
qui s'effor<^oient de le toucher avec leurs cha-
pelets qu'ils baiioient aufiltoft après qu'ils
croy oient avoir eii ce bonheur, comme l'on
fait quand on révère les Chail'es des Saints. On
luy donnoit mille louanges ëc mille benedi-
^lons. On l'appelloit hautement Pillier de l'E-
glile, Souftien de la Foy, Protecteur des Ca-
tholiques, Sauveur de Pans, &: l'onfaiioit tom-
ber fur luy de toutes les feneftres une pluyc
de fleurs &c de verdure en redoublant les cris
de ViueGuife.
Enfin il n'y eût point de démonftrations &
de témoignages d'amour^ d'honneur & de ve*
■■ , ^ Gg_
134 Histoire ce la Ligue,
ijSS. ncration qu'on ne fîft éclater en cette entrée
tumultucufe qu'on luy fit par ce foudain dé-
bordement de joye, & par ce merveilleux épan-
chement de cœur &c d'affedion qui luy fut une
elpecc de triomphe plus agréable que ceux des
Céfars. Aufïî en goufta-t-il toute la douceur
avec un extrême plaifir, marchant à petit pas
à cheval, au travers de cette grande foule, le
chapeau bas, regardant tout le monde avec un
fourirc obligeant, & de cet air civil &c enga-
geant qui luy cfloit fi naturel , faliiant à droit
& à gauche, en bas, & aux feneftrcs, jufqu'aux
plus petits , tendant la main aux plus proches ,
jettant aux plus éloignez des œillades douces
ôc perçantes, &c marcha toujours de la forte
jufques à l'Hoflcl de la Reine Mère, prés de
Samt Euftache où il fut defccndrc, & de là jus-
qu'au Louvre, fuivant à pied cette Princeffe,
qui fe mît en chaife pour le mener au Roy, 6c
fut témoin de ces incroyables tranfports de la
joye publique, &c des acclamations de cette
multitude innombrable de peuple, laquelle luy
faifoit entendre à tout moment le nom de Guifc
par plus de cent mille bouches.
MlTMhon. Cependant le Roy, qui avoit appris avec
une extrême colère cette foudaine arrivée du
Duc, eftoit enfermé dans fon cabinet, où il
délibcroit fur la vie &c fur la mort de ce Prin-
ce, qui par une aveugle témérité s'alloit pré-
cipiter luy feul dans un danger inévitable, d'où
L I V R E I I ï. 1}^
fà feule bonne fortune, de laquelle pourtant 1588.
il n'elloit pas le maillre, le pouvoit tirer. Quel-
ques-uns, &c entre autres l'Abbé d'Elbenc &c
le Colonel Alphonfe d'Ornano , avec les plus
déterminez d'entre ces Gafcons que le Duc
d'Elpernon avoit mis parmi les quarante -cinq
auprès du Roy, confeiUoicnt à ce Prince chan-
celant &: irréfolu de s'en défaire iur le champ ,
ayant un fi beau prétexte , & tant de facilité
de le venger à coup feûr de ion iujet rebelle,
qui contre fes ordres exprés avoit eii l'audace
d'entrer dans Paris, pour luy faire tentir qu'il
en eiloit maiftre abiolu. Les autres beaucoup
plus modérez, comme le Chancelier de Chi-
verny & les fieurs de Belliévre, de la Guiche,
& de VUlequier Gouverneur de Paris, l'en dil-
fuadoient, luy remontrant, outre les dangercu-
fes fuites que pouvoit avoir en cette conjon-
dure une fi terrible adion, qu'il falloir tou-
jours, pour la réputation, &: pour garder les
loix les plus inviolables de l'équité naturelle ^
qu'avant que de paffer outre, il oûïft un hom-
me qui fe venoit mettre il tranchement entre
les mains de ion Roy pour luy rendre compte
de la conduite.
Là-deiTus, comme il balanc^oit encore entre
la colère &: la crainte , incertain de ce qu'il fc=
roit, le Duc qui avoit paflé au-travers des Gar=
des Franc^oiies commandées par Grillon qui
ne l'aimoit gueres, ôc des Suifles rangez en
13^ HiSTOÏRE DE LA LiGUE.
ij88, haye le long du grand cfcalierj &c traveiTé la
falle & l'antichambre toutes remplies de gens
qui répondoient aflez mal à fes falùades & à
fcs révérences, entre dans la chambre, couvrant
une frayeur foudaine qui le faifit, tout intré-
pide qu'il eftoit, d'une contenance de d'une
mine qui ne parut pas pourtant fî afleûréc
qu'on ne remarquaft aifément qu'il euft biea
voulu ne s'eflre pas engagé fî avant, particu-
lièrement quand une PrincefTe luy dît à l'oreil-
le, qu'il prill garde à luy, & qu'on déliberoit
de la mort dans le cabinet. Sur quoy, comme
fon courage s'enflammoit à la veûc des plus
grands périls, il fe raflcûra tout-à-coup, & ne
put s'empefchcr,peut-eflre par un mouvement
purement naturel de Ton grand cœur, fans mc£l
me qu'il s'en appcrceuft, de porter la main à la
garde de fon épée, ôc de s'avancer fièrement
deux ou trois pas, comme pour fe mettre en
cftat de vendre chèrement fa vie.
Mais le Roy iortant là-defTus du cabinet
avec Bellicvre , il changea foudain de pofture,
luy fit une profonde révérence en fe jettant
prefque à fes pieds, & luy protcfta que n'ayant
pas cru que fa prefcnce luy deuft eflre defagréa-
ble , il eftoit venu apporter luy-melmc fa teftc
pour juftifier pleinement fa conduite contre
les calomnies de fes ennemis, ôc pour affeû-
rer Sa Majcfté qu'elle n'auroit jamais de plus
édeUe fcrviteur que luy. Mais comme le Ro^
L 1 V R B I I I. 137
luy eût demandé d'un ton grave 6c fcvere qui ij8 8.
l'avoit fait venir, & fi on ne luy en avoir pas
fait très - exprcffe défenfe de ia part, il en fal-
lut venir à un éclaircifTement, où il y eût un
f>eu de contcftation entre luy &c Belliévre j ce-
uy-cy fouftenant qu'il luy avoit expofc les or-
dres du Koy; ôc celuy-là pour toute réponfc
luy demandant s'il ne s'eftoit pas obligé de re-
tourner au-plûtoft à Soiflbns, ce qu'il n'avoic
pas fait, & proteftant qu'il n'avoit point re-
ceû les Lettres que l'autre alTeûroit luy avoir
écrites.
Alors la Reine , qui bien qu elle euft paru RW^n^« da.
fort affligée de l'arrivée du Duc, s'entendoit
pourtant avec luy, les interrompit, &c tirant le
Roy Ton fils à part, elle tourna fi-bien fon ef^
prit , que foit qu'elle luy euft fait appréhender
une révolte générale de tout Paris qu'elle avoic
veii fi hautement déclaré pour le Duc de Gui-
fe, foit qu'il fuft adouci par la manière hum-
ble &c foumile dont ce Prince luy avoit parlé,
il fe contenta pour lors de luy dire que fon in-
nocence qu'il luy vouloit prouver paroiftroic
fi fa prefence ne caufoit aucun trouble dans
Paris, & là-deffus il s'alla mettre à table, re-
mettant à l'entretenir plus au long l'apreldiinéc
au jardin de la Reine. Alors le Duc, après une
profonde révérence , fe retire , fans elîre fuivi
de pas un des lerviteurs du Roy, mais aulfi-bien
accompagné de toute la ville jufqu'à l'Hollei
i3S Histoire delà Ligue.
I ; 8 8. de Guife qu'il l'avoit efté depuis la Porte Saint
Denis jufqu'au Louvre,
Comme il eût fait réflexion fur le danger
où il s'eftoit fi témérairement jette, & qui luy
parut encore plus grand en y pcnfant de fcns
raflis qu'il n'avoit fait dans le trouble où il fe
trouva , malgré qu'il en euft , quand il s'y vit
engagé fi avant : il réfolut de ne s'y plus expo-
fer de la forte, & il y donna fi bon ordre, que
dés le jour fuivant il vit en fon Hoftel plus de
quatre cens Gentilshommes, qui s'eftant rendus
de divers endroits à Paris, félon fes ordres, ne
l'abandonnoient plus. Il n'alla mefme cette
aprefdilnée au jardin de la Reine que fort bien
accompagné de les plus braves Olficiers, entre
lefquels le Capitaine Saint Paul voyant qu'a-
prés que fon Maiftre fut entré , celuy qui gar-
doit la porte la vouloit fermer, le repouffa ru-
dement , &c entra de force fuivi de fes compa-
gnons, proteftant 3c jurant que la partie, s'il
y en avoit une de faite, ne ie joûëroit pas fans
luy.
Or quand le Roy auroit eu le deffein de le
faire tuer en ce jardin, ce que je ne croy pas,
quoy-que quelques-uns l'aycnt écrit, il clf ailé
de voir que la prclence de ces braves ^ens fort
rélolus de défendre leur Maiftre^ celle de la
Reine, qui cftoit en tiers dans cet entretien 3 la
contenance aflcûrée du Duc, qui de temps en
temps jcttoit les yeux fur fon épée, S>c enfin
Livre III.-"" 239
cette multitude infinie de Parificns qui envi- ij8 8.
ronnoicnt l'Hoftcl de la Reine, & dont plu-
fîcurs eftoient montez fur les murailles du jar-
din, l'auroient empelché de l'exécuter. >:
Pour ce qui fc paffa entre eux en cette Con-
férence, comme je n'en trouve rien dans les
Mémoires les plus exacts de ce temps-là, je ne
le diray pas, ainfi que quelques-uns ont fait,
par une licence un peu poétique de certains z>aviiM.
Hiftoriens qui font penfer &c dire aux crens ,
fans leur aveu, tout ce qu'il leur plaift qu'ils
aycnt dit&: penfé. Ce qu'il y a de bien certain,
cit qu'il n'y eût rien de conclu dans ce pour-
parler, &c que le Roy qui avoir rélolu aupara-
vant de chafticr les plus feditieux d'entre les
Seize, &r d'eftre le Maiftre à Paris, après avoir
bien confulté la nuit avec ceux aufquels il fe
fîoit le plus, demeura ferme dans la mefme ré-
folution, &c ne voulut pas en avoir le démenti
pour l'arrivée du Duc de Guife.
A cet effet, il appella le lendemain le Prc- '
voft des Marchands ôc les Elchevins, 6c leur
commanda de faire avec les Députez, qui fu-
rent les Seigneurs de Villequier & Fran(jois d'O,
une exadc recherche de tous les Eftrangers qui
cftoient venus depuis quelques jours à Paris fans
une maniferte neceilité, & de les faire inccf- ,^
famment fortir de la ville , lans avoir éo-ard à
qui que ce foit. C'ci\oit-là manireil:emcnt vou-
loir aifoiblir le Duc de Guife, le réduire à ces
i4<^ Histoire de la Ligue.
Ij88, fept ou huit Gentilshommes avec lefqucls iî
cftoit entré dans Paris, & en fuite luy aonncr
lieu de croire qu'on vicndroit à luy après s'eftrc
défait des autres.
Pcut-eftre avoit-on ce deffein, comme quel-
ques-uns l'ont conjecturé avec affez de vray-
femblance. Mais fi cela cft vray , il y en a qui
croyent que félon l'avis qu'avoit donné l'Ab-
,va.- bc d'Elbene, il euft mieux valu commencer par
le Duc de Guile , quand on le tenoit tout {eu!
enfermé au Louvre , de ils fe fondent fur ce que
cet Abbé vouloit dire, en citant à ce propos
ces paroles de l'Ecriture : // ejl écrit, Js Jraperuy
le Pajleur, & le trotipcan Jera difj)ersé. Quoy qu'il en
foit, les Parifiens ne manquèrent pas d'en pren-
dre l'alarme, voyant bien que ces Eftrangers
qu'on leur vouloir ofter n'eiloient autres que
ceux que le Duc de Guife avoir fait venir pour
leur défenfe & pour la fienne. De forte que
quand on voulut exécuter cet ordre, &C faire
cette recherche dans les mailons, tout le mon-
de s'y oppofa -, de le bourgeois s'obllina telle-
ment à retenir chacun (on hofte , que les Dé-
putez & les CommiiTaires craignant une émeu-
te générale par tous les quartiers, n'oierent pal-
fer outre. Et cependant le Duc de Guile, qui
f»«r». tCjnt. cltoit comme l'ame de ce grand corps , ne laïf
Lfj//d. foit pas d'aller, mais bien accompagné, au Lou-
vre, où le foir melmc du jour qui précéda les
Bvirricades, il prelcnta la lerviette au Roy.
Mais
^ r V R E lîî. i^j
Mais comme après le bruit du tonnerre ôc ,j8 8
les éclairs qu'on voit s'clancer coup fur coup
dune greffe nuée, la foudre tombe avec un
grand éclat luivi d'un furieux orage qui dcfo-
le toute une campagne : ain/î après ces crain-
tes & ces défiances réciproques , ces Afîcm-
blées qui fc tcnoient la nuit, ces murmures
& ces menaces , Se ces préparatifs qui fe fii-
foient de part ôc d'autre avec tant de tumul-
te, foit pour attaquer, foit pour fe défendre,
on en vint à cette funefle journée des Bar-
ricades , qui fut liiivie d'un horrible délu-
ge de malheurs dont toute la France fut inon^
Car cnfîn, le Roy plus irrité que jamais par
la reiiltance qu'on failoit à les ordres, & ré-
folu de fe faire obéir d'une ou d'autre maniè-
re, fît entrer les Gardes Françoifes, quelques au-
tres Compagnies & lesSuilTes, qui faifoicnt en i>>*''%»-
tout quelque fix mille hommes, le Jeudy dou-
zième de May, dés la pointe du jour, par'la pot-
te Samt Honoré, ou il futluy-mefme à che-
val les recevoir, & après avoir donné ordre à
leurs Commandans de les porter ou il vouloit
il leur recommanda fur tout de ne faire aucuiî
deplaifir aux Bourgeois, ^ de réprimer feule-
ment l'mfolence de ceux qui cntreprendroient
d'empeichcr qu'on ne filf la recherche des Ef-
trangers. Après quoy, s'eftant retiré au Lou-
vre, les Mareichaux d'Aumont ôz de Biron
Hh
^42' Histoire de la Ligue.
ij-8 8.- qui eftoicnt à la telle des troupes, les allèrent
poller, tambour bâtant, au Cimetière Saint In-
nocent &c aux environs, fur le Pont Noftre-
Damc , fur celuy de Saint Michel , fur le Pont
au Change, à l'Hollel de Ville, à la Grève, &
aux avenues de la Place- Maubert.
Il parut bientoft par les effets que c*eiloit-là
jullement donner le fignal d'une fcdition &c
d'une révolte générale dans tout Paris, Com-
me le bruit couroit que le Roy avait réfolu de
faire mourir un grand nombre des principaux
de la Li^ue , dont mcfme on faifoit voir de
faufics liftes qu'on femoit parmi le peuple, le
Bourgeois, fuivant l'ordre des Capitaines & des
Dixeniers, fc tenoit tout prelf à fe mettre en
défenle au moindre mouvement que l'on fe-
roit. C'eft pourquoyjdés qu'on entendit le fon
des tambours éc des fifres , &c qu'on vit les:
.- : ' ■ Suifles 6c les Gardes s'avancer dans la rue Saint
Honoré, on ne douta plus que ce bruit que
les Seize avoient fait courir ne fuft véritable,
& mefme, comme ils l'afleûroient , qu'on ne
vouluft cxpofer la Ville au pillage. C'eft pour-
quoy l'alarme fut auflitoft par tout. On com-
mença par fermer les boutiques de les portes
des mailons ôc des Eglifes de ce quartier -là.
On fonna le tocfin dans une Paroifle , puis
dans une autre, à: un moment après dans tou-
tes celles de Pans , comme fi le feu euft eftc
dans tous les quartiers.
Livre III. 143
- " Alors le Bourgeois (ort en armes fous fcs 1588.
Dixcnicrs , 6c fous les Capitaines & les autres
Officiers du Duc de Guilc qui s'eftoicnt méfiez
parmi eux, pour les animer, & pour les inllrui-
re. Le Comte de BrilLic, qui le trouva pour
lors au quartier de rUniverùté vers la Place-
îviaubert, où Crucé, l'un des plus échauffez
des Seize, faifoic crier Talarme environné d'une
mfinicé d'écoliers, de porte- faix, de battelicrs
& d'artilans tous armez, & qui n'attendoicnt
que le fîcrnal pour donner fur les Suilles, fut le
premier qui fit tendre les chailnes , dépaver les
rues , 6c drcflcr des Barricades avec de o-roffes
pièces de bois &c des tonneaux remplis de terre
ôc de fumier, aux avenues de la Placer & ce
mot de Barricades palTant en un moment de
bouche en bouche de l'Univerfiré dans la Cité,
6c de la Cité dans la Ville, on fit le metine par
tout, &: avec tant de promptitude, qu'avant
midy ces Barricades que l'on poufloit de rue
en rué , de trente pas en trente pas , bien flan-
quées &:.^arnies de Mouiquetaires, furent avan-
cées julqu'à cinquante pas du Louvre. De lor-
te que les foldats du Roy fe trouvèrent telle^
mentçnvclopez, qu'ils ne pouvoient ni avancer
ni reculer, ni taire k moindre mouvement lans
s'expolcr munlement au danger inévitable d'cf-
tre percez des moulquetades que le Bourgeois
leur tiroit à coup feûr de derrière les Barrica-
des, ou d'eibe alfommez d'une grefle de pavç:§
Hhi)
±44 Histoire de la Lîgue.
I j8b\ qu'on faifoic tomber fur eux de toutes les fe-
nêtres.
Les Marefchaux d' Aumont Se de Biron , Se
Villequier Gouverneur de Paris, avoient beau
crier aux Bourgeois qu'on ne leur feroit aucun
mal. Ceux-cy eiloienc trop échauffez pour les
écouter, & croyoient plus à ce que Briflac,
Bois -Dauphin, Se les autres créatures du Duc
de Guile leur crioicnt pour les animer contre
les Royalirtes y qu'on n'avoir fait entrer ces trou-
pes que pour faire un maflacre général de tous
les bons Catholiques qui elloient entrez dans
la Sainte Union, é<. pour abandonner auloldac
leurs maifons, leurs biens & leurs femmes. Suc
quoy l'on redoubloit les coups de moufquet
Se de pierre lur ces pauvres gens, Se iur tout
lur les Suilfes, que le Bourgeois ne vouloir pas
qu'on épargnait.
Il y en eiit plus de foixante de tuez ou de
grièvement bleffez, tant au Cimetière Saint In-
nocent qu'au bas de la Place -Maubert, fans
qu'on voululf leur donner de quartier: julqu'a,
ce que BrilVac, qui, l'épée à la main, fiifoit tou-
jours pouffer plus avant les Barricades, arrivant
la, Se voyant ces pauvres Eftrangers qui crioienc
mifcricordc à deux genoux Se les mains join-
tes. Se faifoient le ligne de la Croix, pour mon-
trer qu'ils cftoient bons Catholiques, arreffa la
furie bourgeoife ; Se leur faiiant crier f^ive Gnije^
ce qu'ils faiioient le plus haut qu'ils pouvoient
Livre III. * -i i4j
pour Guver leur vie, il Te contenta de les me- i;8 8.
ncr defarmcz & prifonniers dans la Boucherie
du Marché neuf par le Pont Saint Michel donc
il s'elloïc déjà rendu maillre.
On ne peut nier que ce Comte n'ait ell:é ce-
luy de tous les Ligueurs qui agît avec plus d'ar-
deur contre les Royalilles en cette fatale jour-
née. Comme il elloit extrêmement aigri de ce
que le Roy luy avoir retuic l'Admirauté, &:
qu'en la luy refufant il avoit dit d'une maniè-
re fort defobligeante , que c'eitoit un homme o'^^'i»*'.
qui ne valoir rien ni iur terre ni fur mer, en
l'accuiant de n'avoir pas bien fait en la batail-
le des Axjorcs, où la tiotte de Philippes StrolTi
fut défaite par le Marquis de Sainte Croix, il
brûloir d'envie de s'en venger. Et comme il
vit les foldats enfermez de tous coitcz entre les
Barricades dont il avoit ell:é l'Auteur, ôc les
Suifl'es à fa dilcretion, on dit qu'il s'écria, com-
me infultant au Roy par une raillerie piquan-
te, & s'applaudifl'ant à loy-melme: l^« moins
le Roy Jf aura quaujourd'huy faytjvwve mon élément,
(^ que ft je ne Juii bon ni fur terre ni fur mer, je
ijjius ouelque chofe fur le ta'vé. ■■''' . '--'■*
C'eit ainlî que le peuple poufîoit toujours
les avantages plus avant, & fembloit mefme
cibe déjà liar le point d'inveftir le Louvre, tan-
dis que le Duc de Guile, par les ordres lecrets
duquel tout feconduiloit avec beaucoup d'or-
dre dans cette effroyable confulion, le prome-
Hh iij
z4<J Histoire de la Ligue.
ij88. noit prcfquc tout (èul en Ion Hoftel, répon-
dant Froidement à la Reine & à ceux qui ve-
noicnt à luy coup fur coup de la part du Roy,
pour le prier d'appaifer ce tumulte , qu'il n'ef-
toit pas mairtre de ces beftes féroces échappées
qu'on avoit eu grand tort d'irriter comme on
avoit fait.
Mais enfin quand il vit que tout eftoit à fa
difcretion, il alla luy-mefme de barricade en
barricade avec une baguette à la main,défen-
:\i^:^>. dant au peuple qui luy obéiffoit aveuc^lément,
de palTcr plus outre, & l'exhortant à le tenir
fjmplemcnt iur la défenfivc. Il parla melme
fort civilement aux Gardes Françoifes, dont il
euil pu alors ditpoicr comme il luy euil plû. Il
fe plaignit feulement à leurs Officiers des con-
feils violens que fcs ennemis avoient donnez
au Roy pour opprimer ion innocence &c celle
de tant de bons Catholiques qui ne s'eftoienc
unis que pour maintenir l'ancienne Reliçrion.
Après quoy il donna ordre au Capitaine Saint
Paul de reconduire au Louvre ces ibldats, mais
les armes bafl'cs & telle nue en pofture de vain-
cus, pour donner cette iatisfaclion aux Pari-
j(iens, qui- regardoient avec joye ce Ipedlacle,
comme le plus agréable eiïet de leur victoire,
U y fit aulli remener les Suiflcs de la meime
ipanierc par Brillac j &: fit due au Roy que pour-
veû que la Religion Catholique full en feûrecé
& m^in.tçiiuë en France çjx l'eilat qu'elle y de-
I !
1 «.
Livre III, i47 —
voit cflrCjd: que luy &c les ficns fiilTent mis à i;8 8.
couvert des cntrcpnlcs de leurs ennemis, ils luy
rcndroient tous les Icrvices que de bons fujcts
doivent à leur fouverain Seigneur.
Cela fait voir afl'ez clairement, ce me femblc,
que jamais ce Prince n'eût intention de le iaifir
de la personne du Roy, &c de l'enfermer dans
un monallerc, comme ce Nicolas Poulain qui
luy donnoit tant de faux avis, de plufieurs E-
crivains de l'une de de l'autre Religion l'ont
voulu faire accroire au monde. Car s'il l'cuft
cû, qui l'empcfclioit de faire invertir le Lou-
vre, comme il le pouvoit aifément le melmc
jour, en failant poull'er dans la chaleur de ce
tumulte les Barricades plus avant ? Et Pour-
quoy renvoyer au Roy les Gardes Suifl'es &c
Francoifes, s'il l'euft voulu attaquer dans fon
Louvre? Ce n'eftoit pas là ce qu'il prétendoit;
mais bien de détendre & de protéger haute-
ment fes Ligueurs , ô*: de fe fervir d'une con-
joncture il favorable pour obtenir les chofes
qu'il demanda , & qui fans doute l'euflent mis
en cftat de pouvoir monter fur le Trône après
la mort du Roy, & de fe rendre maiftre ablblu
des affaires durant tout fon Règne.
En effet, comme la Reine eût entrepris de
faire l'accommodement, croyant pouvoir ren-
trer par là dans les affaires dont les Favoris l'a-
voient éloignée, & qu'elle luy eût demandé ce
qu'il prétendoit , il propofa des chofes fi étran-
14S Histoire de la Ligue.
ij88. gcs, & avec tant de hauteur & de réfolution,
parlant en vainqueur, qui veut difpofer comme
il luy plaiil de la fortune du vaincu, que toute
adroite qu'elle eftoit à tourner les efpnts, elle
dercfpera d'abord de pouvoir réiiiTir, Carcnche-
riflant encore fur les Articles de Nancy, il de-
manda, ^e mur U feurcté de la Religion Catholi-
que dans ce Royaume , le Roy de Navarre (^ tous les
Princes de la Afaifon de Bourbon qui l' avaient fui -
vi dans ces dernières guerres , fujjent dalarc^ dcchcùs
à perpétuité du droit de fucceder à la Couronne. J^e
le Duc d'Efhernon , la Vallette fon jrere j François-
d'O, les Adanfchaux de Ret-^ & de Biron, le Co-
lonel uélphonfe d'Ornano, & tous les autres , qui com-
me ceux- cj ejloicnt fauteurs des Huguenots , ou mef-
me qui Ce trouveraient avoir quelque intelligence avec
eux , fu fient prive':^ de leurs Gouvememens ç^ de leurs
Charges j & bannis de la Cour ^ fans eflerance d'y
pouvoir jamais rentrer. Qu'on donnajî la dépouille de
aux-cy aux Princes de Ja Adaijcn ^ ^ aux Seigneurs
qui ejîoient tout à fa dévotion , dont il fit une longue
lifire. ^ue le Roy caffajl fa garde des Quarante - cinq
inconnue à fe s Prédecejjeurs , protefiant qu'autrement
il ne pourrait jamais prendre confiance en luy y ni ap-
procher de fa perfonne. ^luilplufi k SaÀiajcfié de le
déclanr fon Lieutenant Général dans tous fes Efiats ,
avec la mefme autorité que le feu Duc de Guife forp
père avait eue fous le Règne de François J I. moyen-
nant quoy il cfperoit de luy rendre fi bon compte des
Huguenots , que dans peu de temps il n'y aurait plus
que
L I V R ï I T 1. ' ■•^' 149
que la feule Religion Catholique en tout fon T^jait- 1^88.
Pie. Enfin que l'on affembLjl au flûtcfl les EJl.its Gé-
néraux a Pans ou tout cela fî^Jl confirmé, ^ où pour
emt>efcher à l'avenir que les Favoris , qui voulaient
diffofer de toutes chofes comme il leur plaifoit, na~
hufufjent de leur faveur, on établifi une fur me immua-
ble de gouvernement que le Roy mefme ne pounoit
changer.
Il eft tout évident que des demandes lî dé-
raifonnablcSjfi hautaines & fi choquantes ten-
doient à mettre tout le Gouvernement de le
pouvoir entre les mains du Duc, qui citant
maiftrc des Armées , des Charges & des Gou-
vernemens des principales Provinces par luy-
meime , par les parens , ôc par fes créatures , dc
des Eftats où il ne doutoit point qu'il ne deuft
eftre tout puiflant, principalement à Paris, dif-
poferoit de tout abfolumcnt. De Ibrte qu'il
ne luy manqueroit plus que le Trône , auquel
il y a bien de l'apparence qu'il prétendoit pour
lors, s'il furvivoit au Roy, a l'exclufion des
Bourbons , lefquels il vouloir faire déclarer in-
capables d'y monter.
C'ejft pourquoy la Reine voyant qu'il ne vou-
loit rien relalcher de ces articles, & commen-
tant à craindre qu'il ne fift plus qu'elle ne vou-
loir, confeiUa elle-melme au Roy de fortir prom-
ptemcnt de Pans tandis qu'il le pouvoir encore.
Et quoy-que quelques-uns de les principaux
Officiers, comme entre autres le Chancelier de
II
i;o Histoire de la Ligue.
ï ; 8 8. Chivcrny, Ôc les ficurs cie Ville-Roy & de Ville-
quier, qui croyoient qu'on gagncroit plus p.ir la
négotiation, de prévoyoient que les Huguenots
& le Duc d'Efpernon, qu'ils n'avoicnt pas fujet
d'aimer, tireroient avantage de cette retraite peu
digne d'un Roy, tafchaflent de l'en détour-
ner: mille faux avis qui luy venoient à tous
momens qu'on l'alloit invelHr, de fa timidité
ordinaire, jointe à la défiance qu'il avoit du
Duc de Guife, lequel il confîderoit alors com-
me fon plus grand ennemi, luy firent enfin
prendre ce parti.
A^lTn" ^' Ainfi le lendemain, fur le midy, pendant que
jouniaiMs. [^ Reine eftoit allé faire des propofitions au
dAnt.Loyfcl. r ^ r ■ ^
Duc pour ramuler, le Roy teignant de s'aller
promener aux Tuilleries , prit la bote dans fes
écuries, &c montant à cheval accompagné de
quinze ou ieize Gentilshommes &c de dix ou
douze Valets -de -pied , ayant fait avertir les
Gardes de le fuivre , il fortit par la porte Neu*
ve , allant toujours au grand galop , de peur
d'ellre fuivi des Pariiîcns, jufqu'à ce qu'ellant
arrivé au-dclfus de Challiot, il s'arrelta pour
regarder Paris. On dit que reprochant alors à
cette grande ville qu'il avoir toujours hono^
rée & enrichie par fa prefencc , fon ingratitude,
il jura qu'il n'y rentreroit jamais que par la
brefchc, pour la mettre en eftat de ne pou-
voir plus jamais s'élever contre ion Roy. Puis
il alla coucher à Trappes , & fc rendit le jour
L I V R E I I I. 2JI
fuivant à Chartres , ou les Officiers, les gens de 1588.
Ion Confcil , & les Courcilans allèrent au/Ti les
uns aprcs les autres en fort grand dclordrc,
ceux-cy à pied, ceux-là à cheval & fans botes,
quelques-uns lur leurs muUcs &en robbe, cha-
cun s'eftant échapé comme il put , 6c fort à la
halle, de peur d'élire arrcftéi tous enfin à peu
prés en l'eftat où eftoient les gens de David au
Ibrtir de Jerulalem, allant en unpitovable équi-
page après leur pauvre Maiflre qui fuyoit de-
vant le rebelle Ablalom.
Le Duc de Guite, qui d'une part n'avoit pas
voulu poulTer les choies à l'extrémité, afin de
pouvoir faire ion Traité avec le Roy (ans qu'on
pull dire qu'il n'eftoit point libre, ôc de l'autre
n'avoit pas cru qu'il Ce deuft retirer de la for-
te comme fuyant devant les Sujets, qui s'ef-
tant arreftez depuis vingt -quatre heures à cin-
quante pas du Louvre ne le mettoient pas en
eilat de le pourtuivre , fut fort furpns de cette
retraite laquelle luy rompoit toutes les mefu-
res qu'il avoit priies. Mais comme il avoit tou-
jours une admirable prefence d'efprit, 6s: qu'il
fcavoit prendre fur le champ fort réfolument
fon parti en toutes les rencontres , quelque
falcheuies qu'elles fuflent : il prit celuy de met-
tre Pans en eftat de ne rien craindre , de s'en
rendre maiftre paifibie, d'y rétablir toutes cho-
fes dans le train Se dans la tranquilité ordinal- . ' i
re_, & de faire fc^avoir à toute la France, à ion .'. \ ^.'^
Il ij
>
1^1 Histoire de la Ligue.
1588. avantage, comment toutes les chofes s'eftoient
pafTées à la journée des Barricades.
^LMif''' ^OMT cet effet, il s'empara de tous les lieux
les plus forts de Paris, du Temple, du Palais,
de l'Hoflel de Ville, des deux Chaftelets, des
Portes où il mit des Gardes, de l' Arcenac, & de
la Baftille qui luy fut rendue trop facilement
par le Gouverneur Teil:u, Se dont il donna le
Gouvernement à Bufly le Clerc, le plus auda-
cieux des Seize. Il oblicrea les Maeiftrats à ren-
are la juftice comme auparavant. Il établit un
nouveau Prevoft des Marchands, des Efchevins,
un Lieutenant Civil, des Colonels & des Capi-
taines de quartiers tout dévouez à la Ligue, en
la place de ceux qui luy eftoient fuipeâs. Il re-
prit, lans beaucoup de peine, toutes les places au
defliis &: au deiTous de la rivière, pour avoir li-
bres les paiTages des vivres. Il écrivit enfin au
Roy, aux Villes, & à les amis particuliers, & fît
zettrts dit j^çg Manifeftcs d'un ilile où il n'y avoit rien que
DucdtGuife. 11// 11 -1^
w.m. de u de grand 5c de généreux dans la manière dont
"'!'"' — ji tafchoit de fe julHfier, fans rien perdre du
relpcct qu'on devoir au Roy, protellant tou-
jours qu'on effoit tout prefl à luy rendre une
parfaite obéiflance , 6c qu'on ne prétendoit au-
tre chofe, finon qu'on pourveuil; à la ieûretéde
la Religion & des bons Catholiques qu'on avoit
voulu opprimer par les pernicieux conieils de
w/»B. dt lê ceux qui s'entendant avec les Hérétiques ne
c^"/;.' /. /!" fongcoicnt qu'à ruiner la Religion t^ l'Eftac.
Livre ITT.
2-53
Ces Lettres jointes à celles que les Parifiens i j8 8,
écrivirent aux autres Villes, les exhortant à , .
•^ , Lettres au
s'unir avec eux pour leur commune conlcrva- v-oy.tbt^
tion dans la Foy Catholique j & celles du Roy
qui eftoient au contraue d'un ftilc trop mol, &c
où il paroiflbit beaucoup plus de crainte & d'ex-
cufe que de colère & de jufte plainte d'un fi
grand attentat , firent que la plufpart des peu-
{)les , bien loin de fe fcandaliler des Barricades,
es approuvèrent, en louant hautement la con-
duite du Duc de Guiie , qu'ils croyoient cftre
tout rempli d'un très - grand zèle pour la Foy
Catholique, pour le bien du Royaume, & pour
le fervice du Roy. Et comme il ne louhaitoit
rien tant que de les confirmer en cette opinion,
il voulut bien que les Corps envoyafl'ent leurs
Députez au Roy, pour fuppîier trcs-humblement
Sa Majefté d'oublier le pafTé, & de retourner
dans fa bonne ville de Paris, où les tres-fidel-
les Sujets eftoient tout prefts de luy donner
toutes les marques les plus éclatantes de leur
obéïfTance & de leur dévouement à fou fer-
vice.
Il foufïrit mefme que l'on fift des Procellions
en habit de Penitens, pour demander a Dieu
qu'il luy pluft amollir le cœur du Roy. Et cela
fe fit avec tant d'ardeur, qu'il y en eût une qui
alla de Pans iulqu'a Chartres en un équipao-e c^yet- ,
tout extraordinaire lous la conduite du tameux
FrcreAnge.Ce bon Pcre eftoit Henry dejoyeu-
Il iij
LJ4 Histoire de la Ligue.
ij8 8. fc, Comte du Bouchage, & frcre du défunt
Duc. Il s'efloit fait Capucin depuis un an ou
environ, ayant erté fi fort touché de la mort
& des bons exemples de la femme Catherine
de Nogaret locur du Duc d'Efpernon, & du de-
fîr de fau^e pénitence, que ni les larmes de fon
frcrc, ni les prières & les carefles du Roy qui
l'aimoit beaucoup, ni les ardentes iollicitations
de toute la Cour ne le purent jamais détour-
ner de cette rélolution qu'il prit d'embraflcr
une vie fi aufterc. Celuy-cy donc s'eftant mis
une couronne d'épines fur la tefte & une ^roi^
le Croix lur les épaules, fuivi de fes confrères,
& d'un fort grand nombre de Penitens & de
pcrfonnes qui repreientoient par leurs habits
les divers perlonnagcs de laPailion, conduifit,
en chantant des Pieaumes & des Litanies, cette
ProcelTion. Elle régla tellement (a marche, qu'el-
le entra dans la grande Eclile de Chartres com-
me le Roy y eftoit a Velpres j & en y entrant
elle fe mit à chanter d'un ton fort luo-ubre
le Miferere, tandis que deux Capucins frapoient
a grands coups de fouet fur le dos découvert
du pauvre Frère Ange, qui par une application
qui n'cftoit pas trop difficile a faire, ni trop
avantaecuie aux Parificns, fembloit demander
au Roy qu'il leur pardonnail: comme Jcfus-
Chnll avoit bien voulu pardonner aux Juifs
les horribles excès qu'ils avoient commis con-
U'c luy.
Livre III. ij;
Un fpcdacle fî furprenant produific di- 1588.
vers mouvemcns dans les cfprits des afïiftans
lelon leurs différentes dilpofîtions. Les uns en
furent attendris, les autres en rirent, quelques-
uns melme s'en falcherent, & fur tout le Ma-
reichal dcBiron,que ces lortes de dévotions
n'accommodoient guerei, & qui craignant qu'il
ne le fuit meilé parmi ces gens-là quelques dan-
gereux Ligueurs venus exprés pour foulever le
peuple, conieilloit au Roy de les faire tous ar-
refter. Mais ce bon Prince , qui nonobilant
tous fes défauts avoit dans l'ame un grand
fonds de pieté, de beaucoup de rcfpecSt pour
tout ce qui regarde la Religion, rejetta bien
loin ce conleil. Il les écouta plus favorablement
encore qu'il n'avoit oiiï les harangues des au^
très Députez , de leur promit de leur odroyer
le pardon qu'ils luy demandoient pour la Ville
qu'il avoit toujours tant chérie, pourveû qu'el-
le rentrait dans fon devoir. Et certes , il y a
bien de l'apparence qu'il l'euft fait deflors très-
volontiers , il on ne l'euft extrêmement irrité
de nouveau, en luy propofant les conditions
aufquelles on prétendoit avoir cette paix qu'on
luy demandoit.
Car le Duc de Guife, à qui toutes ces belles
apparences pouvoient beaucoup fervir &c ne
pouvoicnt nuire, de qui alloit toujours droit
à les fins, fceiit ii bien ménager l'ciprit de la.
Reine Mère, qui avoit témoigné d'abord eftrç
i;5 Histoire ce la Ligue.
ij8 8. extrêmement choquée de les demandes, qu'il
la fit adroitement rentrer dans fes interefts par
deux paffions qu'elle avoit dans i'ame. Elle
defiroit de faire reener, après la mort du Roy,
fon petit - fils Henry de Lorraine Marquis du
Pont, &c croyoitque le Duc deGuife y contri-
buëroit de fa part tout ce qu'il pourroit. Mais
elle ne voyoit pas , toute habile femme qu'elle
eftoit, que ce Prince ne faifoit que l'amufer
' fur un point fi délicat, auquel il aipiroit fans
doute beaucoup plus pourluy-mcime que pour
un autre. Elle hailfoit fort le Duc d'Erpernon 5
6c comme elle croyoit que c' eftoit luy, qui pof-
fedant l'efprit du Roy, la luy avoir rendue fuf-
pcâie, elle avoit grande envie de le faire fortir
de la Cour, croyant par là pouvoir rentrer
dans le Gouvernement dont les Favoris l'avoient
éloignée. Et le Duc de Guife, qui n'aimoit nul-
lement le Duc d'Efpernon, defiroit la mcfme
. chofe pour le moins autant qu'elle, mais pour
une fin bien différente de la fiennc, car il vou-
loir luy-mefme s'emparer du Gouvernement.
Ainfi ce Prince fort adroit, diflimulant tou-
jours, & cachant finement les véritables mo-
tifs par Icfqucls il agiffoit, fit enfin conlentir
ne^ufjit fre. la Reine à tout ce qu'il voulut , & fur tout luy
lintée au Roy f i > r n t->
far i.ujf Us nt trouver bon qu on prclentalt au Roy une
^uncT'é'' Rcqucftc au nom des Cardinaux, des Princes,
sitgn ô- Us (les Pairs de France , des Seigneurs , des Dépu-
■F»m . é't. tez de Pans ôc des autres villes , &: de tous les
Catholi-
L I V R E I I î. ISJ ~
Catholiques unis pour la défcnfc de la Reli- i;8 8.
o-ion Catholique, Apoftolique & Romaine.
Cette Requefte, qui dans la manière d'ex- Mem. ii u
pofer les choies eftoit extrêmement rclpcducu- ^'^'"''' '•
fe, contenoit néanmoins dans le fond certains
articles du moins aulîi forts que ceux de Nan-
cy, & mel'mc que ceux qui avoient efté un
peu auparavant propolez à la Reine par le Duc
de Guife. Car, après avoir protefté d'abord,
qu'en tout ce qui s'eftoit paiTé juiques alors
on n'avoit rien fait que par un pur zèle de
l'honneur de Dieu , & pour la conlervation de
Ton Eglife : on demande au Roy, ^}^ fiffi
la, guene aux Huguenots , ^ qu'on ne fajje point de
paix juCauà ce qu'on ûit extirpé toutes les Hérejîes.
^tiil l^J plaije de Je ftrnjir du Duc de Guife dans
une Ji jujle ^ Jt Jainte entreprije. Q^on chajjè de U
Cour, çjT* qu'on dépouille de toutes leurs Charges tous
ceux qui ont une intelligence fccrete avec les Hugue-
nots ^ (^ principalement le Duc d'Es^ernon & U Va-
lette Jon frère , contre lelquels on dit dans cette
Requefte toutes les choies les plus faicheufes,
& que l'on croit eftre les plus capables de les ren-
dre odieux &: inlupportables à toute la France.
§hie l'on délivre le Royaume de U jufte crainte qu'on
a de tomber un jour fous la puijjance çy domination
des Hérétiques. Et que pour donner à la ville de Pa-
ris une pleine ajfeûrance qu'elle pourra vivre déformais
dans une parfaite tranquillité , fans crainte qu'on luy
fajjk aucune infulte , outre que les nouveaux Prevajt
Kk
■58 Histoire de la Ligue.
I j 8 8. des Alarchands (^ Efchcvins foiem confirme'^, elle ait
encore une pleine çy entière liberté d'élire a l'a'venir
ceux m elle 'voudra qui remplijjènt ces places , ^ ceL
le de Ces Capitaines & de Ces Colonels.
Cette Requefte déplut extrêmement au Roy,
qui ne voyoït que trop qu'on vouloir encore luy
faire la loy, après l'avou' ii cruellement offen-
fé. Il la fit donc examiner dans fon Confcil,
où l'on n'avoir garde de s'accorder, à caufe des
iîitercfts fort differens de ceux qui en eftoient.
Il n'y avoit que deux partis à prendre iur cela,
ou de fe joindre à la Li^ue contre les Hugue-
nots, comme elle le demandoit_,ou de luy faire
fortement la guerre, en le joignant aux Hugue-
nots, fans quoy l'on n'euft pas réùfli dans cette
cntrepriie. Ceux qui n'aimoient pas le Duc
d'Eipcrnon , deiqucls le nombre cftoit fore
grand , & qui craignoient que la jon6i:ion des
forces du Roy avec celles des Huguenots ne
fuft très- préjudiciable & à fa réputation &
plus encore à la Religion, ejftoient pour le pre-
mier parti, & confcilloient qu'on s'accordait
comme on pourroit avec le Duc de Guiie, ce
que la Pleine louhaitoit aulTi. Mais'les autres,
dont la plulpart eftoient de ceux defquels le
Duc avoit demandé l'éloin-nemcnt, infiltoient
fort fur le fécond, & vouloient qu'on luy fîft
la guerre à toute outrance, fe fervant pour ce-
la de toutes les forces que le Roy pourroit ti-
rer indifféremment des Catholiques & des Hu-
Livre III.
^5'-^
qucnots, puis que ce ncftoit pas une guerre ij8^.
de Religion, &: qu'il ne s'armeroic que pour
dompter de pour chaftier fes Sujets rebelles.
Il feroit afTcz difficile de dire bien précifé-
ment quelle fut la véritable réiolution que le
Roy prit fur deux avis fi diifcrens. Ce qu'il y
a de bien certain , eil: qu'après avoir long-
temps délibéré^ beaucoup plus encore avec luy.
mcimc qu'avec ceux de Ion Conieil, il lembla
s'eftre enfin tout-à-coup déterminé à luivre le
premier, toit que, comme il eftoïc très -bon
Catholique , & n'aimoit nullement les Hugue-
nots, il ne puft encore le réfoudre à s'unir avec
eux, foit qu'il ne fe crufl pas alors aflcz fort,
meime avec le Roy de Navarre, pour détruire
la Li^ue devenue plus puiflante que jamais
depuis les Barricades, & ayant un Chcfaufîi
habile, aufTi hardi, & aufTi heureux que l'eftoit
le Duc de Guile; ou enfin, ce que pluiieurs ont
cru, que s'ellant fortement perfuadé qu'il ne
feroit jamais en leilreté, ni le maiftre dans ion
Royaume, tandis que ce Prince, qu'il haïfloïc
alors comme le plus grand ennemi qu'il euft,
leroit en vie , il euft dés ce moment-là réfolu ndathn iu
1 c j > 1>C ■ c 1' • Médecin Mi.
en iuy-melme de s en detaire, àc pour 1 attirer r,n. d»ns
dans le piège qu'il luy préparoit, de luy accor- c^/^'^^X«,
der, comme pour le bien de la paix, prelquc Auberj.t.u
tout ce qu'il demiandoit.
Quoy qu'il ©n loit, car je ne voudrois pas
que Ton prit pour dés veniez de fimples con-
K k 1) ...
2.^0 Histoire de la Ligue.
1588. jcttui'cs, qui peut-eftre ne font pas trop bien
fondées: il ell certain qu'encore que le Roy
Mem. lie f^ç^ extrêmement ai^ri contre ceux de la Lio-ue.
Mem.dtU il répondit a leur Requelle avec beaucoup de
pàviu. douceur & de modération, les affcûrant qu'il
alfembleroit les Eftats dans le mois de Septem-
bre à Blois, pour aviier aux moyens de les i'a-
tisfaire, &: de les délivrer de la crainte qu'on
avoit de tomber un jour fous la domination
d'un Prince Huguenot j & que pour ce qui re-
î;arde le Duc d'Efpernonj il rendroit juftice en
Prince équitable, ^ feroit voir qu'il préteroit
l'utilité publique à tous les interdis particu-
liers.
En effet, avant toutes chofes ce Duc, auquel
on ofta le Gouvernement de Normandie, fut
obligé de fortir de la Cour, &: de fe retirer à
Angoulefme. On fit peu après un Traité par-
ticulier avec les Seigneurs de la Ligue, aulquels,
outre les places qu'ils tenoient déjà, on donna
encore les villes de Montreuil, d'Orléans & de
Bourses pour fix ans. On leur promit la publi-
cation du Concile de Trente, à la rélerve de
ce qui y eftoit contre les Libertez de l'Eglife
Gallicane. On donna au Duc de Guiie, au lieu
de la qualité de Conneilable, celle de Chef de
la Gendarmerie Fran(^oiic qui iignifie la melme
choie. On luy promit de drcfler deux armées
contre les Huguenots, l'une en Dauphiné lous
le coiumaadeinenc du Duc de Mayenne, &: Tau-
L I V R E I I I. l6î
trc en Saintonge & en Poitou, qui icroit com- ijS8.
mandée par tel Chef qu'il plairoit au Roy, car
le nouveau Conncftablc, Tous un autre nom,
ne vouloit pas s'éloigner de la Cour, pour em-
pelcher qu'on n'y fill rien au deiavantage de
Ion parti. Enfin le Roy fit publier ce fameux
Edit de Juillet, qu'il voulut qui fuft appelle
l'Edit de Réunion, où il fait en faveur de la Li-
gue plus encore qu'elle ne vouloit.
Car après avoir déclaré dans cet Edit, qu'il ^/J^/* '*
veut que tous fes Suiets s'unilTent avec luv, '''*■
J . ^ > , / » Caytt. t. t.
pour taire en lorte, me comme leurs âmes Jont p- lo.
rachetées d'un mefme prix par le Sang de Nofire- ^'tZf.Tz-*
Seigneur Jefus - Chriji, eux aujjî (^ toute leur pojle- '■ ■**•
rite Joicnt en hiy un mefme Corps : il jure , au il
emploiera toutes Jes forces , fans épargner fa propre njie^
pour exterminer de fbn Royaume toutes la Hère fies con-
damnées par les Conciles j (^ principalement par ce luy
de Trente , fans faire jamais aucune paix ou trêve avec
les Hérétiques j ni aucun Edit en leur faveur. Il veut
que tous les Princes ^ Seigneurs , Gentilshommes ç^
Hahitans des villes , ç^r généralement tous Ces Sujets,
Eccle/iajliqucs ^ Séculiers , fajfent le mefme ferment.
De plus j qu'ils jurent^ promettent dés-à-prefent, f0
pour jamais , après qu'il aura plu a Dieu difbofer de
fa vie, fans luy donner des en fans majles , de ne rece-
voir a, ejîre Koy , Prince quelconque qui foit Héréti-
que ou fauteur d'Hère fie. Déclare rebelles ç^' crimi-
nels de le-:^e-Majefié, (^ décheûs de tous les privilèges
qu'on leur a jamais oclroyc:;^, tous les particuliers O"
Kk iij
-2^1 Histoire de la Ligue.
.•». ï
I j8 8. toures les 'villes qui refujeront de pnjler ce Jerment, &
de fimer cette union. Promet de ne donner jamais au-
cune Charge militaire qu'a ceux qui feront notoirement
profjjîon de la Religion Catholique, ^pojiolique çjr
Rjomaine; ç^ défend tres-expreBément de rece'voir qui
que ce [oit en l'exercice d'aucun Ojjîce de Judicature &
de Finance, qu'il napparoijjè de Ja Religion Catholi-
que, y^pojlolique ^ Ronhiine , par l'attejlation de l'E-
njeCque oh de fes Vicaires, ou au moins des Cure'^ oit
*. de leurs Vicaires , avec la dépofition de dix témoins ,
perfonnages qualifie:^ f0 non Julj)ccls. Jure aujji de te-
nir pour Je s hons ciT* lojaux Sujets , & de protéger
(ST défendre tant ceux qui l'ont toujours fuiti , que
tous les autres qui Je font unis & aJJocieTcj- devant
contre les Héntiques , & qu'il réiinit maintenant avec
Joy, afin d'agir de concert tous cnjemble pour la mefme
fini (^ qu'il tient pour non avenu tout ce qu'il femble
avoir ejléfait contre luy, tant en la ville de Paris que
par tout ailleurs, particulièrement depuis le dou:^iéme de
A^ay jufquau jour de la publication de cet Edit,Jans
que berjonne en puiffe ejire jamais recherché ni inquié-
té pour quojy que ce Joit. Adais il veut aujjt que tous
fei Sujets, de quelque qualité qu'ils Joient, jurent qu'ils
renonceront à toutes les Ligues f0 Confédérations, tant
dehors que dedans le Royaume , contraires à cette union,
Jur peine d'cjlre punis comme wfracfeurs de leur J"cr~
ment, ftj) criminels de le-^c-Majifé.
Cet Edic fut vérifié au Parlement le vingt &:
unième de juillet, publié en luite, & receû avec
des tranlporcs de joye tout extraordinaires des
Miron.
Livre I T I. ' :" i^j
Lic;ueurs, qui croyoicnc avoir remporte une i;8 8.
pleine vi(5toirc fur le Roy, qu'ils voyoicnt cn-
ricrcmcnt fournis à la volonté de leurs Chefs.
Luy-mcime aulli, par une profonde diflimula- ^'i-^thn d*
tion, à ce qu'on dit, faifoit de fon cofté tout
ce qu'il pouvoit pour les confirmer dans cette
créance, en faifant paroiftre qu'il avoir la plus
grande joye du monde d'avoir fait cette paix.
Il fit figncr avec beaucoup d'emprefTcment cet
Edit à tous les Princes & à tous les Seigneurs
qui eftoient alors a la Cour. Il convoqua les
Eilats du Royaume a Blois pour le commence-
ment d'Octobre. Il fit vérifier en Parlement
les Lettres de l'Intendance générale du Duc de
Guilc fur toutes les armées, avec le mcfme pou-
voir qui eft attaché à la charge de Connéta-
ble. Il le rcceût à Chartres avec des marques
fi particulières d'eftime , d'affection & de con-
fiance, qu'on crut que cette tendre amitié qui
cftoit entre eux, lors que le Roy n'eftoit encore
que Duc d'Anjou, s'alloit renouer. Il careffa tou-
tes fcs créatures, aufquelles il donna de grands
emplois, d^ enfin, pour le contenter dans le
point le plus délicat, il fit lolennellement dé-
clarer le Cardinal de Bourbon, le plus proche
parent de fon fang, en luy accordant les pri-
vilèges & les prérogatives dont l'héritier pré-
fomptif de la Couronne doit joûïr.
Après tout, comme il eft bien difficile qu'une
violente paflion qu'on a dans l'ame, quelque
i<?4 Histoire de la Ligue.
ij8 8. foin qu'on apporte à la cacher, ne fc fafle
connoiftre par fes fuites, & par certains indi-
ces qui échappent mefme aux plus fins : aufïi
i. ce Prince, tout fçavant qu'il eftoit en l'art de
diiTimuler, ne le put fi-bicn faire, qu'il ne don-
naft lieu aux plus éclairez de croire, ou du
moins de foupqonner que tout ce qu'il faifoit
alors pour témoigner fa joye,n'e{loit que pour
couvrir fa douleur, fon indignation, fa colère
& fa haine, qui le follicitoicnt fans ceiTe de fe
venger de ceux qui l'avoient fi indignement
traité.
Car eftant allé de Chartres à Rouen, où il
avoir fait l'Edit de Réunion, il ne voulut ja-
mais à fon retour aller à Paris, quelque inftan-
cc que les Députez du Parlement & ceux de la
Ville luy en fiffent, ôc s'excuta toujours aflez
froidement fur les préparatifs qu'il luy falloir
faire pour les Eilats de Blois. Il retint auprès
de fa perfonne, pour fa garde particulière, les
Quarante - cinq que le Duc de Guife avoit de-
mandé que l'on éloignait. Il donna le com-
mandement de l'armée de Poitou au Duc de
Nevers, que le Duc de Guiie fon beaufrcrc
ne pouvoir fouffrir depuis qu'il avoit renoncé
à la Ligue. Il n'avoit plus pour confidens que
Je Mareichal d'Aumont, le Seigneur Nicolas
d'Angenncs de Rambouillet, le Colonel Al-
phonfe d'Ornano, ôc quelques autres qui n'ai-
moient nullement le Duc.
Enfin
L r V R é I I I. !<?;
(Tt-
Enfin, ce qui fut d'un ^ort grand ccbt, le ij8 8,
chancelier de Chivcrny, les Préiidens de Bcl-
Iiévre &: Brulart, de les fleurs de Villc-Roy &c i^fff»oir„ dt
Pinarr Secretancs d hltat, qui avoient clt-c d a- <^» r/i/«-R#j,
vis qu'on s'accommodafl avec le Duc de Gui-
le, furent dilgraciez. La Reine Mcre qui avoir
ménagé cet accommodement n'eût prefquc plus
de part aux affaires, & ne fut plus du tout du
Conl'eil fecrer. Et l'on donna les Sceaux a Fran-
çois de Monthelon fameux Avocat, homme
d'une rare intégrité, &: d'une fidélité inviola-
ble au fervice du Roy, qui l'élcva à cette haute
dignité fans qu'il y penialf , à la recomman-
dation du Duc de Nevcrs, qu'on fc^avoit eftrc
fort brouillé avec le Duc de Guile.
Tout cela fans doute eftoit bien capable de
donner à penler à ce Prince, & de le faire du
moins douter de la fincerité du Roy à fon
éeard. Mais le floriffant cftat où il fe vovoit,
les louanges qu'on luy donnoit, l'applaudifTe-
ment des peuples & de la Cour mefme qui ad-
miroit fa conduite & fon bonheur, &le reo-ar-
doit comme l'arbitre & le maiflre des affaires,
& la certitude qu'il croyoit avoir que rien ne
fe feroit que félon fa volonté dans les Eftats,
l'avoient tellement aveuglé , qu'il ne voyoit plus
rien qui fuft capable de luy nuire, non pas mei'-
me de l'ébranler, 6: de donner la moindre at-
teinte à fa bonne fortune qu'il avoit fi bien
établie. Amfi ce fut com-me en triomphe qu'il
Ll
lis;. 1. 1.
^^'
-r~ ^- l(î<? HiSTO'iR'Ë DE LA El GUE.
ij88. entra fur la fin du mors de Septembre à Blois,
où le Roy le rendit en mefme temps pour y
donner ordre aux préparatifs des Eftats.
v>*v\\». Il voulut qu'on s'y diipofaft par deux actions
w>m'' it u éclatantes de pieté , qui furent une Procellion
tics -dévote & très -magnifique que l'on fit le
premier Dimanche d'Octobre fécond de ce
mois j bc une Communion générale que tous
les Députez firent le Dimanche fuivant neuviè-
me d'Oclobre, auquel le Roy, en figne d'une
parfaite réconciliation , receûc avec le Duc de
Guife le précieux Corps de Jefus-Chrill, par la
main du Cardinal de Bourbon, dans l'Eo-life de
Saint Sauveur. En luite tous ceux que l'on at-
tendoit encore citant arrivez , cette AlTemblée
des Eftats commença le Dimanche ieiziéme du
mois dans la crand' Salle du Chafteau.
Comme je ne dois dire de cette Aflembléc
que ce qui regarde précilément l'Hilloire delà
Ligue, je ne feray pas le détail de tout ce qui
s'y palfa. Je diray feulement que le Roy, qui
eitoit naturellement éloquent, en fit l'ouver-
ture par une harangue excellemment belle, ou
après avoir dit d'une manière tres-majeftucu-
le les chofcs du monde les plus fortes & les
plus touchantes pour exhorter les Députez à
faire leur devoir, il ne put, ou ne voulut pas
diflimulcr qu'il n'avoit pas tellement oublié le
paflé , qu'il n'euft pris une forte réiolution de
chaiticr exemplairement ceux qui agiroient en-.
Livre I I T. %6-;
corc contre Ton autorité par cet efprit de lio^uc te i ; 8 8.
de cabale qui avoir pcnfé ruiner l'Eilat, & tous
ceux qui auroient d'autre union que celle que
les membres doivent avoir avec leur chef, &:
les Sujets avec leur Roy.
Cela toucha fi Icnfiblemcnt les Lieiueurs de
cette Afl'emblée, & principalement leur Chef,
qui crut que tout ce difcours s'adrcil'oit à luy,
qu'ils en vinrent juiqu'à menacer de rompre
les Eltats par leur retraite, fî le Roy, qui vou-
lut que l'on imprimai!: la harangue, ne l'up-
primoit, ou ne corrigeoit du moins cet endroit.
Il y en a qui diient qu'après quelques contef-
tations aflez faichcules, le Roy fouffrit enfin
qu'on y changeait quelque chofe , &: qu'on
adoucift un peu les termes les plus forts dont
il s'eftoit lervi. Mais quelques autres, & de
ceux melmes qui l'entendirent, afl'eûrent qu'el-
le parut au mcime eftat qu'elle fut prononcée.
Quoy qu'il en foit, il eil certain que cette plain-
te aigrit extrêmement l'efprit du Roy, qui vit
bien par la que la Lis^ue, pour s'eftre réunie
avec luy, ne laiiloit pas d'avoir encore fes in-
térêts particuliers fort differens des fiens.
Je diray de plus, qu'il en fut pleinement per-
fuadé , lors qu'il s'apperceût que le Duc de
Guile, qui en eiloit le véritable Chef, alloit
eilre plus puifl'ant que luy dans les Eftats. Car
outre que la plufpart des Députez avoicnt efté
choiiis par les brigues que les créatures avoienç
Ll ij
16^ Histoire delà Ligtje.
1 j 8 8, faites dans les Provinces ; ceux qui furent éleûs
pour préfider à chaque Ordre, fçavoir les Car-
dinaux de Bourbon & de Guife pour le Cler-
gé i le Comte de Briflac ôc le Baron de Magnac
f)Our la Nobleflej 5c le Prevoft des Marchands
a Chapelle -Martau pour le tiers Ordre, ef-
toient entièrement à luy.
Ainfi , après qu'à la féconde Séance on eût
folcnncUemcnt confirmé, juré de nouveau, &
fait pafTcr en loy fondamentale de l'Ellat l'E-
ric de Réunion j quand on leût les Cahiers des
trois Ordres, il vit que fous prétexte de vouloir
réformer quelques abus qui s'eftoient gliflez
dans l'Eilat, ils eftoient remplis d'une infinité
de propofitions qui tendoient manifeftement
à diminuer , ou plûroft à anéantir l'autorité
Royale , ëc à réduire le Gouvernement à tel
point , qu'il ne rcilaft plus au Roy que le nom
& la vaine apparence de Souverain Monarque,
ôc que tout le réel &c le folide de la Souverai-
neté fuft à ceux de la Ligue qui dépcndoicnt
abfolumcnt du Duc de Guile.
- De plus, ils ne le contcntoient pas de pro-
pofer ces chofes, laiffant au Roy, félon l'an-
cienne couftume &c la Loy de la Monarchie,
la liberté d'en ordonner ce qu'il trouveroit le
plus à propos, après les avoir bien examinées
dans (on Conleil: mais ils prétendoicnt qu'a-
prés qu'elles auroient efté rcccûes du confcn-
tcmcnc des trois Ordres, elles paflallent pour
Livre T I Î. M iCp
des décidons &c réfolurions certaines & invio- ij88.
labiés, fans que le Roy cull: le pouvoir d'y rien
chancer dans Ton Confeil. Sur cela. Us vou-
Joienn qu'on modérait les tailles &: les impofts,
mais tellement outre melurc, qu'ils oltoientau
Roy tout moyen de faire la guerre dans la-
quelle eux-meimes l'avoient eneacré. Que le Ar^*» ''«tri/i
Concile de Trente rult receuablolument&lans Mi>rof.i.t.
modification. Et le célèbre Avocat Général '' "'
Jacques Fayc d'ElpefTes, qui dans une grande
Alfemblée qu'on tint fur ce fujet , fouftmt
tres-fortcment contre quelques Décrets de ce
Concile les Droits du Roy, &c les Libcrtez de
l'Eglife Gallicane dont il fit voir clairement
la iblidité, y fut fi mal traité, quoy-qu'il euft
confondu l'Archevelque de Lyon qui vouloin
détruire ces Libériez , que le Roy qu'on atta-
quoit en la perfonne de ion Avocat en conceût
un extrême déplaifir.
Mais fur tout ils faifoicnt inftancc, avec une
incroyable opiniaftreté, que le Roy de Navar-
re, qui de la Rochelle où il tcnoit en mefmc
temps les Eftats de Ion parti avoit envoyé
propofer à ceux dcBloisque l'on tinft un Con-
cile général pour s'accorder, fuft deflors dé-
claré incapable de fucceder jamais à la Cou-
ronne. Ils en avoient fait le Décret du confen- f^"" '''"*
tcment des trois Ordres, à la foUicitation par- "moto}. /.T/
ticulicrement de ccluy de l'Eglife. Et le Roy, '' '^-
qui prévoyoit aflcz ks terribles fuites d'une û
Ll iij
.i »
270 Histoire ce la Ligue.
J588. haute injurtice, de quon prcfToit fort d'y fouH.
crire, ne put s'en défendre, qu'en les amulant
par des délais qu'il prit adroitement fous di-
vers prétextes. On ne doutoit point que le Duc
de Guife, qui ayant pour luy plus des deux
tiers des Eitats en clloit le Maiftrc , ne fuft
l'auteur de toutes ces proportions fi contrai-
res aux véritables intcrcfts Se à l'autorité du
Roy 5 principalement quand on vit qu'il em-
ployoir toute la brigue pour ie faire déclarer
par les Eftats Lieutenant Général dans tout le
Royaume, comme s'il euft voulu poileder cette
fuprême dignité indépendamment du Roy ,
&: qu'il prétendift que ce Prince ne fuft plus
fonMaiftre, n'ayant plus le pouvoir de luy o{-
ter ce qu'il ticndroit d'une autre autorité que
de la iicnnc. '- -': ■
-,: Toutes ces chofes fî indignes de la Majefté
d'un grand Roy, mirent enrin à bout la pa-
tience, qui après une fi longue didimulation
fe changea tout -à- coup en fureur. De forte
que ceux de les confidens qui louhaitoient ar-
deniiiienc la perte du Duc pour en profiter,
n'eurent point de peine à luy taire prendre alors
pour des veritcz tous les avis meime les plus
taux qu'on luy avoit fi iouvent donnez contre
^ c-e Pnnce , y ajouftant que c'eftoit luy qui
avoit porté fous main le Duc de Savoye à s'em-
parer du Marquifat de Saluées , comme il
avoïc fait tout nouvellement i ce qu'Us afléû-
Livre III. ' • f 271
roicnt forrcmcnr, qiioy- que par Ton crcdit il ij8 8.
cull fait rcloudre les Iiltats à déclarer la guer-
re au Savoyard. Amfi, loit que le Roy eull
déjà réfolu long-temps auparavant de le défai-
re du Duc de Guiic, pour toutes les vieilles in-
jures qu'il en avoir receûes, particulièrement à
la maihcureulc journée des Barricades ; foit
que s'cftant réconcilié de bonne foy il cull:
pris, ou peut-cftrc melme repris cette rélo-
lution, le voyant aair contre luy dans les Ef-
tats dont il s'clloit rendu le Maiftre, ëc fc
croyant perdu s'il ne (e haftoit de le préve-
nir: il eft certain qu'il ne délibéra plus que de
la manière dont il exécuteroit au plûtoll (a
réiolution.
Il n'y en avoir que deux à choifir: l'une, par
les voyes de lajuftice, en l'arrcftant, pour luy
faire fon procès ^ & l'autre, par les voyes de fait,
en le f aiiant tuer. Il coniulta là - deflus fort
lecretement avec quatre ou cinq de les confi-
dens aufqucls il le fioit le plus. L'un de ceux-
cy cftoit Beauvais Nangis, qui ayant bien 1er- Mim. y.s. di
vi le Roy dans fon armée contre les Reitres, "''^"'
avoir eu le bonheur de rentrer il bien dans les
bonnes grâces, que pour le récompenler de la
Charge de Colonel de l'Infanterie Françoile ^^^tt du
que le Duc d'Eipernon avoit obtenue à ion ^7 '"'"'/''. ,
'1- tf'^1 • charge a mu.
préjudice, il le ht depuis Admirai de France, kMàeN^r.-
quoy-qu il n ait pas joui de cette grande digni- -vw^nsî?.
té dont il n'eût que le Brevet.
■ — 272- HlsTOÎRE DE LA LiGtJE.
fj8 8. Ce Seigneur, qui cftoit auiTi iage 5c modéré
dans les délibérations, que prompt, brave &
hardi dans l'exécution , conclut pour la voye
de Juftice, fouftenant qu'elle eftoit non feule-
ment la plus honnefle, mais aufli la plus feu-
re , parce que la feule crainte que les partifans
du Duc de Guife auroient qu'on ne le tuaft^
s'ils cntreprenoient de le délivrer par force, &c
d'empefcher le cours de la Juftice , les arrefte-
roit tout court, &c les rcticndroit dans les ter-
mes de leur devoir. Qu^aprés tout , quand on
l'auroit une fois arrefté, comme on le pouvoit
faire fans tumulte, il feroit fort aifé de luy
donner des Commiflaircs qui luy fcroient bon-
ne & briéve juftice, &c de le faire en fuite exé-
cuter dans la prifon ; ce qui feroit félon les
Loix. Que fi au contraire on commcn<joit par
une fi fanglante exécution, il y avoit danger
que cette adion, qu'on ne pourroit jamais bien
juftifier, & que les Ligueurs feroient aifément
pafTer dans le monde pour tyrannique&pourla
. • .- plus horrible perfidie qui fut jamais, nefiftfou-
■"- lever la plus grande partie de la France, qui
s'eftoit déjà fi hautement déclarée pour ce Prin-
ce, qu'elle rcgardoit comme le plus puiffanc
fouftien de la Religion, &c qu'elle prendroit alors
pour un véritable Martyr. Mais les autres qui
crurent qu'il cftoit impoflible de garder en
cette occafion les formes ôc les loix ordinaires de
la J uft icCj ôc que le Chef eftant une fois abbatu,
toute
Livre III.
173
toute la Ligue tombcroit comme un corps fans i ;8 8.
tcftc, furent d'avis que l'on s'en dcfillpromp ce-
rnent, ce qui clloit tort ailé, principalement
dans le Chaftcau, où le Duc, qui s'y eltoir lo-
i^c, ertoit prelquc à toute heure à la difcrérion
du Roy, duquel il paroiffoit alfcz par là qu'il
ne fe defioit pas.
Cependant il ell: afleûré qu'on ne crarda oas
fi bien le fecret qu'il ne fuit averti de plus d'un
endroit de l'extrême danger où il elloit, & que
Ton avoit rélolu fa mort : & il ne mcprifa pas
tant ces avis, tout intrépide qu'il cltoir , ou
qu'il paroiffoit cftre, en dilant toujours, On n'o-
feroitj que deux ou trois jours avant ia mort il
ne conîultall: fur une choie qui luy importoit D^p>!it,o» de
fi fort avec le Gardinaf de Guile fon frère, î.l't" f
l'Archevefque de Lvon, le PréildentdeNeuilly, '^°">-^'^'»'(i.
le Prévoit des Marchands, & le fieur de Mandre- ^'''^'>- "««^
ville Gouverneur de Sainte Mcnehoud , aufquels t. T'
il fe fioit le plus. Sur les preuves prelque cer-
taines qu'on avoit du dcffein formé contre luy,
ils vouloient tous qu'il prill le plus feûr. Se
qu'il le reriraft lous quelque prétexte: excepté
l'Archevefque qui' s'y oppofa fortement, di- ".^: v,,^'
fant, que puis qu'il cftoit lut le point de ga- -
gner la partie dans les Eftats, où il auroit af-
feûrément tourcc qu'il prétendoit, il ne fal-
loit pas la perdre en les quittant j & qu'au relie
on ne devoir pas croire que le Roy fufl: fi mal-
avifé que de s'expofer luy-melme à~ tout pcr-
Mm
174 Histoire de la Ligue,
^8 8. dre, en faifanc un fi malheureux coup. A quoy
Mandrcvillc rcparcic en jurant, que pour un
homme d'elpnt comme luy , il railbnnoic fort
mal. Lar, dît- il, vous parle:^ du Roy comme d'un
Prince tres-fa^e ^ très avifé cjui prend garde a tout;
^ njons ne 'voje:^pas que ceft un fou y qui ne fon-
dera qu'à, exécuter te que ces deux Ujches pajjions de
haine ç^ de crainte qui le pofjedent luy auront mis
une Jvis dans l'efj>rit, ^ ne penjera pas à ce que
'VOUS dites qu'un homme jage doit appréhender. Ce fè-
roit donc une folie que de s'expofer de la forte, fur unç
Ji Jhible raijon, a perdre tout en un moment.
C'efl une cliofe étrange que les hommes les
f>lus éclairez, qui pourroient éviter, s'ils vou-
oient prendre les moyens qu'ils en ont, ce
que l'on appelle leur deftinéc quand le mal-
heur eft arrivé, s'y laiflent cntraiiner comme
par force , malgré toutes leurs lumières & leur
prévoyancej que leur témérité, &: non pas une
certaine prétendue fatalité rend inutiles. On
dit que le Duc de Guife avoija que ce difcours
de Mandreville eftoit le plus fenfé, ajoultant
néanmoins , qu'cftant auiïi avancé qu'il l'eftoit,
itien de \^ mott mcimc , quand il la verroit entrer par
lytn. les fcneftres, ne le feroit pas reculer d'un pas
vers la porte pour l'éviter. Il y a pourtant bien
de l'apparence que ce qui le fit parler de la
forte, avec tant de bravoure & de fermeté,
fut la certitude qu'il croyoit avoir que le Roy,
dont il connoiffoit le génie , particulièrement
l'An h
Livre III. x ^ ; • f ty^
depuis la Journée du Louvre où ce Duc fe crut i j 8 8.
perdu, n'oleroic jamais le réloudrc à en venir
a une iî terrible extrémité.
En effet, comme le fleur de Vins , l'un de Mem.duftM
fes plus grands confidens, luy eût cent de Pro- u Labour.
vence qu'il ne devoir pas fe tenir fi prés du ^''^''" " ''
Roy, ni s'afl'eûrer lur tous ces grands témoigna-
ges d'affecbion qu'il difoit en avoir receûs , il
luy fit réponfe qu'il ne le repoloit pas de Ton
falut iur la vertu du Roy qu'il l<^avoit eftre tres-
malin & tres-difTimulé, mais fur Ion jugement
& fiir la crainte, n'eftant pas croyable qu'il
ne deuft eftre periuadé qu'il cftoit ruiné s'il
entreprenoit fur la perfoime. Mais il n'apprit
que trop, par une tres-malheureufe expérience,
qu'il devoir plûtoft fuivre un fage avis qu'il
avoir approuvé, qu'une fimple conjecture, &c y -
les mouvcmens de fa générofité naturelle, que
la fanglante cataftrophe de fa mort, comme
on juge des chofes par l'événement , a fait paf.
fer pour une fort grande témérité.
Il ne faut pas que l'on s'attende que je m'ar-
refte icy à décrire fort exadement toutes les
circonftances de cette tragique a6tion qui a
cfté fi funefte à la France , & fi mal receûë
dans le monde. Outre qu'elles font racontées
fort diverfement par les Hiiloriens de l'une &
de l'autre Religion, félon leurs différentes pal-
fions , & que la plufpart font ou fauiles , ou
tres-peu dignes d'eifre remarquées: la chofe fc
Mm ij
■■■2.J6 Histoire be' la' L'igue.
I j 8 S. iîc fi facilement & fi brufquement , te d'une
manière fi odieufe, qu'on ne la peut exprimer
en trop peu de mots. Voicy donc iimplement
ce qui en eft.
i^prés que le brave Grillon Meftre de Camp
du Régiment des Gardes eût sénéreufement re-
fuie de tuer le Duc de Guife, linon en le bat-
tant contre luy en homme de bien, le Roy eiit
recours à Lognac premier Gentilhomme de la
Chambre, & Capitaine des Quarante-cinq , qui
luy en promit dix -huit ou vingt des plus dé-
terminez, & dont il pouvoit s'aileûrer. Ce font
f ceux dont le Duc de Guifc, qui fe défioit fort
Relation du de CCS Gafcous créatutes du Duc d'Efpernon,
fteur de Mi. „ ■ 1 1 ' 1 > / r • i"
ren. avoit auparavant demande 1 eloignement, lur
T/Z7n '^'c *5"°y ^^ s'ertoit depuis relafché. De forte qu'on
t-s. de iHtfi. peut dire qu'il prévit ion malheur, àc ne l'é-
vita pourtant pas. Car un Vendredy vingt-
troifiéme de Décembre, eftant entré fur les
huit heures du matin dans la lalle où le Roy
avoit dit le Jeudy au foir qu'il vouloir tenir le
Conieil de fort bonne heure , pour aller en
fuite à Noftre - Dame de Clery, on luy vint
dire que le Roy le demandoit au vieux Cabi-
net: le Roy n'y eftoit pourtant pas, mais dans
l'autre qui regarde lur le jardin. Alors il fe le-
vé d'auprès du feu, où s'ellant trouvé un peu
foible il s'eftoit alîis, & paife par une petite
allée qui elloit à cofté de la falle dans la Cham-
bre ou il trouve Loignac avec fept ou huit de
Livre III. 277
Tes Quarante-cinq. Le Roy les y avoit fait en- iy88.
trer fort fecrctcmcnt luy-mcrmc avant le jour:
les autres cftoient dans le vieux Cabuiet, &c
tous avoient de grands poienards cachez fous
1 11 1
leurs manteaux, n'attendant plus que la venue
du Duc de Guilc pour fliirc leur coup ians le
manquer, (oit dans la Chambre, ou dans le Ca-
binet, fi d'aventure il y fuft entré en fc dé-
fendant.
Il n'en falloit pas tant pour tuer un homme
qui s'en venoit tout feul ians fe défier de ce
qu'on luy préparoit, & qui tenant d'une main
fon chapeau, ôc de l'autre le bout de ion man-
teau qu'il avoit retrouilé fous le bras gauche,
ne le pouvoir mettre en eftat de fe défendre.
En cette pofture il s'avance vers le vieux Ca-
binet, faliiant fort civilement, à fon ordinai-
re, ces Gentilshommes qui font femblant de le
fuivre par honneur julques à la porte; & com-
me en levant avec un d'entre eux la tapilTeric ,
il fe baiffe pour y entrer , il fe trouve tout-à-
coup faifi par les bras& par les jambes, enmef
me temps qu'on luy enfonce cinq ou jfix poi •
gnards dans le corps par devant, Scpar derrière
dans la nuque du cou ôc dans la gorge, ce qui
l'empefcha de dire unieul mot de tout ce qu'on
veut qu'il ait dit, ôc de tirer l'épéc. Tout ce
qu'il put faire , fut d'entraifncr, par un dernier
&pui{l'ant effort, fcs meurtriers, en fe debatant
jufqu'à ce qu'il tomba au pied du lit, où quel-
Mm iij
lyS Histoire de la Ligue.
I jSS. que temps après, en jcttant un profond fou-
pir, il rendit l'efprit.
Le Cardinal de Guifc & rArchevcfque de
Lyon, qui eftoient à la Salle du Confeil, s'ef-
tant levez à ce bruit pour courir promptement
au fecours , furent arreftez prifonniers par les
Marefchaux d'Aumont & de Retz. On arrefta
aufïi en mefme temps dans le Chafteau le Car-
dmal de Bourbon, Anne d'Efte DuchelTe de
Nemours mère des Guifes , le Prince de Join-
ville, les Ducs d'Elbeuf & de Nemours, Brif-
fac &C Bois Dauphin, & plusieurs autres Sei-
gneurs confidens du Duc , & Pericard Ton Se-
crétaire, pendant que le grand Prevoft de l'Hof-
tel , qui ellioit allé avec les Archers à la Cham-
bre du Tiers Eftat, à l'Hoftel de Ville, fe fai--
fiflbit du Préfident de Neuïlly, du Prevoft des
Marchands, des Efchevins Compan &: Cotte-
Blanche Députez de Paris, & de quelques au-
tres fignalez Ligueurs.
Cela fait, le Roy en voulut porter luy-
imefme la nouvelle à la Reine la mcre , en luy
difant que c'eftoit à cette heure qu'il eftoit
Roy, puis qu'il s'eftoit défait du Duc de Gui-
fe. Et fur ce que cette Princelfe fort iurprife ôc
toute émeiic luy demanda s'il avoit bien pour-
vcû à tout ce qui en pouvoit arriver, il luy ré-
pond d'un air aflfez fier, & bien différent de
celuy dont il avoit accouftumé de luy parler,
qu'elle s'en mift l'efprit en repos, qu'il y avoit
Livre Ht.
179
donné bon ordres &c fort brufc]ucmcnt là-dcf- i j88.
lus pour aller à la MclTc , avant laquelle il en-
voya le Cardinal de Gondy au Cardinal Leeac Mtm*ri,j,E,
Morofini pour l'informer de ce qui s'cftoic ^"' '**""''
fait, & des raifons qui l'avoicnt obligé d'en
ufer de la forte.
L'Hiftorien Davila dit qu'après cela le Roy
cftant defcendu dans la Cour fc promena long-
temps avec le Légat, auquel il cxpofa toutes
fes raifons , que cet Ecrivain prend la peine de
déduire fort au long, comme s'il euft cfté prc-
fent à cette longue conférence, & qu'il eull oûï,
fans perdre un ieul mot , tout ce que le Roy
dit à ce Cardinal dont il nous fait aufli ft^a-
voir les réflexions politiques, àc la rcponfc
qu'il fit à tout ce grand difcours du Roy. Car
il dit que pour ne pas refroidir l'affeâiion de
ce Prince envers le Saint Siège, il l'afl^eûra que
le Pape, comme Perc commun, écouteroit vo-
lontiers fes raifons, & qu'il l'exhorta fort à
faire la guerre aux Huguenots , pour montrer
par là que ce n'cftoit point pour favorifer leur
parti, & le Roy de Navarre, qu'il avoit fait tuer
le Duc de Guife leur grand ennemi.
Il ajouilc, que le Roy luy promit avec fer-
ment, que pourvcû que le Pape le joignill à luy,
il continueroit à leur faire la guerre avec plus
d'ardeur que jamais , &: qu'il ne permettroit
point qu'il y cuft dans fon Royaume d'auttc ,;■;
Religion que la Catholique Romaine. Qu^îi-
2.8o Histoire de la Ligue.
1588. prés ce ferment, le Legac ne jugea pas qu'il fuft
a propos de pafTer plus avant dans cette Confé-
rence, &: que fans luy parler pour le prefenc
en faveur des Prélats pnlonniers , il fe mit à
traiter avec luy aufïi confidemment qu'aupara-
vant. Il y en a melme qui diient que de la
D'AMixi. manière libre &: dégagée dont on le voyoit
agir avec le Roy, en luy parlant quelquefois
à l'oreille, & riant avec luy, on crut que ce
Prince avoit agi de concert avec Romej & ils-
ajouitent, avec Davila, que cela donna lieu
au Roy de paflcr outre-, & de faire encore tuer
le Cardinal de Guile , voyant qu'on fe mettoic
fi peu en peine de l'emprifonnemcnt des Car-
dinaux.
Voilà ce que ces Auteurs ont écrit fort fe-
fieufemenr, comme une venté dont on ne peut
nullement douter, cette Conférence, à ce qu'ils
dilent, s'eftant faite à la veûe de tout le mon-
de dans la Cour du Chafteau de Blois. Cepen-
dant il n'y a rien de plus faux , ôc tout, ce que
nous dit là-dcfl'us Davila,.eft une de ces iîclions
que les feuls Poètes ont droit de faire. La preu-
ve en eft toute évidente & fans réplique. Nous
avons les Mémoires imprimez de la vie du Car-
dinal Morofini écrite tres-élegamment & très-
fortement en Italien par Monfîgnor Stéphane
^.TdeicL. Cofmi Archevcfque de Spalato, qui me fit Thon-
Mtrof.i. 3. neur de me les envoyer de Venile il y a plus
c. lé. 17. iS. , l> • 1 T 1
de trois ans j & i on voit par les Lettres de ce
Cardinal
L I V R E I I I. igi
Cardinal Lcgat au Cardinal Montalce, neveu ij8 8.
du Pape Sixte V. auquel il rend un compte
cxa6l de tout ce qui fc fit le vingt - troifiéme
Décembre &c les jours fuivans , que quelque
inlliance qu'il euil: faite à la prière de Madame
de Nemours, pour obtenir audiance du Roy le
matin de ce jour-là, on luy refufa mefme l'en-
trée du Chafteau, quelque effort qu'il puif faire
à la porte pour y entrer, &c qu'il ne put jamais
avoir cette audiance que le vingt-fixiéme, trois
jours après la mort du Cardinal. Que devien-
dront après cela tous ces beaux difcours, ôi
toutes ces particularitez de la prétendue Con-
férence du vingt- troifiéme, èc cette manière
fi douce & fi tranquille , ou plûtoft fî enjouée
du Cardinal parlant au Roy à l'oreille, & riant
de tout Ion cœur y ce qui donna lieu aux gens
de croire, que félon les ordres de Rome il el^
toit d'intelligence avec le Roy, qui le voyant agir
de la forte, rclolut de pafler outre, & de fe
défaire encore du Cardinal de Guife l Cela s'ap-
pelle faire une hiftoire de fon invention , c'eft
à dire, une fable, comme l'ont fait en cet en-
droit deux Ecrivains Proteflans, d'Aubic^né, T>'Auhignf,
& l'Auteur du Difcours de ce qui s'efi pape à ch. lù
Bloïs jufqu'à la mon du Duc de Guife; Se no3 ^^^;,'''/^
Hiftoriens Catholiques qui les ont i'uivis s'ef■-^'*''
tant laifTé tromper par ces Huguenots, ont auffi
trompé leur Lcdeur. Tant s'en faut que le
difcours trop complaifant du Légat Morofini
Na
iSz Histoire de la Ligue.
î j S 8. ait donne lieu au Roy de réfoudre la mort du
Cardinal -, qu'au contraire , ce Prince ne luy
voulut pas donner audiance , parce qu'il ne vou-
loit pas écouter ce qu'il luy euft dit en faveur
du Cardinal de Guife dont la mort eftoit rc-
foluë.
En effet, comme ce Cardinal defefperé de
la mort de fon frère, eût dit dans les premiers
&les plus furieux tranfports de fa colère, tout
ce que l'excès de la rage où. il eftoit luy put
fuggerer de plus injurieux ôc de plus outrageux
contre la perionne du Roy : ce Prince plus ir-
rité que jamais, &c craignant tout de la ven>
geance de cet efprit hautain & violent, qui luy
elloit prcfque auffi redoutable que fon frère,
jura qu'il en mourroit. Ce qui l'obligea encore
plus à prendre cette rclolution, fut le rapport
qu'on luy fît que ce Cardinal avoit elle il im-
pudent que de dire, qu'il ne mourroit point qu'il
ne luy euft tenu la telle pour le rafer, 6c le faire
moine , car ce font - là les propres termes du
tetfre Hu Kojf ' ri,,
À fAmbajj: Roy dans la Lettre du vingt-quatriemeDecem-
wfi.T!card. bre au Marquis de Pifany fon Ambailadeur à
Ce ne fut pas pourtant fans peine qu'il put
trouver des gens qui vouluflent exécuter [es
ordres. Ceux des Quarante -cinq qui avoient
poignardé le Duc, retulerent tout net de fouil-
ler leurs mains du fmg d'un Cardinal Preftre
& Archevefque de Reims. On trouva toutefois
Livre III. "• f 283 .
quatre foldats , qui n'ayant pas autant d'hon- 1 5 8 8.
neur que des Gentilshommes, n'eurent pas ce in/orm.furu
fcrupule, & s'offrirent à le tuer pour quatre 27h^' dJs
cens écus qu'on leur promit. Ainîi, après que ^•"'''•
le pauvre Prince peu à peu revenu de Ton em-
portement eût paflé le rcfte du jour, & la plus
«grande partie de la nuit en prières avec l'Ar-
cheveique de Lyon dans une petite chambre
ou ils le confellerent l'un l'autre, on luy vint
dire le matin fur les dix heures que le Roy le
demandoit. Alors ayant recommandé loname
à Dieu, èc receû encore la benedi£tion del'Ar-
chevefque , qui croyant mourir comme luy,,
l'exhortoit à recevoir conftamment & chref-
tiennement la mort, il fort; &: appercevant les
foldats qui l'attendoient dans une allée fore
fombre, il te couvre de Ion manteau le vifio'e,
& s'appuyant contre la muraille , fe laiffe per-
cer à. grands coups de hallebarde ians jetternoii
pas melme un ioupir, de ians branler julqu'à
ce qu'il tomba mort aux pieds de ceux qui le
traitoienc d'une fî étrancrc mamere.
Son corps Se celuy du Duc furent mis en-
tre les mains d'im Chirurgien , qui en confu-
ma les chairs dans la chaux vive, & en brûla
les os dans une chambre du Chaftcau, pour
empefcher que les Ligueurs ne s'en ierviffent à
émouvoir les peuples, & que ceux-cy qui en
eftoient idolâtres, n'en filTent des reliques aul- •
quelles ils n'euflent pas manqué de rendre le&
Nn iji
i84 Histoire de la Ligue.
ij88. mefÎTies honneurs qu'on rend à celles des Mar-
tyrs. Ainfi périt au milieu de la courfe d'une
des plus éclatantes vies qui fut jamais , à l'âge
de quarante-deux ans, Henry de Lorraine Duc
de Guife, qui par les incomparables perfections
du corps, de l'ame &c de Tefprit qui le firent
admirer de fes ennemis mefmes, eull mérité ce
que la fortune fembloit luy deftiner, s'il n'euft
pas eii la préfomption de la vouloir fuivrc au-
delà des bornes que la Providence Divine, à
qui elle ei-t foumife, luy avoir prefcrites. Car
enfin la fuite des évenemens à fait voir que
cette Providence, qui difpofe fouverainemcnt
des Empires , vouloir ofter celuy de la France
aux Valois pour le tranlporter aux Bourbons }
^ il falloir que tout ce qui s'y pouvoit oppo-
fer fuccombaft enfin par Ion malheur inévita-
ble fous la force invincible de ce Décret , au-
quel il n'y avoit ni confpiration, ni ligue ^ ni
fortune , ni aucune puillance fur la terre qui
pull réfifter.
Cependant la mort violente de ces Princes,
bien loin d'apporter au Roy l'avantage qu'il
s'en efloit promis , & que ia paffion luy avoit
fauifement rcprefenté comme très -grand &
trcs-afleûré, le mit bientofl: dans un ellat plus
déplorable encore que celuy dont il penfoit
cftre forti. Il connut bien, après avoir exami-
né de lang froid ce qu'il avoit fait, que le meur-
tre du Cardinal de Guife offenferoit extrême--
Livre î T I. z8y
ment le Pape , ôc qu'il falloir taicher de l'appai- i j 8 8.
1er, pour cmpelchcr que ce Pontife, qui lepor-
toit fort haut, & n'eftoit pas d'humeur à rien
fouffrir qui choquait ion autorité, ne fe dccla-
rall pour la Ligue contre luy, ce qu'il n'avoic
pas encore voulu faire, A cet effet, il écrivit le
jour de Noël au Légat le bUlct dont voicy les
propres termes.
Je fuis maintenant Roy, ^ je fuis rffolu a ne Mem.deivh.
^luf foujfrir déformais au on m'ojfenfe. Je fèray fentir rof.Us- t.it'
à oui que ce foit qui ofe m' attaquer, que je continue-
ray toujours dans cette gmereufe réfolution, à. l'exem-
ple de Nojlre Saint Père le Pape , qui a coujlume de
dire quilfe faut faire obéir, ^ punir ceux qui nous
offenfent. Puis que j'aj fait ce que je prétendois félon
cette maxime, je vous 'verray demain, ^^dieu,
Ainfi le vingt - fixiéme de Décembre le Lé-
gat eiit une longue audiance, où le Roy luy
Ht entendre le fujet qu'il avoit eu de faire tuer
le Duc & le Cardinal , prenant Dieu à témoin quil
avoit combatu luy-mefme fes propres raifons fix jours
entiers, fort réfolu de n'en point 'venir a cette extrémi-
té, crainte d'ojfenfer Dieu. Afais qu'enfin conftderant
que Dieu qui l'avoit fit Roy l'obligeoit à fe main-
tenir dans fa dignité,^ que le Pape luy avoit fait c/rUa.-Uyea-
direparAl.de Luxembourg ce que Sa Sainteté avoit^^^^"^^'J^-^^
dit elle - mefme plufieurs fois au Cardinal de loyeufe, cardiv. far
, , , r / ■ I ^- 1 ■ U rr -Aubery , fart,
quil devait je jaire obéir, ft; punir ceux qui iojjen- s.
Nn iij
.1». 1
1^6 Histoire de la Ligue.
îj88. foient y il avait réfolu de les prénjenir , en leur op-
tant la vie , fans attendre au ils le fijjent fcrir comme
ils en anjoient formé le dejfein. ^e s'il n avait pas
pris les vojes ordinaires de Ujuflice ^ c'ejl que dans
l'efiat où ejloient les chafes , il luy aurait eflé abjolu-
ment impo(Jîl>le de s'en jervir.
A cela le Légat, qui avoir eu le loifir de pen-
fer à ce qu'il devoit dire, répondit, ians par-
uem dei.vit. 1er du Duc de Guife, Qu'il ejloit obligé de taver-
n>f. lîi/i' "' tir^ que quand mefme le Cardinal aurait ejlé coupai; le,
, Sa A^ajeflé , en le faijant mourir, comme elle avait
fiit, avait encouru les Cenjures contenues dans la Bulle
In Cœna Domini, aujjî-hien que ceux qui avaient
exécuté fes ordres , ^ canjeillé ou approuvé Jon afîion..
Quil devoit donc demander labColution de fon péché
au Pape, quifcul la luy pouvait donner, ^ cepen-
dant s'abjlenir d'entrer dans l'EgliJe.
Le Roy fort iurpris d'une déclaration fi for-
te , réplique , ^u'il n'y a point de Souverain qui
n'ait le pouvoir de punir fes Sujets Ecclefaftiques pour
un crime de le:(je-Afaiej]^ , fur tout quand il y va de
fa propre vie. ^u'ainji il ne croit pas avoir encouru au-
cune Cenfure, veû principalement que les Rois de Fran-
ce ont ce privilège de ne pouvoir ejlre excommunie-^^
En eftet, il ne manqua pas le premier jour de l'an
de faire, félon la couftume, les dévotions en
cérémonie avec les Chevaliers de l'Ordre, &dc'
communier publiquement dans l'Eglife de Saine
Sauveur. Et comme le Légat s'en fut plaint ^
il luj envoya le £eur de Révol Secrétaire d'Ef-
L 1 V R E I T I. 2S7
tnt, qui luy fît voir un Bref du vingtième de 15 B8.
Juillet de l'année précédente , par lequel le Pa- ^"f '^" ^"f
pe luy permettoit de choiiir tel Conrellcur qu'il usMemdeu
uy plairoit, ce qui en vertu de ce lirer auroit Morof.i.i.
le pouvoir de l'abloudre de toutes fortes de cri- '• *'•
mes les plus énormes, de tous les cas rélervez
au Pape, & de toutes les Cenfures &: peines Ec-
clefialliques, de celles mefmes qui lont conte-
nues dans la Bulle In Cœna Domini. Et le Secré-
taire ajouifa, qu'encore que le Roy en vertu
de fes Privilèges n'euft pas befoin de ce Bref
pour fréquenter les Sacremens , on ne pouvoir
nullement douter que l'ayant, il n'ait pu com-
munier fans aucun (crupule & fans fcandale ,
après avoir receû l'abiolution de fon Confef-
feur. Le Légat n'ayant rien à répliquer à cela,
ne dit plus rien , ôé le contenta de la remon-
trance qu'il avoir faite.
Mais le Pape Sixte n'en demeura pas là. Car ej effendo
il s emporta d une étrange manière contre Ion cardmaie m
Légat qu'il accufoit de laicheté, parce qu'ayant [^"à^/^ l^
veû malfacrer un Cardinal il n'avoit pas publié t^re, come
les Cenlures contre le Roy avec l'interdit, quand cato r'imer-'"
mefme en le faifant il en euil deû perdre cent il^l°llf^T'
fois la vie. Il en témoigna Ion refl'entiment ^"'^^-^ ="'''^-
1 1 ■* f • 1 J- tecentovite»
avec beaucoup d'aigreur au Marquis de Piiany letne d»
Ambafladeur du Roy, au Cardinal de Joyeufe iZm.dlL'Ji
Protecteur de France, & plus fortement enco- ^■'^^""'f-'-^
' l c. 1}.
re à tout le Sacré Collège en plein Coniiftoire, „ ..
t) I ' Dffcotirs en
quoy-que le Cardinal de Sainte Croix luv par- forme d'»v:i
i.
tt.
1§8 HiSTOIRÏ DE LA LiGUE,
ij'SS. lant immédiatement auparavant, luy euft dir,
tnvcyé Af, qu'avant confulté fur cela les livres des Docteurs,
^ey far M. le ^ J ^ '
Cardinal dt \\ y avoit vcû, Quun Roy QUI aurait trouvé un Car-
Joyeufe.furla ,/ i , . ^^- ^ "^ Lr, i ^ .
rt de Mejf. dinal machinant contre J on hjtat, le peutpiire mourir
ma
t.i. "de ïHlfl.f^^^ autre jhrme ni figure de procès , (^ qu'il n'a tas
éUsCard.fag. l,çjlin d'affolution pour un pareil cas. Il s'offenfa de
cette liberté, 6<:protcfta hautement qu'il n'accor-
^utre Lettre detoit jamais aucune grâce , &c ne permettroit
p"6ZT&^' P^s qu'on fift aucune expédition Confîftoriale
^"''"- . que le Roy n'enveyaft folennellemcnt denian-
ras. C30. 6ii. ^^^ l'abfolution, qui ne ferait donnée qu'après
V'tg 637. C3S. , . ■ / 1. a- • J y^ '
& fuiv. . qu on auroit examine 1 attaire dans une Congre-
T^g.cjs.ô^o. gation de Cardinaux qu'il établit pour ce iujer.
Le Roy vouloit bien que le Pape, s'il en
avoit envie, luy donnall encore une abfolution
qui ne luy pouvoir nuire, quoy- qu'il ne cruft
ihid. 6- lettre pas cn avoir -bcfoin. Mais il ne voulçit nulle-
card? "'* ment fouffrir qu'on examinait juridiquement
' e '.■■"■ . s'il' avoit eû droit de punir fes Sujetscomme il
"_' avoit fait. Sur quoy le Cardinal déjoyeufc ne
■ feignit point de remontrer au Pape avec tout
lUd.f. 6s9- le reipect qui eltoit deû à Sa Sainteté, Que les
.,-; ,1 .;, meilleurs çjT pi i^ dévots Catholiques de France ^jiz
"' font icy les propres termes, we/e«o/f«/p^5 /'bwwj- /éi
opinions qu'on a à Rome en ce qui n'eji point de la
Doéîrine (^ de la Tradition de l'EgliJe, en quoj il
n'y avoit aucune dijference entre Rome ^ France i mais,
qu'en France on tenoit les Droits du Roy beaucoup plui ■
grands qu'on ne les faijoit a Rome j. (^- -ou on /jjl-
u ejltmoit-ji hien fondé , qu'on ne s'en départ iroit pçuK
rien
1
Livre ï I Î. - xS^j
rien du monde. Qu'en ce fait particulier le Roy trou- 1588.
^'eroif des plus fèrvens Catholiques qui foujiiendroient
que non feulement Sa Adajefié , qui a un Pn-vileze
flecial de ne bouioir ejire excommuniéeymais le moin-
dre homme du monde n'encourt point de Cenfures , pour
ftire chofe ncccffire à la confervation de fa liberté CT
de fa perfonne ; ^ en tout e'venement que Sa Ma-
jejlé ejloit ahfoute par autorité de Sa Sainteté mefme ,
fuinjant le Bref quelle ai oit offrojé.
A cela le Pape ne répondît au.cre chofe, /i- F^i-a^*-
non que c'eftoit à luy d'interpréter Ton Bref,
&c qu'il ne fe devoir entendre que des crimes
commis avant qu'on l'euft receû, de non pas
de ceux qu'on feroit après. Mais un des plus
fçavans Prélats de la Cour de Rome eût l'af-
feûrance de montrer par' un écrit qui fut en- ^ "•
voyé au Roy, que ce Bref eftant conceû com-
me il l'ef^oit en termes généraux, fans aucune,
reftritlion", s'érendoit aufli-bicn fur l'avenir
que fur le pafle. Cependant le Pape, comme
par une foudline inipiration, changeant tout-
a-coup contre fon humeur, fe mit à dire au
Cardinal,.^'// reconnoiffoit que le Ejyy anjoit eu
de grandes occafcns de faire ce qu'il aïoitfxit. ^ue
Dieu avoit permis que le Cardinal de Guife ^ k ^^"^
Duc fon frère mouruffent ainf pour leurs pcche:^. ■
Que la Ligue anjoit ruiné les ajfaires de Franee , &
mefme de la Religion Catholique. Qjfjl ne faïloit ja-
mais Mendré le ^ armes contre la 10 Ion té de fon Prin-
xeiynuil n'en ave/wit jamais bien^ Qu'il l'apptllois
O a
i5)o Histoire de la Ligue.
ijS8. à témoin luy Cardinal, de ce qu'il luy en dvoit dit
autrefois , ^ quaujji il a'voit prédit ce qui leur efloit
dxenu.
Le Cardinal ravi de joye de l'entendre par-
ler de la forte, luy en rendit tres-humbles ^ra-
ces, &c le fupplia tres-inftammcnt de perfif-
ter toujours en de il juiles ientimens, fans fe
laiffer furprcndre aux artifices des Eipagnols ôc
xies Ligueurs. Mais comme il vit (Qu'après tout
ce beau difcours , ce Pape, qui de l'humeur
dont il eftoit , ne pouvoit fe réfoudre à re-
culer après s'eftre engagé ii avant, vouloit tou-
jours que toutes les expéditions fuffent fuipen-
ducs, jufqu'à ce que le Roy luy euft envoyé
demander ion abiblution : il eût le courage de
jbtd.f.éss. jjjy. ^-j-j, £qj.j. iiefj^cment, Que^ cette fusj>enJîon , qui
ejîoit préjudiciable au fer-vice de Dieu, au Jalut des
âmes , f^ mefme a ï autorité du Saint Siège , ne char-
geait que la confcience de Sa Sainteté ; & que tous les
maux qui arrivent de la longue 'vacance des Egliles
luy Jeroient impute'^, & nullement au Roj, qui aïoit
fait de Jon cojié ce qu'il dcvoit , en nommant aux
E'vefche':^ çy aux Abbayes félon le Concordat : (^ que
cependant les nommex^ aux Prélatures Je confoleroient
aisément de leur dif^ace , en joui ffant plus long-temps
de leurs Oeconomats , fans fe mettre en peine de trou-
ver, ft) d'ennjoyer a Rome bien de l argent pour avoir
des Provi/ions Apojloliques. Et qu'après tout , il pour-
rait bien arriver que le Roj touché des remontrances
du Clergé de France, ç^ mefme des Efiats qui ejloient
L I V R E I I L 2.51
encore ajfemhle^ k Blon , & de ce c^uon refufe a Ho- i j 8 ii.
me fis nominations, remift les chofis fiir le pied du
droit ancien , auquel cas on n irait plus de France à
Rome, que pour la confirmation de trois ou quatre Pri-
maties qu'il fiaudroit encore expédier oratis.
Enfin ce lage&: généreux Cardinal conclut
fa longue dépcichc par l'avis qu'il donna au
Roy, que fclon le fentiment des plus celai- iW.tf^s.
rcz & des mieux affcdionnez , plus il diffé-
rera d'envoyer ou d'écrire au Pape, au cas qu'il
ait réfolu de le faire, plus il aura de fadsfadiion,
pourveiî que les affaires aillent bien en France!
Car, ajoulle-t-il , ^oftre Adajcflê n'a à efferer m à
craindre de rien , finon autant quelle aura du bien ou
du malche^fiy dtn s fin propre T^jaume. Et pour
fif avoir en quel prédicamcnt l'ofire Majefié fiera à Ro-
me, elle n'aura befoin d'attendre a lapprendre par la
dépefiche defion Amhaffadeur ou par la mienne i elle le
trouvera f^ lira che':(^fioy ^ jour en jour, a mcfiure
quelle avancera ç;^ fira progrès en fie fidite s affaires.
L'événement vérifia cette prédidion. Car
quelque temps après Sixte voyant la Ligue très-
puiilante, 6c le Roy tres-foible par la révol-
te de la plus grande partie de la France, fie
afficher à Rome contre luy le foudroyant Mo-
nitoire que nous verrons, & dans lequel il dé-
clare d'abord que ce Prince a encouru l'ex-
communication portée par les Canons, pour
le meurtre commis en la pcrfonne d'un Car-
(linal. ., .
Oo i|
i5)i Histoire de la Ligue.
jj8 8. La more du Duc de Guife luy fut encore
plus funefte, & produiiit un effet tout contraire
a ccluy qu'il en attendoit. Il crut qu'ayant cou-
pé la tefte à la Ligue , elle ne feroit plus qu'un
corps fans ame ôc fans mouvement, & qu'il
feroit alors maiftre ablolu ôc vrayment Roy,
comme il le difoit très - fouvent. Mais il vit
bientoft qu'il s'efloit trompé. Ce qu'il croyoit
peut arriver , quand une fadlion elt foible en
îl's commencemens , & que les peuples qui y
font entrez font irréiblus , & balancent entre
cette première fureur qui les a d'abord empor-
tez dans la rébellion , de la crainte qu'ils ont
d'un Maiilre juftement irrité contre eux. Se
qu'ils voyent puilTamment armé pour les punir
aulTi - bien que leur Chef, s'ils ont l'audace de
vouloir continuer dans leur révolte. Mais on
voyoit icy tout le contraire. La Ligue eftoie
enracinée fi avant dans les cœurs des peuples,
qu'il n'y avoir nulle apparence qu'on la puft
arracher d'un feul coup , &c ce parti avoir de
trop puirtans appuis dedans &: dehors le Royau-
me, pour efperer qu'on le puft abbatre fitoft.
D'ailleurs, l'amour & le rcfpedk que les Fran-
çois ont naturellement pour leur Roy eftoit
prcfque entièrement éteint dans la plufpart, à
l'égard de Henry 1 1 L également haï des Hu-
guenots& des Ligueurs, & il tort mepriie, prin-
cipalement de ccux-cy, qu'il n'eftoit plus craint
de perfonne.
L I V R E I I I. l<)5
Auffi, au lieu de monter à cheval comme i;8 8.
il le devoir faire après un fi terrible coup, ôc
de s'avancer avec tout ce qu'il avoir alors de
^cns de guerre vers Paris, fans donner aux Li-
gueurs le loiiir de fe reconnoiftre ôc de le faire ^''t ^".'^'''
O /- /- 1 -. anche ico
un nouveau Chef, il s'amufa, félon fa couitu- contra a fu»
me, a taire de crrandes Déclarations, & de rorc fmçruc. Ce
belles Lettres qu'il cnvoyoit par tout, &c où en- ferr'havl?»
trc autres choies il difoit pour fa juftification "''* '^' ^^i<=
i ^ , alcuna cola
ce qu'on ne croyoit gueres, de ce que le Duc contra di lar,
de Mayenne nia fortement au Cardinal Légat, cra' quci'io "
fçavoir qu'il avoit receû de ce Duc mefme ôc va mind^o'
de la Ducheffe d'Aumale un avis très- certain ^ dnckCut
de la confpiration des deux frères contre fa per- Aipbonfo
fonnc. Il ne fçavoit pas fans doute, qu'après qucHo'c'hc'u
avoir fait une adion de cette nature, un Roy R=hîveapu,
' / blicato.
ne la peut jamais mieux iuftiner que quand il J^^f^'r. d,t
s eit mis par les armes en ellat de taire trouver i,b.3.s.iu
aux vaincus fes raifons bonnes.
Et certes, en faifant ainfî fon Apologie d'une
autre manière qu'un Souverain ne la doit fai-
re, il ne perfuada gueres ni fes Sujets m les Ef-
trangers y &c il eût le malheur que non feule-
ment les Ligueurs, ôc beaucoup d'autres qui ne
l'cftoient pas entre les Catholiques , mais les VAubignc,
Huguenots mefme , ôc fur tout les Gentilshom-
mes, condamnèrent en des termes tres-fafcheux
fon adion, qu'ils ne croyoient pas eftrc du gé-
nie de la nation Francjoife. Cependant il fut
bien furpris, lors que tandis qu'il perdoit le
Où iij
•- i5>4 Histoire de la Ligue.
ij88. temps à écrire de à continuer les Ertats, com-
me il fît encore pendant trois femaines, il ap-
prit qu'Orléans s'ciloit loulevé contre luy; que
le Duc du Mayne , qui fut averti à Lyon de la
mort de Tes frères, avant qu' Alphonfe d'Ornano
qu'on y envoyoit ou pour l'arrcfter ou pour le
tuer y fuft arrivé, s'eftoit fauve dans fon Gouver-
nement de Bour^ocrne, où il eftoit maiftre de
la plufpart des villes ; &c fur tout que Paris avoir
fait renaiftre la Ligue avec plus d'ardeur que
jamais, pour venger la mort des deux frères.
Il n'y a rien dans toute l'Hilloire de plus
étrange que ce qui fe fit en cette grande ville,
quand on y apprit une ii iurprenante nouvelle.
TiavrU. Les Seize qui l'eurent les premiers , &c avant
jôarnaiMs. quc Ic Parlement en rult averti, tant il y avoïc
journ'JJe de ncgligciice à la Cour, firent auflitoft, &: le
Mfnrj, lïi. ^Qjj. jYiefnie du jour de Noël, prendre les armes
dans tous les quartiers, s'afle tirèrent de tous les
lieux forts , mirent de bons corps de garde fur
les ponts ôc dans les places, àc garnilbn dans
les maifons des Politiques i c'eil: ainfi qu'ils ap-
pelloient ceux qui leur eftoient fufpedts, & ne
fe laiiToient pas entraifner au torrent d'une fi
; ; furieule fadtion. En luite, fe voyant maiftres
de Paris, où le peuple emporté juiqu à la rage
pour la mort du Duc de Guife, elfoit tout dif-
pofé à la révolte, ils tiennent l'Affemblée gé-
nérale à l'Hofiel de Ville, où malgré toute la
réllllance du Premier Préfident Achille de Har-
Livre III. . ' ' t.^^
lay, qui pcnHi pcrir en cette occafion, ils éli- i j8i>.
lent pour Gouverneur le Duc d'Aumale, 6c
font entre eux une plus étroite union que ja-
mais pour la dcfenfe, à ce qu'ils diioient, de *
leur vie, de leur liberté, &c de la Religion Ca-
tholique. C'eft ainfi qu'Us couvroient d'un fpe-
cieux nom leur révolte, que les Prédicateurs ôi:
les DotSlcurs de la Ligue firent éclater tout ou-
vertement d'une furieufe manière.
Car les Prédicateurs , dont les plus fianalez ' '
cftoient les Curez Pelletier, Boucher, Guin- • ' -
ceftre, Pigenat, &c Au'ory, le Père Bernard de «'^'^l*
Monrgaillard , iurnommé le Petit- Feuillant,
& le fameux Cordclier Feu-ardent, prcfchant
dans les Paroifl'es de Paris durant les Feftes de
Noël, changèrent leurs fermons en inventives
contre la perlonne lacrée du Roy, &c décri-
virent fi pathétiquement la mort tragique des
deux frères, lefquels ils élevoient julqu'au Ciel
comme des Martyrs , qu'ils faifoient fondre
en larmes & éclater en foupirs tout leur Audi-
toire , auquel, au lieu de luy propofer l'exem- c^y.t. chr<H},
pie de Saint Eftienne, ils infpiroient un ardent J^^'J^;.^ ^■
defir de vengeance. De lorte que ceux mefme ■"^"""f-
qui navoient pas envie de pleurer m de ion- deiden» i.s.
pirer , & qui elîoient fcandalifez de ces manie- "' "*'
res tout-à-fait indignes d'un aulTi laint mi- .
niftere que celuy de la parole de Dieu, eitoient • '
contraints de contrefaire les pleureurs, de peur
d'eftre aflbmmez.
1588.
Jturtt»l de
Henry 1 1 1.
C-y»fj t.i.
jinn.
îîemcf. it
Mercf. l. f.
t. 21.
Jmn»l Ji
Mtarj m.
1^6 Histoire ce la Ligue.
En effet, comme Guinceftre qui avoit pref-
ché l'Avent à Saint Barthélémy eût dit en Tun
de fcs fermons , après avoir bien déclamé con-
tre le Roy, &: déploré la mort du Duc de Gui-
fe, qu'il falloit que Tes Auditeurs levaient tous
la main, pour montrer qu'ils juroicnt de ven-
ger cette mort, &: de vivre & mourir dans la
fainte Union qu'on venoit de renouveller : tous
les afTiftans ne manquèrent pas de luy obéir
auflitoft, excepté le premier Préfident, qui ce
jour-là premier de l'an mil cinq cens quatre-
vingts -neuf cftoit au fermon de la ParoifTe,
dans l'Oeuvre, vis-à-vis du Prédicateur. Alors ce
furieux homme ciit l'audace de luy dire, Leve:^
la main njota aujjt , comme tons les autres ^ Monjteuf
le Premier Préjident. Les Ligueurs avoient fait
courir le bruit que cet illuftre Magiftrat, qu'on
fçavoit eftrc grand ierviteur du Roy, cftoit un
de ceux qui avoient confeillé la mort du Due
de Guife : de lortc qu'il fallut necefTaircment
obéir, pour ne pas s'cxpofer imprudemment à
la furie du peuple, qui, fur le refus qu'il en
euft fait, cuft cru cette impofture , & n'eufl
pas manqué de le mettre en pièces. Il leva
donc la main, mais fort peu, comme il n'agif.
foit que par un mouvement forcé j & alors cet
effronté Prédi<:ateur eût l'infolencc de luy dire
qu'il la levaft plus haut, afin que luy & toute
i'afTiftance viflcnt ^u'il s'obligcoïc comme les
autres.
Le
Livre II!. 15)7
Le Curé de Saint Nicolas des Champs i;8^.
FraïKjois Pigenat fut encore plus impudent
& plus impie que Ion confrère. Car en fai-
fantl'Oraifon Funèbre du Duc de Guife dans
la Parroifl'e de Saint Tean en Grève, comme 7"""'"'' a'*-
ri I T- tr 1 T^ • d'Jnt.LoyjH,
on en ht dans toutes les hgliles de Pans, &
mcfme à Noftre-Dame, avec une pompe plus :</?«..
que Royale , il en vint jufqu'à cet excès de
fureur, que de demander à les Auditeurs, s'il
ne fe trouveroit pas quelqu'un qui cntreprill
de venger le meurtre du Duc en donnant la
mort au Tyran. Et pour émouvoir le peuple,.,
il fit parler en fa place la DuchefTe , veuve
du défunt, qui cftoit prefte d'accoucher, &
luy fit dire ces terribles paroles imitées de
Virgile :
Exoriare aliauis nojlm ex ojflhus ultor
^ui face f^iiltjios fcrroque fcquare Tyrannos.
Ces Prédications léditieules cauferent de
très-grands defordrcs : mais ce qui acheva de
tout perdre fut le fcandaleux Décret des Do-
â:eurs , qui s'eilant laiiTé aveugler à cette fu-
rieufe paffion qui animoit la Ligue, & condui-
fant en fuite les peuples aveugles , les firent
tomber avec eux dans le plus effroyable abif-
me de crimes & de malheurs qui fut jamais.
Ceux qui compofoient le Corps de Ville, qui
cftoient alors tous Ligueurs , pour autorilér
l'horrible révolte qu'ils méditoient, s'aviferent
pp
__«..»„-. i5> 8 Histoire de la Ligue.
1/8 c>. de piopofcr à Mcflieurs de Sorbonnc non feu-
jMem. de u lemcnc de vive voix , mais auHi par un Adle
M.desevirs. authentiquc jfîgné du Magilb'at ôc fcclié du
friftdtsAr. Sceau de la Ville, ces deux grands cas de con-
Icicnce : l'un , Si les François cfloicnt effvcîinjement
délie:^ du ferment de fidélité (jr d'ohéïjjance que l'on
4'voit prcjié au Roy; l'autre, s'ils fe pourvoient Ar-
mer fi) unir , & s'ils pourvoient lever de l'argent 0*
contribuer pour U défènfe ^ confier-vation de l<^ Re~
^iTurcf.Tl. ligjon Catholique , ^pofiolique cJt* Romaine en Fran-
e. 3s- Qç ^ pour s'oppojêr aux détcjïables defjeins (^ aux ef-
forts du Roj (y de tom Ces adhtrans j depuis qu'il
avoit violé la Foy publique à Hlois , au préjudice de
U Religion Catholique , d<! lEdit de U Sainte Union,
Cjsr d: la liberté naturelle des Ejlats.
Sur quoy la Faculté s'eflant afTembîée le
leptiéme de Janvier au nombre de loixante-dix
Dodieurs, après une Procefîion folennelle & la
MefTe du Saint Efprit , conclut pour l' affirmative
fur ces deux points j d'un commun confentement, ç^
fans que perjonne s'y oppofitfi, ce font les propres
termes du Décret ^g;^ qu'on cnvojeroit au Pape
cette réfolution j afin qu'il l'approuvafi ç^ confirmafi
de Jon autorité i^ qu'il eufl U bonté de Je courir l'E~
glife Gallicane qui fouffroit beaucoup , f^ fe trouvait
fort opprimée.
t.um. de U A la vérité ce Décret fît un crrand fcandalc,
Ligne , '• S- , ^ . .
f.i92.â-fuiv. Se les Huguenots qui ne manquèrent pas de le
rapporter mot pour mot,& de l'examiner dans
leurs écrits, en tuèrent grand avantage pour
Livre III.
299
infultcr à nos Thcologiens, dont ils avoicnr 1585»
raifon de dire que la Dodrine &: la Morale , à
cet éc^ard , cft directement oppoféc à la parole
de Dieu qui cnleigne tout le contraire. Mais
il cft aile de les iatisfairc, en leur dilant ce qui
cft très -véritable, que ce Décret (e fit par la
fadlion des Docteurs ieditieuï, Boucher, Prc-
voft, Aubry, Bourgoin, Pelletier, de icpt ou c^ytt.t.r.
huit autres vieux Docteurs qui eftoient paillon-
nez Ligueurs, de melme du conieil des Seize,
ôc qui entraiincrent par leur cabale & par leur
violence ces cinquante ou loixante Docteurs,.
dont la plufpart cftoient de ces jeunes empor-
tez ôc turbulens dont nous avons déjà parlé ^
6c les autres craignant pour leur vie s'ils leur
réfiftoient, ne conicntirent que par force à ce
Décret, que la Sorbonne mefme, quand elle a
cfté libre , a toujours tenu pour abominable ,.
àc auquel le Docteur Jean le Févre, qui eftoit
alors Doyen de la Faculté, s'oppoia de toute
la force, lans qu'il puft jamais rien gao^ner fur Thuan.1.9^.
cette malhcurcuie faction, qui le contraignit,
malgré qu'il en euft , de conclure comme elle. Condurum
A /r 1 \ .,',.. . , eft a D. De
Aulli le Roy , q^ui s en plaignit extrêmement a ano cmfdem
Blois, ayant fait alTembler vingt Evefques & mTn"e?efrà"^
douze Dodicurs de Sorbonne qui le trouvoient î,*"^^
parmi les Députez, comme on eût tait la le-
dure de ce Décret, tous conclurent fans ba-
lancer, qu'il eftoit exécrable , & ne pouvoic -^-'''"^ "'^«'^
avoir eite tait que par rorçe, & pour le ga- /. 5. f. s^-
PP '}
te.
500 Histoire de la Ligue.
158^. rantir de la fureur de de la rage des Ligueurs
de Paris.
Cependant il faut avouer que ce Décret, de
quelque manière qu'il ait efté fait, cftant de la
Sorbonne , dont le nom de l'autorité eftoient
en (înguliere vénération dans toute l'Europe,
& prmcipalemcnt en France, fut comme le fi-
gnal de la révolte générale qui fe fit dans Pa-
ris, &c qui de là, en tres-peu de temps, s'éten-
dit dans la plufpart des villes du Royaume.
Car aufTitoft qu'il fut publié dans cette grande
ville , fur tout par les plus emportez des Prédi-
cateurs forccnez de la Ligue , qui l'expoferent
au peuple dans leurs furieufes déclamations,
l'on paiîa tout-à-coup à de fi horribles extré-
mitez, & à de fi exécrables excès de fureur
contre ce que des Sujets doivent à leur Prince
légitime, qu'encore que nos Ecrivains lesayent
rendus publics, je crois pourtant qu'il vaut
mieux les fupprimer que de profaner mon Hif-
toire par un récit qui la rendroit dcfagréablc
ôc odieufc.
Je diray feulement, qu'au mefme temps qu'en
vertu de ce malheureux Décret on luy oita le
nom de Roy , pour ne luy donner que celuy
de Henry de Valois, \^n'y a forte d'outrages
qu'on ne luy fift en toutes les manières que la
rage impuilfante d'un peuple furieux put in-
venter, pour fe répandre en fatyrcs, en invedti-
vesj eu libelles, çn calomçiies, en toutes fortes
Livre I 1 1. r;i '-■ - 301
d'injures atroces, dont la moindre elloit celle i;8^,
de Tyran & d'Apoftat; & pour le décharger, par
le plus brutal de tous les emportcmens, iur Tes • . ,;
Armes, fur les Statues, fur fes Portraits, fur fes "■] l!l^^
Tableaux <^ui furent rompus, déchirez, fou- *'•-'" ■' -"^
lez aux pieds, traiinez par les boûës, bruflcz,
jcttez dans la rivière , en le chargeant de mille
malédictions, tandis qu'on réveroit le Duc de
Guilc ôc fon frerc comme des Martyrs, jufques
à mettre leurs images fur les Autels, Enfin cette
aveugle fureur alla fi loin , que depuis ce Dé-
cret les Curez &c les Confeffeurs de la faction
des Seize, abufant facrileo-ement du pouvoir ^'V*""""''
1 r /i/-n 1 1 ri Traite de la
que leur lacrc Minilterc leur donne de lier & ^r.fe des Arm^
de délier, rcfuioient l'ablolution à ceux qui ^' * '"
leur avoûoient en Confefiion qu'ils ne pou-
voient fe réfoudre à ne plus reconnoiftre Hen-
ry III. pour leur Roy,
Voilà l'effet que produifit d'abord ce Décret
de la Faculté, que le Roy receût avec ces trif-
tes nouvelles , en mefme temps qu'il eftoit oc-
cupé à rendre les derniers devoirs à la Reine
fa mère , qui mourut au Chafteau de Blois le
cinquième de Janvier, à la foixantc & douzième
année de fon âge, foit du chagrin qu'elle eût
de la mort des Guiles, ^ du reproche que luy
en fit le vieux Cardinal de Bourbon , foit d'une ^'""'"f""-.
fièvre lente, ou d'une faulfe pleurefie.Ileft cer- ^^'"^■
tam qu on a garde très- peu de melures, loit chanc. d*.
en louant, loit en blafmanc cette Princelle, qui ^*'*"'"-'-
Pp nj
3oi Histoire de la Ligue.
ne
merv,
vil
de MeM,
ijS*). certainement a fourni aux Hiftoriens de quoy
^mntofmi. en dire &: beaucoup de bien &: beaucoup de
Henry Eftien- TnsX. On peut alicz connoiitre 1 un &1 autre
t'nîTtia P^^ ^^^ chofes que j'en ay dites jufques icy dans
de cath. cette Hiftoire & dans celle du Calvinifme. T'a-
joufteray leulement, pour achever fon portrait,
qu'on ne peut nier qu'elle n'ait eu de grandes
perfections de corps & d'efprit, un port extrê-
mement majcftueux, un certam air de grandeur
& d'autorité digne d^ l'Empire , des manières
nobles &: engageantes, un cfprit poli, délicat
& pénétrant, un talent merveilleux pour la né-
V. »- gotiation, & une finguliere adrefle pour tour-
^^x\Cx,^.-,. ner les efprits où elle vouloir, une ma2;nificen-
•■«*•'■ ce Royale, une conftance & une fermeté ex-
traordinaire dans une femme , un courage vi-
ril , & une grandeur d'ame qui la portoit na-
turellement à tout ce qu'il y a de plus éclatant
(& de plus relevé dans le monde. En un mot,
elle euft pu pafler pour une Héroïne, Ç\ tant
de belles qualitez n'cuflent elle flétries par de
grands vices, qui ont trop paru dans toute fa
conduite , pour croire que l'Hiftoire les doive
ou les puifle diiTimuler.
Car on n'y voit que trop, pour fon honneur,.
la prodigalité, le luxe, la diifolution honteufe
.•»• qu'elle fouffroit dans fa Cour, & de laquelle
mcfme elle fc icrvoit pour gagner ceux qu'elle
avoit envie d'encracicr dans les interefts, le pea
-'■ de unccrite & de roy qu il y avoit dans les pa-
Livre I I I. ; ' i - 1
303
rôles, le trop de créance quelle donnoic aux i;Sp.
aftrolocTues ôc aux devins qu'elle confulcoit
fur l'avenir, de fur tout cette ambition demc-
furce, à laquelle, pour régner toujours abiolu-
ment, elle ne fît point de difficulté de lacrificr
les intcrefts de l'Eftat &:de la Religion, qu'elle
penfa ruiner, en penchant tantoft du colVé des •
Huguenots, ôc tantoft de celuy des Catholi-
ques , lelon que l'une ou l'autre Religion luy
fembloit plus propre pour venir à bout de Tes
defTeins. Enfin, pour conclure par le point el-
fentiel de cette Hiftoire, la haine qu'elle por-
toit au Roy de Navarre ion gendre, ôc l'amour
qu'elle avoit pour Ton petit-fils de Lorraine,
luy firent fous main favorifer la Ligue, donc
pourtant elle eftoit la dupe. Car elle eût ce
malheur, qui arrive ordinairement à ceux qui
veulent trop ménager les uns & les autres, qu'el-
le fut prelque également en averfion aux Hu-
guenots ôc aux Catholiques des deux partis. " ;
Voilà quelle fut cette PrincefTe, quin'ciit rien
de médiocre ni dans le bien ni dans le mal : heu-
reufe néanmoins félon Dieu de lelon les hom-
mes, en ce qu'elle mourut en un temps où l'on
crut dans le monde que fa vie eftoit neceffairc
au Roy pour le tirer par fon adrelîe de l'hor-
rible embarras où il eftoit , ôc qu'elle expira Mtpicr. di
doucement &i Chreftiennement, après avoir re- f.^"//. '*
ccû les Sacremcns avec beaucoup de piété,
quoy-que les Hiftoricns Huguenots qui la haïl-
Jiurnal de
Henry. 211.
304 HisTôïRK DE LA Ligue.
tjtp. Toient mortellement, ayeiit écrit le contraire.
Et parce qu'elle n'elloit gueres moins haïe des
Ligueurs de Pans , qui s'imaginoient qu'elle a-
voiteû part à la mort des Guiies, comme d'au-
tres aulTi l'ont cru, après ce que le Médecin
Miron en a écrit dans la Relation , ils difoient
hautement que fi l'on apportoit Ion corps à
Paris , quand on l'iroit mettre à Saint Dcms
dans le magnifique tombeau qu'elle y avoit fait
drcfTcr pour elle oc pour le Roy Henry I L fon
mary, ils le jetteroicnt dans la Seine.
Cependant le Roy qui croyoit encore qu'il
les pourroit faire rentrer dans leur devoir par
les voyes de la douceur, leur avoit envoyé
la Ducheffe de Nemours merc des Guifes 6c
du jeune Duc de Nemours leur frère utérin,
qui s'eltoit fauve peu après que le Roy l'eût
fait arrefter. Cette PrmcelTe, qui eftoit fort fa-
gc, préférant le bien de la paix à une ven-
geance inutile de la mort de fes enfans, avoit
commencé de traiter par Lettres avec les Ducs
de Nemours & de Mayenne fes deux autres
fils, pour les ramener doucement, en leur of-
frant tous les avantages èc toutes les feûretez
qu'ils pourroient railbnnablement fouhaitcr;
ce qui fit croire au Roy qu'elle pourroit adou-
cir les eiprits,^: appaiier les troubles de Paris.
c^jit.1.1. Il voulut mefme qu'elle fuft accompagnée des
Ekhcvins Compan ôc Cotte-Blanche, qui pro-
mirent d'agir de leur jnieux pour cet elfetj ou
de
Mtmir. a
Meref. l, }.
e. 23.
Livre 1 1 L -^ ^ 50;
de retourner à Blois dans leur prifon s'ils ne i;8;j.
pouvoicnt rien obtenir, ôc fit porter en mef-
mc temps au Parlement un ordre exprés d'cn-
rcgiftrcr la Déclaration qu'il avoit envoyée par
tout, aufTitoft après l'exécution de Blois.
On rcccût à Paris la DuchefTc avec toute
forte d'honneur , & une joye incroyable du
peuple, c]ui la réveroit comme la mère de deux
laints Martyrs i & le petit Feuillant prelchant pur^Mii,
un jour en ia prclencc,s emporta julqu a taire, -^
en ie tournant vers elle, une apoll:rophe au feu
Duc de Guile en ces termes: O faint (^ glorieux
Adartyr de Dieu, bénir ejl le ventre qui t'a portée ç^
les mammelles qui t'ont allaité l Mais après tout,
elle ne réiifTit pas en fa ncgotiation. Les deux
Elchevins, fauÂant leur ferment, fe joignirent^
comme auparavant, avec les Fadlieux ; & fur la
Requefte, dont on garde l'original dans la Bi-
bliothèque de M. Colbert,& que j'ay vcûe li-
gnée de quarante - huit d'entre les principaux
Bourgeois , on leur fit dcfenfe de retourner
àBlois, & leur ferment qu'ils en avoient fait
fut déclaré nul par Arreil du nouveau Parle- Journal i»
ment que les Ligueurs fe firent après avoir" ' '^ '
cafle l'ancien par un des plus horribles atten-
tats qu'on ait jamais commis contre l'autorité
Royale.
Car le Duc d'Aumalc & le Confeil des Seize
fe défiant de cette augurte Compao-nic , dont ^'"'''*',f'
les principaux membres çltQient grands icrvi-
^
3o<* Histoire de la Ligue.
1585?. teurs du Roy, réfolurent de s'en faifir Se de
tous les autres Officiers qui leur eftoienc CnC-
pe(5ts. Jean le Clerc ditBuflTy, autrefois Procu-
reur en Parlement, l'un des plus téméraires &
des plus impudcns hommes qui fut jamais, &
que le Duc de Guife, le connoifTant déterminé
Ligueur, avoit fait Gouverneur de la Baftillc,
demanda & obtint cette Commiflion, qu'il exé-
■ '' cuta le ieiziéme de Janvier, Car s'eftant faifi le
matin des portes du Palais , il entre tout armé
ûit les huit heures dans la Grand' Chambre où
Meflieurs eftoient afTemblez, 6.: leur dit, que
les bons Catholiques de Paris luy avoient don-
^M^u^tl'* né charge de leur prefenter uneRequefle; puis
l'ayant mil-c entre les mains d'un des Melîîeurs,
il fe retire au Parquet des Huifîiers où fcs gens
l'attcndoient. Cette Rcquclle portoit , Qjt^d
plujl à la Cour s'unir avec les Prenjojl des Àdarchands,
Efchevins (^ hons Bourgeois de Paris powr la déjènfe
de la lieligion ^ de la Paille, ^ue conformément an
"Décret de la Sorhonne , elle déclaraji que les François
fjioient délivre^ du ferment de fidélité ^ d'ohéïjjànce
envers leRoj,^ qu'on ne mijl plus Jhn nom dans les
t^rrejïs.
Voilà la voye que prit ce fcelerat, pour avoir
Heu, fous un prétexte fpecieux devant le peu-
ple, de traiter, comme il fit, le Parlement, qu'il
îçavoit fort bien qui ne confirmeroit jamais
un Décret (cmblable à celuy de la Sorbonne.
C'cft ce que noftre Hiftoirc n'avoir pas encore
Livre 1 1 T. - ■ * 307 ■
remarqué, ôc que j'ay appris du Journal ma- i jS^.
nufcrit que le célèbre M. Antomc Loyfel Avo-
cat en Parlement, qui cftoit alors à Paris, a
laiiTé à Tes enfans pour leur mll:ruâ:ion. Il m'a * , ,,„
, 1 jôHflîAl M S.
cite genereuiemcnt communique par M. Joly •i'M.uyfti.
Ton petit-fils , Chantre de l'Eglile de Noihc-
Damc, fi rccommandablc pour fon infigae pro-
bité & pour fa profonde dodlrinc , U a qui le
Chapitre de la Métropolitaine de Pans ell re-
devable de la rare Bibliothèque qu'il \\xy a don-
née. Ce fut donc là le piege que BufTy le Clerc
tendit au Parlement, pour avoir occalion de le
traiter le plus indignement qu'il le pouvoir
cftre.
Car fans mcfmc attendre la réponfc à fon
inlolentc Requeile, voyant qu'on déliberoit
là-deflus plus long- temps qu'il ne l'euft vou-
lu, il rentre comme un furieux dans la Grand'
Chambre, l'épée à la main,luivi de vincrt-cinq cy^
, ^ I ■ rC \ Journal dt
ou trente nommes armez de cuiralies & àzHinryiu.
piilolctsj & après avoir dit d'abçrd que c'ef- {"^^^i!' ''*
toit troD différer, &: qu'on voyoït bien qu'il y
en avoit dans la Compagnie qui crahiflbient la
Ville & s'entcndoicnt avec Henry de Valois, xi
ajouita, qu'il avoit ordre de s'en affeûrcr, &
commanda, parlant en Maiftrc,que ceux qu'il
nommeroit euffent à le fuivrefur le champ s'ils
ne vouloient eftre maltraitez. Sur quoy, comr-
me en liiant fon rôle, il eût nommé le Premier
PrcJident Achille de Harlay, les Préfidens à.z
««»7 ^ ' ^-
— — *- 308 Histoire de la Ligue.
lygp. Blanc -Mcfnil Potier, & de Thou, &c les plus
y°^^"'\f* anciens Confeillers, tous les autres ie lèvent
comme de concert, proteftant qu'ils ne vou-
ioient point abandonner leur Chef, qu'ils fui-
virent en effet au nombre d'environ foixantc
de toutes les Chambres, marchant deux à deux
après Bufly le Clerc , qui les mena comme en
triomphe au travers d'une multitude innombra-
ble de peuple juiqu'à la Baftille, où il ne fît
entrer que ceux dont on connoifToit la fidehté
inviolable au fervicc du Roy.
Le plus confiderable, comme le premier de
tous Tans contredit en mérite aulTi-bien qu'en
dignité, fut le grand Achille de Harlay, dont
le feul nom peut tenir lieu d'un grand éloge ,
par la haute idée qu'il nous forme d'un Ma-
giltrat tres-accompli en toutes iortes de perfe-
ctions. C'eftoit le digne Chef de cette augufte
Compagnie, que la fureur de la Ligue traita fi
indignement, ôc de cette illuftre Maifon, qui
après s'eftrc fignaléc plus de quatre cens ans par
les armes, a joint à cette gloire toute celle
■ qu'on peut aquerirdans les plus beaux emplois,
& les plus grandes dignitez de la Robe ôc de
l'Eglife.
Je ferois fort injuftc fi je ne rendois juftice
au mérite de ces lUuftres Sénateurs qui fuivi-
rent leur Chef, & fi je ne faifois connoiftrc à
la polleritc leurs noms qu'on ne lit point dans
nolUe Hiiloirc , & que j'ay cii le bonheur de
Livre III. .^iH 509
trouver dans le MAnufcrit de M. Antoine Loy- 1589.
lel , ce fameux Avocat de ce temps -là qui les
connoifl'oit tous. Outre les Préfidens que j'ay
nommez, les Confcillers qu'on arrella prifon-
niers avec eux dans la Ballille, furent Melfieurs
Cliartier, Spifame, Malvault, Perrot, Fleury,
le Vuy, Mole, Scarron, Gayant, Amelot, Jour-
dain, Forget, Hcrivaux, Tourncbu, du Puy,
Gillot, de MoufTy, Pmney, Godard, Fortin,
le Meneur, & le fleur Denis de Hcrc.
C'eftoit un homme d'efprit &:de qualité, ôc
l'un des plus forts de fa Compaenie , qui de N'tesftru
grand Ligueur qu 11 eltoit auparavant par le leul
zèle de la Religion , devint grand ferviteur du
Roy, quand il eût découvert les pernicieux def-
ieins de la Ligue, fur tout après la Converfîon
de Henry I V. qui ayant reconnu fon rare mé-
rite, en fit beaucoup d'eftat. De forte qu'il eût le
crédit de fe faire oller duCatholicon, où l'Au-
teur de cette agréable fatyre ne l'avoir pas trop
bien placé. Gai au lieu que dans la première
édition de l'an mil cinq cens quatre-vingt-
quatorze, page fixiéme, on fait promoteurs de la
Ligue Machaut &c de Here^ on a mis dans toutes
les autres Afachaut & Bajlon; ce furieux Bafton,
qui fut fi pafTionné Ligueur , qu'il fio-na la Li- ^ 'tu fur u
gue de Ion propre lang tire de la mam, la-
quelle en fut eftropiée , de qu'il aima mieux fe
retirer avec les Efpagnols, après la réduâiion
de Pans , & mourir de m.ifere en Flandre , que
Q^ iij
310 Histoire de la Ligue.
I J85. de vivre à fon aife en France fous robéïflâncc
du Roy. Voilà les noms des principaux d'entre
Mefîîeurs du Parlement qui furent mis dans la
Baftille avec le Premier Préfident.
Il y en eût encore quelques-uns dont je n'ay
pu f(javoir les noms , qui meriteroient d'eftrc
connus & révérez de tout le monde. Les au-
tres, foit qu'ils fuffcnt tout-à fait Ligueurs, foit
qu'ils craigniflent pour leur vie, ou qu'ils cruf-
fent qu'il falloit difTimuler pour avoir lieu de
rendre quelque bon fervice au Roy, ayant pro-
mis d'eftrc ndelles au parti de l'Union , furent
renvoyez libres pour rendre la juftice avec le
Prcfîdent Briflon , qui dés le lendemain tint
l'Audiancc comme Chef de ce nouveau Parle-
ment de la Ligue , avec laquelle on crut qu'il
s'eftoit entendu, afin de pouvoir occuper cette
place. Cela fut tout-à-fait indigne d'un hom-
me de fi haute réputation pour fa rare doctri-
ne, & qui devoir plûtoft perdre mille vies que
d'à bandonner lafchemcnt ion Roy, & de fc faire
honteufement cfclave de la paffion de fes plus
mortels ennemis, lous prétexte que tout ce qu'il
faifoit n'eftoit que pour fe mettre à couvert
de la violence des Factieux , comme il le pro-
■ÎM4r9ai it tefta fecretement devant Notaire. Mais c'eft
^ue les plus grands Doâieurs ne font pas tou-
jours les plus grands hommes j & que le bon fens
accompagné d'une grande fermeté d'ame, &
d'un, attachement inviolable à fon devoir^ vaut
'kimry JIJ.
incomparablement mieux, pour le fervicc de 1589.
Dieu& de l'Ellat, que toute la fcicncedcs livres
& des Collèges ramaflée dans un cfprit fans
honneur, fans courage, & fans probité.
Et certes il parut bien que toutes ces belles c-«r«.
qualitez manquèrent alors à ce prétendu Par-
lement, lors que neuf ou dix jours après cette
a(Sl:ion tous fes membres au nombre de Cix- j.hthaIms.
vingt - fîx , y compris les Princes & les Pré- ''* '^'^*''
lats, jurèrent fur le Crucifix qu'ils ne fc dépar-
tiroient jamais de leur Ligue, ôc qu'ils pour-
fuivroient par toutes fortes de voycs la juftc
vengeance de la mort des deux Guifes, contre
tous ceux qui en eftoient ou les auteurs ou
les complices. Cet Ad:c qui fut envoyé à
toutes les villes qui tenoient pour la Ligue,
augmenta la furemr des peuples , qui firent en-
core pis qu'auparavant: jufques-là mcfmc qu'il
y en eût qui par un abominable mélange du
parricide, du facrilege, & des enchantemcns de la P"'"'^ f'
magie, mettoient des images de cire a la reflem-
blance du Roy fur les autels , & les piquoient
en divers endroits , en pronon<jant certaines
paroles diaboliques à cnacune des quarante
Meffcs qu'ils faiîbicnt dire en pluiîcurs Egli-
fes , pour donner plus de force à leur charme ,
&: à la quarantième ils les per(joient à l'endroit
du cœur comme pour luy donner le coup de
la mort.
Et cependant le furieux Guinceftrc , mon-
.^Wb
3it Histoire de la Ligue.
ij8f>. trant en plein fermon certains petits chande-
liers d'argent travaillez délicatement, il y avoit
plus de cent ans , en forme de Satyres portant
des flambeaux, & qu'on avoit trouvez parmi
les riches orncmcns de fes oratoires des Ca-
pucins, & des Minimes du Bois -de-Vincenncs
qui furent pillez par la populace , l'accufoit
luy-mcfme d'cftre forcier, difant quec'cftoiçnr-
-iv là les idoles, & les figures des démons aufquels
Henry de Valois avoit couftume de facrificr
dans les retraites de Vmcenncs, de qui luy
avoient ordonné le maflacre du Duc de Guife
défenfcur de la Foy. Mais enfin ce qui acheva
d'abbatre entièrement l'autorité Royale, Se d'é-
tablir puiiTammcnt la révolte^ en. luy donnant
quelque forme réglée de gouvernement po-
pulaire, ou pliitort Ariftocratique , contre la
Loy fondamentale de la Monarchie Franc^oife,
fut l'arrivée du Duc de Mayenne.
>v, i: ' Ce Prince n'avoit pas à la vérité toutes ces
'^'^ ' grandes de héroïques qualitez qui firent ad-
mirer de tout le monde le Duc de Guiie fon.
aifné. Mais fi l'on s'arrcfte à le regarder luy
feul, & fans le comparer avec fon frère, dont
le mérite incomparablement plus éclatant que
le ficn ne manqueroit jamais de l'effacer , on
fera obligé de dire, pour luy rendre jullice,
qu'il avoit autant d'efpnt,de coeur, de lagcfTc,
de modération , de franchife &c de probité
qu'il en faut pour mériter de tenir un rang
hoiio-
Livre III. 313^
honorable parmi les grands hommes ; mais rjS^*
non pas autant de réfolution, de fermeté, de
crrandeur d'ame, de vuj;ueur &c d'adivité, 6c
de bonheur qu'il en raudroit pour Touftenir
un auffi puilîant parti que celuy dont il ic fit
chef contre deux «grands Rois.
D'une part il eftoir fortement folliciré par
le Confeil des Seize, & par la Duchclfc de Mont-
penfier la lœur de venir prendre la place de c^jiet.
fon frère, & fe mettre à la telle de ceux c\niiu7ff.i.!.
eftoient tout prelf s de fuivre fes ordres , & de
s'abandonner à la conduite: &: de l'autre, il
avoit receû des Lettres du Roy , qui l'alTeûroic
en des termes tres-obligeans, qu'cllant pcrfua-
dé de ion innocence , comme il l'ciloit du cri-
me de fes frères , il eifoit prcil à luy don-
ner toute la part qu'il pourroit louhaiter dans
fes bonnes 2;raçes &c dans les bienfaits, pour- .».v-y.-
veii qu'il periilfali dans la fidélité qu'il luy '^'^ ''■■■•■
dcvoit.
Mais l'extrême, douleur qu'il avoit de la ma-
nière dont on avoit;- traité fes frères j après tant^
de promelles &: tant de proteilations il iolen*.
nclles d'avoir oublié le pafle ; l'obligation qù'it
s'imagina que ion honneur luy impoloit de-
venger cette mort j& lur tout cette infurmon-
table défiance qu'il eût du Roy, aux promef-
ies duquel il ne voulut plus le fier après un pa-
reil coup, le firent reioudre à prendre les ar-j .
mes, quoy-qu'ii fuit naturellement peu diipo-
Rr
■ 3H Histoire de la Ligue.
ïjS^. fé à fe précipiter aveuglémenr, comme il fit,
dans cet horibic abylme d'une infinité de pé-
rils & de defordres qui font inféparables des
guerres civiles. Il crut qu'il y avoit beaucoup
moins de feûreté pour luy a fe fier au Roy qu'à
la fortune toute infidelle &c toute inconilantc
qu'elle eft, ôc qu'il ne courroit pas tant de rif-
quc en fe déclarant hautement fon ennemi,
qu'en s'affeûrant fur fes promeffes & fur fes fer-
.r.i mens. Ainfi ce ne fut d'abord ni la haine, ni
l'ambition , mais la défiance qui l'entraifna
comme par force dans la guerre civile, ôc il ne
s'eipofa à un danger fi manifefte de fe perdre ,
que parce qu'il s'imagina qu'autrement il eftoic
perdu.
Cependant le commencement de fa malheu-
reufe entreprife fut fort heureux. Il partit de
iDuviu. Dijon avec un bon nombre de troupes qu'il
.ij/et, 'c. j^^Q-j. aj^^^f^çj jç Cqj-^ Gouvernement de Bour-
gogne, & de la Champagne qui s'eftoit toute
déclarée pour la Ligue, à la réferve de Chaa-
lons , dont les Macriitrats ayant appris la mort
du Duc de Guife avant le fieur de Rofne que
ce Duc y avoit établi Gouverneur, le contrai-
gnirent fur le champ d'en fortir. Et comme
une rivière s'enfle & fe grofiît toujours davan-
tage à mefure qu'elle s'éloigne de la fource dC
qu'elle s'avance vers la mer : ainfi les forces de
ce nouveau Chef des Ligueurs croiffent fur fa
marche par le concours de ceux que fa repu-
Livre III.
31;
tation, la mémoire du feu Duc Ton frerc, la ijS^.
haine qu'on porcoic au Roy, l'exemple de Pa-
ris, le faux zèle de la Religion, & fur roucl'm-
tereft & le defir de s'avancer pendant les trou-
bles luy attirent dans les pais par ou il pafTc,
6c où toutes les villes à l'envi luy ouvrent les
portes.
Il eft receû à Troyes avec les mefmes hork-
ncurs que l'on rend aux Rois. Il y agit en Sou-
verain, envoyant de là des Commiiîions aux
créatures du Duc de Guife , ôc fur tout à Roi'nc
& à Saint Paul , aufquels il fait expédier des
ordres pour commander en Champagne & en
Brie, il s'afleûre de Sens, où les partifans l'a-
voient appelle : tout plie fous fon autorité par
tout où il paile. Il entre en vidlorieux dans
Orléans , où le leul bruit de fa venue obligea '
les Royahftes à rendre la Citadelle aux Bour-
geois qui l'afTiegeoient. Il le rend maiftre de
Chartres par l'intelligence qu'il y avoir, & où
le peuple changé tout-à-coup, comme par une
efpece d'enchantement, & devenu tout autre
qu'il n'efloit lors que le Roy s'y retira après les
Barricades, le receût avec de grandes acclama-
rions.
Enfin tout glorieux, & beaucoup plus fier
que ne portoit fon naturel pour tant d'heu-
reux fuccés qui fembloient luy répondre de
l'avenir, il entra le douzième de Février à Vd.-'fouma^Ms.
iis> où comme û l'on cuft veù le Duc de Guife "^^ ^'' ^-'^'^
Rr Jj
^lê Histoire de la Ligue.
1585». rclufcité en la perfonne, on fît éclater la joyc
publique avec tant de tranfports & d'excès,
qu'on en vint metme julqu'à expolcr Ton Ta-
bleau avec la couronne fermée, & à luy drcf-
journui de {^^ un Trônc Royal ; & s'il euft eu aflez d'am-
Henrj/ III.,.. . -^ , , . , ^
bition 6c a audace pour s y placer, il euit trou-
vé peut-eftre afTez de ^ens qui l'euflcnt recon-
nu , pour tenir ious luy des Gouvernemcns
qu'il leur euft donnez en titre de Duchcz ôc de
Comtez avec hommage, comme fît Huçues
r 1/"! ••1/
Capet. Mais toit qu'il n'olalt par timidité, ou
que par prudence il ne vouluft pas entrepren-
dre.une choie où il prévoyoït des difficultez
inlurmontables , qui pour avoir voulu monter
trop haut l'euffent fait tomber dans le préci-
pice : il eft certain qu'en réfutant d'accepter
cet honneur qu'il ne voulut pas dans la fuite
qu'un autre pofTedail:, il fauva l'Eftat, & que,
fans qu'il en euft alors l'intention, il confer-
va la Couronne au Roy de Navarre qui en
cftoit le légitime héritier préfomptif.
Il fe contenta donc d'établir d'abord fon au-
torité, & de fe rendre plus puiffant que le Con-
feil de la Ligue compofé de ces fameux qua-
rante, entre lefquels eftoient les plus feditieux &
plus mutins du parti , qui quelque protef^ ^
on qu'ils eull'ent faite de luy obéir, l'euf-
fent emporté dans les délibérations pardeiTus
luy , ôc n'eulTcnt pas manqué , quand il leur
euft plû, de luy faire la Loy. Pour cet effet.
Livre III. 517
il affoiblit ce Confeil, en l'aucin^cntant d'un i^S^.
plus crrand nombre des plus qualifiez du parti,
lur lelquels il pouvoir s'aflciirer, y cftanc tous
mis de la main. Car fous prétexte qu'il fliUoit
que cette AlTemblée, qui devoit eftrc le Con-
Icil crénéral de l'Union, fuft plus grande & au-
torilee de tout le parti, il fit arrefter que tous
les Princes y pourroient aflifter quand ils vou- cajtt. m.
droient, & que tous lcsEvetques,lesPré{idens,
les Procureurs, &c les Avocats Généraux des
Parlemens, quinze Confeillers qu'il nomma, . , ... -.
le Pr^voll: des Marchands, les Efclievins, Se le
Procureur de la Ville , &c les Députez des trois
Ordres de toutes les Provinces de la Ligue y
auroient iéance ôc voix déliberative.
Ainfi ertant toujours le plus fort dans cette
Ailemblée par le plus grand nombre des voix
qui eftoient à luy, il y faiioit pafTcr, malgré
les Seize, tout ce qu'il vouloit, éc il s'y fit don-
ner en eftct une autorité fort approchante du
iouvcrain pouvoir des Rois. Car la première
chofe qui iut arreflée dans ce nouveau Confeil,
fut que pour marquer ce pouvoir prelque ab-
folu de fouverain qu'on luy laifTa prendre , ou
qu'on luy donna, il auroit déformais, jufqu'a la
tenue des Eftats, la quaUté toute extraordinai-
re, &: de laquelle il n'y a nul exemple, de Lieu-
tenant Général, non pas du Roy, car la Ligue
n'en connoifToit point encore, mais de l'Eilat
ôc Couronne de France. Comme fi ccîuy qui
Rr hj
3i' HisTOîRÊ DE LA Ligue.
1585). commande & gouverne pouvoit reprefenteruti
Royaume, & tenir en qualité de Lieutenant
la pLice d'un Eftat qui n'eft pas ce qui gouver-
ne, mais ce qui doit eftre gouverné.
Il prcfta pourtant le ferment de cette nou-
velle &c bizarre dignité, le treizième de Mars, au
^JfZ'L^/fi Parlement, qui en vérifia les Lettres fcellées des
nouveaux Sceaux qu'on fit au lieu de ceux du
Roy qui furent rompus ; &c pour commencer
l'exercice de fa Charge par un ad:e de Souvc-
çajit, t.j. rain, il fit aufTitoft publier de nouvelles Loix
contenues en vingt 6c un articles pour unir fous
une mefme forme de gouvernement toutes les
villes qui cftoient entrées dans la Ligue, Scel-
les qui y cntreroient encore , dont le nombre
en fort peu de temps fe trouva très-grand. Car
il n'y a rien de plus lurprcnant que devoir avec
quelle rapidité ce torrent de rébellion fe répan-
dant de la Capitale dans les Provinces, entraif-
na les plus grandes villes, qui fous prétexte de
venger la mort des prétendus défenfeurs de la
Foy, & de conferver la Religion, fe liguèrent
contre l'Oingt du Seigneur, ou pour fe faire
un nouveau Maiftre^ou pour n'en avoir point
du tout.
Prelque toutes les villes de Bourgogne, de
Champagne, de Picardie, & de l'Ifle de France,
lapluipart de celles de la Normandie, du May-
ne, de la Bretagne, de l'Anjou, de l' Auvergne^du
Dauphmé, de la ProYence, du Berry, & les plus
t I V R E I T I. 31^
crandcs villes du Royaume après Paris , Rouen, i J 8 ^.
Lyon, Touloulc & Poitiers, s'clloicnc mifes
du parti de l'Union avant la fin du mois de
Mars, &c par tout on avoit commis à peu prés
les mefmes delordres qu'à Paris j mais fur tout
à Toulouie , où les fadiicux s'eftant jcttcz fur
le Premier Préfidcnt Duranti,&: i'ur Daphis Avo-
cat Général, deux hommes d'une haute capa--
cité, d'une vertu fînguhere, & d'une rare fidé-
lité au feryice du RoyjlesmaiTacrerent en plei-
ne rue. Après quoy la Faculté de Théologie
confirma le Décret de la Sorbonne qu'on avoit
propofé dans une AfTemblée générale à l'Hof-
tel de Ville pour autoriler la révoke.
La plus grande partie de la Provence s'eftoic
aufïi jettée avec la mefme impetuofité dans ce
parti, fous la conduite du fameux Hubert de
Garde Seigneur de Vins, qui par fon courage
& par fa valeur extraordinaire , fouftenuc de
beaucoup d'efprit & de prudence, ôc d'une
merveilleufe adrcffe à gagner le cœur ôc l'afFe-
<Slion des peuples, s'eftoit aquis plus de crédit
&de pouvoir qu'aucun Gentilhomme, fans of-
fre appuyé de l'autorité Royale, n'en eût jamais
dans la Province. Il avoit autrefois fauve la uip.fAix.
vie à Henry IlL au fiege de la Rochelle, lors £t J,' ^H«yf.
dts troubles
que ce Prince, qui n'eftoit encore que Duc d'An- ^^ ^^^^
jou,s'cllant approché trop prés d'un retranche- /""-f- ^ si ■h
ment, d'où un loldat qui le choifit entre tous
les autres i'avoit couché en joûë^ de Vins qui
$10 Histoire de la Ligue.
I j8p. s'en apperceût fe jetta promptement au-devant
de luy, & le couvrit de ion corps, où il receût
la mouiquetade dont il penfa perdre la vie. il
attendoit toutes chofes du Duc, quand il fuc
Roy, pour récompenfe d'un fi grand fervice:
mais comme il vit que tout eiloit pour les
Mignons j fans qu'il paruft qu'on fongeaft feu-
lement a luy, le dépit qu'il en eût fit qu'il fe
donna tout au Duc de Guife, &: qu'il engagea
dans la Ligue , dont il fut le Chef en Proven-
ce, le Comte de Carces fon oncle, fon beau-
frere le Comte de Sault, une grande partie de
la NoblclTe, & le Parlement d'Aix, &: qu'il ex-
pofa la Province à un danger évident de fe
perdre en y appellant le Duc de Savoye, qui
fut pourtant enfin contraint de fe retirer chez
luy avec honte.
Cependant le Roy, qui fur les fafchcufes
nouvelles qu'il recevoir coup fur coup de la
rébellion des peuples, avoir elle contraint de
renvoyer les Députez des Eftats dans leurs Pro-
vinces, où, comme ils ei\oient la plufpart grands
Ligueurs, ils aufimentercnt encore un fi grand
. mal, le vit oblige de quitter les voycs de la
douceur pour prendre enfin , mais un peu trop
tard, celles de la rigueur & de la force. Il com-
mence par envoyer à Pans un Héraut, portant
V , injond:ion au Duc d'Aumale, prétendu Gou-
verneur, de lortir de la Ville, interdi6tion au
Parlement, à la Chambre des Comptes, & à la
Cour
L I V R E I I I. 3ZI
Cour des Aydcs, avec dcfcnfcs à tous autres 1585?.
Officiers de plus exercer leurs Charges : mais il pum^i i*
fut renvoyé, lans cftre ouï, chargé d'injures, & /.«"r^l/ i»
menacé de la corde s'il ofoit encore retourner. ■**• ^"J'^^*'-
Il déclare les Ducs de Mayenne & d' Aumalc, ^^'^- '' ^*
les Boureeois de Paris, d'Orléans, d'Amiens, . ,' '.'
I 1 1 11 1 11 I / 1 ^^tUrtttitn
a' Abbeville, & des autres villes liguées, criminels ^" Roy entre
de leze-Majefté, fi dans un certain temps ils ne M^yîLne*
rentrent dans leur devoir. Il tranfportc le Par- J^f/"*"'*'
Icment de Paris à Tours, &c toutes les Cham- , , .
1 1 T n • 1 1 1 J 1 T • 1 DeiUrata»
bres &c les J ultices des villes de la Ligue en d'au- ''» r^^ "'»"■«
très qui luy eftoient fidelles. Mais fans fc fou- parl'.'doL
cier de ces tranfports ni de ces déclarations, on ^""'-.à''-
s'en venge par le mauvais traitement qu'on fait f«^""'-
Î>ar tout à ceux qu'on croyoit encore eftre à
uy. Il fait au mois de Mars ce qu'il dévoie
avoir fait au mois de Décembre. Il mande fa
Gendarmerie, de aflcmble le plus qu'il peut de
troupes aux environs de Tours, ou, ne le trou-
vant pas en ieûrcté dans une ville auITi foibîe
que Biois, il s'eftoit retiré, après s'cilre alTeûrc •• .
de les prifonniers qu'il fit tranfportcr du Chaf-
teau d'Amboiie en diverfcs priions. Mais le
Duc de Mayenne qui avoit plus de forces que
luy, eftoit déjà fur le point de fortir de Paris
avec une bonne armée , rélolu de le prévenir,
& de l'aller attaquer juiques dans Tours,
Or ce fut cela melme qui le fit enfin réfou-
dre à prendre l'unique voye qui luy reftoit de
fe mettre à couvert de la dernière violence, Si
Sf
. $11 Histoire de la Ligue.
ij8<?. de coniervcr fa Couronne & Ta perfonne. La
France eftoit alors dans le plus déplorable ef-
tac qu'elle fut jamais, fe trouvant diviiée entre
trois partis qui la defoloientj celuy de la Li-
^ue, qui eftoit tres-puilTant, par le foulevemenc
de tant de villes j celuy du Roy de Navarre ,
qui s'eftoit extrêmement fortifié durant ces pre-
miers troubles; & celuy du Roy, qui n'avoit
prcfque encore alors que fa Maifon,&tres-peu
de villes fur lefquelles il puft s'afleûrer. Il ef-
toit impollible que fe trouvant en cet eftat il
continuaft la guerre qu'il avoit entreprife con-
tre les Huguenots, Se qu'il iouftint en mefme
temps celle que les Ligueurs luy alioieiit faire.
Il falloit donc neceflairement qu'il fe réiinift
avec l'un de ces deux partis pour ranger l'autre
à ion devoir, ou du moins pour ne pas périr
s'il demcuroit feul expofé aux infultes de tous
les deux. Or les Ligueurs ne vouloient point
c^/et, 1. 1. du tout de paix ni de trêve avec luv, avant ju-
M<mor. a r 1 -n» J TV f C
Morof. i. s. re dans le lerment que le Duc de Mayenne ht
faire à toutes les villes de l'Union, de pourfui-
vre jufqu'au bout la vengeance de la mort des
Guifes. Il eft en fuite manifefte qu'il eftoit in-
difpenfablemcnt obligé de fe joindre au Roy
de Navarre , &c d'accepter le lecours qu'il luy
offroit de la manière du monde la plus noble
&c la plus généreufe.
;, Depuis la mort des Guifes, ce Prince profi-
tant de l'occaiion qui luy eftoit fi favorable.
L I V R E I I I. 313
lors que tout cftoit en dcroidre parmi les Ca- i j 8 9,
tholiques, avoit fort avancé les affaires de fon M>m. j> u
parti par la pritc de Niort, de Saint Maixent , ^yAui.'ini.
de MaïUczais, & de quelques autres places dans crî!" &c
le Poitou; puis eftant relevé en peu de temps
d'une dansjereufe maladie dont il penfa mourir,
il avoit pouffé les conqueftes jufques fur les
frontières de la Touraine, s'eftant rendu mail-
trc de Loudun, de Thoûars, de Montreuïl-
Bellay, de Mircbcau, de l'Ifle- Bouchard, de
Chaftelleraud , d'Argenton,& de Blanc en Ber-
ry : lors que voyant le pitoyable ellat où le
Royaume eiloit réduit par ces trois partis qui
le diviloicnt, il fit publier une Déclaration du T)éciarat. .if,
quatrième de Mars adrcffée aux trois Ellats de ««a.- imu
France, pour les exhorter à la paix, l'unique lum' de u
remède à tant de maux dont elle efl affligée, i'^»«''- ^•
Là, après avoir remontré qu'il eft impolfiblc
que le Roy réùffille dans la guerre civile que
quelques-uns luy conieiUent de faire en mef-
me temps aux Huguenots &: aux Ligueurs, il
luy oflre Ion iervice & toutes les forces de Ion
parti, non pas pour punir les Ligueurs 6c tant
de villes qui fe font révoltées contre luy , mais
pour les réduire aux termes de demander la
paix, laquelle il le (uppUe tres-humblement de
leur vouloir donner, en leur pardonnant tou- ""■•
tes les injures qu'il en a receûes, lors qu'ils fe- • ■ ■ ^ '
ront domptez par les forces unies de tous ks
bons Fran<^ois de l'une ^ de l'autre Religion^
S l 1)
514 Histoire de la Ligue.
I J85J, marchant fous la conduite de Sa Majeflé con-
tre les rebelles. Apres quoy il protefte devant
Dieu, & y engage fa foy ôc Ton honneur, que
cette Union des fidelles ferviteurs du Roy, Ca-
tholiques & Protcftans, ne le faifant que pour
rétablir en France l'autorité Royale avec la paix,
il ne iouffrira jamais que la Religion Catholi-
que ôc Romaine en re(^oive aucun préjudice,
ôc qu'elle fera confervée dans toutes les villes
que l'on prendra en l'eftat où elle s'y trouve
fans y apporter aucun changement.
Cette Déclaration donna lieu à la négotia-
tion qui le fit fort fecrctcment bientoft après
pour cette Union des deux Rois. Il y avoit des
gens dans le Conleil qui s'y oppofoient fort,
craignant qu'elle ne fortifiaft extrêmement le
parti de la Ligue , par la créance qu'on auroic
que le Roy avoit toujours eil une fecrete intel-
ligence avec les Huguenots, comme les Ligueurs
l'avoient iî fouvcnt publié : outre que le Pape,
dont on avoit beloin, en feroit très - fcandali-
fe. Luy-mefme avoit bien de la peine à s'y ré-
foudrc, ôc cuft fans doute mieux aimé s'accor»
der, s'il l'euft pu, avec les Princes de la Ligue,
ôc remettre en vigueur fonEdit de réunion, ce
ll's'J^r^Z qui n'eftoit pas inconnu au Roy de Navarre,
'î'XS'/''f ' 4*^^ voyoït bien que l'on ne viendroit à luy
t.i.f.6S2. qu'au défaut des autres.
ca,,t. 1. 1. £j^ effet, le Roy en avoit écrit dés le corn-
M*r,f. mencement ou mçis de Mars au Duc de Lor^
1 I V R E I I I. 31;
raine. Se luy avoic envoyé des conditions très- is^p-
avantageufcs pour les Princes de fa Maiion,
avec toute forte de leûreté, s'il leur pouvoit
perfuader de recevoir la paix &c le traité qu'il
leur oifroit. Mais comme il ne put rien obte-
nir de ce cofté-là, ceux de fon Confeil qui ef-
toient d'avis qu'on receuft les offres du Roy de
Navarre firent Çi bien valoir la plus forte de
toutes les raifons qui eft la ncceffitc abfoluc,
outre les exemples qu'ils alleguoient de tant de
Rois & d'Empereurs trcs-Catholiques, qui, com-
me le Grand Theodofe , le font fervis des Infî-
délies & der Hérétiques contre leurs ennemis,
que le Roy fe rcfolut enfin à faire ce Traite.
Il fut conclu à Tours le troifiéme du mois
d'Avril par le fieur du Pleflis-Mornay, traitant
pour le Roy de Navarre à ces conditions: Que ^'"*- ^' '*
fis. . . ,
quelanes difficulre^ qu'il fallut Jurmonter pour la luy
mettre entre les mains. Quil y auroit l'exercice lilrrc
de Ja lieligion, f^ dans quelques petites villes qu'on
luj laijjèroit pouf la feufeté au remhourfement de ce
qu'il aurait dépensé durant cette guerre.
Cette ncgotiation de du Plcffis ne fe pue
faire fi fecretemcnt, que le Légat Morofini n'en ^»»-d>i.
cuft avis : fur quoy il fie tous fcs efforts, par de «/ /. s. '
très -vives remontrances, pour empefcher ce
coup qu'il croyoït cftre fatal à la Religion, fe» ■
S f uj
fit.
' ■ — $i6 Histoire de la Ligue.
jj8p. Ion la faulTc idée qu'il avoit conceûe du Roy
de Navarre. Et comme le Roy luy eût dit, qu'a-
prés avoir tenté toutes les voyes d'accommode-
ment avec le Duc de Mayenne, que ce Prince
avoit toujours fièrement refufées, la necefli-
té l'obligeoit à prendre cet unique moyen qui
luy reftoit de défendre fa propre vie: ce Lé-
gat le conjura de luy donner encore dix jours,
pour avoir le temps de traiter luy-melme avec
le Duc, auquel il elpcroit faire accepter la paix
avantageuie qu'on luy prefentoit. Quoy-que
le Traité fufl non feulement conclu, mais fî-
gné , comme on le voit dans les Mémoires de
du Plcflis - Mornay , le Roy néanmoins, pour
montrer que ce n'cftoit que par neceflité qu'il
s'uniifoit avec les Huguenots contre ceux de la
Ligue, voulut bien qu'avant la publication de
ce Traité on fit encore ce dernier effort furTef-
prit du Duc de Mayenne. Pour cet effet, il
donna par écrit au Légat les mefmes articles
qu'on avoit déjà fait propoier par le Duc de
Lorraine, & qui eftoient les plus avantageux
pour fa Maifon qu'on euft pu fouhaitcn
Car on offroit au Duc de Mayenne fon Gou-
verneraent de Bourgogne , avec pouvoir de
Memor. di mettre dans les villes tels Gouverneurs qu'il luy
piairoit, de donner les Charges vacantes, & de
prendre fur la Province quarante mille écus
tous les ans : au jeune Duc de Guife ion neveu
le Gouvernement de Champa2;nej deux villes
MoroJ. lib. 3
Livre I I Î, 317
à Ton choix pour y mettre telle garnifon qu'il ijS?.
voudroit, vingt mille écus de pcnfion, & tren-
te mille livres de rente en Bénéfices pour
Ton frère , au Duc de Nemours le Gouverne-
ment de Lyon, avec une peniion de dix mille ^
écus 5 au Duc d'Aumale le Gouvernement de
Picardie, & deux villes dans la Province ; au
Duc d'Elbeuf un Gouvernement & vingt-cinq
mille livres de penfion ; ôc ce qui eftoit le plus
important pour la Mailon, au Marquis du Pont
fils aifué du Duc de Lorraine , le Gouverne-
ment de Toul, Metz &c Verdun, avec afleûrancc
que fi Sa Majefté n'avoit point d'enfans maf-
les, les trois Evefchez pourroient demeurer au
Duc de Lorraine. A tout cela le Roy fit ajouC- c^iyet. t.r.
ter, que pour lever les difficultez qui pourroient
naiftrc fur l'exécution de ces articles, il s'en
remettroit à l'arbitrage de Sa Sainteté , qui
pourroit prendre pour adjoints le Sénat de Ve-
nife, le Grand Duc dcTofcane, le Duc de Fer-
rare , & meime le Duc de Lorraine , qui avoic
tant d'intereft en ces articles.
Ce fut avec ces conditions que le Légat par-
tit de Tours le dixième d'Avril pour aller vers
le Duc de Mayenne qui s'eftoit déjà avancé avec
fon armée jufqu'àChafteaudun. Il en fut receû
avec toute lortc d'honneur i & il n'y a point
de puiflante coniideration qu'il ne luy propo-
faft durant deux jours de Conférence qu'il 'Y,""'.^-, *
eût avec luy, pour robliger à conientir a un f- 3?.ie.
^it Histoire de la Ligue.
3j85>. accord fi avantageux pour toute fa Maifon^â?
fi ncccflaire au bien de la Relig-ion &c de l'Ef-
c
tat, ou du moins, s'il vouloir encore quelque
chofe de plus , à remettre fes interefts hc ceux
de ion parti entre les mains du Pape, comme
le Roy de fon coflc eftoit tout preft d'y remet-
tre les fîens. Mais après tout, il ne put jamais
rien gagner fur fon cfprit. Et quoy qu'il puft
dire , il rcpondoit toujours avec beaucoup de
refpeâ: pour le Pape & pour le Légat, & un
extrême mépris pour le Roy, lequel il appel-
loit prefquc toujours, ce mijerahle: ^ue luy (<r les
jiens obéïroimt toujours au Pa^e, mais au il ejioitjvrt
ajfcûrê que Sa Sainteté ne luy cemmanderoit jamais de
^'accorder au préjudice de la Religion avec un homme
aui nen aïoit points (^ mi s'ejfoit uni avec les Hu-
guenots contre les Catholiques, ^^i^il ne vouloit point
ouïr parler d'accord avec un perfide , qui n'avoit ni
foy m honneur, & qu'il ne fe ficroit jamais à la pa-
role de ce luy qui avoit fait Jt cruellement majjacrer fes
Jreres i en violant, par une hornhle perfidie , non feule-
ment la fhy publiqt4e , mais aujft le ferment qu'il avoit
fait fur le très- Saint Sacrement de l'y^utel.
Apres cela, le Cardinal voyant de plus, ce
qu'il n'avoir pas cru, qu'on parloir encore plus
indignement du Roy dans toute l'armée & dans
les villes de la Ligue, où l'on n'euil ofé luy
donner le nom de Roy, luy écrivit qu'il n'y
avoit plus rien à faire de ce collé -là; ôc n'o-
iant le tenir auprès de fa perfonne tandis que
le
L I V R Ë 1 T T. 31^ . ..
le Roy de Navarre y cftoit, il s'en alla en Bour- ï ; 8 5).
bonnois, où il attendit l'ordre qu'il reccût du
Pape , peu de temps après, de s'en retourner à
Rome pour y rendre compte de fa Légation.
Ainii, après qu'on eût perdu toute cfperance
de faire la paix avec les Ligueurs , le Traité du
Roy de Navarre fut exécuté. Il fut mis en pof- P'chr»t. du
fcflion de Saumur, dont il donna le Gouvcr- ^tJ'd^lt'
nement au fieur du Pleffis-Mornay , qui avoic ^'^'"' '' ''
fi-bien rtùlfi à faire ce Traité. Et ce fut de là
mefmc qu'il publia fa Déclaration fur fon paf.
fagc de la nvierc de Loire pour le fervicc de
Sa Majefté, où il protcfle entre autres cliofes,
qu'eftant premier Prince du Sang, que fa naif-
fance oblige plus encore que tous les autres à
défendre fon Roy, il ne tient pour ennemis
que les Rebelles, défendant très -étroitement à
tous fes gens de guerre de rien entreprendre fur
les Catholiques fidelles Sujets de SaMajefté,&:
(îngulierement fur le Clergé, qu'il prend en fa
protection.
Le Roy fit auffi la fîenne très -ample, où il
cxpofc toutes les raifons qui l'ont obligé à fc
joindre au Roy de Navarre, pour fauver la per- r>«/-«r4/. du
fonne &c fon Ertat, fans que cette union puiiTc ^'^ ' ' ■
apporter aucun préjudice à la Religion Ca-
tholique qu'il maintiendra toujours dans fon
Royaume au pcril de fa vie. Mais enfin ce qui
acheva de rendre parfaite la joye qu'on eût de
cette union des deux Rols, fut leur entrevcûe
Te
33© Histoire ce la Ligue.
sç8 5>. qui fe fit dans le Parc du Plefl'is le trenticmc"
d'Avril parmi les acclamations d'une mfinitc
de peuple , avec toutes les marques d'une en-
tière confiance de part de d'autre ; quoy - que
les vieux Capitaines Huguenots, qui ne pou^
voient perdre la mémoire de la Saint Barthélé-
my, eufTent fait tout leur pofTible pour empejT-
cher que leur Maiftre ne s'allaft mettre entre
les mains du Roy, comme il fit avec une fî
généreufe franchife.
Il fit encore beaucoup plus : car comme il fe
fut retiré fur le ioir avec fes Gardes & fes Gen-
tilshommes dans le fauxbourg de Saint Sym-
phorien au-delà des Ponts, le lendemain pre-
mier jour de May il repaflTa la rivière fuivi d'un
fcul Page, rentra dans Tours, &:s'en alla don-
ner le bon jour au Roy , qui fut ravi de cette
générofîté, & connut clairement par là qu'il
n'avoit rien à craindre , & qu'il pouvoir tout
cfperer d'un Prince qui fe fioit fi fort à fa pa-
role, quoy -qu'il euil plus d'une fois manqué
de la luy tenir, en révoquant, pour contenter
ceux de la Ligue , les Edits qu'il avoit faits en
fa faveur. Ils pafTerent ainfi deux jours enfem-
ble à tenir Confeil, où le Roy de Navarre fit
réioudre, que pour achever promptement cette
guerre, ils affcmbleroient au-plûtoft toutes leurs
forces, &c qu'ils iroient droit à Paris, d'où tout
le refte de la Ligue dépendoit. Apres quoy,
lâilTanc les quatre à cinq mille hommes qu'il
L I V R E î î I. 331
avoit aux enviions de Tours, il s'en alla à Chi- 1585.
non & dans le Loudunois faire avancer le rcfte
de Tes troupes qui le défïoient encore de Ton
union avec lesRoyaliftes. Et ce fut cela mcfmc
qui donna lieu au Duc de Mayenne d'entre-
prendre d'attaquer Tours.
Ce Prince eltoit forti de Pans au commen- c^jet. t. r.
cernent du mois d'Avril avec une partie de Ion D'2ibiirc,
armée } & après avoir pris Melun, de quelques '^//^ j^ ^^
autres petites places qui pouvoient empefcher ^'S"'' (r--
l'abord des vivres dans cette crrande ville, il
alla joindre le refte de les troupes, qui avoient
leurs quartiers dans la Beauce j puis lailTant à
gauche Baugency &c Blois qu'on croyoït qu'il
deuil: attaquer, il s'avança jufqu'a Chafteau-
dun , pour exécuter le dclfein qu'il avoit iur
Vendolme, de melmc Iur Tours, par l'intelli-
gence que ceux de la Ligue luy avoient prati-
quée dans ces deux villes. Maillé Benehard
Gouverneur de Vendofmc , qui avoit vendu
fa place , en ouvrit les portes à Rofne Maref-
chal de Camp qui y fit prifonnier preique tout
le Grand Conleil que le Roy y avoit tranlpor-
té." Le Duc de Mayenne s'y rendit aulTitoft
après, &c s'eftant rejoint aux troupes de Rolnc,
il va fondre fur les quartiers de Charles de Lu-
xembourg Comte deBrienne, qui cftoitlocré à
Saint Oûïn& aux environs, à une lieue d'Am-
boile, luy taille en pièces plus de fix cens hom-
mes^ diilipe le refte, le prend luy-melme pri-
35^ Histoire delà Ligue.
ij8(?. fonnier, puis Te va pofter vis-à-vis deSaumur,'
pour empetcher le paflage au refte des troupes
du Roy de Navarre.
Or, comme peu de temps après il eût appris
que ce Prince s'eftoit éloigné de Tours, il crut
que c'eilioit là le temps d'exécuter fonentrcpri-
fe qu'il croyoit infaillible par l'intelligence
qu'il y avoit. Il rebroufle donc promptement
chemin, marche avec une extrême diligence,
contre fa couftume, & paroill tout-à-coup en
bataille, le feptiéme de May au matin, fur les
hauteurs du fauxbourg de Saint Symphorien.
Il s'en fallut peu que le Roy, qui elloit allé ce
jour-là de fort bonne heure à Marmoutier, ne
fuftfurpris par les Coureurs qui n'citoient qu'à
cent pas de luy. Ce ne fut qu'avec beaucoup
de peine ôc de péril qu'il put gagner les pre-
miers Corps de garde, d'où il repafla dans la
ville, ôc il y donna fi bon ordre p^r tout, que
ceux qui eftoient d'intelligence avec l'ennemi
n'oferent branler. C'eft pour quoy le Duc, qui
avoit entretenu alTez lentement l'efcarmouchc
jufqucs iur les quatre heures après midy, atten-
dant toujours que les Ligueurs de la ville fc
foulevaflcnt, voyant que tout y eftoit fort pal-
fîble, donna de toutes fes forces û vivement
par trois endroits dans les barricades qu oa
avoit faites aux trois avenues du fauxbourg
gardé par douze cens hommes , qu'il s'en ren-
dit maiUrç dans une demi -heure, avec penç
L I V R E I I L 535
d'environ cent foldnts des Tiens, &: de trois à ij8^.
quatre cens de ceux du Roy. i.
C'cft là où aboutit tout ce grand effort que
la Ligue avoir fait pour mettre fur pied cette
grande armée, qui après cela ne fit plus rien
que des defordres effroyables par tout où elle
ne trouvoit point d'ennemi qui puil l'arrefter.
Car comme le Duc de Mayenne vit qu'une par-
tic des troupes du Roy de Navarre eftoient ar-
rivées fur le foir fous la conduite du brave
Chaftillon, qui s'eftoit déjà retranché dans i'Iflc
vis-à-vis du fauxbourg, & que le reilc arrive^
roit bientoit avec le Roy de Navarre , qui ne
manqucroit pas de luy donner plus d'exercice
qu'il n'en falloir à ces nouveaux foldats qui fai-
foienc la plus grande partie de fon armée : il
prit le parti de fe retirer à la fourdinc le lende-
main avant le jour, après que fes troupes fe fu-
rent fîgnalées par toutes lortes de crimes les .-- ^ :
plus exécrables dans le pillage du fauxbourg. '^''
De là il fut recueillir dans l'Anjou &c dans Te
Maine quelques Régimens que l'on y avoir le-
vez pour la Ligue ; puis s'eftant emparé d' Alen-
çon, qui fe rendit fans réfiftance faute de gar-
nifon, il fut contraint de retourner prompte-
ment à Paris, où l'on eftoit dans une grande
confternation pour la perte de la bataille de
Senlis , dont il faut maintenant que je parle.
Guillaume de Montmorency, Seigneur de
Thoxçj avoit fi bien fceû pratiquer, tandiis qu'il
334 Histoire de la Ligue.
I j 8 p. eftoit à Chantilly , les principaux de cette ville-
uem.^de i» j^ ^ ç^^ s'cftoicnt kilTé d'abord entraifner au
v<iviu. torrent de la Ligue, qu'il s'en eftoit rendu vn^xÇ-
''^"' tre fur la fin du mois d'Avril , & y avoit fait
entrer après luy cent Gentilshommes de fcs amis,
& quatre à cinq cens hommes de pied qu'il
avoit levez dans la vallée de Montmorency.
LesParifiens étonnez de cette Turprile^qui leur
oftoit la communication de la Picardie, vou-
loient abfolument qu'on reprift au-plûtoft cette
place, & ils prefTercnt tellement le Duc d'Au-
male & le fieur de Mayneville Lieutenant du
Duc de Mayenne, que dans trois jours ils y
furent mettre le fiege avec quatre à cinq mille
Bourgeois de Paris & trois pièces de canon, auf.
quels Balagny quelque temps après ie joignit
avec trois à quatre mille hommes tant des vil-
les des Pais - Bas que de celles de Picardie , &:
cnyti. 1. 1. fept pièces d'artillerie qu'il avoit priies de Pc-
^' '^^' ronne & d'Amiens.
, . r: Or, en mefme temps qu'on formoit ce iîc-
ge, le fage & vaillant Seigneur de la Noue qui
commandoit les troupes de Sedan , la trêve
eftant faite avec le Duc de Lorraine, les avoit
jointes à celles du Duc de Longueville à Saint
Quentin, pour aller, félon l'ordre qu'Us en
avoient du Roy, au-devant des Suiflfes que le
fîeur de Sancy luy amenoit. L'occafion leur pa-
' rut belle de rendre un grand fervice au Roy,
en faifant lever le iîcge avant que de fe met-
I: I V R E III. 335
cre en marche. Pour cet effet, ils s'avancèrent ij8j?,
JLilques à Compiegne où ils avoicnt donné le
rendez-vous aux Gentilshommes Royaliftcs de
la Picardie, qui ne manquèrent pas de s'y ren-
dre. De forte que le jour meime dix-feptiémc
de May , que la place prcique toute ouverte à
coups de canon le devoit rendre fi elle n'ef-
toit lecouruc avant la nuit, ils parurent lur le
midy a la veûë de la ville au nombre de mille
à douze cens chevaux & de trois mille hom- c-y»*:.
mes de pied, tous loldats aguerris, & fort ré-
folus de forcer le pail'age pour y entrer, ou de
périr.
Le Duc d'Aumalc trompé par fes efpions
qui l'avoient alTeûré que l'ennemi n'avoit point
de canon, Ôc le trouvant deux fois plus fort,
ne douta point qu'il ne le deuft défaire avec
fa feule Cavalerie. Pour cet effet, après avoir
ranc^é avec beaucoup de peine Ion Infanterie
Parifîenne, fort lefte à la vérité, &c très -bien
armée, mais un peu étonnée de voir qu'on al-
loit faire autre choie que l'exercice , &c qu'il y
alloit de la vie, il s'avança fi fort avec fa Ca-
valerie divifée en trois gros Elcadrons, ayant
MayneviUe à fa droite & Balagny à fa gau-
che, que ces deux grands corps d'Infanterie 6c
de Cavalerie ne pouvoient plus tirer aucun fer-
vice ni fecours l'un de l'autre.
La Noué, à qui pour ion expérience le jeune ■'-'•'
Duc de Lonsiueviile avoit confié tout le fom
33^ HisTôîm CE LA Ligue.
1^8^. de l'armée j ayant remarqué ce defordre, & la
contenance mal afllûrée de l'Infanterie Pari-
fiennc, ne douta point qu'il ne deuft battre
l'ennemi avec ce peu de troupes qu'il avoir, &c
qui furent rangées en cet ordre. Le Duc de
LongueviUe tenoit le milieu avec fon Efcadron
compofé d'un grand nombre des plus braves
de la NoblefTe, ayant à leur tefte le Seigneur
Charles de Humieres Marquis d'Encre, Gou-^
verneur deCompiegne, qui avoit fourni à l'ar-
mée du canon & des munitions, ce qui fut la
caufe du gain de la bataille.
C'eft ccluy , qui après avoir bientoft décou-
vert les pernicieux dcffcins des Ligueurs, fervic
fî bien le Roy contre la Ligue, que Henry IV.
à Ton avènement à la Couronne, le fit fon
rhuattf. Lieutenant en Picardie, en luy laiflant, par une
très -rare prérogative, l'entière diipofition de
toutes choies dans cette Province. Ce ne fu-
rent aulli que fes grands fervices, fon mérite
extraordinaire, fa haute réputation, les belles
chofes qu'il fit en cette grande occafion, & cel-
les qu'il faifoit encore tous les jours à la guer-
re, qui luy firent donner, lans autre recomman-
dation, le Brevet de Général de l'Artillerie qu'il
eût un peu avant la mort. Et il elloit en palTe
de monter encore plus haut, fi fon trop de cœur
ne l'cull: expofé à cette fatale moufquetade dont
^5 S» j- il fut tué a la prife de Han fur les Efpagnols,
qui furent tousfacrifitz à la juftc douleur qu'oa
eut
L I V R E I I I. 337
CLIC de la perte d'un fi grand homme. Ceux ij8p»
qui fe joignirent au Duc de Longueville avec
luy furent Louis Dongniez Comte de Chau-
ne fon beaufrere, les fieurs de Mâulevricr, de
Lanoy, de Lonauevalj de Cany, de Bonni-
vet, de Givry, de Fretoy, de Meivilier, &c de la
Tour.
Cet Elcadron eftoit flanqué à droit & à gaii-
che de deux gros Bataillons, ayant chacun deux
pièces de campagne, qui n'cll;oient forties de
Compiegne qu'aiTez long-temps après l'armée
pour tromper les Efpions, qui rapportèrent en
cfFec qu'il n'y en avoir point. Il jetta fur les
ailes à droit la Cavalerie" de Sedan, à la teftc
de laquelle il voulut combatte, & à gauche les
Cavaliers que l'on avoir tirez des places qui te-
noient pour le Roy en Picardie. Le Duc d'Au-
maie , qui pour courir plus vifte à la vitloirc
qu'il croyoït luy eftre afl'eûrée, n'avoir point
mené de canon , fit fonner le premier la char-
ge ; & Balagny avec Ion Elcadron de Cambre-
iîens & de Walons s'avan(^a fièrement pour don-
ner dans ccluy de la droite des Royaliftes, qui
eiloit incomparablement plus foible que le lien :
mais comme il en approchoit,le gros Bataillon
qui couvroit la gauche de céc Elcadron s'el-
tant ouvert, il fut bien lurpris de fe voir faliié
d'une volée de canon , qui luy emporta des
rang-s entiers de Ion Efcadron, &c le contraic^nit
oe reculer tout en deiordre.
Vu
33^ Histoire de la Ligue.
?:>
I y 8 5. Alors le Duc d' Aumale qui vit fort bien qu'il
n'y avoit point d'autre remède à ce mal qu'il
n'avoit pas prévcû, que de gagner promptement
le canon, fe mit au galop iuivi de Maynevillc
ôc de Balagny mefme qui s'cftoit remis en or-
dre, & vont tous trois enlemble attaquer cette
Infanterie. Mais ils n'en eftoient pas encore à
cent pas, que l'autre Bataillon s'eftant ouvert,
une féconde volcc qui donna au travers de leurs
troupes éclaircit encore plus les rangs que la
première. Une troifiéme qui fuivit bientoft la
îecondc , les ébranla fort ; &c comme ils furent
un peu plus avancez, les Moulquetaires qu'on
avoit rangez aux flancs des Cavaliers firent
leur décharge fi à propos fur les hommes & fur
les chevaux, qu'ils en renverferent un très-grand
nombre. Et en mefme temps toute la Cavale-
rie Royale donnant fur des gens ébranlez &c
déjà demi -défaits; & les afïiegcz, qui fur ces
entrefaites firent une fortie, chargeant en queue
l'Infanterie Parifienne abandonnée de la Cava-
lerie; ce ne fut plus un combat, mais une tue-
rie & une déroute générale.
Il n'y eût jamais de victoire plus complète
avec fi peu de perte du colle du vidlorieux.
Le Champ de Bataille luy demeura couvert de
plus de deux mille morts, fans compter ceux
qui furent tuez par les paifans, ou qui ne fe
purent tirer des mareicagcs qui font auprès de
J'Abbaye de la Victoire. Le Camp des vaincus.
Livre III. ' ' 33<j .
les denrées ôc les marchandifes qu'on y avoit ap- i ; 8 p,
portées de Paris, le canon, les munitions, les
drapeaux, le bagage, & douze cens prifonniers
furent la récompenfe des vainqueurs , qui peu ^
de jours après, comme ils marchoient vers la di m. uyftL
Bourgogne, pour y joindre les Suifics, laliié-
rent de dellus la hauteur de Montfaucon les
Parifîcns de quelques volées de canon, pour
leur apprendre leur défaite d'une autre maniè-
re que n'avoient fait le Duc d'Aumale & Bala-
gny , dont l'un s'ei\oit fauve à Samt Denis , &:
l'autre à Paris.
Et comme il arrive ordinairement qu'un mal-
heur en attire un autre à ceux qui font aban-
donnez de la fortune, celuy-cy dés le lende-
main dix -huitième de May fut fuivi de la
perte que la Ligue fit de trois cens braves Ca-
valiers Picards que le Gouverneur de Dour- utm.
lens Charles de Tiercelin Saveufe menoit au *:7"'j i.
Duc de Mayenne, àc qui cftant rencontrez dans ^'i"'-
la Beauce, vers Bonneval, par le Comte de Chaf.
lillon beaucoup plus fort qu'eux, périrent pref-
quc tous, après avoir combatu comme des lions • ■ •
fans vouloir demander quartier, ni mefme pro-
mettre, pour avoir la vie fauve, qu'ils ne por-
teroient plus les armes contre le (ervice du Roy'
Tant ils eftoient pafTionnez Ligueurs, & fur
tout Saveufe leur Capitaine, qui eftant porté
tout couvert de playes à Baugency , où le Roy
de Navarre, srand amateur des vaiUans honx-
Vu 11
^' 340 Histoire de la Ligue.
!j-85?. mes, fit tout ce qu'il put pour le confoler, rc-
fufa toutes fortes de remèdes, pour avoir le fu-
nefte plaifir de mourir en exaltant le Duc de
Guife, & en chargeant de.maledidions ceux
qui l'avoient alTafïiné.
Ces heureux fuccés joints à ceux que le Duc
de Montpeniier avoit eus dans la Normandie
contre les Ligueurs, obligèrent le Roy de Na-
varre, qui s'elioit avancé jufqu àBaugency avec
une partie de les troupes , de retourner à Tours,
pour faire entendre au Roy qu'il ne falloir plus
s'amufer à ces inutiles negotiations que quel-
ques-uns luy conleiUoient encore d'entrepren-
dre, conformément à fon génie ennemi du tra-
vail, & qu'il elloit temps d'exécuter la géné-
reufe réfolution qu'on avoit priie d'attaquer
l'ennemi par la tefte , en affiegeant Paris. Il s'y
-réfolut donc enfin, mais il voulut encore au-
paravant tenter s'il y avoit moyen de fe rendre
maiftre d'Orléans, pour ofter à la Ligue cette
ville d'où les Panliens pouvoient tirer de grands
fccours.
jyAuhtgrti, Pour cet effet, ayant fait pafTer au commen-
^'y^' cernent du mois de Juin fon armée fur le Pont
de Baugency dans la Sologne , il fit attaquer
Gcrgeau, où le Gouverneur qui eût la téméri-
té d'attendre que le canon cullfait unebrefchc
qu'il ne pouvoit défendre, fut pendu. Ceux de
Gien épouvantez par cet exemple d'une juftc
fcvcrité , n'attendirent pas le canon pour fe rcn-
Livre I T I. 341
dre; &: les habitans de la Charité Ce remirent ij8^
en fuite de bonne î^race fous l'obciflance du
Roy, qui, à la rélcrve de Nantes, fut maiftrc
de tous les partages de Loire , au dcflus & au
dcflfous dOrlcans qu'il enferma de tous cof-
cez.
Le fleur de laChaftre, qui après la mort des
Guifes avoir promis fidélité au Roy, ôc s'efloic
peu après de nouveau déclaré pour la Ligue en
fon Gouvernement de Berry , s'eftoit jette dans -i - ■
cette ville avec ce qu'il a voit de forces i & les
habitans animez par fa prefence, rejetterenc
bien loin les propofitions avantageuies que le
Roy leur fit faire, & fe moquèrent de toutes
Tes menaces, fort réfolus de le défendre juf-
qu'à l'extrémité. De forte que comme on vie
que l'on perdroit trop de temps à faire ce fie-
ge, on reprit le premier dclTcin d'aller droit à
Paris. On repaffa Loire , & l'on prit fans beau-
coup de peine fur le chemin les villes de Plu-
viers, de Dourdan & d'Eftampes', où le Roy
reccût la fafcheule nouvelle du Monitoire que
le Pape Sixte avoit publié contre luy. Voicy
comment.
Un peu après la mort des Guifes, le Roy, qui
vit fore ;bien par les remontrances que k Légat
Morofiniluy avoft faites, que l'abloiution qu'il
avoit receûc en vertu de fon Bref ne (eroit pas ,.>,.,-,,.
admife à Rome, y avoit envoyé Claude d'An-
genncs Evefque du Mans, pour en obtenir une .
Vu iij
An i '. s
IJ
85?.
Ltttre
d»
Ci'-d
Ut
f'J""*y
t.
Ctyet.
341 Histoire de la Ligue.
autre, nonobftant tout ce qu'on luy avoit écrit
de Rome pour l'en détourner, ou du moins
pour l'obliger à diiïercr encore à faire une dé-
marche de cette nature qui luy pouvoit nuire.
En fuite le Marquis de Piiany fon AmbafTa-
deur & le Cardinal de Joycule s'eftant joints
par fon ordre à cet Evcique, avoient reprefen-
té à Sixte V. toutes les railons les plus fortes
qui le pouvoient porter à luy accorder cette
M^em. dt u arace. A quoy ce Pape devenu inflexible fur
ce pomt-la, leur avoit repondu d un air qui
les lurprit extrêmement, qu'il vouloit bien ne
prendre pas connoiflance de la mort du Duc
de Guife qui cftoit fujet du Roy \ mais que le
Cardinal de Guiie, qu'il avoit fait tuer, & le
Cardinal de Bourbon &rArchevefque de Lyon
qu'il tenoit pnionnicrs n'eftant plus fes Sujets,
puis qu'il n'y avoit que les Papes qui enflent la
Î)uiflance fouvcraine fur les Cardinaux & fur
esEvclqucs, il ne luy donneroit jamais l'abfo-
lution , qu'avant toutes chofes il ne les rcmill;
en liberté, ou qu'il ne les mift entre les mains
de fon Légat pour les luy envoyer a Rome,
afin qu'il en fiiî bonne jufl:ice s'il trouvoit qu'ils
fuflent coupables,
■ D'autre part, le Commandeur de Diou, le
jîeur Coquelay Confeiller au Parlement, Ni-
iwffrumoitd,! colas de Piles Abbé d'Orbais, & le fieurFrifon
S?ri /- Doyen de l'Eglife de Reims, Députez de la Li-
liisttjt.s. gue à Rome, pour empefchcr que le Pape ne
Livre 1 1 T. 543
donnafl cette ablolution, non feulement s'y ifS^.
oppofcrent de toute leur force, mais auHl fi-
rent tout ce qu'ils purent pour obliger le Pape
à publier l'excommunication que luy-mcfmc
difoit que le Roy avoit encourue pour le meur-
tre du Cardinal de Guilc 5 & entre autres rai-
fons qu'ils produiioient pour le porter à cette
extrême rigueur contre un Roy Tres-Chreftien,
ils ne manquoient pas de faire valoir les Dé-
crets de la Sorbonne , ôc fur tout celuy du
cinquième Avril, Dans ce Décret la Faculté
déclare qu'on ne peut prier pour Henry de
Valois en aucune Oraifon Ecclefiartique, beau-
coup moins au Canon de la MefTe, à caufe de
l'excommunication qu'il a encourue i & qu'on
doitofter du Canon ces paroles, Pro Rcge mjhro,
de peur qu'on ne croyc que l'on prie pourluy,
quoy - que le Preftre, dirigeant ailleurs Ion in-
tention, la faffe tomber fur ceux qui gouver-
nent, ou fur celuy à qui Dieu réierve le Royau-
me. Elle veut qu'au lieu de cela on dile à la
Meffe, hors du Canon, trois Oraiions, />ro f '"'• '''
Chrijiî<inis Princï^ibus nojîrtij qui furent impri-
mées, & qu'on voit encore aujourd'huy. Elle
ajouftc enfin que ceux qui ne voudront pas fe
conformer à ce (entiment, feront privez des
prières de des droits de la Faculté, de laquelle
ils feront chalfez comme des excommuniez : ce
qui fut approuvé d'un commun accord de tous
les Dodeurs.
■ght.t.Sx
544 Histoire de la Ligue.
158p. A la vcrité ces Décrets joints à ce qu'on
difoit continuellement au Pape, que le parti
du Roy elloit ablolument ruiné, ne contribuè-
rent pas peu à luy faire prendre fans crainte
les voyes de la rigueur. Mais ce qui acheva en-
fin de le déterminer, fut la Déclaration des deux
Rois qui s'eftoient unis contre la Ligue. Car ne
pouvant louffrir, de l'humeur dont il eitoir,
qu'on le fuft joint avec celuy qu'il avoit ex-
communié comme Hérétique relaps par une
foudroyante Bulle qu'il avoit fait inférer dans
le BuUaire réimprimé tout exprés pour cela , il
crut aitément la plus grande partie de ce que
les Ligueurs publioicnt audelavantage du Roy,
ôc ht en iuite aihcher dans Rome ion Monitoi-
re contre luy.
Là il luy commande de mettre en pleine liberté
le Cardinal de Bourbon ^ l Archenjcfaue de Lyon
dans dix jours après la publication de ce Monitoire ^
AUX portes de deux ou trois des Jix Eglifes Cathédra-
les qu'on dêjîgnc, (^ qui Jorjt celles de Poitiers ^ d' Or-
léans ^ de Chartres, de A(Icaux,d'Agen,(;^ du Aï ans j
^ de l'en ajjeûrer dans trente jours par un Acle au-
thentique. A faute de quoy il prononce dés àpfefent,
comme pour lors , que luy (y tous ks coniplices du
, majpicre du Cardinal de Guife, & de l'emprifonne-
mcnt des autres Prélats , ont àamnablcmcnt encouru
l'excommunication majeure f^ autres Cenfures Eccle-
JiaJJiques portées par la Bulle In Cocna Domini ,
dont ils m pourront jamais cjlre abfous que par le Pa-
pe j
Livre I î I.
345
pe, f ce n'efl à l'article de la mort, en donnant eau- 1585»,
non au ils obéiront aux Aiandemens de l'Eç-liJc. T)e
plus , il les cite à. comparoir dans Joixante jours devant
[on Tribunal, Inj Roj en perjonne ou par Procureur ^
Cïr les autres pcrjonncllement , pour dire pourquojy ils
a-oyent n'ai'oir pas encouru les Cenjures j ^ les Su-
jets ncjlrepas ahjous dfi ferment de fidélité; ^ dérobe
enfin à tous les privilèges contraires que le Roy, ou Ces
Prédecefjeurs pourroient avoir obtenus du Saint Stege.
CeMonitoire fucaftiché dans Rome le vingc-
quatriéme de May,& les Ligueurs le firent im-
primer à Pans, & publier avec toutes les for-
malitez accouftumées, à Paris, à Chartres, &
à Mcaux le vingt-troifiéme de Juinj & j'en
ay vcû les Adtcs imprimez auilitoft après à
Paris, avec le Monitoire, chez Nicolas Nivel-
le & Rolin Thierry, Libraires & Imprimeurs
de la Sainte Union, avec privilège de Nleiïicurs
du Confeil général de la mefme Sainte Union,
fîgné, Senault, leur Secrétaire.
Ce fut donc à Eftampcs que le Roy apprit /"«»''"•' '^*
qu on i attaquoit de la iorte a Rome & en
France avec les armes de l'Eglife, en mefmc
temps que les Rebelles le lervoicnt des leurs pour
le renvcrler de ion Trône. On luy dit bien
qu'il y avoit dans ce Momtoire plulieurs chefs
de nullitcz qui luy oi\oient toute fa force,
quand melme il ne feroit que contre un iim-
ple particulier. Mais comme nonobilant tou- • ' ' '';
tes ces raifons il temoignoïc que cela l'inquié-
Xx
* 34<^ Histoire de la Ligue.
j^Sp. toit fort, le Roy de Navarre, qui ne deman-
doit qu'à exécuter promptement la réfolution
qu'on avoit prife d'afTieger Paris, luy dit d'une
manière aulTi agréable que force , qu'il y avoit
à cela un fort bon remède. £f c'fy?^ 5/re,ajouI^
ta-t-il avec fa promptitude ordinaire, que mus
fvdncmions i & au plûtoji; car fi cela efl, 'vous aure:^
ajjeûrément lojlre abjolutton : mats fi nouf fommes bat-
ttn, nous ferons toujours excommunie:^, ^gg'^^'ve:^ , f^
reaggr<x've:;(^.
Cela ne s'accordoit pas mal avec ce que !'£>
vefque du Mans avoit écrit de Rome au Royj
que s'il vouloit avoir l'abiolution qu'on refu-
foit de luy donner, il n'avoit qu'à fe rendre le
plus fort. Ainiî le Roy prenant le parti de dif-
îîmuler, & de prétendre toujours caufe d'igno-
rance de ce Monitoire qu'on ne luy avoit pas
iignifié, alla pafl'er la Seifie fur le Pont de PoilTy
qu'il forçai puis ayant pris Pontoife, qui fc
rendit le vingt -cinquième de Juillet, après un
fîege de quatorze jours vigoureufement fouf-
tenu par les fieurs d'Alincour qui y fut griè-
vement bleifé, & de Hautcfort qui y perdit la
vie, il alla recevoir vers Confians l'armée des
SuifTes que luy amena Nicolas de Harlay Ba-
ron de Sancy, qui pour rendre en cette occa-
fîon cet important fervice au Roy fonMaiftrc,
fit une action digne d'une gloire immortelle,
jiddit étuK Comme au commencement de cette euerrc
t. 2. f. Six. on deliberoit dans le Conieii lur les moyens
Livre III. 34^
les plus prompts ôc les plus efficaces qu'on pour- i j8 «;.
roit trouver de la loullenir, dans le déplorable
cftat où eftoient alors les affaires du Roy : San-
cy qui avoir elU AmbafTadeur en Suifle, fouf-
tint qu'il n'y en avoir point de meilleur que de
traiter avec les Cantons ; & que pour fc mettre à
couvert des mfultes du Duc de Savoyc qui me-
nac^oit Genève, & prétendoit les enfermer du
collé de la France, ils permettroient volontiers
qu'on fift une grande levée de leurs Sujets pour
aller au fecours du Roy, qui feroit en fuite en
cflat de les fecourir eux-mefmes au befoin. Mais
parce qu'il n'y avoir point d'argent à l'Epargne,
ôc que point d'argent point de SuifTes, tout le
monde le prit à rire de cette proportion, en
luy demandant qui fcroit celuy qui voudroit
entreprendre de faire une armée fans avoir au-
tre choie que du parchemin. Alors Sancy, qui
avoir un cœur de lion lous l'habit d'un hom-
me de Robe , car il n'eftoit encore en ce temps-
là que Maillre des Requêtes: Puis donc, dît-il,
aue pas un de ceux qui font Ji riches des bienfaits du
I{oy ne Je bre fente pour cela , je lous déclare que ce
fera moy. Et là-dellus il accepte la Commiiîion
tres-ample que le Roy luy donna fans un leul
quart d'écu, de traiter avec les Suiffes &lesAl-
lemans pour luy faire une armée.
Il engagea pour cela tout Ion bien. Se em- c<tjih
ploya tout Ion crédit j & il agit en fuite avec
tant de bonheur ôv de conduite avec Meilleurs
X X ij
— — 34S Histoire de la Ligue.
ij-Sfj. de Berne, de Baflc, de Soleurc & de Genève^
qu'après avoir enlevé au Duc de Savoye les
Bailliacres de Gcx & de Thonon, le Fort de
R paille, & quelques autres places pour luy don-
ner loncT-temps de l'exercice, &c l'emperchcr de
troubler fes voifins, il fe mit à la tclte de l'ar-
mée Royale, compofée de dix à douze mille
hommes de pied, Suilles, Criions, & Genevois,
avec prés de deux mille Reitres 6c douze pie-
ces de canon. Ce fut avec ces forces qu'il tra-
verfa tout le pais, depuis Genève, par IcsSuif-
fes, juiques au Comté de Montbeliard, d'où
ayant traverlé la Franche Comté , & paffe la
Saône vers Jonvelle, il fut à Langrcs qui tenoic
pour le Roy, & alla joindre à ChaltiUon fur
Mm. ie u Seine le Duc de LongueviUc & la Noue. Delà
^ SZ7. traverfant tous eniemble la Champagne avec
Mtmur."^ environ vinort mille hommes, ils pafl'erent la
Seine à. Poilfy, & arrivèrent enfin hcureufe-
ment à l'armée du Roy. Il receilt Sancy en
pleurant, & il protefta en prefcnce de tous les
Officiers de fon armée, que c'eftoit de joye, 6c
tout enfemble de regret de n'avoir pas prc-
fentement de quoy le récompenler du plus iî-
CTnalé fervice qu'un Sujet pouvoir rendre à fon
Roy, &L que les proviiions qu'il iuy avoir don-
nées de la Charge de Colonel des Suifies n'ef-
toient rien en comparaiion de ce qu'il vouloir
faire en fa faveur, eifant rcfolu de le rendre
un jour il grand, qu'il n'y euil rien de grand
Livre III. 345
en Ton Royaume qui ne luy puft porter en- ij8^,
vie.
Mais la fortune qui fe plaid aflez fouvent à
pcrfecutcr la vertu, en difpofa tout autrement,
par le déplorable accicienc qui arriva trois jours
après, & par une dilgrace que fa trop grande
franchile luy attira. Car au lieu de ces gran-
des récompenies qu'il devoir attendre après
avoir fait une adtion fi héroïque, il fallut en-
fin qu'on en vint jufques à vendre tous fes
biens, afin de payer les dettes qu'il avoit faites
pour lever à fes dépens cette belle armée qui
acheva de niettre le Roy en ellat de domter
les Rebelles, & de triompher bientoft de la Li-
gue, En effet, ayant fait après la jonction de
cette armée la reveûë générale de toutes fes
troupes, il fe vit à la telle de plus de quarante-
cinq mille hommes tous loldats aguerris, avec
lefquels, après s'eftre emparé le trentième de
Juillet du Pont de Saint Clou , d'où il chaffa
les Ligueurs à coups de canon, il réfolut d'at-
taquer dans deux jours les fauxbourgs de Paris
des deux coftez de la rivière.
Il y a très-grande apparence qu'il les euft d'a-
bord emportez, & melme en fuite la ville, où
l'on elfoit déjà dans une extrême concerna-
tion, tous les paflages des vivres eftant fermez,
& le Duc de Mayenne n'ayant plus que cinq
ou fix mille foldats, qui n'elloient pas le tiers
de ce qu'il falloir pour défendre des retranche-
Xx iij
— 3P Histoire de la Ligue.
ijgj?. mens d'une aufli grande étendue que ceux qu'il
avoit fait faire à tous les fauxbourgsj outre
que le grand nombre de ferviteurs que le Roy
avoit dans Paris, le voyant fi proche, avoienc
repris cœur, & gagné une grande partie des
bons Bourgeois qui clloient aflciirez que la pu-
nition ne tomberoit que fur les Chefs de la Li-
gue , fi le Roy vidorieux fe vouloir refTentir
de la Journée des Barricades. De forte que le
Duc de Mayenne avoit fujet d'appréhender
qu'en mefme temps qu'on attaqueroit les faux-
bourgs , il ne fe fill tout-à-coup quelque grand
foulevement dans la ville en faveur du Roy, &
que les foulevez s'eftant rendus maiftres de
quelqu'une des portes qu'on luy ouvriroit, ne
s'allaflent joindre à les troupes.
Aufii, dit-on, que ce Duc, qui avec toute
fa modération & fa lenteur ne laifToit pas d'ef.
trefort brave, voyant bien l'extrême danger où
il eftoit, quoy-qu'il paruft fort affeûré, ôc qu'il
fift prefcher mille agréables fauffetez au peuple
pour l'encourager, avoit réfolu, avec une trou-
pe choifie des plus vaillans hommes de fon ar-
mée qui vouloicnt iuivre fa fortune, de fe jet-
rer l'épée à la main au milieu des troupes Roya-
les, ou pour vaincre contre toute efperance,
par un généreux dcfelpoir que le fort des ar-
mes a rendu quelquefois heureux, ou pour mou-
^^ rir en prenant l'unique moyen qui luy relloit
de venger la mort de fes frères.
Livre I I L
?Jï
Voilà le floriflanc cllat où fe trouvoient les i j8^.
affaires du Roy, Se l'extrcmité où celles de la
Ligue eftoicnt réduites, lors que la fortune, qui
fe joue de la vie des hommes, dont elle fait
tantoil une ridicule comédie, & tantoll une
fanglante tragédie, changea de fcene en un int
tant, comme lur un théâtre, par le coup le plus
dételfable qui puft partir, je ne diray pas d'un
homme, mais d'un démon. Il n'ell; pas necef-
fairc que je raconte icy toutes les circonftances
d'une 11 exécrable action qui font connues de
tout le monde. Il fulSt que je dife, pour fitis-
fairc à mon devoir, qu'un jeune Jacobin nom- Mem. de u
me Jacques Clément, homme d'elprit foible, d^Z',u.' ^'
fuperlbtieux dévot Sc vifionnaire, s'eftant pcr- ^^y*- é^/-
r ' r Journal lit
fuadé par les furieufes déclamations des Prédi- ^enryur.
^ r- 1 1 T • n Jâumal M S,
cateurs languinaires de la Ligue, ôc par certai- deM.uyfei.
ne vifion qu'il croyoit avoir eue, qu'il feroit chTvnny.'^'
Martyr s'il perdoit la vie pour avoir tué Henry t-*"""- ,
de Valois, avoir tellement pris cette damnable
réfolution, qu'il ne feignoit point de dire hau-
tement qu'il ne falloit pas qu'on fe mill en pei-
ne, &: qu'il fçauroit bien délivrer Paris quand
il en feroit temps. Et comme on fceût que le
Roy eftoit à Saint Clou, où il avoit pris fon
quartier & fon logis dans la belle maifon du
jieur Jerofme de Gondy , il fortit de Paris dés
le lendemain, qui eftoit le dernier de Juillet,
avec une lettre de créance adreffante au Roy
de la part du Premier Préfident de Harlay dé-
— — 3;i Histoire de la Ligue.
ij8p. tenu pnfonnier en la Baftille , foit que cette
lettre fuft en effet de cet lUuftre Prélident trom-
pé par ce Religieux qu'il crut eftre fort pro-
pre pour porter au Roy les avis qu'on avoit à
luy donner, Toit qu'on l'euft contrefaite pour
donner moyen à 'ce malheureux de faire fon
coup de la manière qu'il le fit.
Car eftant introduit le jour fuivant, fur les
fept à huit heures du matin, dans la chambre
du Roy, comme ce bon Prince, qui recevoir
toujours favorablement les Religieux, lifoit at-
tentivement cette Lettre, 3c(c baiiloit pour en-
tendre ce qu'il avoir à luy dire en fecret, ainfi
que portoit fa créance ; ce parricide qui s'eftoit
mis à genoux devant luy, tirant de fa manche
un couteau , le luy plonge dans le petit ven-
tre, & le laifl'e dans la playe, d'où le Roy fe le-
vant de deffus fa chaife, & jcttant un grand
cry, le retire, de luy en donne dans le front. Il
/f',7s'jJ*k'j. n'y avoit encore dans la chambre queBellegar-
ftnrf. ^g premier Gentilhomme, <k la Guefle Procu-
reur Général, qui après avoir fort interrogé cet
cvcji,. homme exécrable le jour précèdent, lans rien
trouver qui luy puil donner le moindre foup^on,
l'avoir amené par ordre du Roy. Mais auilitolt
pluiieurs des Quarante -cinq eilant entrez à ce
grand cry que le Roy fit, fe précipitent aveu-
glément, & tout en furie, fur ce dételfable af-
làfiin, le percent en un moment de plufieurs
coups , (2c fans écouter la Gueile , qui après l'a-
voir
cUi*.
Livre III. - \ 355
voir frapc de la garde de fon cpée, crioic de ijSp.
toute la force qu'on ne le tuait pas, l'achèvent, g7/'//J'i,
& jettent par les fenellres Ion corps tout lan- J"""»»'.
glant, que le Grand Prcvoft de l'Hoftel fit ti-
rer à quatre chevaux.
Il y en eût qui ne pouvant croire qu'un Re-
ligieux pull eilre capable d'une (î détellable
aâ:ion, doutèrent fi ce monftre n'eftoit pas ou A-'^rfci/».
quelque Ligueur, ou melme quelque Hugue-
not travefti en Jacobin; ôc un Ecrivain moder- l, fatalité
ne , pour fauver l'honneur des jacobins, a taf- '^'^''"^
ché depuis peu de renouveller, tk de fornner ce
doute le mieux qu'il a pu. Mais outre que le
parricide fut reconnu par des gens qui le connoif- ^'"^'^"■
foient: il eft certain que le mefme Jacques Clé-
ment, qui fut examiné le loir précèdent par la ^""'' *' '*
Guelle, comme on en convient, tut introduit
par luy-mclme le lendemain dans la chambre
du Roy, puis qu'on ne peut pas dire que cet
Officier, homme d'efprit. Te loit trompé en
prenant un autre pour celuy qu'il avoïc tant
interrogé. D'ailleurs, comme le Roy, dans la
Lettre qui fut envoyée aux Gouverneurs de ^"*" '^" ^'y
Provinces ô*: a les Alliez aulhtolt après la blel- c-.^», t. ,.
feûrc, dit pofitivement , que quand il fut fra- J^^^/,!'"'
pé par le Jacobin, il n'y avoit dans la cham-
bre que Bellegarde ôc la Guelle, qu'il avoit fait
retirer aflez loin de luy , pour entendre ce que
ce trailfre avoit à luy dire en lecret: il fau-
droit neccflaircmem que l'un ou l'autre eull fait
5^4 Histoire de la Ligue.
i;8p, un coup il détcftablcjfi ce n'avoit efté Jacques
Clemenr. Et c'eft ce qui ne peut jamais entrer
dans l'eTprit de qui que ce foit, s'il n'a perdu le
fens & la raifon.
C'til pour quoy, fans s'obftiner à vouloir inu-
tilement ou détruire, ou rendre douteux un
fait rapporté conftamment par tous les Ecri-
vains de ce temps-là, & confirmé par une in-
finiié de témoignages authentiques : je crois
qu'il vaut mieux en tomber d'accord de bonne
foy, avec la voix publique, de quelque profef-
fion que Ton foit, veû principalement que
l'honneur des Jacobins n'en fouffre nullement.
Car enfin les fautes font perfonncUes; & il n'y
a point d'homme de bon fens qui s'aviie ja-
mais de reprocher le crime d'un particulier à
un Ordre aulTi faint &c aulTi rempli d'cxcellcns
hommes en dotStrinc ôc en vertu que celuy de
Saint Dominique.
Or quoy-que le coup fuft grand, &: qu'il euft
pénétré bien avant, les Chirurgiens pourtant
crurent d'abord que le couteau ayant glifle
entre les inteftins fans les offenlcr, la playe du
Roy n'cftoit pas dangereufe, ôi. mefme l'afTcu-
Ltttrt du uoy rerent , comme il le Ht fçavoir aux Princes fes
alliez, que dans dix jours il pourroit monter
à cheval. Mais foit qu'on euft mal reconnu la
playe, ou que le couteau dont il fut frapé fuft
cmpoilonné, on s'apperceiit bientoft après que
fa blelfeûre eftoit mortelle.
L I V R £ î I ï. 5^5
Jamais Prince ne parut moins furpris que i;8^.
îuy à la veûë de la more, ni ne la reccût d'une
manière plus tranquille, plus chrcfticnne, ôc
plus fainte. Il fe confefla jufques à trois fois
au fieur de Boulogne Chapelam du Cabinet ic ^7/
& comme celuy-cy Tcût averti qu'il y avoir ^["J^"'- ^'"
un Monitoirc contre Iuy , ôc qu'il l'eût exhor-
té à fatisfaire à ce que l'Eglife demandoïc de
Iuy pour fe mettre en cftat de recevoir Ton ab-
folution , Je fun y repondit - il lans héiiter,
îe premier Fils de l'EgltJe Catholique, ^pcfiolique
(^ I{omaine, r^ 'veux mourir tel. je promets devant
Dieu ^ dci-ant tous, que mon dejir n'ejl autre que de
contenter Sa Sainteté en tout ce quelle peut dejifer de
moy. Sur quoy le ConfefTeur eftant pleinement
fatisfait, Iuy donna i'abfolution. Tout le refte
du jour il ne s'entretint que de Dieu, àc ne
s'occupa que des peniées du Ciel, jufques à ce
que le Roy de Navarre eîtant arrivé de fon
quartier de Meudon bien avant dans la nuit,
&s'eftant jette à genoux devant Iuy tout cou-
vert de larmes, Ôc fans pouvoir proférer un '
feul mot, il fe courba doucement iur fa tellc^
le déclarant fon légitime Succe(feur, ordonnant
a tous les Seigneurs qui rempiifloient la cham-
bre de Iuy obéir comme à leur Roy, & Iuy
difant en mefme temps, que s'il vouloir régner
paifiblement, il falloïc qu'il rentrail dans l'E-
glife , & qu'il proteffall: la Religion de tous les
Rois Tres-Chreiiiens les Predecefleurs.
Yy ij
~ 3;^ Histoire de là Ligue.
ijSp. Comme il crut fentir les approches de lâ
mort fur les deux heures après minuit , il réi-
téra la Confeilion , après laquelle il fe fit ap-
porter le tres-Saint Sacrement qu'il reccût pour
Viatique avec une dévotion incroyable. Il fit
en fuite tous les a6les les plus fervens de foy,
d'erperance & de charité, mettant toute fa con-
fiance aux mérites infinis de laPaiTion dejefus-
Chrift, pardonnant de tout fon cœur à tous
fes ennemis, particulièrement à ceux qui avoient
procuré Ta mort ; & U-defTus il voulut encore
recevoir l'abfolution, priant Dieu de luy par-
donner fes péchez, comme il leur pardonnoit
tout le mal qu'ils luy avoient fait. Puis il fc
mit à dire le Mifererc, qu'il ne put achever, ayant
perdu la parole à ce verfet , K.(ààc mïhï Utitiam
falutaris tut; &c après avoir fait encore deux fois
le fignc de la Croix , il expira fort doucement
fur les quatre heures du matin, le lecond jour
du mois d'Aouft, en la trente-ncuviémc année
de fon âge.
Ainfi mourut Henry III. Roy de France Se
de Pologne , le dernier de la race des Valois ,
faifant voir à fa mort qu'il avoit eii durant fa
vie dans l'ame un véritable fonds de pieté , &c
que les actions extraordinaires qu'il en faifott
de temps en temps, quoy- qu'elles ne fuffent
pas dans la dernière régularité, ni conformes
a fon eftat, ne partoient point pourtant de
cette bafle hypocrifie que ceux de la Ligue luy
L I V R E 1 1 L 357
ont fauffemcnt reprochée. Prince au reftc qui ij 8^.
polTcdant toutes les belles qualitez que Ton a
vcûës dans le portrait que j'en ay fait au com-
mencement de cette Hiltoirc, cull efté l'un des
plus parfaits Monarques qui fut jamais, s'il
cuft pu les faire valoir quand il fut Roy, com-
me il avoit fait avant que de l'eftre.
Les HuQ-uenots &c les Ligueurs qui ont pref- Mdit.^ n>^
que toujours également hai ce Prince, le re- d,Frar,cif*r
jouirent de {a mort , &c en parlèrent comme ^'"^'"^
• ULccHttl des
d'une efpccc de miracle , & d'un coup de la tmq rcU.
main de Dieu. Les premiers ont écrit qu'il fut ^^^* '^' ^'^-
blciTé, &c qu'il mourut dans la chambre mcC- fin Mintjiri.
me où il avoit fait conclure le maffacre de la
Saint Barthélémy ; & cependant il eft certain
que la maifon où le Roy fut bleife à mort, ne
fut baftic par le lieur Jérôme de Gondy qu'en ^'y*'-
l'année mil cinq cens foixante & dix-fept, cinq
ans après la Saint Barthélémy. C'cil: pourquoy,
comme l'impofture eftoit manifefte, le Parle-
ment, fur la plainte qu'en fit le Procureur Gé-
néral, ordonna qu'elle fuft rayée de l'Addition
faite par Monliard à l'Inventaire de l'Hiftoirc
de France. Mais ceux de Genève n'ont pas man-
qué de la rétablir toute entière dans l'impref-
iion qu'ils ont faite de ce Livre.
Pour les Ligueurs , ils firent éclater leur iHd.
joye par des marques fi fcandalcufes, qu'on ne
les peut lire fans en concevoir une extrême hor-
reur. Ils publièrent mefme dans leurs écrits ira-
Yy iij
— — — 358 Histoire de la Ligue.
1J85). primez a Paris & à Lyon, qu'un Ange avoir
déclare à Jacques Clément que la Couronne de
Martyr luy cfloit préparée quand il auroit dé-
livré la France de Henry de Valois ^ &: qu'ayant
communiqué fa vifion à un fqavant Religieux,
celuy-cy l'avoit approuvée, l'aflcûrant qu'en
faifant ce coup, il feroir aufli acrréable à Dieu
que le fut Judith en tuant Holopherne. Et par-
ce que Ton Prieur, nommé le Père EdmeBour-
going , fut accufé d'eftre celuy de tous les Pré-
aicatcurs de la Ligue qui s'emporta le plus a
loûër cet abominable parricide fon fujet, Ta-
poftrophant en pleine chaire , & l'appellanc
bienheureux enfant de fon Patriarche & Saint
Martyr de Jefus-Chrift, & le comparant à Ju-
dith : on ne douta point que ce ne fuft luy
auquel ce jeune homme qui eftoit fous fa con-
duite s'eftoit confeiUé, &c qu'il ne l'euft en fuite
confirmé dans fon exécrable dcffein. C'eft pour-
quoy ayant efté pris les armes à la main, trois
mois après, à J'attaque des fauxbourgs de Paris,
on iuy fit fon procès. Et quoy- qu'il cufl tou-
jours nié juiques à la mort, laquelle il louffrit
TitHM.i.ft. avec une merveilleufe conftance, ce dont on
l'accufoit , comme toutefois il ne put récufer
les témoins qui le luy foulHnrent , il fut jugé
félon les formes, à ce qu'il reconnut luy-melme,
&c tiré à quatre chevaux par Arreil du Parle-
ment féant à Tours.
Qupy qu'il en foit_,il eft certain que la plul^
Livre T T I. \ 5j^ —
part de CCS Prédicateurs forceriez de la Lio;uc 1/85?.
en dirent pour le moins autant que ce qu'on
reprochoit à ce Prieur. Car le fieur Antoine
Lorfel a laifTé par cent dans Ton Journal, que J'>«rH»i u,
le jour melme que le Roy fut blclfc, & avant °^ ' '
que l'on euil reccû la nouvelle de fa blclleûrc,
il ouït à Saint Merry le fermon du Docleur
Boucher, qui dit, pour conlolcr fes Auditeurs,
que comme ce jour-là premier du mois d'Aoull
qu'on célèbre la fclte de Saint Pierre aux Liens,
D;cu avoir délivré cet Apoftrc des mains d'He-
rode , on devoir efperer qu'il leur feroit une
pareille grâce. Sur quoy il ne feignit point d'à- ' _ -^ '
vancer cette damnablc propofition , que c'ef-
toit un z€ic de grand mente de tuer un Roy
Hérétique, ou fauteur d'Hérétiques.
Les autres Prédicateurs agiflant de con-
cert avec luy prcichoient enmcfmc temps avec
plus d'emportement & de fureur qu'ils n'avoienc
jamais fait contre Henry de Valois,&donnoienc
au peuple, dit le mefme témoin irréprochable,
une efpcrancc comme certaine que Dieu les en
delivreroit bientoll : ce qui fit croire à bien des
gens qu'ils avoient eu communication de l'a-
bominable delTein du parricide. Et quand on
fceût que le coup eftoit fait, on ordonna des
I; prières publiques par toutes les Ec^lifes de Pa-
ris, pour en rendre à Dieu de folenucUes actions
' de grâces. On ht durant toute une femaine des
ProcelHons qui alloienc de toutes les Parroifl'es
3^o Histoire de la Ligue.
ijSçf. à l'Egliie des Jacobins. On exhorta les pcu-^
pics à y faire de grandes aumofnes en confî-
deration de Frère Jacques Clément, & à éten-
dre leurs charitables liberahtez fur fes pauvres
parens.
Enfin, le Dodeur Roze ancien Evefquc de
Senlis, &c Ligueur à toute outrance, y prefcha
conformément au billet qui fut envoyé, par
ordre exprés des Seize, le Dimanche fixiéme
jour d'Aoult, à tous les Prédicateurs auiquels
on marquoit les trois points qu'ils dévoient
prefcher, &c que je veux rapporter icy comme ils
^liH'lfX fori': exprimez dans ce billet, afin qu'on voyc
de quel horrible aveuglement cette furieufc ca-
bale de Ligueurs fut frapée. Voicy les propres
termes du Billet. /". J^flifier le fait du Jacobin ^
pource cjue ceji un pareil fatr que celuy de Judith tant
recommandé dans U Sainte Scfiture : Qui cnim Ec-
clcfiam non audit, débet effe tanquam Ethni-
cus &c Holopherncs. 2.°. Crier contre ceux qui di-
fent qu'il faut rece'voir le Roji de Navarre s'il ta à U
j\de(Je, pource qu'il ne peut ufurper le Royaume ejlant
excommunié , ^ mejme ejlant exclus de celuy de Na-
'varre. 3°. 2xhomr le Magijlr^t de faire publier con-
tre tous ceux qui foujlicnd)ont le Hoj de Navarre j
qu'ils font atteints du crime d'Hétefie^ ^ comme tels
Procéder contre eux.
Mais après tout, cette brutale joyc que les
Ligueurs firent paroiftre pour la mort de Hen-
ry n L fut bicncoit après changée en ciUlclfe, &c
puis
L I V R Ê I I î. ^(^i
puis en dcfcfpoir, par la fagc conduite , & par
la valeur incomparable de Ton Succcflcur Henry
de Bourbon, à qui Dieu avoir deltinc la gloi-
re qu'il a eue de rétablir le bonheur de la Fran-
ce, en dctruilant entièrement la Ligue qui la
defoloit. C'elt ce qu'il faut maintenant que
je fa lie voir en cette dernière partie de mon
Hiftoirc.
liSi).
Zz
HISTOIRE
DE
LA LIGUE.
LIVRE QJJATRIÉME.
NcoRE QiJE Henry Roy de
Navarre, que le Roy défunt ^nn.
avoit déclaré en mourant ion x/8^.
légitime Succc(rcur,cuil pris d'i-
__^_^__^^_^^^^^_ bord l'auguftc qualité de Roy
deFrance,ilftc futpas néanmoins furie champ
reconnu de toute l'armée. Les Huguenots qu'il
avoit amenez au fecours de ion PrédecciTcur fu-
rent les premiers à luy rcadre hommage, ne dou^
Zi 1}
3^4 HISTOIS.E DE LÀ LiGU'E.
jjSp. tant point qu'ils ne dcuflent cftrc les Maiftrcs,
& que le Calvinirmc ne dcvinll: bientoft en
France la Religion dominante fous un Roy
Proteilant. Mais cela mcimc donnoit beaucoup
d'inquiétude à ce fage Prince, qui voyoït bien
que les Catholiques prévoyant ce malheur qu'ils
traignoicnt extrêmement, le pourroicnt tous
réunir contre luy, &quelcs Huguenots incom-
parablement plus foibles qu'eux, ne fcroient
jamais capables de le maintenir iur le Trône.
En effet, il y eût tout ce jour-la, 5c toute
la nuit luivante une crrande diveriité d'avis par-
mi les Seigneurs Catholiques de l'armce. Plu-
fleurs d'entre eux, qui Tongeoient beaucoup
plus à leur intereft qu'au bien public, vouloient
tirer avantage d'une conjondturc il favorable
pour l'établiffement de leur fortune, de vendre
leur obéïiTancc au plus haut prix qu'ils pour-
voient, en faifant érificr leurs Gouvernemens
en Principautezj ce qui euft efté démembrer
la Monarchie. Il y en avoit un grand nom-
bre, qui par de diffcrcns motifs, les uns par un
vray zclc de Religion, les autres par l'avcrfîon
V «<^i.> (_: qu'ils avoicnt pour ce nouveau Pvoy, & qu'ils
couvroicnt de ce prétexte fpecieux de zclc,
vouloient abfolumcnt qu'il fc déclarait à l'inf-
tant mefme Catholique j ce qui ne fc pouvoir
faire ni avec honneur pour le Roy , ni avec
fcûretc pour les Catholiques, parce qu'il euft
paru trop de contrainte dans cette adion. Quel-
.3- r I A' R E IV. $6^
quc5-uns fouftcnoicnt que puis que fa naillan- ijS^v
Ce, & la Loy fondamentale du Royaume le
porcoient lur le Trône, dont fes qualitcz hc-
roiqucs le rcndoicnt trcs-diçne , il falloit le rc-
connoiftre, & luy obéir de bonne grâce, lans
aucune condition. Et c'dl ce que la plufpart
croyoïent eilre trop dangereux pour la Reli-
gion qu'ils ne Youloicnt pas bazarder de la
lortc. ■'• •■- ■•"" • ••
Enfin, après que cette grande affaire eût eflc ^«r^ ,
1- /l 1 r-11 I D'uluhifsé.
bien examinée dans leConleil du Roy, & dans Mtm àa u
l'Aflembléc eénérale des Princes & des Sei- '^•'"■'*'
gneurs Catholiques qui ie tint chez Francjois
de Luxembourg Duc de Piney, on tomba d'ac-
cord dés le lendemain d'un fort jufte tempé-
rament qu'on prit entre les deux cxtrémitez.
Car fans plus parler d'intercft particulier pour
agir généreufcment, il fut arrcfté que le Roy
feroit reconnu , mais à condition qu'il ie fcroic
inftruire dans fix mois par les plus habiles Pré-
lats de fon Royaume \ qu'il rétabliroit l'exer-
cice de la Religion Catholique dans tous les
lieux d'où elle avoit efté bannie, & remcttroic
les Ecclefiaftiques dans la pleine & entière joiiïd
fance de tous leurs biens \ qu'il ne donncroit
iiucun Gouvernement aux Huguenots, &: que
l'Ailcmblée pourroit députer vers le Pape pour
luy rendre compte de fa conduite.
Cet accommodement fut fio-né de tous Les
Seigneurs, excepte du Duc d'Elpernon ^ du.
$6è Histoire ce la Ligue.
;/8^, fieur de Vitry, qui rcfufcrcnt abfolumcnt d'y
confcntir. Vitry fc jctta mcfmc dans Pans pour
y fcrvir la Ligue, qu'il croyoit eftrc alors le
parti de la Religion. Pour le Duc d'Efpernon,
il n'avoir garde de fe mettre du code de la Li-
gue qui avoit tant de fois demandé Ton éloi-
gnemenr de la Cour. Mais foit que n'ayant plus
la protc6tion de Ton défunt Maillre, il craignift
l'indignation & le reiTentimcnt des plus grands
de la Cour, &: du Roy mefme, qu'il avoir fort
ofFenfez pendant fa faveur qu'il n'avoir ména-
gée que pour s'enrichir j foit qu'il euft peur
qu'on ne luy demandait par emprunt une par-
tie de ces grands trefors qu'il avoir amaflcz : il
fit à contre temps, & d'afTcz mauvaife grâce,
lefcrupuleux} &fous prétexte de mettre à cou-
vert fa confcience, qu'on ne crut pas qui l'in-
quietaft fort, il prit dans peu de jours congé
du Roy, & fc retira en ion Gouvernement
avec deux à trois mille hommes de pied, & quel-
que cinq cens chevaux qu'il avoir amenez au
feu Roy.
Un il pernicieux exemple fut fuivi de tant
d'autres, qui ious prétexte d'aller donner or-
dre à leurs maifons demandèrent leur congé
qu'on ne leur oioit rcfufer,ouqui fe laiifoient
gagner aux follicitations de la Ligue : que le
Roy n'eftant plus en eftat d'affieger Pans, fut
contraint de divifer ce qui luy rclloit de trou-
pes, y compris les Suiiles que Saocy luy coA-
L I V R E T V. 5<f7 '■
fcrva. Il en fie donc trois petits Corps; l'un ijS^.
pour la Picardie, fous la charge du Duc de Lon-
gucville \ l'autre, pour la Champagne, comman-
de par IcMarefchal d'Aumonti&: il mena luy-
mefme le troifiéme en Normandie, où il dévoie
recevoir le fecours d'Angleterre, & ou avec le
peu de forces qu'il avoir il donna le premier
cchec à la Ligue, qui eftoit alors plus puiflantc
qu'elle n'avoit encore eflc, & qu'elle ne fut ja-
mais depuis.
En effet, ceux qui après les Barricades avoient
ouvert les yeux pour reconnoiftre que la Ligue
où ils fe trouvoicnt engagez, n'elloit qu'une
manifefte rébellion contre leur Roy, le voyant
mort, crurent qu'il ne s'agiffoit plus que de la
Religion, & fe réiinirent avec tous les autres
pour cmpefcher qu'un Hérétique ne fuft Roy
de France. Et certes ce prétexte devint alors
fi plaufible, qu'une infinité de Catholiques
de toutes les conditions, éblouis par une fi
belle apparence, ne doutoient point qu'il ne
fallufl plûtoft périr que de fouffrir que ce-
luy qu'ils croyoïent eflre obftiné dans l'Hcrc-
fic montaft fur le Trône de Saint Louis, àc
vouloicnt qu'on choifiif un autre Roy. Il y en
eût mefme qui prirent cette oceafîon de folli-
citer encore un coup le Duc de Mayenne de Mem<,;m is
prendre cette auguitc qualité , qu'il luy leroit
aifé de maintenir avec toutes les forces de l'U-
nion des Catholiques dont il eftoit déjà le Chef,
r»4i-R«r.
-^ 3^§^ Histoire ôë la L'aiguë.
ïjSp. Mais ce Prince, qui eftoit Tagc, craignant Icà
dangercules fuites d'une ii hardie entrcprife, ai-
ma mieux d'abord retenir pour foy tout le fo-
lide delà Royauté, ôc en laifTcr le titre au vieux
Cardinal de Bourbon qui eftoit prilonnier, ôi
qu'il fit déclarer Roy fous le nom de Charles X.
par le Confeil de l'Union.
Ce fut pour lors qu'on fit courir par tout le
Royaume autant qu'on put cette multitude
d'écrits fcandalcux, dans lelquels on prétend
prouver que Henry de Bourbon eft légitime-
ment exclus de la Couronne , & fur tout ceux
des deux Avocats Généraux de la Lieue au Par-
lement de Paris, Loiiïs d'Orléans & Antoine
Hotman. Le premier ell l'auteur du Libelle ex-
i^eusfur le tjémement feditieux, intitulé, le Catholique ^n^
zloisi &: le Iccond écrivit XcTraïte du aron de ion-
ci
de contre le nenjeu pour fucceder à la Couronne. Mais
il arriva, par une heureule & allez plaifante
rencontre, que le Jurifconfulte François Hot-
man frerc de l'Avocat, voyant ce Livre qu'on
débitoit en Allemagne où il eiloit en ce temps-
la, fouftint avec beaucoup de force & de do-
â:rine le droit du neveu contre l'oncle, & fit
voir manifcilement dans un Içavant écrit qu'il
publia iur ce fujet, le foible & tous les faux
.; raifonnemens du Traité de ion adverlaire, ians
fçavoir que ce fuil Ion- frère, qui n'y avoit pas
mis fon nom.
La Ligue ayant un Roy à qui la Couronne
devoiE-
L I V R E I V. 5<î^
vir;,
devoit appartenir après Henry IV. Ton neveu, i;8^.
s'il luy euil iurvefcu, en devint beaucoup plus
puiflantc, parce que le Roy d'Efpagne, &c les
Ducs de Lorraine & de Savoye , qui durant la
vie du feu Roy leur allié n'ofoient fe déclarer
ouvertement contre luy pour les Sujets rebelles,
reconnoiflant alors ce Cnarles X. pour Roy, ne
firent nulle difficulté d'envoyer du fecours au M.diKe
Duc de Mayenne. De forte qu'après avoir fait Jr,jJdfs'Jf„,
publier dans toute la France au mois d'Aoult ^'"""''^^•
/ 1 1 11 I 1 L'y/tl.
une Déclaration , par laquelle il cxhortoit tous aï"», d* u
les Catholiques Franc^ois à fc réiinir avec ceux Ded»'r,ut»
qui ne vouloient point de Roy Hérétique, il t.^Z.%c.
eût au commencement de Septembre une ar- Af""'"-" ''*
1 ni II SuUy.e.iS.
mee de vingt -cinq nulle nommes de pied bc c^r'-
huit mille chevaux.
Ce fut avec ces forces qu'il palTa la Seine à *^"»- '' '*
Vernon pour aller tout droit au Roy de Na- ÀièZôirn^t
varre, qui après avoir cfté receû dans le Pont- D-Aubif^é.
de .-l'Arche &c dans Dieppe, que le Capitaine '-jj^- '■ ^
Rolet & le Commandeur de Chates luy rendi-
rent, faifoit mine de vouloir alVieger Roiicn,
n'ayant pas plus de fept à huit miDe hommes.
Une fi puiflante armée de Ligueurs, compoféc
de François, d'Allemans, de Lorrains &c de Va-
lons ,, qu'il n'avoit pas cru que l'onpuft alTcm-
blcr fi-toft, & qui luy alloit tomber fur les
bras, l'obligea de le retirer bien ville vers Die-
pe, où il couroit nique d'ellre envelopc, lans
pouvoir cchaper qu'en fc lauvant par mer en
AAa
370 Histoire de la Ligue.
i./8_9. Angleterre, fî le Duc de Mayenne cuft eu la
réfolution qu'il devoir avoir prife du moment
qu'il le mit en campagne, de le pouriuivre fans
relafche. Mais comme klon fa lenteur natu-
relle, qui luy tenoit lieu de prudence, il s'amu-
fa long-temps à délibérer lors qu'il falloir agir,
il donna le loifîr au Roy de fortiher fonCamp
d'Arqués à une lieue &c demie de Dieppe, en-
fermant par de bons retranchemens le Chafteau
ôc le Bourg fîtué fur le penchant d'un coftau
qui aboutit à la petite rivière deBethune,dont
l'cmbouchcûre fait le port de Dieppe.
A peine avoit - on achevé ce grand travail ,'
où toute l'armée s'eftoit occupée, à l'exemple
du Roy, pendant trois jours avec une incroya-
ble diligence, que le Duc de Mayenne, qui
avoit encore perdu beaucoup de temps à re-
prendre les petites places d'alentour dont le
Roy s'eftoit emparé , s'approcha d'Arqués pour
l'en déloger. Mais comme il vit qu'on eftoit
trop fort de ce cofté-là, il tourna fur la droite,
pafla la Bethune plus haut, & s'alla pofter fur
l'autre coftau, qui eft vis-à-vis d'Arqués, la
rivière entre d'eux , d'où il pouvoir plus aifé-
mcnt attaquer le Bourg par le bas, ôc s'aller
faifir du Polct fauxbourg de Dieppe de ce
cofté-là.
Mais la prévoyance du Roy avoit pourvcii
à tout , ayant poufle fes retranchemens julqu'à
une Maladerie prés de la rivière^ di inis Chaf-
L I V R E I V. 371
tillon Colonel de Ton Inflmterie avec neuf cens i ; 8 p.
hommes dans le Polct, qu'on avoir aufli retran-
ché. Cependant le Duc réfolu d'emporter ce
fauxbourg, &c de forcer le logement d'Arqués,
parut en bataille le feizicmc de Septembre fur
fa hauteur, fit marcher dés la pomte du jour la
moitié de les troupes vers le Polet, & logea
l'autre au village deMartmghle,dansle vallon,
pour attaquer la Maladcne retranchée.
Ces deux tentatives qu'il fit ce jour-Uréùf-
fîrent tres-mal. Le Roy, qui courut au Poler,
s'eftant mis à la telle de fes troupes hors des
retranchemens , fouftint bravement Tefcar-
mouche durant tout le jour, fans que les en-
nemis ofaffent jamais l'enfoncer , ni puffenc
le faire reculer d'un feul pas^ &: il les con»
traignit enfin de le retirer nonteufemcnt pen-
dant la nuit dans les ruines d'un village
bruflé, après en avoir tué &c fait prifonnier
aux efcarmouches un grand nombre des plus
échauffez. Et dés le lendemain fes gens en-
couragez par fa prefence , & par le mépris
qu'ils faifoient de leurs lalches ennemis, les allè-
rent attaquer jufques dans leur village barricadé^
où ils en tuèrent encore plus de cent, fans avoir
perdu qu'un ieul homme.
Ceux qu'on avoit logez à Martinglife firent
beaucoup mieux, & il leur en coufta aufli plus
•qu'aux autres pour avoir elle plus vailians. Car
ayant fait durer quelque temps l'efcarmouche
AAa ij
BT^- Histoire de la ticui.
iS'^P' pour déloger ceux qui elloient dans les haycs
les plus proches de la rivière, ils firent forcir en
bataille une grande partie de leurs gens, qui
donnèrent tclte bailTéc dans le Corps de garde
delà Maladerie, pour emporter ce logement.
Mais le Marcfchal de Biron qui commandoit
dans Arques, & qui s'eftoit avancé jufqu'à la
Maladerie, pour louftcnir ceux qui la défcn-
doient, fit donner avec l'élite de Tes braves fur
CCS hardis Li2;ucurs par le Grand -Prieur de
France & par Damvillc, qui leur firent une fi
furie ufe charge, qu'ils les contraignirent de rc-
pafTer tout en defordre à MartingUfe, après
leur avoir tué cent cinquante de leurs meilleurs
. hommes. Il y en eût encore un plus grand
nombre de blelTcz. La Cornctc du Duc de Ne-
mours fut prifc en ce combat, & vingt Gen-
tilshommes de marque y furent faits prifon-
nicrs.
Ces mauvais fuccés ayant rebuté les foldats
de la Ligue, le Duc de Mayenne demeura qua-
tre ou cinq jours dans fes quartiers , pour leur
donner loifir de fe remettre de l'étonnemenc
ou ils eftoicnt : après quoy ayant raffcmblé
toutes fes forces , il les fit palier la rivière un
peu après minuit, pour attaquer au point du
jour avec toute l'armée trois fois plus forte que
celle du Roy, les rctranchemens, dont une par-
tic de fes gens avoicnt cfté vigourcuicment rc-
pouffez, & qu'il croyoit alors furprcndrc. Mais
L I V R E I V. 373
le Roy, qui avoir cfté bien averti de foti deflcin, i ; 8 ;>.
s'cftant rendu dans les tranchées deux ou trois
heures avant le jour, avoir diipofc toutes cho-
ies pour les bien recevoir, ayant e;arni de Ion
Infanterie tout le dedans, &C jette hors des li-
gnes la Cavalerie pour rompre les premiers ef-
forts de l'ennemi.
Cela n'empefcha pas le Duc de Mayenne de
pourfuivre fon entrcprife, & d'aller au com-
bat, qui fut ôc très -long & tres-afpre. La Ca-
valerie Royale eût d'abord de l'avantage fur
celle de la Ligue. Le Grand-Prieur, qui fut de-
puis Comte d'Auvergne & Duc d'Angouleime,
ayant tué d'un coup de piilolet le fieur de Sa-
gonne Colonel de la Cavalerie Légère de la
Ligue, poufla cet Elcadron de quatre à cinq
cens chevaux juiqu'à la Cornette blanche de
l'Union ; & le Duc d'Aumale , qui avec un
Sros de iix cens chevaux l'avoit remené bat-
tant luy ôc trois Compagnies d'Ordonnances
qui le fouif cnoient julqu'au pied des retranche-
mens, fc vit aufTi contraint de reculer un peu
en defordre, pour fc mettre à couvert du ca-
non qui donnoir dans Ion Elcadron. Mais la
féconde attaque que fit faire le Duc de Mayen-
ne par les Lanfquenets de Colalte de de Trem-
blccour, ayant à leur tefte le Comte de Belin,
fouftcnu à droit par le Duc de Nemours , qui
avoit amené de ion Gouvernement de Lyon
trois mille hommes de pied , & une Cavalerie
AAa iij
374 Histoire de la Ligue.
ij2p. fort lefte, & à gauche par le Duc d'Aumalc
avec douze cens chevaux, fut beaucoup plus
lieureufe.
Car tandis que l'on combatoit furieufement
à droit & à gauche contre les Franc^ois & con-
tre les SuifTes de Galati & de Meru Montmo-
rency Damvillc leur Colonel , les Lanfque-
nets de la Ligue , foit par ftratagême , foit
^ar lafcheté, le mirent à crier à ceux du
Roy qui défendoicnt ce quartier -là, qu'ils
■youloient paffer de leur coftc , & furent rc-
ceûs dans les lignes. Leurs Capitaines mefme
promirent folcnnellement au Roy de le fervir
iidellement , pourveii qu'on leur afleûraft le
■payement de leurs montres, ce qu'on fît. Mais
pendant que ce brave Prince couroit par tout,
" ? donnant Tes ordres pour repoufler les ennemis,
ces perfides voyant que le Duc de Nemours
-avoit rompu le bataillon des Suiflcs, tournè-
rent tout-a-coup leurs armes contre ceux-là
mefmes qui les avoient reccûs, & s'emparèrent
de cette partie des lignes qu'ils livrèrent aux Li-
gueurs , qui le rendirent enfuite maiilres de la
Maladerie. De lorte que comme on avoit à
combatte l'ennemi & au dedans de au dehors,
fi le Duc de Mayenne, qui devoir foullenir
avec tout le gros de l'armée ceux qui faifoient
l'attaque, eull pris cet heureux moment pour
donner après eux avec toutes les forces dans
les lignes, il y a bien de l'apparence qu'il euit
Livre I M., . : , 37;
accablé le petit nombre par la multitude, & IJ89,
qu'il euft remporte ce jour -là une entière vi- •
cl:oirc.
Mais comme il ne fe halloit jamais que
quand il eftoit contraint de fuir , la marche
trop lente dans une ii belle occafion, ou tout •
dépendoit de la promptitude , luy fit bientoft
f)erdrc fon avantage. Car le Comte de Chaftil-
on cftant accouru d'une part au lecours du
Roy avec les deux Regimens qui eiloient dans
Arques, &c de l'autre le Duc de Montpenfier
& le brave la Noue s'eftant rangez avec leurs
Gendarmes à (es collez, ce vaillant Prince, qui
avoit déjà rallié la pluipart de Tes gens que
cette iurprife avoit effrayez & mis en defordre,
chargea fi furieufement les Regimcns de Co-
lalte &deTrcmblecour, qu'ils furent contraints
de fortir des retranchemens ôc de la Maladerie
plus ville qu'ils n'y eiloient entrez, & de fe
retirer vers le Duc de Mayenne, qui iembloic
ne s'eflre avancé au petit pas, que pour les re-
cevoir, &c non pas pour les loutlenir, &c pour
les féconder. Et en mefme temps le Canon du
Challeau qui i'avoit en but , donnant dans
fon armée, l'obligea de reprendre le chemia
de fes quartiers , en laifTant la vidoire au Roy,
qui garda ion logement d'Arqués qu'on pré-
tendoit luy enlever.
Ce qu'il y eût encore de plus honteux
pour le Duc de Mayenne, fut que quatre oii
37^ Histoire de la Ligue.
î/85. cinq jours après s'eftant allé poftcr par un
long détour devant D'eppc pour rafTicger,!!
fe trouva luy-mcfme afliegcpar la petite armée
du Roy , qui s'eftant loge hors de la ville vis-
à-vis de Ton camp, luy donnoit nuit &c jour
de continuelles alarmes, fans qu'il en ofaft for-
tir une feule fois pour faire fes approches. De
forte que dix jours après , fans avoir rien fait,
il leva ce prétendu liege , rcpafTa la rivière, ôc
fe retira dans la Picardie, fous prétexte que fa
prefencc y cftoit neceffairc, pour empefchcr
que les villes ligueufes de cette Province ne fc
mifient fous la protection des Elpagnols, qui
tafchoient fous main de furprendre la fîmpli»
cité de ces peuples.
Voilà quel fut le fuccés de cette entreprifc
de 11 Ligue , qui avec fes trente mille hommes
fe vantoit de prendre le Roy de Navarre , ou
le Biarnoii , comme le peuple Ligueur parloit
inlolemment, & de l'amener à Paris, où la
Duchcflc de Montpenficr & les autres Dames
avoient déjà loiâé des fencftres à la rue Saine
Denis, pour avoir le plaifir de le voir honorer
par fa captivité le triomphe du Duc de Mayen-
ne. Mais Dieu en avoitdifpofé tout autrement i
& ce célèbre combat d'Arqués, où lelon tou-
tes les apparences le Roy avec une poignée
de gens devoir iuccomber fous l'effort d'une
Ç\ formidable puiffancc, fut le point fatal de
ia décadence de la Lisuc. Car encore que fon
^ Chef
L I V R E I V. 377
Chef n'y cuft pas perdu plus de fept à huit cens 1587,
hommes, il y perdit l'honneur &c la réputation
du parti, qui depuis ce temps -là ne fit plus
rien qui ne iervift à la gloire de Ton vainqueur^
en luy donnant lieu de faire éclater en toutes
les occafions fa clémence en luy pardonnant,
ou fa valeur en le domtant, comme on le vie
bicntoft après
Car auîfitoft qu'il eût rcceû le fecours qu'il uim. dt
" ■ ' Ligut , t. •
Ctiytt , », i.
attendoit de quatre mille Anglois , & que le ^'^"'-'-^
Duc de Lonsueville & le Marefchal d' Aumône
l'eurent joint avec leurs troupes qu'ils luy ame-
nèrent de la Champagne & de la Picardie , il re-
monta le long de la Seine jufqu'à Meulan, où
voyant que le Duc de Mayenne, qui pouvoir
venir droit à luy pour le combatte fl le cœur
luy en euft dit, ne paroiffoit point, il paffa la
rivière, & s'alla loger le trente & unième d'O-
diobre à la veûe de Paris , dans les villages
d'Iffy, de Vaugirard, deMontrouge & deGen-
tilly , ■ réfolu d'attaquer dés le lendemain les
fauxbourgs, que les Parificns avoient retran-
chez.
A cet effet, il diftribua toute fon Infanterie
en trois Corps , pour donner en mefme temps
par trois divers endroits i l'un, ious le Maref-
chal de Biron, du coite des fauxbourgs Saint
Marceau & Saint Victor j l'autre, fous la con-
duite du Marefchal d'Aumont,ailii-lé de Dam-
ville Colonel des Suiifes, & de BcUegarde Grand
BBb
' 37^ Histoire de la Ligue.
ïjSp. Eicuyer, à la tefte du fauxbourg Saint Jacques
6c de ccluy de Saint Michel ; & le troifiémc,
commandé par lesiiems de la Noue & de Chat
tillon, vis-à-vis des Portes de Saint Germ.ain,
de Bufl)', & de Neile. Ils eftoient fouftenus
d'autant de gros Efcadrons de Cavalerie , à la
tcftc defquels eftoient le Comte de Soiflbns à
droit, le Duc de Longueville à gauche, ôc le
Roy mefme au milieu, du cofté du fauxbourg
Saint Jacques : & quatre pièces de canon fui-
voient chacun de ces trois grands Corps, pour
donner dans les portes de la ville, après qu'on
auroit cTa2;né les fauxbourcrs.
Il n'y avoir rien de mieux concerte que cette
cntrcprile, dont l'heureux luccés fembloit cftrc
infaillible. Car outre la force, on avoir dans
la' ville une fccrcte intellicrencc adroitement
conduite par le Préfidcnt Nicolas Potier de
Blanc -Mefnil, qui s'eftant tiré des mains de
Bufly à force d'argent, avoir gagné un bon
nombre de ceux que les Ligueurs foupc^onnoicnc
d'cflre Royahft.cs, &c qu'ils appclloient Politi-
ques , avec lefquels il le devoit rendre maiftrc
d'une des portes, 5c la livrer au Roy.
Le couraec invincible de ce Préfidcnt, &c fa
fidélité inviolable au fervicc des Rois fesMaif^
très en ces temps de troubles ôc de révolte,
rendront éternellement fa mémoire &:fon nom
vénérables à toute la France, de fingulicrcment
i Paris fa Patrie^ qu'il honora du moins autant
L I V R E I V. 37/) ■,
par fa vertu, qu'il en fut honoré par Ci naiH 1585».
Tance, eftant ibrti d'une des plus illuftrcs mai-
fons de cette grande ville. Il eût la gcnérofité,
pour fervir Ion Prince, ^fauver l'Eftat, de s'ex-
pofer au danger évident de périr par la fureur
des Seize. Car ces brutaux craignant refprit,
le cœur 5i la vertu de ce grand homme, qu'ils
connoiflbient eftre incapable de fe détourner
d'un feul pas du droit chemin que doit tenir
un honneile homme, qui ne manque jamais à,
fon devoir pour tout ce qu'il pourroit efpercr
ou craindre ^ ils le mirent deux fois en prifon,
dans laBaftiUe, & dans la Tour du Louvre ou.
il couroit fortune de perdre la vie, s'il n'euft
cfté délivré par les bons offices que luy rendi-
rent ceux qui eurent la force de s'oppofer à la
rage de ces Tyran?. Et comme il vit en fuite
qu'il ne pouvoit plus fervir à Pans, il fe retira
vers le Roy fonMaiftre, qui le fit Chef de cet-
te partie de fon Parlement qui fut établie à
Chaalons. Il avoit le bonheur d'eftre fils d'un
ConfeiUer, qui aquit tant de gloire dans l'e- ><■?«" p*"'"
xercice de fa Charge , que le Chancelier de VArUm'Jnî^
l'Hofpital a dit de luy, dans un de les Poèmes, dignumquc
qu'il avoit mente que la Cour luy fift ériger in mcâio (la.
une ftatuc au milieu du Temple de la Juftice ; ôc à" cu"!"'
il a maintenant encore après fa mort l'honneur Tan^io.
d'eftre l'ayeul d'un autre Nicolas Potier, que
le plus lage, comme le plus grand des Rois,
qui f^ait également coimoiibe 6c récompenfcr
^3b II
3^0 Histoire DE LA Ligue.
, -B j8j?. le mérite, a mis à la telle de ion augufle Par-
lement des Pairs.
Tout cftant donc bien difpofé , par l'intel-
ligence que l'on avoit avec le Prcfident de Blanc-
Meinil, pour faire réiillir l'entreprife du Roy, le
jour de la Toulfaint, de grand matin, durant
un brouillard fort épais, les retranchemens & la
telle des faux bourgs furent attaquez tout à la
fois de ces trois collez , avec tant de vigueur
& de furie, qu'ils furent tous emportez de vive
force en moins d'une heure. Sept à huit cens
hommes de ceux qui les défendoient y furent
tuez. On y prit treize pièces de canon ; & fi
celuy du Roy fuft arrivé au temps qu'il avoit
ordonne, il eft certain que ce grand Prince,
qui entra fur les fept à huit heures dans le
fauxbourg Saint Jacques où il fut reccû avec
de grands cris de yive le Roy^ fe fuft rendu
maiftre fans beaucoup de peine de tout le
quartier de rUnivcrlîté.
Mais le fieur de RoFne, qui commandoit alors
dans Paris, ayant eu par ce retardement le loi-
fii de remparer les portes, & le Duc de Mayen-
ne , auquel il avoit donné promptement avis
des approches de l'armée Royale , y cftant en-
tré le lendemain avec toutes les troupes, le Roy
fe contenta d'avoir appris aux PariHensque les
nouvelles qu'on leur débitoit tous les jours de
fa défaite prés de Dieppe, pour les amufer,
cftoient faullcs. Et aptes avoir demeuré plus
Livre IV 3S1
de trois heures en bataille à la vcûe de la vil- ijSp.
le, pour leur faire connoillre ou la foiblcfle,
ou la lafchcté de leurs Chefs qui n'ofcrent ja-
mais paroiftre, il alla reprendre pendant l'hi-
ver dans la Beaucc , dans le Vendofmois, dans
la Tourraine, dans l'Anjou, dans le Maine,
dans le Perche, &c dans la BaiTe- Normandie,
la plufpart des villes & des places fortes qui
tenoicnt pour la Ligue, laquelle commençoit
à fe détruire encore par les meimes voyes dont
elle prétendoit fc fervir pour fe conlervcr. Voi-
cy comment.
Elle fît tous fes efforts pour obliger le Saint c-r'» '■ '-
Père & le Roy d'Efpagne à s'engager ouverte- t,j«r. '
ment dans fon parti; & elle y rcuiîit enfin par ^'''■''*' ^''
les protellations que fes Agens firent à Rome
& à Madrit, que fi l'on n'cftoit promptement
&: puiflamment fecouru de l'un & de l'autre,
on feroit contraint de s'accommoder avec le
Roy de Navarre: ce que le Saint Père &le Roy
Philippe ne vouloient nullement fouffrir; l'un,
de peur que la France ne tombait lous la do-
mination d'un Prince Hérétique j & l'autre,
parce qu'il vouloir entretenir cette grande di-
vifion dans le Royaume, efperant bien en pro-
fiter, pour s'en rendre le maiilre , ou du moins
pour en occuper une bonne partie, Ainfi le
Pape Sixte trompé d'ailleurs, tout habile hom-
me qu'il cftoit, par le Commandeur de Diou,
&c par fes Collègues , qui luy firent accroire
PBb li^
3^2, Histoire de la Licite.
ïj8^. que leNavarrois ne pouvoir échapcr des mains
du Duc de Mayenne qui le tenoic invefti, &:
cnvelopé dans un coin de la Normandie, en-
voya Légat en France le Cardinal Caïetan Su-
jet du Roy d'Elpagne, & grand Efpagnol d'in-
clination & d'engagement, qui fe rendit à Pa-
ylnn. ^is au commencement de Janvier, avec des rc-
j J.50. mifcs pour trois cens mille écus, & ordre ex-
prés de travailler à faire élire un Roy bon Ca-
tholique.
D'autre part , Bernardin de Mendoze Am-
bafladcur du Roy Philippe, Touitenu de la fa-
ction des Seize, des Prédicateurs de la Ligue,
&c des Moines, dont la plufpart eftoient alors
tout dévouez à l'Efpagnol, fit dans le Confeil
général de l'Union, de la part de ion Maiftrc,
des propofitions trcs-plaulibles ôc tres-avanta-
geufes pour le foulagemcnt des peuples, avec
promefl'e de les fccourir de toutes les forces de
la Monarchie, protcllant au relie que Ton Roy
qui pofTedoit tant de Royaumes, dont il fit
un fuperbe dénombrement, ne prétendoit point
du tout à celuy de France ni pour luy,nipour
fon fils, &:que pour récompenle de ces grands
fccours qu'il vouloir donner aux Catholiques,
il ne demandoit autre choie que l'honneur d'ef^
tre déclaré lolennellement ProtecSteur du Royau-
me de France. Or c'ell-là juftement une des
chofcs qui contribua le plus à ruiner la Ligue,
j6i à fauYci i'Llht, parce que cette propoluion
L r V R ï I V. ' 3S3
artificicufc, jointe à l'inlkuâiion du Lcgat,fic iji?o.
ouvrir les yeux au Duc de Mayenne, pour dé-
couvrir l'intention des Efpagnols , qui ne (on-
gcoient qu'à s'établir lur les ruines de ion au-
torité j de en fuite il prit une forte réiolution
de s'oppofer à leur deifein , comme il fit tou-
jours depuis ce temps -là, par le conleil des
plus gens de bien d'entre (es confidens, &c fin'
gulicrement de M. de ViHe-Roy.
Ce fage &: habile Miniftre, qui a fervi avec
tant de fidélité &: de gloire cinq de nos Rois,
voyant que par les mauvais offices qu'on luy
avoit rendus auprès du feu Roy fon Mailtre, P,'uTji!J. *
il ne pouvoir demeurer avec feûretc dans les
villes de ion obéïilancCjni dans ia maifon du-
rant la guerre, & qu'il n'avoir pas meime pii
obtenir un paiTeport pour fortir du Royaume,
fut contraint de fe retirer à Pans avec ion pè-
re, ôz d'entrer dans le parti de l'Union. Mais
on peut dire fort véritablement, qu'il y entra
comme fit l'adroit èc le iage Chufaï dans, ce-
luy d'Abfalon à Jcruialem , pour y détruire
tous les artifices &c les pernicieux confeils du
méchant Achitophel, qui ne tendoient qu'à la
ruine entière du Roy légitime David, contre
lequel la Capitale de Ion R^oyaume s'cftoit ré-
voltée. Ainii le fieur de ViUc-Roy n'embraifa
par pure neceffité le parti de la Ligue, 6c ne
le mit auprès du Duc de Mayenne dans Pans
^ui faifoit la guerre à fon Roy , que pour em-
-^ 3§4 Histoire de la Ligue.
ijpo. pefcher par fes bons confeils qu'on ne fuivift
ceux des Efpagnols , qui, fous prétexte de vou-
loir confervcr en France la Religion , ne fon-
geoient qu'à ruiner l'Eftat.
Aufli comme David trouva bon que le fidel-
le Chufaï demeuraft toujours à Jerufalem fans
quitter Abfalon, parce qu'il fc^avoit bien qu'il
luy feroit là beaucoup plus utile que s'il elloit
auprès de fa perionne : de mefme, Henry IV.
qui connoilToit l'adreiTe & la fidélité de Ville-
Roy, ne voulut point qu'il fortiil de Paris,
après la mort de fon PrédeceiTeur, pour fe rendre
auprès de luy , parce qu'il eftoit alfeûré que ce
grand homme luy rcndroit bien plus de fervicc
en demeurant avec le Duc de Mayenne, pour
rompre, par fes fagcs remontrances, &par le cré-
dit qu'il s'eftoit aquis auprès de ce Prince, toutes
les mefurcs des Efpagnols & de leurs partifans.
C'eft ce qu'il fit adroitement jufqu'à la fin,
&c principalement en cette occafion d'où dé-
pendoic ou le bonheur ou le malheur de ce
Royaume, félonie parti qu'on prendroit. Car
le Duc de Mayenne luy ayant demandé fon
Suite du viai. avis fur ce que le Le^at &c Mendoze avoient
du Manant r^ • 1 l r T } ■ »
é"^"jwf«^f«- propoie, il luy ht rort bien comprendre que
c%it. toutes ces belles propofitions ne fe faifoienc
par le Légat, par Mendoze, ôc par les Seize,
que pour le dépouiller de fon autorité, &pour
le foumcttre luy ôc tout le parti de l'Union
aux Efpa2;nols, qui ne manqueroient jamais
d'uiurper
L I V R E I V. ^ 38;
d'ufurpcr la domination fur les François, &r de i j^ o.
rendre la guerre immorcelle pour s'y mainte-
nir : qu'en l'cftat où il Te trouvoit , &c fans
fouffrir un Chef audcflus de luy, il pouvoir
faire la guerre &c la paix quand il le faudroit,
avec la gloire d'avoir (oullenu luy fcul la Re-
ligion & l'Eltat ; mais qu'en reconnoiflant pour
Protecteur du Royaume le Roy d'Efpagnc, il
fc loumettoit fous ce lupcrbc titre à un puif-
fant Mairtre, qui fçauroit bien luy ofter les
moyens de faire m l'une ni l'autre à l'avantage
de la France
Il n'en fallut pas davantage pour pcrfuadcr
un homme aulli éclairé & auffi prudent que le
Duc de Mayenne. Il s'aimoit à la vérité, ce
qui eft naturel à tous les hommes j mais il ai-
moit auffi l'Eftat, ce qui eft propre d'un hom-
me de bien. S'il ne pouvoir prétendre à la Cou-
ronne, comme il le voyoït parfaitement bien
par plus d'une raifon, il ne vouloir pas auilï
qu'elle full à un Ellrangcr, non pas melme à
un autre qu'à celuy à qui elle dévoie eftre de
droit, la Religion fauve. Il réfolut donc for-
tement dés ce temps-là, pour fon intereft par-
ticulier joint à celuy de i'Ellac, de s'oppoler
à tous les efforts que fcroient les Efpagnois, &
fes parens mclmes les plus proches, pour ulur-
per la Couronne, fous quelque prétexte que ce
puil eftre : ce qui alfcûrément fut en partie cau--
tè du faiuc de i'Eitat.
CCc
iy5>o.
3S(? Histoire de la Ligue.
C'eft pourquoy, pour ofter aux Efpagnols
toute erperance de pouvoir jamais faire décla-
rer leur Roy Protcdeur du Royaume de Fran-
ce, & de le rendre Maiftre du Gouvernement,
& des affaires de la Ligue, fous ce nouveau
Titre, comme les Seize, qui eftoient déjà tout
à iuy, le prétcndoient : il dît fort adroite-
ment en pleine AfTemblce, que comme il ne
s'agifToit que de la Religion dans cette guer-
re que la Sainte Union avoir entreprife, ce
leroit faire injure au Pape, que de fe mettre
lous une autre protcdlion que la fienne. Ce
qui fut fi agréablement rcceû de tout le mon-
de, excepté de la faiStion des Seize, qu'il fallut
enfin que les Elpagnols défîftaiTent de leur pour-
fuite.
>/*«. it u £t pour empefcher qu'on ne parlail plus d'é-
lire un autre Roy que le vieux Cardinal de Bour-
bon, fous le nom duquel il cftoit le maiftre, il fit
vérifier au Parlement l'Ordonnance du Confeil
Général de l'Union, par laquelle ce Cardinal ef-
toit déclaré Roy, & il le fit proclamer dans tou-
tes les villes du parti, en retenant toujours, par
cet Arreft du Parlement, la qualité & le pou-
voir de Lieutenant Général de la Couronne,
jufqu'à ce que ce Roy fuft délivré de fa prifon.
Et en mefme temps pour ruiner la faction des
Seize qui eftoit toute Eipagnole, il calTa le Con-
feil de l'Union, diiant que puis qu'il y avoitun
Roy proclamé, duquel il eltoit auili Lieutenant,
L I V R E I V. 38-7
il ne devoir plus y avoir d'aucrcConfeil que le 1^90.
fien, qui le devoir fuivre par tout.
Ainfî le Duc de Mayenne ayant pris
fous le nom d'un Roy chimérique, toute l'au-
torité Royale, & rcnverie tous les deflcins
des Efpagnols, le remit en campagne ; de après
avou- enrin receû à compofition le Chafteau
du Bois-dc-Vmcennes qu'on avoit invefti de-
puis plus d'un an, il reprit Pontoife & quel-
ques autres places qui empefchoient la liberté
du commerce. En fuite voulant regagner tous
les pafTages de la Seine, pour avoir par eau la
communication de Rouen & de la mer, il alla
mettre le fiegc devant le Fort dcMeulan, où il
perdit inutilement bien du temps, tandis que
le Légat, contre lequel le Parlement féant à
Tours fît un fanglant Arreft, travaiUoit à Pa-
ris de toute la force, pour empefcher qu'on ne
s'accommodaft avec le Roy , quand mefme il
fe convertiroit.
Pour cet effet, comme il vit que la fadion
des Seize & des Eipagnols eftant fort affoi-
blie depuis ce que le Duc de Mayenne avoit
fait contre eux, les Royaliftes, que l'on appel-
loit les Politiques, avoient repris cœur,& corn-
mencjoient à dire hautement qu'on efloit obli-
gé de fe réiinir avec les Catholiques qui fui-
voient le Roy : il leur oppofa ce que les Do-
âieurs fatlieuxvcnoient de déclarer contre eux
danslaSorbonnc le dixième de Février de cette
C C c ij
388 HiSfOTRE DE LÀ LiGUE.
fjj?o. année mil cinq cens ouarrc-vingt-dix. Carpar
ce D:crct on ordonne aux Dodteurs &: aux Ba-
cheliers, d'avoir en horreur,^ de combatre fortement
lii opinions pejii lentes , CT is damnabbs Jentimens
que les ouxr.ers d'i'iiciMte s'ejf.rçoient tous les jours de
f^ire z''(J-^ d-i'^s les <imes /impies, principalement ces
propojit.om : ^^e Henry de 'Bourbon pouioit^ devoit
ejire honoré du titre de Roji : Qu^il tji permis en con^
Cctence de tenir fon pc.rti , ^ de luy payer les Tailles;
Qr a'ion le powvoit reconnoijlre pour Koy, a condition
qu'il Je fit (Catholique ^ /^c. Ec l'on ajouftc , Que
Ji q-'.el.u'un refdfe d obéir a ce Décret, la Faculté
le déclare pernicieux à l'Eglife de Dieu , parjure ^
dt/obe'ifjant à Ja Ad ère , ç^ enfin le n tranche de
fon co'ps comme un membix pourri qui gaj}e les aU"
très.
Un Décret de cette force fut d'un grand fe-
cours aux zelcz de la Ligue , pour oller aux plus
fages la liberté qu'ils avoient prifc de porter le
peuple à faire la paix. Et le Légat, pour empef-
chcr qu'on n'olall plus la prendre, s'avila de
faire jurer de nouveau fur les Saints Evangiles,
entre fes mains, dans l'Eglile des Augullins, aux
OHiciers de la Ville &c aux Capitaines des quar-
tiers. Qu'ils perfenjereroiet.t toujours dans U Sainte
Union; qu'ils ne jèroient jamais m paix m tréije axec
le Hoji del\lavarre, ^ qu'ils emplcycroient Lurs biens
^ leur njie pour U deliirance de leur Rc^y Charles A',
ce que l'on fît pareillement jurer à tous les Ofti-
cicrs du Parlement & des autres Conipagnics,
Livre TV. 395? -.
fans que pcrfonnc olalt s'y oppofcr. Tanc la ij^o<
crainte avoïc prévalu en ce temps-là fur le cou-
rage & la vertu de ceux qui connoilïlmt & dc-
tcllant en leur amc l'injultice de ce Icrincnt,
dévoient plûtoft mourir que de le faire Llchc-
ment contre leur conlcicnce.
Mais la proipcntc des armes du Roy prépa-
roit cependant les voycs de les mettre un jour
en citât d'cllre heureuienicnt difpcniez par luy-
mefme du malheureux ferment auquel il cil
tour évident qu'ils ne pouvoicnt cllre oblicrcz.
Car après s'ertre rendu maiitre de toute laBalFe-
Normandie, il accourut au lecours du Fort de
Mculan, où il jetta plus de troupes qu'il n'en
falloit pour le défendre, & contraignit par là
le Duc de Mayenne d'en lever le liège. Puis
ayant pris de vive force, à fa vcûe, le Pont de
Poifly, il mena fon armée vidloneufe devant
Dreux 5 ce qui donna heu à la fameufc Bataille
d'Ivry.
Comme la prife de cette ville euft extrême- vi'ccurs ve^
- - e Pans, en luy rermant par la ,^,ii^ ^.^^,^_
l'entrée & le commerce de la Normandie, de '^^"" *' '*
la Beauce, & du Pais Chartrain, le Duc de L,t>r,^uKojf
Mayenne réfolut de la fecourir de toutes les "langr'Htd'
forces. Pour cet effet, ayant receû le lecours de ''^12'"'"''^
quinze cens Lances & de cinq cens Carabins, t)' Auhigr.û
que le Roy Philippe, qui publia en melmc
temps fon Manifeite pour jultifier fes armes,
fie donner à la Ligue par le Duc de Parme ^
CCc iij
3po Histoire de la Ligue.
I j5) o. fous la conduite du Comte d'Egmont, il pafla
la Seine fur le Pont de Mante, & s'avantja vers
Di'eux , en réfolution pourtant d'y jetter ieule-
ment du fecours, & de Te tenir toiàjours au-
dec^à de la rivière d'Eure, pour ne pas s'cxpofer
au hazard d'une bataille. Mais fur le faux avis
qu'il rcceiic de fes Coureurs , que le Roy , qui
avoir effetStivemcnt quitté le iîege pour le com-
batte, eftoit parti de Nonancour, en prenant
à gauche la route de Verneuïl , comme s'il euft
voulu retourner dans la Bafl'e - Normandie , il
fut obligé, malgré qu'il en cuft, par les clameurs
des hauts Officiers, & fur tout du jeune Comte
Philippe d'Egmont, de palTcr fur le Pont d'I-
vry, pour le pourfuivrc, & pour le combatte en
cette prétendue retraite.
Mais fî le Roy , qui ne fouhaitoit rien tant
que de le pouvoir joindre en raze campagne,
& ne le croyoït pas fi prclTé, fut agréablement
furpris d'apprendre qu'il avoir déjà paffé la ri-
vière : ce Duc le fut aufli bien fort, & d'u-
ne autre manière, voyant que bien loin de
tourner le dos, il venoit droit à luy en bon
; J ■ , ordre pour donner bataille , &c qu'il n'y avoir
' ' plus moyen de s'en dédire. Mais comme il ef-
toit déjà tard; que de moment en moment il
vcnoit au Roy de laNoblelfe & des foldats qui
accouroient des garnilons voifincs,pournepas
manquer à un jour de Bataille ; Se que le Duc
de Mayenne faifoit ferme de fon cofté pour
L I V R E I V. 3<)l
remarquer tous les avantages qu'il pourroit prcn- i ; ;> o.
dre : les deux armées qui n'clloient éloicrnccs
<jue d'une lieue l'une de l'autre , après quelques
Jec^eres cfcarmouches, fc retirèrent dans leurs lo-
gcmens, rélolues d'en venir aux mains le jour
fuivantj qui fut un Mecredy quatorzième du
mois de Mars.
Entre la rivière d'Eure & celle d'Itton qui *<■""• <'' i*
pafle par Evreux, il y a vis-à-vis d'Ivry une L'fn'/JuZ/
belle plaine d'environ une lieuë de lareeur, fans r" ^"'"i t'
hayes, fans roiTcz, fans buiiTons qui puifTent ''^""'•'■" '»
cmpefcher qu'on ne la traverie aifément de tous VAr-bi^'î.
collez , eftant bornée à l'Orient d'un petit bois ^'^"' ^''
& de la rivière d'Eure, fur laquelle eft le bourg
d'Ivry, &: à l'Occident des villages de Saint An-
dré & de Fourcanville ou le Roy s'eftoit logé
cette nuit -là. Ce fut en cette plaine que l'ar-
mée Royale & celle de la Ligue fe rangèrent prefl
cjue en meime temps fur les huit à neuf heures
en cet ordre. Le Roy s'ellant avancé cinq à
/îx cens Das devant les villages de Fourcanville
& de Saint André qu'il avoit à dos, forma fon
gros Eicadron de fîx cens chevaux en cinq rangs
chacun de fix-vingts, au premier defquels, ou
luy-mefme voulut combatte, il n'y avoit que
Princes, Ducs, Comtes, Marquis, Cordons
bleus & Grands Seigneurs, la pîufpart Catho-
liques, comme l'eftoit aufh la plus grande par- .
ne de Ton armée.
Car depuis qu'on eût vcûquela Ligue, pour
3pl HiSTOîkE DE LA LiGUE.
h S^7:
ïj5?o. fe maintenir, vouloir qu'on fe fill Efpagnol,
la Nobicfle Franc^oife qui avoit le cœur trop
généreux pour fouffrir qu'on luy pult jrimais
faire ce reproche, abandonnant ce parti, fe jet-
toit tous les jouis dans celuy du Roy. Il fc vit
ainfi bientoit en ei\at de triompher avec ces for-
ces de celles de la Ligue & de l'Efpagne, quand
mefme lî n'cuft pomt eu de Huguenots, qui
n'eiloient qu'en fort petit nombre dansfon ar-
ceyit, t. /, mée , en comparaifon de cette grande multitu-
de de foldats, & fur tout de Gentilshommes
Catholiques, qui accouroient à luy de toutes
parts, &: en faifoient prefque toute la force.
Et ce qui attira fur elle la protection du grand
Dieu des Armées, fut que le jour précèdent,
comme on vit que l'ennemi, qui avoit pafle la
rivière, ne pouvoir plus éviter la bataille, cz%
2hid. Princes , ces Seisneurs , ces Gentilshommes Ca-
tholiques, &: les foldats à leur exemple, affiflc-
rent tous à la Me{fc à Nonancour, & y com-
munièrent, pour fe préparer au combat, en (c
mumilant du Pain des forts &: des héros , com-
me ce divin Sacrement eft appelle dans l'Ecri-
ture. Le Roy de fon cofté, qui avoit déjà dans
l'ame de grandes dilpoiitions à le convertir,
proteiH ce jour -là meime à ces Princes &: a
jiid. ces Seigneurs, qu'il prioit ce grand Dieu, qui
feul pénètre dans le fond des cœurs pour en
découvriras intentions, de diipoler de luy en
cette fatale journée comme il jugeroic eilre nc-
ccifaire
L I V R E I V. 353
ccfTiirc pour le bien de route la Chrcftienré
6c en particulier pour le falut 6j pour le repos
de la France. ^
Ce fut avec ces beaux fentimens qu'il fe mit
le lendemain à la telle de Ton gros Efcadron de
fix cens chevaux. Il cftoit flanqué a droit d'un
gros Bataillon de deux Régimens SuilFes du
Canton de Soleure, & du Colonel Baltazard,
& à gauche d'un autre Bataillon des deux Ré-
gimcns du Canton de Clans & des Grifons j
ces Bataillons ayant pour les Touftenir, l'un i
h main droite les Régimens des Gardes &c de
Brigncux , & l'autre à la gauche ceux de Vi-
gnolles & de Saint Jean. Le Duc de Montpen-
iier les fuivoit en tirant fur la gauche, avec Ton
Efcadron de cinq à fix cens chevaux entre dcus:
Régimens, l'un de Lanfquenets, & l'autre de
Suiffes, couverts de deux troupes choifies en-
tre l'Infanterie Françoife. Le Marefchal d'An-
mont fermoit cette gauche, ayant dans fon Ef
cadron trois cens bons chevaux, deux Récri^
mens Francjois à les coftez, &c devant luy îes
Chevaux-Légers en deux troupes de deux cens
chevaux chacune , commandées par le Grand-
Prieur leur Colonel , & par Givry leur Maref^
chai de Camp. Et ceux-cy avoient à leur
droite , fur la mefme ligne , le Baron de Ei^
ron, qui avec fon Efcadron de deux cens
cinquante chevaux couvroit celuy du Duc de
Montpenficri & l'Arullene de quatre canons
DDd
i;5>o.
3^4 Histoire de la Ligue.
lypo. &c deux coulcvrincs cftoit placée fur leur gau-
che.
De l'autre cofté, leMarefchal de Biron, avec
deux cens cinquante chevaux &c deux Régimcns
François à fes codez, eftoic à la droite du gros
Efcadron du Roy, après les Régimens des Gar-
des & de Brigneux, mais un peu en arrière,
pour fervir de Corps de réferve i & le Comte
Thcodonc de Schomberg, qui commandoit
l'Efcadron desReitres, flanqué pareillement de
deux petits Corps d'Infanterie Françoife, fai-
foit la pointe droite un peu courbée en forme
de croilTant comme la o-^uche. Ainfî fut dif-
pofée l'armée Royale qui eftoit de neuf à dix
mille hommes de pied, & de deux mille fept ou
huit cens chevaux divilez en fcpt Elcadrons,
ayant chacun à leur tcfte un peloton d'enfans
perdus.
Celle de la Ligue parut en mefme temps, mais
en des poftcs un peu plus relevez & plus recu-
lez vers la rivière que ceux où elle eftoit le jour
précèdent, & fut rangée a peu prés en mefmc
ordre que l'armée Royale, excepte que comme
elle cftoit plus nombreufe, eftant de quatre à
cinq mille chevaux, & de douze mille hommes
de pied. Ces pointes beaucoup plus épaiffes s'a-
vançoient & fe courboientun peu plus, en fai-
fant un plus grand croifTant. Le Duc de Mayen-
ne avec la Cornette d'environ trois cens che-
vaux, auquel le Duc de Nemours [on frcrc utc»
L I V R E I V. 55>;
rin Ce joignit avec un pareil nombre de Gen- ij5>o.
darmes, le mit vis-à-vis de celle du Roy, au
milieu de Ion croisant , entre deux eros Efca-
drons, chacun de fix à lept cens lances de Fla-
mands & de Valons commandez par le Comte
d'Egmont. Ils eftoient flanquez à droit &c à
gauche de deux gros Bataillons de SuifTes des
Cantons Catholiques couverts d'Infanterie Fran=
çoife, & ayant à leurs flancs deux Efcadrons de
Carabins Valons.
Ceui-cy cftoicnt fuivis de deux autres Efca-
drons, l'un de cinq cens chevaux a la main
droite, & l'autre de trois à quatre cens à la /
gauche, où eftoit leur Artillerie, coniifl:ant en
deux coulevrincs & deux baftardes. La Cava-
lerie Légère commandée par le Baron de Rof-
ne, s'étendoit fur la mcfme main, devant un
gros Efcadron de Gendarmes qui la fouftenoir,
& deux Efcadrons de Reitres conduits par le
Duc de Brunfvic êc par BaiTompierre , eftoicnt
à la pointe droite avec le Régiment de Cava-
lerie du Chevalier d'Aumalc, qui le laiflâ com-
mander à Ton Lieutenant, pour fe ranger au-
près du Duc de Mayenne, dans ce formidable
gros de plus de dix - huit cens Lances qui de-
voit affronter l'Eicadron Royal plus toible
d'hommes de plus des deux tiers , &: qui n'a-
voit que le piltolet & l'épée, n'y ayant pas en
toute l'armée du Roy une ieule lance. Les Lanf^
qucnets de la Ligue, & le rcfte de ion Infante-
DDdiji
— BP'î Histoire de la Ligue.
r;5)o. ne FraïK^oile, furent partagez en pluiîcurs Ba-
taillons , qui comme ceux du Pvoy furent mis
aux tl.incs de leurs Elcadrons , entre leiquels Se
ces Bataillons on ne lailla pas alfcz d'intervalle
pour donner lieu aux Reitres de faire libre-
ment leur caracol : ce qui leur caufa du defor-
die.
Les deux armées rangées de la forte fur les
dix heures , le meiurerent quelque temps , fc
confiderant l'une l'autre en deux eftats bien
diiïerens. On ne voyoït en celle de la Ligue
qu'or & argent en broderie iur de magnifiques
cafaques d'écarlate & de velours de toutes for-
tes de couleurs, &: qu'une infinité de banderol-
les attachées a cette épailTeforeft de lances qui
menaçoient de renverier du premier choc ceux
qui en feroient rudement atteints, avant qu'ils
pulfcnt s'approcher chacun de ion homme, pour
hiy décharger, à coup feûr, ou pour luy appuyer
le piif olet. Celle du Roy tout au contraire n'a-
voit pour tout ornement que le fer, la joye qui
brilloit dans les yeux de tous les foldats allans
au combat comme à une vidoire certaine, &c
fur tout cette troupe invincible de deux à trois
mille Gentilshommes qu'il y avoit en cette ar-
mée, ôc à qui le Roy; armé comme eux de
fimpics armes, infpiroit par fa leulc preicncc
ôc par fes regards autant d'ardeur ôc de coura-
gc qu'il en failoit pour marcher fur le ventre
2. tout le rcile de la terre.
L I V R E I V. 3<)7
Cependant, comme il vit cpc s'il ne s'appro- ijpo»
choit plus prés des ennemis, il n'y auroit point
de Bataille, parce qu'ils eftoient réiolus de ne
pas quitter l'avantage de leur polie, il s'avança
vers eux de plus de cent cinquante pas, ne hiC-
fant entre les deux armées qu'autant d'cfpacc
qu'il en faut pour aller à la charge ; &c par ce
mouvement qu'il fit avec beaucoup de juge-
ment & d'adrclTe, en tirant un peu fur la gau-
che afin de prendre le dcflus du vent, qui euft
pu rcjetter toute la fumée des arqucbulades
iur Ton armée, il engagea tellement la partie,
qu'il falloïc neceflaircmcnt en fuite qu'elle fc
joLiaft.
Ce fut pour lors qu'ayant pris fon cafque,"
fur le cimier duquel il y avoit trois grandes
plumes blanches, qu'on pouvoit aiiément re-
marquer de loin, ellant monté fur un grand
ôc très-beau •cheval de Naplcs bay-brun parc
d'un luperbe panache qui le diftinguoit de tous
les autres, il fit une courte prière à Dieu, la-
quelle fut fuivie de grands cris de f^i've le Roy,
Car pour ces belles ôc longues harangues que
nos Hiftoriens font faire en ce moment à ce
grand Prince 6c au Duc de Mayenne à la telle
de leurs armées, elles ne fe firent alIcLuémcnt
jamais que dans les cabinets de ces Auteurs. Car
un de ceux qui combatirent à cette Bataille
nous affcûre qu'il ne parla que du gcile & des
yeux à ceux qui eftoicnt trop éloignez de iuy^
DDd li^
— — - — 3p8 Histoire de la Ligue.
jjpo. pour le pouvoir entendre, &c ne dit aux Sei-
gneurs du premier rang de Ton Efcadron que
ce peu de mots. Aies Compagnons, icilà nos enne-
mi que nous cherchions ^ allons à eux; Dieu eji pour
nous. Si i/ous perdc^ la 'veûë de 'vos Cornettes , ral-
lie:^-'Vous a mon panache blanc , 'vous le trowvereT^
AU chemin de l'honneur f0 de la 'vi^oire.
Pour le Duc de Mayenne, qui cftoit hc grand
Capitaine, & malgré toute la lenteur naturelle
brave foldat, quand il avoit une fois pris le par-
ti de combatte , il ne fit que montrer aux pre-
miers rangs de ion armée le Crucifix qu'un bon
Cordclier, qui fit la prière, portoit devant luy.
ïl voulut faire entendre par ce geftc, fans per-
dre dc3 paroles qu'on n'euft point du tout en-
tendues, que c'cftoit pour la Religion qu'ils
alloient combatte contre les Hérétiques , &: leurs
fauteurs ennemis déclarez de Jefus-Chrift & de
Ton Eglife.
Il n'eftoit pas loin de midy, lors qu'on vint
dire au Roy que Charles de Humiercs Marquis
«d'Encre, celuy qui fut en partie caufe de la vi-
ctoire de Senlis, n'cftoit qu'à un bon quart de
licu'é du Champ de bataille avec deux à trois
cens Gentilshommes qu'il amenoit de Picardie,
ou prefque toute la Noblefle qui avoit efté la
première à fîgner la Ligue, l'avoir abandon-
née. Mais pour ne pas laiifer ralentir l'ardeur
des foldats, qui ne demandoicnt qu'à joindre
au pliitoil l'ennemi^ il fe contenta de marquer
L I V R E I V. 35)9
l'endroit ou le (îeur de Vie Scrcrcnt de bataille i /5? o.
pollcroit ce nouvel efcadron, qui arriva encore
afl'ez toft pour fe iîgnaler en cette journée.
Gela fait , fans plus différer il donne le fignal ,
& le jeu commence par le canon, qui fut fi
promptcment & fi bien exécuté par l'ordre du
Grand - Maillre Philibert de la Guiche , qu'a-
vant que ccluy de la Ligue joûaft on tira neuf
canonades qui firent grand fracas, principale-
ment dans les Elcadrons des Reitres.
Ainfi, après qu'on eût encore tiré trois ou
quatre volées de part &c d'autre, deux c^ros Ef-
cadrons de François èc d'Italiens, ayant les Lanf-
quenets à leurs flancs , s'avancent, & vont à la
charge contre la pointe gauche de l'armée Roya-
le, pour fe mettre^à couvert de cette tempclte.
Mais leMarefchal d'Aumont qui cftoit à cette
pointe, ayant fait plus de la moitié du chemin
pour les rencontrer, les repouirc,leur fait mon-
trer la croupe, & les mené toujours battant
jufqu'à l'entrée de ce petit bois qui bornoit la
plaine, puis fc va remettre à Ion polie com-
me il en avoir ordre du Roy.
Tandis que ceux-cy (ont fi mal menez , les
Reitres de leur droite voulant gao-ner le canon,
duquel ils avoient elle les plus maltraitez, vont
charger les Chevaux-Légers du Roy avec tant
de furie, qu'ils les font d'abord reculer; ôc au
mefme temps deux autres cfcadrons de Flamans
Se de Valons les voyant ébranlez s'avancent
4<^o Histoire de la Ligue.
J50 pour les enfoncer. Mais le Baron de Biron d'un
cofté, &c de l'autre le Duc de Montpcnfier les
ayant pris par les flancs, les aricllent, les cn-
fcncenr, les percent; & les Chevaux- Lcgers,
aufquels ils avoient donné le temps de Te ral-
lier, eftanc retournez à la charge, les Reitres
reculent, abandonnant laichen.ent les Valons i
& n'ayant pu fe retirer, ou plijtoft fe fauver
par les intervalles qui elloient trop étroits, ils
fe renvcrfenr fur leurs gens, & mettent tout en
defordre, malgré tous les foins du Duc deBrunf
vie leur Colonel, qui ne put jamais les rallier,
&: s'alla jetter en fuite dans cet Efcadron de Va-
lons, aimant mieux périr glorieufemcnc avec
ces vaillans hommes qui furent envelopez &c
taillez en pièces, que de fuir avec les fiens.
On combatit ainfi avec afTez d'opiniaftrcté
de part & d'autre durant quelque temps, & tous
les Efcadrons des deux ailes furent à la charg-e.
ôc fe méfièrent, excepté ccluy du Marefchalde
Biron , qui avec fon Corps de rélerve fe tcnoit
toujours preft pour empefcher, comme il fit,
que l'ennemi ne puft faire aucun rallîmcnt. Mais
ce qui acheva de décider de la fortune de cette
grande journée, & d'afleûrer une pleine victoi-
re au Roy, fut cette valeur héroïque qu'il fit
paroiftre en combatant ce formidable Efca-
dron de dix -huit cens Lances, que le Duc de
Mayenne n'avoit rendu fi fort que pour don-
nci avec un fi grand avantage fur celuy du Roy,
ne
I
Livre TV. 401
ne doutant point que s'il le pouvoir rompre, la i ; ^ o.
vicVoire ne fuft à luy.
Comme il vit donc fcs Rcitres en déroute,
pour empefcher qu'ils ne le mifTent luy-mcfmc
en dcfordre en tombant fur Tes gens, il entraif-
na tout ce çrand corps après luy, & fît avan-
cer quatre cens Carabins choifis armez de plal-
trons & de morions, aufqucls le Comte de Ta-
vannes qui les conduifoit fit faire une déchar-
ge de vingt -cinq pas lur le premier rang de
l'Efcadron Royal pour Téclairciri & en mcfmc
temps le Duc , qui paroifToit à la telle du ficn
fur un cheval Turc , le plus beau qu'on vit ja-
mais, donne de furie, la lance baillée, fuivi de
toute cette groffe troupe, fur ceux qu'il croyoit
déjà bien fort ébranlez par une fi foudaine ôc
fi furieufe décharge. Ils fouftinrent pourtant
ce rude choc, demeurant toujours fermes fur la
felle; 6c il s'en trouva tel lur qui trois lances
rompirent, fans qu'il en quittait pour cela les
eftriers.
Mais ce qu'il y eût de plus admirable, fut
que le Roy qui partit du front de fonEicadron
deux fois la longueur de fon cheval avant tout
autre, s'alla jetter tefte baiffee , le pillolet au
poing, dans cette épaifle &c horrible foreft de
lances , & fe mcfla parmi les ennemis avec
tant de courage, qu'il leur fit bien ientir que
s'il fqavoïc donner les ordres en grand Capi-
taine, il les f(^aYoit exécuter en combatanc
EEc
401 Histoire de la Ligue.
ij^ o. comme un des plus vaillans hommes du mon*
de.
AufTi fut -il G. bien fuivi de tous Tes braves
4]u'un exemple fî merveilleux rendoit plus forts
que des lions, qu'après un bon quart d'heure
de combat à grands coups d'épée & de pifto-
let, dans cette fanglantc mcllée où les lances
croient inutiles, tout ce gros fut percé, rom-
pu, difïipé, taillé en pièces, ou mis en fuite,
fans que le Duc de Mayenne , qui fit ce jour-
là, au jugement mefmc du Roy, tout ce que
l'on pouvoit attendre d'un grand Général ôc
d'un brave foldat, les puft jamais rallier, quel-
que effort qu'il fift pour les arreller. De forte
que le voyant fur le point d'eftre cnvelopé, il
fe retira des derniers vers le Pont d'Ivry, qu'il
fit rompre , après l'avoir pafle avec la plus gran-
de partie des fuyards pour fe fauver à Mante j
les autres , avec le Duc de Nemours , le Cheva-
lier d'Aumale, Rofne, Tavannes ôc Baffom-
pierre , ayant pris le chemin de la plaine pour
gagner Chartres,
Cependant les vi<5torieux eftoicnt fort en
peine du Roy , qui avoit difparu dans ce gros
de dix -huit cens lances qu'il avoit enfoncé le
premier , lors que l'ayant apperceii revenant
i'épée haute toute fanglante, après avoir en-
core défait, au fortir d'une fi furieufe méfiée,
trois Cornctes de Valons qui eftoient rcftcz
çntre les deux Bataillons de SuilTcs, ôc s'en vc-
L I V R E I V. 405
noient droit à luy en dcfelperez, tout le Champ i y 5? o.
de Bataille retentit auflitoft d'une infinité de
cris de Vi've le Rfiy. Alors, comme la viâ:oirc
cftoit afTeûrée àc complète , n'y ayant plus fur
le champ que ces Suiflcs en eftat de combatrc,
car tout le reftc des gens de pied , & fur tout
les Lanfqucnets, abandonnez de la Cavalerie,
avoient elle hachez en pièces, excepté ceux qui
s'eftoient fauvez de bonne heure, le Roy, pour
gratifier les Cantons , leur fit grâce , à condi-
tion qu'ils garderoicnt déformais plus fidelle-
ment le Traité d'alliance qu'ils avoient fait avec
la Couronne de France, & ne ferviroicnt plus
contre luy. Après quoy il fe mit avec le Prin-^
ce de Conty, le Duc de Montpenfier, le Com-
te de Saint Paul, le Marefchal d'Aumont, tous
les autres Seigneurs & Gentilshommes, à la pour-
fuite des fuyards jufqu'à Rofny, laiffant le reftc
de l'armée, qui iuivoit au petit pas, ious la con-
duite du Marelchal de Biron.
Telle fut liiTuë de la fameufe Bataille d'Ivry,
où la Ligue perdit & fa réputation & fcs for-
ces. Prefque toute l'Infanterie de ce parti y fut
taillée en pièces, ou fe rendit. De la Cavalerie
il y en eût plus de quinze cens de tuez lur la
place,' ou de noyez au gué d'Ivry, qui eft tres-
daneereui. Le Comte d'Eo;mont Général des
troupes Elpagnoles, & Guillaume de Brunfvik
Colonel des Reitres, fils naturel du Duc Henry^
furent reconnus entre les morts , & peu après
EEe 13
404 HISTOIÊ.E DE LA LiGUE.
1/50. honorablement enterrez par l'ordre du Roy
dans l'Eglife d'Evreux. Outre les foldats Fran-
çois que le Roy voulut qu'on épargnait , & qui
prirent quartier parmi les troupes, on fit plus
de quatre cens pnionnicrs de marque, entre
lefquels eftoient un Comte d'Oort-Frife qui
combatit parmi les Reitres,le Baron d'Huren,
les fleurs de Medavid, de Bois -Dauphin, de
Cafteliere, de Fontaine Martel, de Sigognc,
qui ie rendit avec la Cornette Blanche àRofny,
qui fut depuis Duc de Sully, & plufieurs au-
tres Seigneurs &c Gentilshommes Eftrançcrs &C
Fran(^ois.
Le canon, les munitions, le bagage, le grand
Etendard des Flamands, vingt Cornetes, la Co-
lonelle des Reitres, & plus de foixante Enfei-
gnes de gens de pied , ians compter les vingt-
quatre Drapeaux des SuifTes que le Roy fit rap-
porter à leurs Supérieurs, furent les illuftres
marques d'une fi glorieufe vidoire, qui ne couf^
ta que très -peu de fang au vainqueur. Car il
ne demeura de perfonncs confiderablcs du coi^
te du Roy, queClermont d'Entragues Capitai-
ne des Gardes, qui fut tué prés de Sa Majefté,
le Comte de Schomberg, les fieurs de Feuquie-
res, de Crenay Cornete de Montpenfier, & de
Longaunay vieux Gentilhomme Normand de
ioixante & douze ans, qui fut l'unique que le
canon de la Ligue emporta, & vingt -cinq à
trcnce autrçs Gentilshommes qm furent la plui-
L I V ». 1 I V. 405
part tuez dans rElcadron du Roy. Il n'y en cûc i j^ o.
de blefl'cz que Franc^ois de Ddillon Comte du
Lude, fils de ce faire & vaillant Guy de Dail-
Ion Gouverneur de Poitou, qui défendit avec
tant de aloire Poitiers contre l'Admirai de Go-
ligny, & conlcrva la Province au Roy avec
tant de fidélité &c de valeur contre les Hugue-
nots & les Ligueurs dont il fut toujours le
grand ennemi i Henry de Laval Marquis de
Nèfle, le Comte de Choify , les iieurs d O, de
Rofny, Lauver^ne, Monloûet, &c une vingtaine
d'autres Gentilshommes qui cchaperent tous de
leurs blefleûres.
Ce qu'il y eût encore de plus merveilleux,
& qui marque le loin tout particulier que le
Ciel prenoit de favorifcr le bon droit de Sa
Majefté, c'efl que le mefme jour Jean Loûïs
de la Rochefoucaut Comte de Randan, Géné-
ral des troupes de la Ligue en Auvergne, qui
afliegeoit la ville d'Ifloire, perdit la vie &: (a
petite armée , laquelle fut entièrement défaite
par le Marquis de Curton Chef des Royaliltcs,
& que le fieur de Lanilac, qui vouloir furpren-
dre le Mans pour la Ligue, au parti de laquel-
le, après l'avoir abandonné, il s'eftoit de nou-
veau rangé, en fut bravement repouflé. Enfin
depuis ce temps-là le parti Royal remporta tou-
jours de grands avantages dans toutes les Pro-
vinces en une infinité d'occafions que je ne
dois pas décrire en particulier, puis que iwoïx
EEe iij
4o6 Histoire de là Ligue.
Spo. deffein n'a eftc que de m'attachcr feulement
aux parties les plus cflcntielles de la Ligue, pour
ne me pas engager trop avant dans l'Hiftoirc
de France , qui embrafle bien plus de chofcs
que celle que j'écris.
Suivant donc toujours ce deflein, ce que je
dois maintenant remarquer, c'eft que cette
grande victoire euft attiré dcilors la ruine en-
tière de la Ligue, fi après que Vcrnon & Man-
te fc furent rendus le lendcmam de la Bataille
au Roy, qui eftoit Maiftrc de tous lespaflagcs
de la Seine jufqu'à Paris , il fe fuft prcfenté avec
fon armée vidtorieufe devant cette Capitale de
fon Royaume, où il n'y avoit alors ni vivres,
ni munitions, ni Gouverneur, ni crcns de euer-
re, & où le peuple ie voyant dénué de toutes
chofes, eftoit fort ébranlé. Car il y a grande
apparence que les Politiques encouragez ôc par
fa vidioire Se par fa prclence l'euffent emporté
fur les Seize, &c qu'on luy euft ouvert les por-
tes. Auiîi c'eftoit-là le conieil que le fage
la Noûë luy donnoit : mais loit que le Ma-
refchal de Biron , qui n'avoit pas envie d'al-
ler fi toft planter des choux dans fon jardin ^
voulant tirer la guerre en longueur, luy euft
fait prendre une autre rélolution , ou qu'il
i'euft prife deluy-meime, ne fe croyant pas
encore afl'ez fort, il demeura quinze jours à
Mante lans rien entreprendre contre les Li-
gueurs, aufqucls il donna le loifir de fc recon-
Livre IV. 407
noiftrc, Se de fe mettre en cftat de luy ré/îlicr. i;p 0.
En clïct, les faufles nouvelles qu'on fcmoic
parmi le peuple , pour luy faire accroire que la
perte qu'on avoit faite n'eftoit pas fi grande
qu'on l'avoit crue j les Sermons des Prédica-
teurs, les promcflcs des Efpagnols, la prefence
du Légat &c de l'Archevefque de Lyon qui
s'eftoit depuis peu racheté de faprifon, & qui
fut fait Chancelier de la Ligue ; & le bon or-
dre que le Duc de Mayenne fit mettre à Paris,
où il jetta des troupes avant que de fortir de
Saint Denis, pour s'approcher des Païs-Bas d'où
il attendoit du fecours: toutes ces chofcsjdis-
jc, firent fi bien revenir les efprits de la frayeur
où ils eftoient auparavant , qu'il ne parut plus
d'émotion dans la ville, que tout y fut tran-
quille, &c qu'on s'y réfolut à le défendre juf-
ques à la dernière extrémité.
C'eft ce que l'on fit peu de temps après du-
rant le fieo-e de Paris de la manière du monde
la plus étonnante, & qu'on peut mettre au
nombre de ces évenemcns extraordinaires &
merveilleux, qu'on doit appeiler les miracles
del'Hiftoire, & que Tonne croiroit jamais, s'ils
n'cftoient appuyez d'une infinité de témoigna-
ges irréprochables. Car enfin, le Roy connoif^
Tant fort bien que la fin de la guerre, de de la
Ligue dépendoit de la prifc de Paris, réfolut
de ne plus diftcrer à prendre cette occaiion qu'il
croyoit avoir encore entre fcs mains, ne voyant
— — 4oS Histoire de la Ligue.
iS9 o. pas qu'il l'avoit déjà laifTé cchaper par un trop
long retardement. Il fortit donc de Mante le
dernier jour du mois de Mars avec Ton armée
qui eftoit alors de douze mille hommes de pied
& de trois à quatre mille chevaux , & dans le
mois d'Avril il le rendit maiftre de Corbcil,
deMelun, deBray,de Montereau-faut-Yonne,
de Lagny , de Beaumont fur Oife , de Provins,
& des Ponts de Saint Maur & de Charenton.
Une intelligence qu'il avoit dans Sens n'ayant
pas rcùfli, il y fit donner aifez brufquement deux
afTauts, où fcs e^ns furent visoureufement rc-
pouflcz par le Seigneur deChanvallon Jacques
de Harlay qui y commandoit pour la Ligue. Ce-
la pourtant n'empcfcha pas que ce grand Prince,
qui aimoit tous les grands hommes, ayant depuis
reconnu la force de fon efprit,&: fa fidehté invio-
lable à fon fervice, ne prift une trcs-grande con-
fiance en luy \ de forte mefme qu'il le mit auprès
du Duc de Lorraine, pour le maintenir tou-
jours, comme il ht par fcs fages confcils, dans
les interefts de la France. Or le Roy ne voulant
pas perdre plus de temps devant une ville fi bien
détendue, & dont la prife ne fcrvoit de rien
pour l'exécution de fon delTcin, voyant d'ail-
leurs, qu'avec les places &: les ponts dont il vc-
noit de s'emparer, il tenoit fermées les quatre
rivières qui font les nourrices de Paris, il y vint
mettre le liegc fur la fin du mois, fans plus
s'arreiler à certaines Conférences donc il crut
que
I
Livre IV. 405)
que la Ligue l'amuloic. Et pour avoir la liberté ijpo.
de courir la camv)ac;nc des deux coftcz de la ^'■'^'j":f''y
Seine, afin d'empclcher le paflap;c des vivres ■«/"'•««y.
... ^ 11 DHLtt4t/ivte
par terre, il jetta un pont de battcaux un peu i,c»ràin,u,
au defTous de Conflaas. Ainfi Pans fut bien- î;;^,!,'.',
tofl invefti de tous coftez. * ^■'"-^•
Quelques-uns, bc entre autres la Noue ^
la pluipart des Huguenots qui n'aimoicnt point
du tout les Panllcns, vouloient qu'on Tatta-
quaft de vive force, s'imaginant qu onTempor-
teroit aifément au premier aflaut, que le Bour-
geois, qui n'eftoit bon que derrière des barri-
cades, ne pourroit jamais fouftenir. Mais il pa-
rut alîcz aux elcarmouches qui le firent au com-
mencement du ficgc, & à certaines tentatives
qu'on voulut faire après en plus d'un endroit,
éc qui ne réuflirent pas, que ces Mefîicurs pre- ^^i't'«>» /.-
11 /• T -VT "■• 1 r Pierre Cit.
noient mal leurs melures. La Noue luy-melme, n„o
qui voulut d'abord infulter le fauxbourg Saint a^'/ti".
Martin , en fut rudement repoufle ; & il ap- «'/*"'"" ^'
prit par une bonne moulquetade qu'il rcceûc/"-'
a la cuille, de qui le mit hors de combat, qu on /«r,,^, ?ark.
avoir affaire à de braves gens, qu'on n'cuil pas t''^"'/^/^
emportez par alTauc à la breiche , ni par cica-
lade auili facilement qu'il le croyoit. Il n'y
avoit alors dans Paris qu'environ deux cens
trente mille perionnes, parce que prefquc la
moitié des habitans,iur l'appréhcnfion du fie-
ge, en elf oient fortis, &:que les plus riches Bour=
gcois, qui avoicnt eu le courage d'y demeurer^
FFf
4ÎO Histoire de la Ligue.
ijpo. a voient envoyé leurs femmes & leurs enfans
ailleurs. Mais une garnilon que les Parifiens y
avoient receûè de cinq à fix mille vieux (ot-
dats Efpagnols , Laniqucncts , Suiffes 6c Fran-
çois, &c cinquante mille Bourgeois bien armez,
èc fort réfolus de périr pour la défenfe de leur
Ville 6c de la Religion, pour laquelle ils cftoicnt
perfuadez qu'ils combatoient,n'euflcntpas cite
aifcment forcez par cette petite armée qui les
bloquoit pliuoft qu'elle ne les afliégeoir.
Et puis le jeune 6c vaillant Duc de Nemours
leur Gouverneur avoit admirablement bien
pourveû à tout durant plus d'un mois qu'il
avoit eu pour ie préparer à foultenir ce célè-
bre fiege, où il aquit par ion courage &par fa
bonne conduite toute la sloirc d'un vieux Gé-
néral. Car il avoit fortifié les endroits les plus
foiblcs , réparé les breichcs des murailles , re-
levé les remparts &c les terralTes , tiré de grands
rerranchemens & dedans 6c dehors à la telle des
fauxbourgs, préparé des chaiines & des ton-
neaux remplis de terre, pour faire des barrica-
des à toutes les rues, afin de pouvoir arrefter
par tout les ennemis qu'on alTommcroit cepen-
dant à coups de moufquet 6i de pierre par les
feneftres, après qu'ils leroient entrez dans la
ville. Il avoit fait terraifcr la plufpart des por-
tes, abbatre les maifons qui eulfent pu fervir
à l'ennemi , fondre 6c monter plus de foixantc
pièces de canon, qui furent diipofécs fur les
L' I V R E I V. 4ri
remparts, & fermé la rivicre au de {lu s & au 1590,
de/Tous, par de grofles chailhes louilcnues de
fortes ellacadcs, &c dcfcnducspar de bons corps
de f^arde , pour cmpclcher qu'on ne pufl fur-
prendre la ville, & y entrer par là quand l'eau
Icroit bafie. Enfin, il n'avoir rien oublie de
tout ce qui pourroit cllre necelfaire pour fc
bien défendre, & pour repoufTer la force par la
force.
C'eil pourquoy le Roy qui l'entcndoit mieux
que ceux qui écoutoient plus en cette rencon-
tre leur paiTion que la raifon, ne jugeant pas
que cette entrepriic puft rciiflir dans l'eftat où
cftoient les chofes, rejetta toujours leur confcil ;
outre qu'aimant en père les Sujets comme fes
enfans, ôc finguliercment Pans, comme il a
coiâjours fait, il ne put jamais fe réfoudre à
vouloir perdre le plus riche fleuron de la Cou-
ronne, & la plus belle ville du monde, en la
prenant par cette voye, qui l'eull expofée à la
fureur des crcns de o-uerrc, ôc lur tout des Hu-
guenots, qui pour le venger de la Saint Bar-
thélémy l'euflent dcfolce par le fer & par le
feu.
Il rcfolut donc de la prendre par famine ,
ne doutant point que tous les partages des vi-
vres eftant fermez, elle ne fuit bientoll: con-
trainte de fc rendre faute de pain. A la vérité
fa penice cftoit fort raiionnablc, &c ce qu'il
imaginoit dcvoit cllre félon toutes les apparen-
FFf 1;
»« 412- Histoire de la Ligue.
i/^o. CCS, fi Ton attente n'cuil eilé trompée par un
des plus admirables prodiges de conltance &c
de fermeté, & d'invincible patience dans des
excès inconcevables de miferes, que l'Hilloire
nous ait jamais reprefentez.
Je n'en feray pas icy une fort exa£tc defcri-
prion. C'eft allez que je dife ce que toute la
terre à fceû, que les vivres ordinaires, qu'on
avoir ménasez ôc diftnbuez avec grande œco-
nomie , furent confumez dans le mois de
■ Juin ; que les fauxbour^s ayant elle pris au
mois de Juillet, on fut refferré dans la ville
fans en pouvoir plus fortir pour chercher des
herbes, des feuilles &c des racines à la campa-
gne & dans les foflez; qu'après qu'on eût man-
gé les chevaux, les afnes, les chiens &les chats,
on fut réduit dans le mois d' Aouil aux rats, aux
fouris, aux peaux ôc aux cuirs, à une eipccc
mefme abominable de pain, qui au lieu de fa-
rine cftoic fait de la poudre des oflcmcns du
Cimetière Saint Innocent ; qu'il y en eût enfin
que cette horrible famine, qui fit mourir plus de
vingt mille perfonnes, porta jufqu'à renouvel-
1er les horreurs des fieges de Samarie &c de Je-
rufalem. Et néanmoins, ce que l'on ne peut
ailez admirer, ces Parifiens accouftumez à vi-
vre dans l'abondance, & mefmc dans la dcli-
catefTe, aimèrent mieux foulfrir jufqu'à la fin
une fi cruelle famine , ôc s'expofer à une mort
foincftc y dont ils avoient à tout moment de-
Livre I V. ■» 415 "•
vant les yeux les ima2;cs aftrcufes dans ceux i;po«
qu'ils voyoïent étendus dans les rues ou morts
ou mourans, que d'oûïr parler de fe rendre.
Il y a fans doute beaucoup de choies qui
contribuèrent à leur faire prendre une il forte
réiolution, & à iouifrir avec tant de courage &c
n lonç^- temps ces extrêmes miferes. L'exemple
des Princeffes & des plus grandes Dames, qui
fe contentant d'un peu de pain d'avoine , les
cxhortoient à fupporter génereufement un mal
qu'elles louffroient elles -mefmes fî conilam-
mcnt 6c il gayment. Le grand foin que prc-
noient les Chefs d'empefcher lesfeditions 3c les
tumultes , qui eftoient punis fur le champ par
l'exécution des plus mutins. La crainte qu'on
avoit des Seize , qui avoient repris dans la
ville leur première autorité , èc ne manquoient
pas de faire jetter aufTitoft dans la Seine, fans
autre forme de procès , ceux qui eftoient fuf-
ped:s d'intelligence avec le Roy , ou quiofoient
parler d'accord. Les grandes aumofnes qu'on
diftnbuoit tous les jours au pauvre peuple, par
l'ordre & aux dépens du Légat Caietan, de -, .:
l'Archevcfque deLyon,de l'Ambaifadeur d'Et
pagne, des plus riches Communautez, Se du
Cardinal de Gondy Evefquc de Pans, qui s'ei-
toit volontairement enfermé dans la ville pour
foulager ion pauvre troupeau. Les fauffes nou-
velles que la DucheUe de Montpeniier, tres-
f(^avante en cet art, faifoic adroitement courir
FFfiij
4H Histoire de la Ligue.
ijpo. tous les jours dans Paris, &l les afleûrances que
les lettres véritables ou fuppolécs de ion frerc
le Duc de Mayenne donnoient de temps en
temps d'un prompt fccours. Tout cela, dis-je,
JUe fervit pas peu à faire réfoudre le peuple à
une fî merveiileufc patience.
Mais après tout, il faut avouer franchement
que ce qui produifit plus que toute autre cho-
fe ce grand effet, fut le zcle de la Religion
qu'on infpira facilement aux Parifîens, &c le
grand loin qu'on prit de leur pcrfuader, com-
me on fît, que c'elloit la trahir &c s'expoicr à
un danger inévitable de la perdre, comme on
avoit fait en Ansleterrc, que de fe foumcttrc
a un Roy qui raiioit encore hautement prorel-
(îon du Calviniime. Car enfin que ne Ht -on.
pas pour les faire entrer dans ce ientiment, &
pour les animer en iuite à périr plûtoil mille
fois que de fe rendre à un Roy Hérétique?
D'abord on le fervit de la Sorbonne , dont les
jarif foBui. principaux membres cltoicnt les plus paliion-
tw.'rV- ^cz Ligueurs, qui, comme ils avoient opprimé
^.?^ _, , fa liberté, firent faire un nouveau Dccret du
Uitte.t.^. lepticmc de May, par lequel on déclare: Qite^
comme Henry de Bourbon ejlant Hérétique , fcUps, ^
nommément excommunié par noflre Saint Père , //
j> aurait danger évident qu'il ne trompaj} l'EgliJe , ^
ne ruiTuJi la Religion Catholique , s'il impetroit exte-
rieurementjon alJblution , les François font oblige:^ en
çonjcience d'empejcher de toute leur forte, qu'il ne par-
L I V R E I V. 415 ^
mienne à la Couronne , au cas aue le Roy Charles X. 1590.
lienne à mourir , ou mejme qu'il luj cède (on droit ;
^ que comme tous ceux qui favorijfènt Jbn parti font
dejert:urs de U Religion , & continuellement en pcché
mortel oui les rend dignes des jeux éternels , aujj'i
ceux qui perfe'vereront jufques à la mort À luy réfflerj
comme dêjènfeurs de U Foy , emporteront la palme du
Aiartyre.
Sur ce nouveau Décret on tint une Afièm- ».tUù,nt di
bléc générale à iHoftel de Ville , ou tous ;:;;. *^" "
ceux qui en furent jurèrent qu'ils mourroient
plûtolî de mille morts que de confentir ja-
mais à recevoir un Roy Hérétique. On rc-
nouvclla ce ferment beaucoup plus folennel-
Icmcnt encore fur les Saints Evangiles entre
les mains du Légat, au pied du grand Autel,
de l'Eglifc de Noftre- Dame, après une Pro- ^^
cefîîon générale, à laquelle, outre tous lesEc-
cleliaftiques , afliftercnt tous les Princes &: tou-
tes les Princeffes, toutes les Compagnies, les
Evefqucs & les Abbcz, les Colonels, les OflS-
cicrs, & toutes les perfonnes de qualité, fuivies
d'une infinité de peuple , & où l'on porta les
Châfics de toutes les Eglilcs de Paris. Ce fer-
ment rédigé par écrit fut porté dans toutes
les mailons par les Dixeniers qui obligèrent
tous les particuliers à le prefter. Le Parlement
fit en fuite un Arreft portant défcnfe , fur
peine de la vie, de parler d'aucune compoiî-
tion avec le Roy de Navarre. Et fur tout les
«" 4'ié Histoire de la Licue.
ijpo. Prédicateurs de laLi2;ue,aur(qucls le joignirent
le célèbre Panigarole Cordclier Evelque d'Aft,
6c le itjavant Jciuire Bcllarmin_, Théologiens du
Légat Caïe tan, qui ne manquèrent pas depref-
chcr comme les aucrcs tous les jours durant le
flege , encourageoicnt leurs Auditeurs à tout
fouffrir plûtoft que de fe foumettrc à un Héré-
tique, les afllûrant, conformément au Décret
de Sorbonne , que s'ils mouroient en cette oc-
cafion, ils mourroicnt pour laFoy,& auroicnt
la couronne du martyre.
Il arriva mclmc une chofc , qui toute ridi-
cule & bizarre qu'elle paroift, ne lailTa pas pour-
tant d'animer le peuple, & de le fortifier dans
la créance où il eftoit qu'on devoit combatte
c-»y«. iufqu'à la mort, pour empefcher qu'un Hérc-
r//i>/» Fi- tique ne ruit Roy de France. Car plus de douze
cens tant Ecclefiaftiques feculiers que Religieux,
entre leiqucls clloient les plus aufteres &c les
plus réformez , comme les Chartreux , les Mi-
nimes, les Capucins, & les FeuïUans, firent une
clpece démontre, marchant en ordre par les
rues, portant lur leurs habits ordinaires les ar-
mes dont fe fervent les tantailîns, ayant à leur
terte Guillaume Rôle Evclque de Senlis, & dans
un grand Etendard les images du Crucifix &c
de la Sainte Vierge , pour montrer que comme
il s'agiffoit de la Religion en cette guerre, leur
protelfion toute pacifique ne les difpenibit pas
de l'obligation qu'ils avoicnt de combatrc en
ce
iiftrt.
L I V R E I V. 417
ce cas comme les autres, ôc qu'ils efloient fort i;po.
réfolus de mourir avec eux pour la défcnfe de
h Foy.
Tout Paris accourut à ce fpecftacle, qui fail-
lit a eftrc funcfte à M. le Lccrat. Car s'eftant
arreftc dans Ton carrolfe au bout du PontNolVre-
Dame, pour voir paflcr cette efpece d'Eglifc
Militante , comme on luy voulut faire une fal-
ve pour l'honorer, un de ces bons Pères, qui
ne f(^avoit pas fans doute que le mouiquet qu'il
avoit emprunté de quelque Bourgeois ciloit
chargé à balle, tua bonnement & Tans y pen-
fer un de fes hommes qui eftoit à la portière j
ce qui obligea ce Prélat à fe retirer bien vifte.
Cela n'cmpefcha pas néanmoins que les Pari-
fîens voyant que leurs Confeil'eurs ôc leurs Di-
recteurs avoicnt pris les armes, ne cruflcnt qu'ils
ne le faifoient que parce qu'ils cftoicnt periua-
dez qu'il s'agiiToit de la Religion pour laquelle
il falloïc mourir.
Mais ce qui les confirma encore plus dans
cette créance, fut que le Roy, dont l'heure n'ef.
toit pas encore venue, ne voulut jamais qu'on
parlall: de fa converfion dans quelques pour-
parlers qu'on fift inutilement pour la paix. Et
quoy-que le Duc de Nemours, qu'il avoir in-
vité par une lettre fort obligeante à le foumct-
trc, puis qu'il avoir pleinement fatisfait à Ion
honneur, euif protcité qu'il ieroit le premier à,
luy cmbrailer les genoux, &c qu'il feroit en loi-
GGg
4i8 Histoire de la Ligue.
î ; 9 o. te que tout Paris le rcconnuft , pourvcû qu'il fc
fift Catholique, il rejetta toujours une propo-
Ction (i raifonnable. C'cft pourquoy, quelque
promefTe folenncUc qu'il filt de maintenir la
, Religion Catholique, les Parifiens à qui les Pré-
dicateurs , qui avoient tout pouvoir fur leurs
cfprits, reprefentoient fans cefTe l'exemple d'An-
gleterre , ne purent jamais fe rcfoudrc à s'y
ner.
Ainfi,eftantperfuadez qu'ils ne fc pouvoient
rendre i'ans perdre la Religion, ils eurent le
couraee d'attendre, en foutfrant les dernières
cxtrémitez, le grand fecours que le Duc de
Parme leur amena lur la fin du mois d'Aouft.
Et cet habile Prince, fans donner bataille, à la-
quelle le Roy, qui fut contraint de retirer tou-
tes fcs troupes de devant Paris, ne le put ja-
mais obliger, tant il s'eftoit bien retranché à
Claye, eût la gloire d'avoir exécuté en grand
Capitaine, de la manière qu'il luy plut, en
prenant Lagny à la veûc du Roy, & délivrant
Pans, ce pour quoy il cftoit venu. C'eft à l'Hil-
toire générale de France de décrire tout le dé-
tail de cette fameufc expédition : je diray feu-
lement, pour ne rien omettre de ce qui appar-
tient préciiement à celle que j'écris , qu'avant
que le Roy congédiait fa NoblefTe & partageait
fes troupes, comme il fit, en pluiieurs petits
Corps , il voulut faire encore une dcmicre ten-
-tative fur Pans.
L I V R E I V. 4i«>
Pour cet effet, la nuit duSamcdy auDiman- ïji>o.
che neuvième de Septembre, il fit couler trois
à quatre mille foldats choifis, avec une bonne
troupe de Cavalerie dans les fauxbourc^s Saint
Jacques 5c Saint Marceau, fous la conduite du
Comte de ChaftiUon , pour donner l'efcaladc
entre ces deux portes après minuit, tandis que
tout le monde dormiroit. Car il ne croyoit pas
que les Pariiiens, qui fçavoient que l'armcc
avoir cfté tout le Samedy en bataille dans la
plaine deBondy, deulTent fc tenir fur leur gar-
de de ce collé -là. Mais comme on avoir eu
quelque avis de ce deflein, ôc que d'ailleurs les
troupes ne purent entrer dans ces fauxbourgs
fans faire bien du bruit, on en prit auffitoil
l'alarme, on fonna le tocfîn par tout, ôc le
Bourgeois accourut en foule lur les remparts ^
principalement en cet endroit-là. Mais enfin,
comme après avoir attendu long-temps rien ne
parut, &: qu'on n'entendoit plus aucun bruit,
parce que les ennemis couverts des fauxbourgs
gardoient un profond filcnce fans remuer j on
prit cela pour une faulfe alarme. On ceiTa de
îonner, ôc chacun fe retira dans fa maiion, ex-
cepté dix Jcfuites , qui plus vigilans que les au-
tres demeurèrent fermes tout le reftc de la nuit fJ.T'&f/^'
dans ce pofte, qui n'ell: pas loin de leur Collège. ^^'^"'■
Cependant les foldats de ChaftiUon s'cftant
fort doucement coulez dans le foflé, commen-
cèrent fur les quatre heures du matin à planter
GGgij ^
4^'^ Histoire de la Ligue.
ï j 5) o. leurs échelles, à la faveur d'un grand brouillard
qui les couvroit, de forte qu'il eftoic impolli-
blc qu'on les découvnft. La partie cftoit fort
bien faite ; car on n'avoit befoin que de dix
ou douze foldats, qui s'eftant jettcz dans la
ville euflent ouvert la Porte Saint Marceau à
leurs troupes, par l'intelligence que l'on avoit
avec un Capitaine de ce quartier-là. Apres quoy
l'on fe full aifément rendu maillre de i'Univer-i
fîtéi& en fuite la Ville & la Cité euflent mieux
aimé s'accorder avec le Roy , que de voir Paris
devenu la proye de deux grandes armées, en
recevant, pour eftre fecourues, celle du Duc de
Parme par la Porte Saint Martin.
Mais la vigilance des dix Jefuites rompit de
fî juftes mefurcs. Car ayant entendu le bruit
que faifoient dans le fofle ceux qui appuyoienc
leurs échelles contre la muraille, Us fe mirent
à crier, y4ux armes, de toute leur force. Les fol-
dats néanmoins ne laiflcrent pas de monter j&
le premier qui fe fit voir tout preft à fe jetter
fur le rempart, parut jullcment à l'endroit où
cftoit un de ces bons Pcrcs, qui luy donna un
fi grand coup d'une vieille hallebarde qu'il te-
noit eftanc là en fentinelle, qu'il la luy rom-
pit en deux fur la tefte , &c le renverfa du haut
de l'échelle dans le fofle. Les Compagnons de
ce vaillant Jefuitc en firent autant à deux au-
tres, & un quatrième qui cftoit déjà monté,
^ tcnoic d'une main fon échelle pour dcfcen-
I' ï V R ï I V.7 . ^ : il 411
drc dans la ville, & de l'autre un grand couce- i 5po.
las pour fendre la teltc au premier qu'il ren-
contrcroit, fut arreftc par deux de ces Pères,
cjui avec chacun une pcrcuiianc le pouflcrent fi
vigourculement , que malgré tous les coups
qu'il leur portoit inutilement de trop loin, de
peur d'cftre enferré de ces pertuiianes, ils le
contraignirent enfin de quitter Ton échelle, &
l'ayant blefle à la ^orge, le firent tomber après
fcs compagnons dans le fofle.
Les deux premiers Bourgeois qui accoururent
au iecours, furent l'Avocat Guillaume Balden,
& le fameux Libraire Nicolas Nivelle. Ceux-
cy trouvant un de ces Jeiuitcs aux prifes avec
un foldat qui montoit malgré tous les foiblcs
efforts que ce pauvre Pcrc falloir pour l'en em-
pefcher, fc joignirent à luy, &c l'aidcrent à le
tucrj ôc l'Avocat fe tournant prelque en mcf-
me temps vers un autre qu'il apperceût déjà
monté, luy déchargea d'un revers de Ion cou-
telas un fi grand coup fur la main droite, qu'il
la luy coupa tout net , & luy fit fauter la mu-
raille. Cependant comme l'alarme avoir recom-
mencé fort chaudement, on courut de tous les
quartiers en cet endroit de la muraille. On jet-
ta force paille allumée dans le foflé, où l'on
découvrit aifément les troupes du Roy,Liqucl-
les abandonnant leurs échelles &: leur entrepri-
fc qui ne pouvoir plus réulfir, fc retirèrent au
gros de l'armée. . .
"GGgiij
4^1 Histoire de la Iigue.
: j «> o. Ainfî peu de chofc cmpelcha qu'on ne vint
à bout d'un fort grand defTcin. Car il eft cer-
tain que fi CCS dix Jciuitcs euffent fait comme
les Bourgeois, &c qu'ils s'en fuflcnt retournez
dormir dans leur Collège après la première alar-
me qu'on tint pour faufle , le Roy fuft entre ce
jour-là dans Pans. Mais la Providence Divine
avoir réfervé ce bonheur pour un temps plus
favorable à la Religion &: à la Ville, où le Roy-
vainqueur de la Ligue devoir entrer paifible-
ment, après avoir fait folcnnellcment profeflion
de la Foy Catholique.
• :• Cependant les aftaires de la Ligue bien loin
de s'avancer en fuite de cette expédition qui
fut très - gloriculc au Duc de Parme, furent
bientofl après réduites en plus mauvais cftat
qu'auparavant, par l'horrible divifion qui fc
mit dans le parti, & par la fage conduite du
Roy. Car voyant que c'cftoit en vain qu'il cf-
peroit de pouvoir attirer à la bataille l'enne-
mi , qui depuis la prife de La^ny s'eftoit fort
à. fon aifc & en feûretc étendu dans la Brie,
il renvoya une partie de fcs troupes fc ra-
fraifchir dans les Provinces voifines, ôc il mit
l'autre en garnilon dans les places qui pou-
voient encore empelcher le commerce avec les
Parifiens , &c principalement à Saint Denis,
qu'il avoit pris durant le fiege de Paris, ôc où
le Chevalier d'Aumale, qui faillit à repren-
dre cette place peu de temps après, fut tué
L t V R E IV.
4î3
comme il en cftoic déjà prelquc le maii- ij^o.
trc.
Luy cependant, avec un Camp volant, bat-
toit la campagne pour couper les vivres auxPa-
riilcns & à l'armée du Duc de Parme , qui
après avoir perdu bien du temps à prendre Cor-
beil, qu'on reprit bientoft fur la Ligue, fut
contraint de s'en retourner en Flandre , ayant
toujours à les trouflcs le Roy qui le liarccloic
fans cefl'e , & qui luy fit fouffrir de grandes in-
commoditez jufques fur la frontière d'Artois,
où il prit la peine de le reconduire. Il fit en
fuite une autre tentative fur Pans , qu'il penfa ^^^
furprendre par la Porte Saint Honoré avec for- j ^ „ j
ce charcttes chargées de farines , &: conduites
par de vaillans hommes déguifez en paifans.
Le ftratagême n'ayant pu réiiflir, parce qu'on
fe douta de l'entreprife , il ramafTa toutes fes ^""- ^' ^*
troupes, & alla mettre le liege devant Chartres,
qui, après une vigoureufe dcfenfe de plus de
deux mois, n'ayant pu recevoir aucun iecours
du Duc de Mayenne, fut enfin contraint de fc
rendre.
Ce fut particulièrement par la valeur, &: par
l'adrefTe & l'indullne du vaillant Comte de
ChaftiUon Colonel de l'Infanterie Françoife,
■que cette ville importante fut prile. Car ce jeu-
ne Seigneur, qui avoir autant d'elprit que de
courage, &c s'eftoit rendu tres-habilc, fur tout
dans les Mathématiques , trouva l'invention
4^4 Histoire de la Ligue.
1 55» I. d'un pont de bois , qu'il fit jcttcr par une nou-
cs^tt. yçjiç {onc de machine fur le fofle , & par Ic-
quel on alloit a couvert &ians danger julqu'au
pied d'une grande brciche qu'il avoir faite du
codé de Galardon. Apres quoy le ficur de la
Bourdaificre, qui s'cftoit bravement défendu
^jufques alors, ne voyant plus d'apparence de
pouvoir réfifter fans témérité, fit la capitula-
tion, que le Roy toujours généreux & toujours
grand amateur de la vertu dans fes ennemis
mefmes, Juy accorda très -honorable.
Ainfi Chaftillon, qui avoir toujours fi-bicn
fervi, fournit glorieulement la carrière dans la
fleur de fon â^e. Car enfin ce fut-là la dernière
des belles actions de ce brave Colonel de l'In-
fanterie Françoife, qui mourut peu de temps
après dans fa maifon de Chaftillon fur Loin,
de la maladie que luy avoient caufé les fati-
gues d'un ficge où il avoit aquis tant de gloi-
re. Il fut extrêmement rco;retc mefme des Ca-
tholiqucs, qui luy trouvoicnt de grandes dif-
pofitions à renoncer bientoft au Calvimfmc
dont il commcnçoit à le defabuier, quoy-quc
l'Admirai deColigny Ion père, très-grand Hu-
guenot, l'y euft Ibigneuiement inftruit. Mais
ce bonheur, dont il ne jouît pas, fut pour fon
cadet le Seigneur d'Andeiot, à qui Dieu l'a-
voit réicrvé, &: qui comme un autre Jacob
receût la bcncdi(^ion qui ne fut pas pour ion
aifnc.
AuiTi
L I V R E I V. 4iy
Auflî a-t-il cflé heureux dans Ta pofteritc, i jpi.
qui en Icrvant avec beaucoup de zèle le Roy
Se la Religion, a réparé le mal que l'Admirai
avoit fait par fa révolte contre l'un & l'autre.
Et c'eft afleûrément une grande marque de ce
bonheur, que nous ayions veû de nos jours les
troupes du Roy commandées par le Comte de
CoUgny pour le fecours de l'Empereur contre
les Turcs , remporter fur eux, à la mémora-
ble journée de Saint Godard, cette glorieufc
vidloire qui délivra l'Empire du danger évident
où il le trouvoit de tomber enfin fous la do-
mination de ces Infidelles.
Au rerte , ce dernier fervice que Chaftillon
rendit au Roy fut très - important pour l'heu-
reux fuccés des affaires de ce grand Prince, Car
comme il tenoit déjà les paffages de toutes les
rivières qui fe déchargent dans la Seine pour
amener des vivres à Pans, s'eftant de plus ren-
du maillre ablolu de la Beauce par la rédu-
ction de Chartres & des autres petites places
de la mefme Province , cette grande ville fe
trouva tout -à-coup comme invel^ie de tous
coflez en mcfme temps qu'il recevoit de toutes
parts les nouvelles des grands avantages qu'a-
yoicnt eus fur les Ligueurs, Lcldiguiercs en
Dauphiné, où il fut receû dans Grenoble j la
Valette en Provence ; le Marefchal de Matignon
en Guyenne, où Bordeaux qui s'eiloit mamte-
nu jufqu'alors dans une certaine efpecc de ncu-
HHh
, ^i6 Histoire de la Ligue.
ijtfi. traliré, rendit obéïflance au Roy, &c les Ducs
de Montpenfier & de Nevers en Normandie &
en Champagne,
CMjtt. Mais enfin ce qui acheva de ruiner entière-
ment la Ligue , que les armes du Roy avoient
déjà fî fort affoiblie, fut la furieufe divifion
qui fe' mit parmi Tes Chefs à cette occafion que
je vais dire. Le Duc de Parme avoir fort bien
reconnu que le Duc de Mayenne, dont il n'ef.
toit pas déjà trop fatisfait, vouloit bien fe fer-
vir des Efpagnols pour fe maintenir luy-mefmc
Se fon parti contre le Roy , mais non pas les
fervir pour les rendre maiftres du moins d'une
partie de la France, comme ils le prctendoient,
ou pour faire élire un nouveau Roy qui dé-
pendit d'eux , parce que le vieux Cardinal de
Bourbon eftoit mort depuis peu dans fa prifon
de Fontenay le Comte. C'eil pourquoy il ne
manqua pas de faire entendre au Roy Philippe
qu'il ne falloit plus compter lur ce Prince, qui
d'ailleurs avoir perdu beaucoup de Ion crédit
pour le mauvais fuccés de (es affaires, & qu'il
eftoit bien plus expédient de gagner les Com-
munautez des grandes villes, & fur tout les
Seize de Paris, qui pour fc remettre &c le main-
tenir dans l'autorité que le Duc de Mayenne
leur avoit oftée de nouveau, fcroicnt aifémcnt
tout ce qu'on voudroit.
Philippe luivit ce confeil, ôc les Seize, qui
haïlloient morrellemenc le Duc de Mayenne ,
I
Livre IV. 417
Ce voyant appuyez des Elpagnols, avec Icfqucls i j 5? i.
ils prirent de très -fortes & très -particulières
liaiibns, entreprirent tout ouvertement, quel-
que mépris qu'il fill de ces gens-la, de le réta-
blir, malcrré qu'il en cuft, dans leur première
autorité. Et ce qui leur haufla le courage, &c
les rendit encore plus hardis à exécuter les ré-
lolutions violentes qu'ils prirent, fut que Gré-
goire XIV. qu'on venoit d'élever au Souve-
rain Pontificat, le déclara pour eux, imitant en
cela les Efpacrnols, & prenant tout le contre-
pied de Sixte V. '
Ce Pape Sixte ^ qui avoit fi maltraité le cajfet. t.T.
Roy de Navarre par cette Bulle foudroyante ^
qu'il fit publier contre luy , & qui ne vouloit
pas enluite qu'il fuft Roy de France, avoit
bien changé de Icntiment après qu'il eût
clf é bien informé des affaires de ce Royaume.,
Car ayant fait de folidcs réflexions fur le
palfé, fans fe laiffer préoccuper, il avoit clai-
rement connu le grand mente du Roy , qu'ii
tafchoit alors de regagner àrEgliic par la dou-
ceur i l'ambition àcs Chefs de la Ligue y les
fourberies de leurs Agens , qui l'avoient h fou-
vent trompé par leurs faufles relations; & fur
tout les pernicieux deilcins des Elpagnols, qui
pour l'engager tellement avec eux qu'il ne s'en
puil dédire, vouloient à toute force qu'il ex-
communiaft tous les Catholiques qui iuivoienc
le Roy, ôc qu'il s'obligeaft par ferment à ne
HHh ij
■ ...—"■ 4-iî HisToi6.fi CE tA Ligue.
I j5 I, le recevoir jamais dans le fein de l'Eglife, quel-
que foumiffion qu'il luy puft faire.
Ils en vinrent mefme jurquà le menacer, s'il
ne le falloir , de protefter en pleine AlTembléc
contre luy , de de pourvoir par d'autres voyes
à la confervation de l'Eglife puis qu'il l'aban-
donnoit. Cela le mit fi fort en colère, comme
c'eft celuy de tous les Papes qui a efté le moins
capable de fouffrir de pareilles iniultcs, qu'op-
poiant menace à menace, il dît nettement à
A,'T>ot fur i'AmbalTadeur Olivares, qu'il luy feroit tran-
cher la tcfte, s'il avoit l'audace de pafTer outre :
ce qu'il fe garda bien de faire , f(^achant que de
« l'humeur dont eftoit Sixte, il ne l'euftpas man-
qué.
Il y en a mefme qui croyent que bien loin
de fe vouloir joindre à la Ligue contre le Roy,
comme les Efpagnols l'en foliicitoient fans cef-
fe, pour leur intereft, il avoit réfolu d'employer
les cinq millions d'or qu'il avoit amaffez du-
rant fon Pontificat dans le Chafteau Saint An-
ge, à leur faire la guerre, pour les chafTer du
Royaume de Naples. Mais la mort qui l'enle-
va foudainement le vingt-feptiéme d'Aouft de
l'année précédente , luy rompit toutes fes me-
furcs.
Les Ligueurs, qui ne gardoient aucune bien-
fcance, diffimulerent fi peu la joye qu'ils en eu-
rent, que la nouvelle en eilant arrivée a Paris le
cinquième de Septembre, Aubry Curé de Saint
L I V R E I V. 42<)
André des Arcs, homme écralcment foible & 155)1.
étourdi, l'annonçint au peuple dans ion Icr-
monjOla dire que cette mort clloit arrivée par
miracle entre les deux Fcftcs de Noitrc-Damc,
&C ajoufta ces propres mots: Dieu noi^s a dt4i- Thu/,>t.i.i»o:
'vre'Z d'un méchant Papc^ ç^r Politique: s'îleuj} njefcu Annot.fui h
^lus long-temps, on eufi ejlê bien étonné d'ouir prejcher'''"^*"''
dans Paru contre le Pape, ^ il l'eujl fillu faire. Voi-~
là comment ces Prédicateurs de la Ligue avoient
l'eiprit garté par leur pallion qu'ils communi-
quoient ailément au peuple, qui fuivoit bon-
nem.ent en aveugle ces malins aveugles auf-
quels il fe lailloit conduire , & qui le faifoienc
milerablemcnt tomber avec eux dans le pré-
cipice.
Grégoire XIV. Milanois, qui fut élevé au cayn:
Souverain Pontificat après Urbain VIL lequel
ne tint le Siège que treize jours, prit une con-
duite toute contraire à celle de Sixte V. Il fe
joignit aux Efpagnols, & fe déclara hautement
en faveur de la Ligue de la manière qu'ils vou-
lurent. Car laifTant là le Duc de Mayenne &
les autres Princes de la mailbn dont les Eipa-
gnols fe foucioient peu , il écrivit d'abord aux
Seize pour les encourager à perievercr conf-
ramment dans la rélolution qu'ils avoient tou-
jours témoignée de ne vouloir jamais fe fou-
mettre à Henry de Bourbon. Il leur promit
quinze mille écus par mois, pour tout autant
de temps qu'il jugeroit qu'ils en auroient be-
HHh 11]
430 Histoire de la Ligue.
ij5)i. foin, & une armée de douze mille hommes en-
tretenue a fcs dépens, qu'il leur envoya peu de
temps après fous la conduite d'Hercule Sfon-
drate fon neveu, qu'il fit Duc de Montemar-
ciano.
Et pour joindre les armes fpirituelles aux
temporelles, il fit porter en France par le Ré-
férendaire Marcelin Landriano Ton Nonce, un
Monitoirc, par lequel il excommunioit tous
les Prélats & tous les autres Ecclefiaftiques du.
parti du Roy, de les privoit de leurs Bénéfices,
il dans un certain temps fort court ils ne l'a-
bandonnoient, le retirant mefme des terres de
fonobéifiance^ il obligeoit laNoblcfTe, lesgens
de Robe &c le peuple à faire le mefme ■■, & en-
fin déclaroit Henry de Bourbon relaps, excom-
munié , ôc décheû du Royaume ôc de toutes fes
Seigneuries,
Il y a quelquefois des tonneres qui font grand
bruit &c ne font point du tout de mal , parce
que l'exhalaifon enflammée qui fort de la nue
s'évapore, (oit par fon peu de conlillence, foit
par une violente agitation de l'air qui la difii-
pe avant qu'elle arrive jufques à nous. De tous
les foudres qui ont eif é lancez du Vatican con-
tre les Princes, il s'en tr-ouvera peu qui ayentfait
autant de bruit que celuy-cy , qui fut accom-
pagné d'une armée quij'e devoit joindre aux
forces de la Ligue 6c de rEtpagne. Et néan-
moins il ne fit prcfque nul eifcr, par le foin
L I V R E I V. 431
qu'on prit de faire voir, en pluficurs écrits i;5)i.
qu'on fit courir par tout, les nullitez de cette ■;^'"^, 1' 'f
1 I . - / , . Cour de TarU-
Bulle, & par les visjoureules reiolutions du '»"''/'•'«' *
Conlcil du Roy , du Parlement féant à Tours Arreft it u
& à Chaalons, & du Clergé de France aflcm- ""ZtVct':.
blé à Mante, qui la condamnèrent comme abu- '"""' '"J*»»
iîvc chacun en fa manière. De forte que pas
un des Catholiques n'abandonna pour cela le
parti du Rov, dont on efperoit toujours la con-
verfion auflitoil: qu'il auroit la commodité de
fe faire inftruirc. Tant nos Anceilres eftoient
perfuadez que la puilfance des Papes comme
chefs de l'Êglife ne s'étend point du tout fur
le temporel , & beaucoup moins fur les droits
des Couronnes, & qu'elle ne peut rien ordon-
ner au préjudice de l'obéifTance & de la fidé-
lité qu'on doit aux Rois en toutes les chofes
qui ne font point manifeftement contre Dieu.
Il efl; vray que ce Parlement, qui eftoit à Paris
pour la Ligue, receijt cette Bulle, ôc qu'il caifa
les Arreits de Tours & de Chaalons. Mais il ■••"'-
cft évident qu'il n'eftoit pas libre , le trouvant
opprimé par la tyrannie des Seize, qui l'avoienc
comme enchaifné par la crainte d'eftre mené
encore un coup captif & en triomphe à la Baf-
tille. Ainfi ces efprits turbulens qu'on peut jui-
tement appeller les Seize Tyrans de Pans, fc
voyant appuyez de la protection du Pape d'une
manière \\ éclatante, en devinrent beaucoup
plus fiers & plus hardis à entreprendre contre
453^ Histoire de la Ligue.
«j^i. l'autorité du Duc de Mayenne ^ & leur fierté
s'accrut encore par une réponfe fort furpre-
nante que le Roy d'Efpagne fit aux Députez
des Princes Lorrains.
Ces Princes s'eflant aflemblez à Reims , ou
fe trouva le Cardinal de Pelvé, que le Duc de
Mayenne avoir fait pourvoir de rArchevefché
de cette ville, ne trouvèrent point, dans l'im-
puifLince où ils eftoient de réfillcr tout feuls
au Roy, d'autre moyen de fe fauver, que d'ob-
tenir du Roy Philipe, qu'il les aiTiilail de tou-
tes fes forces, afin qu'ils fuffent en eftat de
maintenir le Roy qu'on avoit réfolu d'élire dans
les Ertats Généraux qu'ils dévoient faire affem-
blerpour cet effet, chacun d'eux prétendant en
fon particulier à cet honneur, fans toutefois
que pas un d'eux ofall fe déclarer ouvertement,
de peur de s'attirer l'inimitié de fes rivaux ,
qui ne manqueroient pas de s'unir tous enfem-
ble contre luy pour luy donner l'exclufion.
Mémoires de Celuv QUc l'on choifit Dout iieçTotier en EC
pagne, rut ie célèbre Pierre Jannin Prelident
au Parlement de Bourcroane , homme d'une
grande probité , d'un fens exquis , d'une rare
prudence, &: d'une fidélité inviolable, qui luy
avoit aquis toute la confidence du Duc de
Mayenne, auquel, & en fuite au parti de la Li-
gue, il s'ell:oit attaché de bonne foy pour le
bien de la Religion ^ de l'Eftat. Car d'une
part il ne croyoït pas qu'on puil conferver en
France
L I V R E I V. 433
France la Religion fi le Roy n'cfloit Catholi- i jp i.
que, il prétcndoit donc qu'il le fuftj & de
l'autre eftant bon François, il vouloit bicncom-
me Ton Maiftre, fe fervir des Efpagnols pour
venir à fes fins , mais non pas les fervir pour
favoriier dans la moindre chofe leurs injuftes
prétentions au préjudice de l'Eftar.
Eftant tel que je viens de dire, il ne luy fut '
pas difficile de découvrir les intentions de Phi-
lippe, qui fe tenant affeilrc des Seize, dont il
croyoit la faction bien plus puiflante qu'elle
ne l'eftoit en effet, s'avanc^a jufqu'à faire enten-
dre fort clairement ce que cette prudence ex-
quife dont il le piquoit le devoit obliger en
bonne politique de tenir encore caché, en at-
tendant l'occafion de le faire connoiiVc, quand
il auroit dilpofe toutes chofes pour exécuter ce
qu'il prétendoit. Après que le Préfident luy ciit
xeprefenté dans les audiances qu'il cîlt, les necet
iitez de la foibleffe de la Ligue, les forces & les
progrés du Roy, l'extrême danger où eftoit la
Religion, de la gloire immortelle qu'il auroit
de l'avoir confervée dans le Royaume Tres-
Chreftien, par les fccours qu'on attendoïc de
fon zèle &c de fa puiffance : ce Prince qui vou-
loir vendre ion fecours à un plus haut prix que
celuy de la gloire fans profit, s'ouvrit là-dellus
fans façon d'une manière affez furprenante.
Car il luy fit dire par le Secrétaire Dom Jean
d'Ydiaqucz, qu'il ayçit réfolu de marier l'Ia-.
^ ' . Ili
fyfi^
—- — — 434 Histoire oe la Ligue.
ijpi. fante Ifabelle fa fille unique à l'Archiduc Er-
neft, &c de luy donner en doc les Païs-Bas j &
puis que pour conferver en France la Religion
il falloir avoir un Roy Catholique , qu'on ne
pouvoir mieux choilir que cette PrinceiTe, qui
comme nièce des trois derniers Rois, & peti-
te fille de Henry 1 1, eftoit fans contredit plus
proche d'eux que les Bourbons j qu'avec elle on
réiinifToit tous les Païs-Bas à la Couronne j &
qu'ayant outre cela toutes les forces de la Mai-
fon d'Auftriche pour la fecôurir , on auroit
bientoft exterminé les Hérétiques, & chafTé du
Royaume le Prince de Bearn.
Le Préfident ravi d'avoir dans cette étran-
ge propofition de quoy defabufer entière-
ment le Duc de Mayenne, & le confirmer dans
les bons fcntimens que le fieur de Ville - Roy
luy avoir infpircz, répondit avec tant d'adreflè
au Roy Philippe , qu'en luy oppofant affez dou-
cement la Loy Sahque , il ne luy ofta pas pour-
tant l'efperancc de réiiflir en fon delfein. De
forte qu'il tira de luy la promclfe d'un grand
fecours d'hommes & d'argent, qu'il ne manqua
pas de fournir peu de temps après. Et le Duc
apprenant que félon cet ambitieux deflein des
Efpagnols il ne pourroit jamais prétendre à la
Royauté, fit en fuite tout ce qu'il put pour
rompre toutes leurs mcfures, &pour empeicher
qu'on n'éleuft pour Roy, non pas mefme un
Prince de fa Maifon qui pull époufcr cette la-
.yitviit.
L I V R E I V. 43;
fantc. Au contraire, les Seize qui s'eftoient tout i y 5» i.
dévouez aux Elpagnols pour en eftre puiflam- ^'"'-^ ''/ '*
ment protégez contre luy , écrivirent au Roy f- ***•
Prulippe, par un certain Père Matliieu,autrc que jf/uiuicontri
le Jeiuite, une grande Lettre, dont l'origmal ÏX»â«^*
intercepté prés de Lyon fut apporté au Roy, c»y^"-^>
de dans laquelle , après avoir rendu très - hum-
bles grâces à Sa Majefté Catholique pour tant
de bienfaits qu'ils en ont receûs, ilsla lupplient,
il elle réfute d'accepter la Couronne de Fran-
ce, de leur donner un Roy de fa Maifon, ou
quelque autre Prince qu'il luy plaira de choifîr
pour ion gendre.
De plus, la divifion qui fe mit entre le Duc
de Mayenne ôc les plus proches parens accrut
de beaucoup la puiffance, de en fuite la har-
dielTe &c l'iniolence de ces fatlieux. Car d'une
part le Duc de Nemours extrêmement irrité
de ce qu'après avoir fi bien défendu Paris , il
luy avoit refufé le Gouvernement de Nor-
mandie, où il prétendoit s'ériger en Souverain,
comme le Duc de Mercœur en Bretagne, s'en
eftoit retourné avec une bonne partie des trou-
pes dans le Lyonnois^ & par l'intelligence qu'il
entretenoit avec les Seize, il faiioit tout Ion
pollible pour le iupplanter, & occuper fa place
en fe faiiantChcf du parti. D^ l'autre, le jeune
Duc de Guiie, qui s'elloit fauve du Chalteau
de Tours où il elloit détenu pnfonmer, ayant
efté rcceû avec de grandes acclamations des
lli ij
■ • 43<î Histoire de la Ligué.
ijpi- Ligueurs, qui crurent avoir retrouvé dans luy
fon défunt pcre leur grand Protedeur, luy don-
na beaucoup d'inquiétude &: de jaloufie, prin-
cipalement quand il vit que ce grand nom
de Guife, fi révéré des Parifîens, luy attiroit
en foule non feulement le peuple , mais aulïï
la Noblefle de la Ligue, & fur tout qu'il s'ef-
toit lié très -étroitement avec la fadion des
Seize , qui furent ravis de l'avoir à leur teftc ,
pour l'oppoier à fon oncle leur ennemi. Tout
cela mis enfemble leur enfla tellement le cœur,
& les rendit ii excefTivement audacieux, qu'ils
réfolurent de fe défaire de tous ceux qui pou-
voient empefcher qu'ils ne fuffent abfolument
les Maiftrcs dans Paris.
Pour cet effet, ils s'avifcrent de drcffer une
nouvelle forme de jurement qui excluoit de
la Couronne tous les Princes du Sang, &c le
prefcntant à ceux qu'ils fcjavoient elfre trop
gens de bien pour le figner, ils s'emparoicnc
de leurs biens, & les banniffoient. Enfin, après
avoir chaffé par cette déteftable voye tous ceux
qui leur eftoient fufpedts, &: mefme le Cardi-
nal de Gondy leur Evcfque , qui, avec les Cu-
^V' jt h ^^^ ^^ S:\.mt Merry àc de Saint Euftache, tal^
ug. t. s. choit de difpofer doucement le peuple à ren-
^tjt. , rxn. ^^^^ j^^^ ^^^ devoir : ils firent l'adtion du mon-
de la plus inhumaine & la plus barbare, & qui
par un jufte jugement de Dieu & des hommes
fit enfin pcrir une ii malheureufe fadion.
L I V R E I V. 437
Car pour intimider le Parlement qui s'on- ijpr.
pofoit à leurs injuiles &: violentes entrcprifcs.
Se qui venoit d'abloudre un de ceux qu'ils avoicnt
acculé d'intelligence avec les Royalilles, & pour
fe venger du Préiident BrilTon qui avoit aver-
ti le Duc de Mayenne que ces fcelerats avoient
écrit au Roy d'Efpagne pour luy déférer la
Couronne : ils le faiiircnt le quinzième de No-
vembre de srand matin de cet illurtre Préfî-
dent, &c des iieurs LarchcrConleiiler au Parle-
ment, & Tardif ConfeiUer auChalfelet fescon-
iidens, les menèrent l'un après l'autre au petit
Challclet -, &c là, les ayant déclarez de leur au-
torité privée, fans autre forme de procès, at-
teints & convaincus de trahifon, pour avoir
favorifé le parti du Roy de Navarre, ils les fi-
rent pendre à une poutre de la chambre du
Confeil,&: les firent attacher le lendemain à trois
potences en la place de Grève, ayant chacun
un écriteau portant qu'ils eftoient traiftrcs à •
la patrie &c fauteurs d'Hérétiques.
Ils crurent par là faire en forte que le peuple
s'imaginant qu'on l'auroit voulu vendre aux
ennemis, approuvait leur aélion. Mais au con-
traire , il frémit d'horreur à la veiié d'un fi pi-
toyable fpcdbacle. Ceux mefmc de leur faction
détciterent une fî horrible cruauté , & il n'y
eût perionne qui ne crult avoir heu de crain-
dre pour fa propre vie, qui feroit cxpofée à
tous momcns à la fureur de ces Tyrans, fi l'eu
II 1 iij
43^ Histoire DE' LA LfcuE.
I j^ I. n'arreftoit promptement le. cours, ou plûtoft le
débordement d'une fi effroyable violence. C'eft
pourquoy, comme le Duc de Mayenne, qui ef^
toit à Laon, eût appris qu'on eftoit fî fort ir-
rité contre ces furieux, qui difoient mefmc hau-
tement qu'il luy en falloit faire autant qu'aux
autres: il crut enfin qu'il pourroit les punir,
fans crainte que le peuple fe foulevaft en leur
faveur. Sur quoy il entre dans Paris avec ce
qu'il avoir de troupes, contraint BufTy le Clerc
de luy remettre la Baftille entre les mains , 6c
après avoir endormi durant quelques jours ces
factieux, qui crurent qu'il ie contenteroit d'une
réprimande qu'il leur lit dans l'Hoftel de Ville,
leur ordonnant d'eilre plus modérez à l'avenir,
il en condamna neuf à la mort fans garder les
formalitez.
Quatre de ceux-cy, fqavoir Amelinc, Emo-
nor, Anroux, & le Commiffaire Louchard qu'on
alla prendre le quatrième de Décembre de grand
matin dans leur mailon, furent menez au Lou-
vre, où le Duc de Mayenne, à ce qu'on leur
dit, leur vouloit parler: mais en y entrant ils
trouvèrent le fieur deVitry qui leur fit lire leur
Sentence, de en mefme temps le Bourreau qui
cftoit là tout preft avec fes valets, les cordes ô^
fon échelle, les pendit tous quatre à une des
poutres de la falle des Suiiles. Les autres cinq,
entre lelquels eftoitBully le Clerc, ayant eu. le
vent qu'on les vouloir prendre, fe fauvcrent en
L I V R 1 I V. 43^
Flandres, où ils périrent de miferes, abandon- 1551.
nez de tout le monde.
On le contenta de punir les autres par la
bourle, & l'on tira d'eux l'argent qu'ils avoienc
volé en exerçant leur tyrannie avec autant de
brigandage que de cruauté. Et pour couper la
racine du mal qui provenoit de la liberté que
les Seize prcnoient de s'afTembler comme ils
faifoient, particulièrement chez les Curez Bou-
cher & Pelletier, & de faire prendre les armes
aux Bourgeois qui n'ofoient leur contredire, il
fît vérifier au Parlement & publier une Ordon-
nance, par laquelle il eftoit défendu, fur peine
de la vie , à toutes fortes de perfonnes , ôc fur
tout à ceux qui s'eftoient appeliez le Confeil
des Seize, de tenir aucune Affemblée. Et tous
les officiers, Colonels, Capitaines, Lieutenans,
Enfeignes de la Ville, & les plus notables Bour-
geois s'ellant joints à luy, pour ofter à cette
maudite race de factieux tout pouvoir de nuire
au public &c aux particuliers, ils jurèrent tous,
ôc promirent à Dieu fur les Saints Evangiles,
de ne prendre, ni foufïrir qu'on prenne les ar-
mes, ou qu'on s'afTemble, finon de l'autorité
du Duc de Mayenne, du Gouverneur de Paris,
ou des Prevoll: des Marchands & Elchevins
qui eftoient tout à luy ■■, de courir fus à ceux
qui oferoient s'armer ou s'afTembler, &c de les
traiter comme des traiflres, des fediticux ÔC
des criminels de leze-MajclU divine & humai-
— ^— 440 Histoire dé la Ligue.
ij^i. ne; & s'ils découvrent quelque entreprife &
conjuration fecrcte, d'en avertir les M-igiftrats,
afin qu'on en punilTe les auteurs & les compli-
ces, & qu'on puifTe vivre en repos & enfeûretc
fous la crainte de Dieu & des Loix.
J'ay veû dans la Bibliothèque de M. Colberr,
remplie d'une infinité d'excellens manufcrits ôc
de pièces très -authentiques, l'Original de ce
ferment en parchemin, figné de cinq cens cin-
quante-huit perfonnes, dont deux cens foixante-
quatre fignerent le cinquième de Décembre,
le lendemain de l'exécution des quatre qu'on
pendit au Louvre, & le refte figna le vingt-
troifiéme de Décembre & le dixième de Janvier
de l'année fuivante. Ce fut- là le coup fatal
qui abbatit la faction des Seize, laquelle depuis
ce temps-là fut fi bien delarmée &c affoiblic,
qu'elle ne put ou n'ofa plus rien entreprendre;
ce qui fut une des principales cauies de la li-
berté, & en fuite de la réduction paifiblc de
Paris à l'obéiflance du Roy,
C'eft pourquoy je croy qu'on fera bien-aifc
de fcjavoir les noms de quelques-uns de ceux
qui par le grand zelc qu'ils témoignèrent en
cette occafion , pour aifeûrer le repos Se la li-
berté de Paris, eurent le bonheur & la gloire
d'avoir beaucoup contribué à l'accomplifTe-
jnent d'un fi grand bien. Je ne pourrois mettre
icy plus de cinq cens noms fans ennuyer mon
Ic^eur, qui fc cojitcntera de ce peu que j'ay
choifij
Livre IV. '441
choi/is parmi un fi gond nombre, parce qu'ils ijpi.
m'ont icmblc les plus connus & les plus diftin-
C^ucz. NicolaVjThicrdiult, le Fcvrc, Lhuillier,
Parfait, RouïUard, Pafquicr, Boulanger, Blon-
del, Rolland, Hébert, de Comingcs, Amelot,
d'Aubray,&: P. le TcUier.
Le Duc de Mayenne ayant ainfi rétabli Ton viovin. dt
autorité & la leûreté dans Paris, par l'abbaillc- ""'"'
ment, ou plûtoft par la ruine entière desSeize^
voulut auiïi réparer la perte que le Parlement,
qui n'avoit plus de Chef, avoit faite de fon
unique Préfidcnt ; & agiflant en Maiftre abiblu
& en Souverain, il en créa quatre nouveaux
entre ceux qu'il croyoit eftre entièrement àluy,
ne doutant point qu'Us ne dcuifent s'employer
en toutes les occafions pour maintenir toujours
cette Compagnie dans les intcrefts. Apres quoy
il fut obligé de fe mettre en campagne, & de
mendier comme auparavant du fecours des
Elpagnols contre le Roy, qui après avoir fait
de grands progrés pendant les troubles & les
divifions qui penferent deflors ruiner le parti
de la Lio;ue, avoit mis le fiese devant Rouen,
Il avoit déjà pris Noyon à la veûë de l'ar-
mée ennemie qui cftoit alors plus forte que la
fiennc. Et comme il eût rcceû le fecours d'ar-
gent & de trois mille Anglois que le Comte
d'Efl'ex, favori de la Reine d'Angleterre, luy
avoit amenez, il alla joindre avec douze cens
cheva4ix , fur la frontière , dans les plaines de
' 44"^ Histoire de la Ligue.
I j5> I, Vandy , cinq à fix mille Reitres & plus de dfx
mille Lanfquenets que le Vicomte de Turen-
ne luy avoit amenez d'Allemagne, où il nego-
tia fî bien avec les trois Eledeurs Proteftans,
3c Guillaume Lantgrave de HelTe, qu'il en ob-
tint un fecours fi confiderable , malgré tous
les efforts que l'Empereur Rodolphe fit inuti-
lement pour l'empelcher.^ Aufli cet important
fcrvice, joint à ceux qu'il avoit toujours ren-
dus en mille autres occafions depuis plus de dix-
huit ans qu'il fervoit le Roy, fut récompenfé
iur le champ par ce grand Prince, qui, après
luy avoir donné le bafton de Marefchal de Fran-
ce, le fit Duc de Bouillon &c Prince Souverain
de Sedan, en luy faiiant époufer la Princefle
Charlotte de la Mark, fccur de héritière du dé-
funt Duc. Et pour faire connoiftre au Roy
qu'il vouloir mériter l'honneur que Sa Majefiic
luy faifoit, & ce qu'on dcvoit attendre de luy
dans fa nouvelle dignité, il fit comme David, qui
n époufa la fille de Saiil qu'après avoir tué cent
..Philiftins. Car pour fe préparer à fon mariage
d'une manière à peu prés femblable à celle de
ce Héros facré, il alla prendre la ville de Stenay
.par cfcalade la veille de fes nopces.
Le Roy donc le trouvant fortifié d'un fe-
cours fi confiderable, s'alla rejoindre au gros
de fon armée devant Rouen que le Marefchal
de Biron avoit invefti. Si cette ville fut bien
attaquée, elle fut encore mieux défendue du*
Livre IV.
445
rant pies de fix mois par André Braficas de ijpi.
A^illars , qui fur depuis Admirai de France , & ^/'"f" ''."
ciloic alors Lieutenant General en Normandie, a^"» <'' '-
& Gouverneur de Rouen & du Havre pour la c»y'tt'. '&i.
Ligue. Il fit en cette occafion tout ce qu'on
peut louhaiter d'un grand Capitaine pour la
dcfenfe d'une placer & par une fi longue & fi
vitroureuic réfiilance, il donna deux fois le loi-
fir au Duc de Mayenne de luy amener le ie-
cours qu'il avoir obtenu des Elpagnols. Ce fut —
avec bien de la peine qu'il l'obtint: mais en- Ann.
fin comme il eût adroitement donné aux Mi- ^;5 J--
niftres du Roy d'Etpagne une faulTe efperance
de faire tomber l'élection qu'on prétendoit
faire d'un Roy lur leur Infante, ce qu'ils fou-
haitoient pafTionnément , le Duc de Parme re-
ceût des ordres il précis d'entrer une féconde
fois en France pour fecourir Rouen, qu'il luy
fut impoÏÏible de s'en dilpenfer, comme il l'euil
bien voulu.
Il marcha donc, mais lentement ^ avec une
fort belle armée de treize à quatorze mille
hommes tous vieux foldats Efpagnols &: Va-
lons, & fept à huit mille Franc^ois , Lorrains, &
Italiens, de ce qui relloit de troupes aux Ducs
de Mayenne 6>: de Montmarcien. Le Roy vou-
lut aller au-devant d'eux avec une partie de fa
Cavalerie pour les harceler fur leur marche, &;
s'avan<^a jufqu'à Aumale pour leur difputer ce
pafTagc. Mais comme il vit qu'il n'avoit pas>.
K K k ij
444 HistoïRE Di LA Ligue.
ijpi. affcz de gens pour le défendre, & que toute
l'armée qu'il efloit allé reconnoiftre luy-mefl-
me, 61: qui s'en venoit fondre fur luy le pou-
voir aifément envelopcr en paffant le ruiffeau
au defTus &c au delTous de ce Bourg, il fallut fc
retirer bien ville. Il eft vray que cette retraite
qu'il fit à la veûë d'une grande armée fut fort
belle, &: qu'il ne montra jamais mieux la gran-
deur de fon courage intrépide qu'en cette oc-
cafion la plus dangereufe où il le fuft encore
trouvé j mais les gens du meftier convinrent
tous en ce temps-la qu'il la fit bien plûtoft en
vaillant homme, dont la valeur fut fécondée
de la fortune, qu'en grand Capitaine, qui doit
prendre par fa prudence ôc fon habileté de fi
juftes mclures, qu'il ne dépende pas abfolu-
ment de cette incon{lante,quipar un leulcoup
de hazard pourroit ruiner en un moment le
parti le mieux établi.
Car pour donner à fcs gens le loifir de fc
retirer avec le bagage , il plaça cent Arquebu-
fiers à l'entrée du Bouro-j & s'eflant mis à la
tcfte de deux cens chevaux , il s'avança prés de
demi-licuë vers l'ennemi jufques à la portée
du pirtolet , &c fit plulîeurs charges fur les Ca-
rabins qui marchoient à la tefte de l'armée qu'il
arrefta d'abord. Mais le Duc de Parme ayant
reconnu qu'il efloit -là avec fî peu de troupes
hors de la place que doit occuper un Général,
poulTc contre luy, après fcs Chevaux -Légers,
L I V n. E IV. 44J —
le (^ros de fa Gendarmerie qui le repouflc jui- i jpi.
quesdans Aumale. Ses cent Àrqucbuficrs y tu-
rent prefque tous taillez en pièces ; Se il cou-
roit rilque d'yeilrc envelopé, & pris ou tue, il
la nuit ne fuft lurvenue , pendant laquelle les
ennemis ne voulant pas s'engager plus avant
fans avoir bien reconnu le pais, il acheva de •
faire heureulement cette dançrereufe retraite .
en laquelle il fut blcffe d'un coup de piftolec
dans les reins, qui, pour avoir efté tiré de trop
loin, ne luy fit qu'effleurer la peau. Les enne-
mis meime, & fur tout le Duc de Parme, ad-
mirèrent en ce combat fa valeur , ion couracrc
&c fon bonheur, mais ils ne louèrent pas fa
conduite j & le Marefchal de Biron , qui s'ef-
toit mis en pofldfion de luy parler un peu bien
librement, ne put s'empeicher de luy dire à
fon retour, qu'un grand Roy ne devoir pas faire
le meftier de Carabin.
Cependant Villars voulant profiter de fon
abfence , fit une des plus belles adtions qui fc
foient faites durant cette guerre. Car s'eftant
fait informer par fcs Eipions de la dilpofition
du Camp des alTicgeans, il fit le vingt-fixiéme
de Février, par toutes les portes qui font op-
poiées à celles du quay,une furieufe fortie, qu'on
peut dire qui luy valut le gain d'une bataille.
Car ayant lurpris rcnnemi , ôc enlevé d'abord
brufquement Se tout à la fois tous les quar-
tiers qui regardoient ces portes, il s'empara des
KKkiij
=— 4^6 Histoire de la Ligue.
ij^i. tranchées Se de tout le Camp de ce codé -là,
où durant prés de deux heures qu'il en fut maiC-
tre, Ion Infanterie abbatit, renverfa, gafta, brû-
la tout, tentes, gabions, bateries, outils, mu-
nitions, poudre, bagage, combla les tranchées,
éventa les mines, encloiia le canon, & rendit
inutiles prefque tous les travaux, tandis que
s'eftant avancé avec quatre Eicadrons de gens
choifis contre le Maretchal de Biron qui el-
toit accouru, mais un peu tard, de Ton quar-
tier de Dernetal au fecours de fes o-ens , il com-
batoit bravement en retraite, retournant fou-
vent à la charge , pour donner à fon Infante-
rie le temps d'achever le degaft , puis de fe re-
tirer avec luy, comme il fit, rentrant dans la
ville en triomphe avec plus de cent prifonniers
& cinq groffes pièces de canon, après avoir
tué plus de cinq cens hommes , douze Capitai-
nes, deux Colonels, & mis en delordre & en
déroute la plus grande partie du Camp, fans
avoir perdu dans ce grand combat gueres plus
de trente foldats.
Après ce bon fucccs, Villars le tint tellement
alfeûré, qu'il envoya prier les Ducs de luy four-
nir feulement de l'argent pour payer fa garni-
fon, s'imaginant qu'il n'auroit plus befoin de
leur lecours. Mais le Roy , qui à fon retour re-
mit bientoft le fiege en bon eftat, ayant fer-
me le haut & le bas de la rivière par un grand
nombre de barques équipées en guerre, ^ par
Livre I V. i . .-
dix grands vaifTeaux Hollandois que le Comte
Philippe de Nadlm luy amena, les vivres man-
cjuerent aux afTiegez deux mois après. De forte
que Villan fut oblige de faire f^avoir aux Ducs
qui ratraiichifloient leur armée au-delà de la
Somme que les Bourgeois n'eftant pas difpo-
lez a le laiiTer mourir de faim comme les Pari-
iiens,il feroit contraint de capituler s'iln'eftoit
lecouru dans huit jours.
A cette nouvelle les Ducs, qui fçavoient d'ail-
leurs que larmée Royale elloit fort affoiblic
par les grandes fatigues dun fi lone fieg-e, raf-
iemblent en un jour toutes leurs troupes, mar-
chent fans bagage, repaflent la Somme, font
trente lieues en quatre jours, 3z le fixiéme,qui
tut le vingtième d'Avril, paroilfent en batail-
le a une lieuë de Rouen. Les principaux Chefs
y entrèrent fur le foir, parce que le Roy, qui
navoitpas alors de quoy réfifter tout à la fois
a une grande armée au dehors, & à ceux de
dedans, animez par la prefence d'un fi arand
iecours, fe crut obhgé de lever le fiege, & de
fe retirer au Pont de l'Arche, où la Noble/Te
& les troupes qu'il avoit auparavant envoyées
le ratrailchir aux environs , fe raffemblerent
dans cinq ou fix jours au nombre de trois mil-
le chevaux & de fix mille fantaffins. Alors fe
trouvant plus fort que les Ducs, qui après avoir
pris la petite ville de Caudebec, s'eftoient allé
loger a Yvetoc pour la couvrir, il marcha droit
ijpz.
44S Histoire de la Ligue.
j5?z. à eux, réfolu ou de les forcer au combat, ou
de les enfermer dans ce petit canton du Païs
de Caux, en leur coupant le chemin des vivres
&: de la retraire.
Et certes, fon delTein devoit réiilTïr félon tou-
tes les apparences. Car les ayant contraints,
après plufîeurs petits combats , où ils avoient
cfté fort mal menez , d'abandonner leur loee-
ment d'Yvetot, &c de fe retirer de nuit en un
pofte plus avantageux à un quart de lieue de
Caudebec : il les y enferma fi bien, qu'ils ne
pouvoient ni lubiifter, tous les paffages des vi-
vres leur eftant fermez, ni fe retirer, ayant à
dos un bras de mer, ôc en tefte un ennemi plus
' puiffant qu'eux, ni le combatte fans s'expofer
viliblement à cilre entièrement défaits. Mais
le bonheur, l'adrelTe & la force du erandeenie
du Duc de Parme les tnerent dans une nuit de
cet extrême danger où ils eitoient de périr fans
reffource.
Car à la faveur de deux grands forts qu'il
avoit faits fur les deux bords de la rivière ,
; avec des redoutes qui commandoient fur l'eau,
$c de grands dehors, qui de fon cofté s'avan-
çoient vers l'armée du Roy , comme s'il euft
voulu l'attendre dans fes retranchemens , il fit
paffer durant la nuit du vingtième de May
toute fon armée, fon bagage & fon canon fur
un grand nombre de grands batteaux couverts
. de poutres ôc de planches qu'il avoit donné or-
dre
L I V n E IV. 449
di'C qu'on fift dcfccndrc tic Rouen. De forte qu'à i ; p z.
lapomte du jour tour fut en icûrcté de l'autre
collé de la Scme, fans que le Roy, qui s'apper-
ccûc trop tard de ce merveilleux ftratagcme,puft
empelchcrquc le Pruicc RaynuccFarnele, qui ''
avec quatorze à quinze cens hommes avoir cou- • - • • -
vert cette retraite dans le er'indFort& dansfcs
dehors, ne fe retiraft à la file, & ne fift palfer
tous fes gens & fes quatre pièces de canon fur
les batteaux & les pontons aufquels il mit le feu.
Ainfî le Duc de Parme trouva le moyen de
mettre en une nuit une grande rivière, large
de demi-lieuë en cet endroit, entre fon armée
& celle du Roy, qui admira cette a6tion com-
me le chef-d'œuvre d'un des plus grands Ca-
pitaines du monde. Et fans donner au Roy le
temps de le pouvoir luivre par le Pont de l'Ar-
che, il le prévint tellement par fa diligence,
qu'en quatre jours il fe rendit dans la Brie, en
repaifant la Seine fur un pont de barques vis-
à-vis de Charcnton. Puis ayant jette dans Pa-
ris quinze cens Valons, pour renforcer la gar-
niion que les Efpagnols y a voient, & pris la
ville d'Efpernay où il pafla la Marne, il ramena
fes troupes dans les Païs-Bas, ayant aquis une
gloire immortelle pour avoir fait deux fois,
contre un il grand Roy, ce qu'il prétendoit,
fans rien hazarder , en luy faifant lever le iiege
des deux plus grandes villes du Royaume, Pa-
ris & Rouen.
LLI • .
4JO Histoire de la Ligue.
159 2. Or, comme on voit allez louvcnt qu'un mal
Memo.r.dtdu deyicnt l'occafion qui fait naiftre un bien qu'on
rltJfis-Morn. i. ri ^
t. 2. n'attendoit pas: aulli ce iiege de Rouen, qui
viUeRoy. Hc reuiiit pas au Roy, donna lieu a unenego-
r«f«/<-rf«p/«/- tiation, laquelle dilpoia fi bien les choies à la
f,i-Morn>iy. ^-onveifion , qu'on peut dire qu'elle jetta les
femences qui produiiirent peu de temps après
un fi beau fruit. Le Duc de Mayenne haïlToit
fort les Efpagnois , qui luy avoient déclaré
nettement qu'on ne pou voit le fecourir qu'il ne
promirt de faire en forte que les Eitats éleulTent
i'Infante avec celuy qu'on luy donneroit pour
mari, ce qu'il avoit elle contraint de leur faire
efperer, quoy-qu'il eull: rélolu de n'en rien faire.
D'ailleurs il s'eiloit joint contre quelque reftc
de la faéiion des Seize aux Politiques de Paris,
qui eftoient alors les plus forts, àc vouloient
bien l'avoir pour Chef, mais à condition qu'on
traiteroit avec le Roy, pourveû qu'il fe filt Ca-
tholique : à quoy ce Duc, qui voy oit bien qu'il
ne pouvoit prétendre à la Royauté, s'eftoit en-
fin déterminé.
D'autre cofté , le Roy fe trouvoit fort cm-
barralfé entre les Huguenots & les Catholiques
de fon parti. Car les premiers craignant tou-
jours qu'il ne leur échapaft, Tobledoient éter-
nellement, 6c fongeoient mefme, le défiant de
luy, a fe choifir un autre ProtecSteur. Et la pluf-
part des Catholiques, les uns véritablement in-
<.iiencz,&les autres faifant du moins femblant
iàsi
L I V R E I V. ' 4JI
dé l'cftre, de ce qu'il diffcrok trop long-temps ijpi.
à fe fane inlhuirej &: à fe convertir, avoicnt
fait entre eux une nouvelle Ligue , qu'on ap-
pclloit le Tiers Parti, dont le jeune Cardinal
de Bourbon s'eftoit déclaré Chef, efperant que
fî enfin le Roy continuoit à s'obftiner en fbn
Héiefie, ceux qui ne l'avoicnt luivi que fur l'ef
perance de fa converfion l'abandonneroient ,
èc qu'on le mettroit en la place fur le Trône. Et
certes, il y avoit fujet de craindre que le Duc de
Mayenne qu'on lollicitoit fortement de le join-
dre à ce parti avec le lien, pour faire un Roy
de la Mailbn Royale , ne s'y réfoluit enfin, plû-
toll que de ibuftrir que les Elpacrnols fiifent
élire celuy qui épouferoit leur Infante, fuft-
ce un Prince de la Maifon.
Les choies eftant donc ainfi difpofées de parc
& d'autre à conclure une bonne paix , les fieurs
duPlefiis-Mornay Se de Ville- Roy furent choi-
lis pour travailler à ce Traité qu'on vouloit qui
fulî fort fecret. Il y eût d'abord une grande
difficulté qu'il fallut furmonter avant que de
rien propoler touchant les conditions & les ar-
ticles du Traité qu'on prétendoit faire. Car Ville-
Roy n'y vouloir point entrer qu'avant toutes
chofes le Roy ne donnaft alfeiirance qu'il cm-
braiferoic la Foy Catholique aulîitoit après
qu'il auroit receû fon inftruclionj &c duPlclTis
remontroit que cela choquoitôc l'honneur & la
confcience, parce qu'à moins que de tenir tou^
LLl i^.
452- Histoire de la Ligue.
I55>z. tes les Religions pour indifférentes, èc pafTer
amfî pour Athée, on ne pouvoir s'engager à
en choilir une en particulier, avant que de s'efl
tre éclairci pour fc^avoir fi c'eft la vraye Reli-
gion. Mais enfin on trouva un tempérament,
qui fut que le Roy, fans blefier fon honneur
éc fa confcience, fe feroit inftruire dans fix mois,
avec un vray defir de fe convertir; qu'il per-
mettroit cependant aux Princes & aux Seigneurs
Catholiques de fon parti de députer vers le Pa-
pe , pour le fupplier de confirmer par fon au-
torité une fi fainte réfolution; &c qu'en atten-
dant qu'elle s'accomplift, on traiteroit toujours
de la paix, laquelle eftant conclue, le Roy ie-
roit reconnu par les Princes de la Ligue. Il con-
fentit fans peine à ces deux importans articles,
fans lelquels on ne pouvoit entrer en negotia-
tion. On tomba mefme alfez facilement d'ac-
cord fur les articles qui concernoient le géné-
ral du parti de la Ligue. Mais quand on vint
aux interefts particuliers de chacun des Seigneurs
confcdercz , le Duc de Mayenne fit demander
pourluy & pour eux des chofes fi avantageu-
ïes & fi cxcefiives, qui tendoient manifefte-
rnent au démembrement de l'Eftat, qu'on fut
enfin contraint, voyant qu'on ne fe vouloit
pas rclafcher, de rompre après deux mois de
négotiation cette Conférence.
Elle produifit toutefois un grand bien, en ce
^uc le Roy ^.emeura ferme dans Ja réfoiution
Livre IV. 453
qu'il avoit priie de le faire inltruiic de bonne i^^^i.
foy, & de permettre aux Sei^^neurs Catholiques
d'envoyer vers le Pape leurs Députez , qui fu-
rent le Cardmal de Gondy , & le Marquis de
Pifam. Innocent I X. qui avoit iuccedé Tan-
née précédente à Grégoire XIV. s'eftoit com-
me luy déclaré hautement pour la Ligue. Il
avoit mefme créé Cardinal Se Légat en France
Philippe Se^aEvefquc de Plailance, que le Car-
dmal Caïetan, retournant à Rome après la
mort de Sixte V. avoit laiifé à Pans en la pla-
ce pour y fervir la Ligue , comme il fit de toute
fa force. Clément VIII. ayant Iuccedé à ce
, Pape qui ne jouît du Pontificat que deux mois,
! fuivit d'abord les traces de les deux derniers
PrédecclTeurs ; ôc s'eftant lailfé prévenir par les
Efpagnols,nc voulut pas feulement écouter ces
Députez. Mais cette députation ne lailTa pas,
comme on le verra en fon temps , de produire
1 l'heureux effet qu'on s'en eftoit promis, &: qui
fut fatal à la Ligue.
Cependant le Roy pourfuivant toujours fa n<>v«. t. .
pointe alla reprendre la ville d'Efpernay, après
que le Marefchal de Biron qui avoit commen-
cé d'en former le fiege, eût efté emporté d'un
coup de fauconneau qui luy enleva la telfe com-
me il rcconnoifloit la place. En fuite, pour fc
rendre maiftre de la Brie, il alliegca & prit en
trois jours Provins qui en eft la capitale ; puis
il baftit dans l'iHe de Gouinay, entre Meaux
L L 1 iJ j
— - — 4T4 Histoire de la Ligue.
;5P2, & Paris, à quatre lieues de cette grande ville,
un Fort, pour cmpefcher qu'elle ne puft rien re-
cevoir par la Marne, qui luy apporte une gran-
de partie des biens de la Champagne &c de la
Brie,
D'autre cofté le Duc de Mayenne, qui n'ayant
pas affez de forces pour s'oppoler à ces progrés
du Roy, n'avoit pu faire autre choie pour fou-
lager Paris, que de prendre Crefpy en Valois, ré-
folut enfin d'employer contre le Roy la gran-
de machine dont il cftoitmenacé depuis fi long-
temps, je veux dire l'AlTemblée générale des
Eftats, pour y procéder à l'éleclion d'un nou-
veau Roy qui fuft. de la Religion Catholique
Romaine, dont tous les Rois de France, com-
me Fils aifnez de l'Eglife, avoient toujours fait
Gonftamment profeilion depuis le Grand Clo-
vis , qui après Ton Baptelme mérita le glorieux
furnom de Très - Chreliien , qu'il a tranfmis
fans aucune interruption à tous fes Succeflcurs
dans l'elpace de prés de douze cens ansjufques
au défunt Roy Henry 1 1 1.
Le Duc s'elloit folennellement eng-aeé plus
d'une fois a convoquer cette Aiîemblée ; mais
il avoir toujours adroitement différé de le faire
& pour l'intereft de l'Ellat &c pour le fien par-
ticulier. Car d'une part il craignoit toujours
que les Efpagnols, qui n'épargneroient rien pour
gagner malgré luy les Députez , partie par ar-
gent j èc partie par la prefence d'une grande
L I V R E I V. 4;;
armce qu'ils vouloicnt encore envoyer en Fran- 1 5 5> 2..
ce Tous le Duc de Parme, pour favoriler les El-
tats, à ce qu'ils diloient, ne vinfl'cnc enfin à
bouc du dellcin qu'ils avoient de fliire élire leur
Infante: & de l'autre, voyant fort bien qu'il
ne pourroïc élire éleû, parce qu'il ne pourroit
cpoulcr l'Infante, il ne vouloit point qu'on en
choifill un autre, pour ne pas perdre cette au-
torité louvcraine, qu'il ne pouvoir retenir que
juiques à ce que les Eilats euflent fait l'éledtion
d'un nouveau Roy.
Mais après tout, il ne pouvoir plus réfifter
aux prelTances loUicitations que les grandes vil-
les de fon parti, les Elpagnols, le Pape meime
êc Ion Légat, faifoient continuellement pour
l'obliger à tenir la parole qu'il avoir fi fouvenc
donnée de convoquer cette Aflemblée. Et ce
qui enfin acheva de l'y déterminer, fut que le
Duc de Parme, qui airembloit les forces pour
entrer en France une troifiémc fois, mourut fur
ces entrefaites le cinquième de Décembre. Car
il crut que les Elpagnols n'ayant point de Gé- - ''^■
néral qui fuit à beaucoup prés de la force de f. ",
ce grand homme, ou luy lailTcroient le com^
mandement de leurs armées, ou que ne failant
pas de grands progrés , ils ne luy feroient pas
extrêmement redoutables comme il arriva. Sur
quoy il ne fit plus nulle difficulté de faire af-
fembler les Députez que l'on avoir déjà choiiis
dans les Provinces Ôc dans les villes, ne doutanc
45^ Histoire de la Ligue.
ijpi. point que comme il avoit pour foy, outre une
grande partie de ces Députez, le Parlement,
THoftel de Ville, lapluipart des Colonels, & le
parti des Politiques, il ne deuft rompre aifément
toutes les mclures & les brigues des Efpagnols &c
de ce peu de mutins qui relloient de la facStion
des Seize, qu'il ne regardoit que comme des ca-
nailles dont il mépnfoit la fureur impuiflante.
Etc'elt pour cela mefme quil fit enfin réfoudre
que l'Allemblée fe ticndroit à Paris, malgré
tous les artifices des Efpagnols, qui vouloient
qu'elle fe tinft à Reims ou à Soiifons, où le
Duc ne pourroit avoir tous ces 2:rands avanta-
gcs qu il auroit a Pans.
L'All'emblée fut donc intimée pour le mois
de Janvier. Et tandis que les Députez (c ren-
doient à Pans les uns après les autres , le Duc
M'IeDu/di "^^ Mayenne fit publier une ample Déclaration
Ma}frj>,e,t.s. du cinquième de janvier, par laquelle, après
^,s Mer,. ■ \l C ] J 1 T •
cajis, 1. 1. avoir jultihe les armes de la Ligue par toutes
' les raifons les plus plaufibles qu'il put employer,
Jlnn. & fur tout par le grand motif de la Religion
ïji>3- qui cederoit enfin à l'Hérefie fi on recevoir un
Roy Hérétique, il invite tous les Princes, Pré-
lats, Seigneurs & Officiers Catholiques du par-
ti contraire à fe trouver avec eux dans leur
Affemblée,pour travailler tous enlemble, fans
autre veûé que de la gloire de Dieu 6c du bien
public , à choifir les moyens qu'on trouveroit
les plus utiles pour confervcr la Religion &
l'Elhti
L I V R E I V. 4^j .
l'Eftat ; protcftant contre ceux qui rcfufcroicnt i ;;» 5.
une voye U railonnable, qu'ils (croient la cau-
Ic de tous les malheurs qui pourroicnt en fuite
arriver.
Le Légat en fit une aufli, mais d'une manie-
re bien plus odieufc, en ce qu'au lieu de le te-
nir dans les termes généraux du bien de la Re-
ligion &: de l'Eftat, comme le Duc de Mayen-
ne avoit fait, il invitoit les Catholiques à fe
rendre aux Eftats pour y élire un Roy qui fuil
de nom & d'effet Catholique, ôc qui pulf main-
tenir par la puiffance la Religion ôc l'Eftat, en
quoy il fembloit affez clairement dcfigner le
Roy d'Eipagne.
Il ne fut pas difficile au Roy de répondre
folidement à ces deux Déclarations , & de faire vid^rat. du
unefemblablcprotell:ation contre leurs Auteurs fmlo/Jj,"
par un Edit du mcfme mois. Et cependant les t/ . ,
j ^ 1 Mem. de IM
Députez eftant prefque tous arrivez, ils allèrent ^'s- f- *•
en Procelnon a Noitre-Dame, ou après avoir
receil la faintc Communion ils entendirent le
Sermon que le célèbre Genebrard leur fit, avec
un très-grand fcandale de tout ce qu'il y avoit
encore de véritables François dans cette Com-
pagnie.
Ce Docteur eftoit à la vérité l'un des plus
habiles hommes de fon ficelé, iur tout dans la
connoiffance des iaintes Lettres, & de la Lan-
gue Hébraïque, dont il fut Profcffeur Royal à
Paris. Mais par cette malheureufe fatalité , o«
M Mm
45§ Histoire de la Ligue.
jjj)3. plûtoft par cet excès d'un zèle immodéré qui
entraifna la plufpart des Dodeurs de Paris dans
la Ligue , il s'y attacha avec tant de paflion ,
qu'il en fut toujours un des plus ardens & plus
opiniaftrcs défenfeurs : ce qui joint à fa pro-
fonde do^bnne , fut caufe que le Pape Grésjoi-
re XIV. grand Protedteur de la Ligue luy
donna l'Archevefché d'Aix après la mort d'A-
lexandre Canigrany qui mourut à Rome,
Or comme il citoit un des principaux Dé-
putez pour l'ordre du Clergé, & qu'il avoic
aquis beaucoup de crédit &c d'autorité pour
fon rare fc^avoir , on le pria de faire ce Sermon,
dans lequel, au lieu d'exhorter par la parole de
Dieu les Députez à n'avoir dans leurs délibé-
rations devant les yeux que la confcrvation de
l'Eftat & de la Religion qui en eft le plus fer-
me appuy, il s'efforça^He prouver;^ar de tres-
méchames raifons , Jflîe leur'.AfTembléc pou-
voir changer &c abolS^la Loy Salique, qui eft
la Loy fondamentale de l'Eitat, qu'on a tou-
jours inviola blement obiervée depuis l'établif.
"""^ lement de la Monarchie Franc^oife juiqu'à main-
tenant: comme fî les Eftats, qui n'ont point
d'autre pouvoir que de reprefcnter dans leurs
Cahiers ce qu'ils croyent eftre necefTairc pour
le bien & la contervation de l'Eftat , le pou-
voicnt détruire, en ruinant &c en fappant le
fondement qui le fouitient, & qui cmperche
^u'il ne tombe encre les mams des Eftrangers..
L I V R E I V. 45^
Mais c'efl que ce Docteur, qui eftoit bon Li- i;pî.
Joueur 5c mauvais Franc^ois,cilant tout dévoué
aux intereftsdu Roy Philippe comme les Seize,
dans la faction delquels il s'eftoit engagé, vou-
loit difpoler les eiprits des Députez à déférer
la Couronne de France a l'Infante d'Efpagnc,
félon l'intention des Elpagnols^ qui au lieu des
veritez de l'Evangile luy faifoient prefcher une
fî faufle 6c méchante maxime.
Le Duc de Mayenne , qui tout Chef de la
Ligue qu'il efloit, avoit pourtant l'ame Fran-
çoife, &c aimoit fa Patrie, comme le Roy mef
me l'avoua, avoit des veûes bien différentes ;
&fans s'étonner de ce vain dilcours, parce qu'il
fçavoit les moyens d'en détourner l'efFet, il fit
l'ouverture de l'Aûcmblée des Eilats Généraux
le vingt-fixiéme de Janvier dans la Salle haute
du Louvre. On y obferva toutes les cérémonies
que l'on garde toujours dans les Eilats légiti-
mement convcquez ; & tout ce que dit d'agréa-
blement burlelque fur ce fujet l'Auteur de fin- z< ji,y au-
genieufe Satyre, intitulée /e C^f/;o//fo« d'Eifagne, l'^l^thn!^'
n'eft qu'une invention d'un bel efprit, qui fous '^^"""■J- ""■
■1, rr : ^ ~ ■ - 1 K<i:ts fur It
d aflez plailantes hdions ne laifle pas d'cnve- c^tkeix.
loper beaucoup de veritez qui décrient tres-
juflement le parti de la Ligue.
Il n'y eût point d'autre Procelîîon que celle
que firent tous les Députez , quand ils allèrent
faire leurs dévotions à Noitre-Damej ik cette
autre des Mornes armez iur les dilfcrens habits
M M xn ij
. 4êo Histoire de la Ligue.
I j^ 3. de leurs Ordres, laquelle eft décrite fi plaifam-
ment au commencement du Catholicon, 3c
qu'on voit encore aujourd'huy dans plufieurs
cll:ampes , n eft autre chofe que la montre des
Eccle/îaftiqucs ôc des Religieux, que l'Auteur
de cette Satyre a tranlportée du fiege de Paris
à ces Eftats, en la déguifant enProcelTion pour
rendre Ton Ouvracre plus divertiHIint.
Tout s'y fit fclon la coufi:ume, excepté que
le Duc de Mayenne, comme Lieutenant Gé-
néral de l'Eftat &c de la Couronne de France,
ce qui ne s'efi'oit jamais veû, eftoit afTis fous
un dais de drap d'or. Les trois Ordres y prirent
leur léance à l'ordinaire, Celuy du Clergé y
fut fort nombreux. Il y eût fort peu de Sei-
gneurs & de Gentilshom.mes dans celuy de la
Noblefle: mais pour luy donner plus d'éclat,
M. de Mayenne , comme s'il euft eu la puif-
fance & l'autorité fouvcraine, prit la liberté,
ce qui n'appartient qu'au Roy feul , de créer
un Admirai, qui fut le Marquis de Villars, &
quatre Marefchaux de France, les fieurs de la
Chaftre & de Bois-Dauphin, dont l'ancienne
Noblefle eft aflez connue, Rolne Gentilhom-
me Lorrain , cadet de la Maiion de Savigny
Seicrncur de Rofne au Duché de Bar, 8c Saint
Paul foldat de fortune, qui par fa valeur &.par
fa conduite au meftier cics armes avoit aquis
fon titre de Noblefle.
M. de Mayenne, après la more du Duc de
Livre IV. 4<?i
Guifc, dont ce Capitaine cftoit la créature, l'a- 15;? 3.
voit commis au Gouvernement de Champa-
gne, où après s'eftre rendu maiftrc de Reims,
de Mezicres 6i de Vitry, il eût l'audace de s'em-
parer par force du Duché dcRctelois, & d'en
prendre poifellion en qualité de Duc, en vertu
du don qu'il diloit en avoir eu du Pape, com-
me le Roy l'écrivit du Camp devant Chartres ^^"^ ''« R<ir
au Duc de Nevers •, &c enfin Ton orgueil infup- ^ers an c«mp
portable, joint à la tyrannie qu'il exerc^oit dans f',^'7,^^7'
la Province, luy fît perdre la vie par la main 'Jf'*^ \!^'-
du jeune Duc de Guile qui le fit tomber mort Tr^àé de u
\ r ■ 1 J> J> ' ' '11 J frife des Arm,
a les pieds dun coup d epee qu li luy donna x^^otajuru
droit dans le cœur, parce que ce Prince l'ayant ^'*'^"'"'
prié fort civilement de retirer de Reims les gens
de guerre qu'il y avoir mis pour s'en aileûrer,
ce prétendu Mareichal, qui vouloir, malgré
qu'il en euft, y eflre le maiftre ablolu, luy avoir
dit fièrement, en mettant la main fur la garde
de fon épée, qu'il n'en feroit rien.
Au relie le Duc , en créant comme Lieute-
nant Général de l'Eftat un Admirai &c quatre
Mareichaux de France, crut avoir fait un coup
d'importance pour faire valoir (es prétendus Et-
tats de Pans, 6c pour affermir fon autorité &
fortifier fon parti. Mais le Seigneur de Chan-
vallon, qui avoir autant d'efprit que de cœur,
& qui prévit les (uites de cette action, luy dit
librement &c fort galamment : Prene^ bien garde
à ions , Monfieun car en cette nouvelle création 'vous
M Mm iij
'— 4Ct Histoire de la Ligue.
I j^ 3. a've:(^faU aujourd'iniy des hajlards cjui f front un jour
légitimera 'vos dépens. C'ell: ce qui le venfii bien-
toil après en la perfonne de ViUars, de laChaf^
tre, & de Bois-Dauphin qui l'abandonnèrent,
ôc firent leur Traité avec le Roy , pour eftrc
maintenus par une autorité légitime dans ces
hautes dignitez que le Roy feul, à l'exclufion
de tout autre , peut donner. Et fi le Baron de
Rofne , qui avoir affcz de naiflance & de mé-
rite, euft encore eu comme les autres quelques
places à rendre au Roy pour fe faire légitimer
auffi-bien queux, on n'euft pas perdu celles
^ue les Efpagnols, aufquels, fe voyant rebuté,
il fe donna, prirent fous fa conduite ôc par fa
valeur en Picardie.
Voilà donc quel fut l'ordre de la Nobleffe,
Pour le tiers Eil:at, il eftoit compoié de peu de
perfonnes coniiderables, êc de beaucoup de
gens ramaflez, qui ne fervoient qu'à groffir
l'AfTemblée, Les Harangues qu'on voit dans le
Catholicon, prcfque toutes de la façon de Ra-
sjousfuru pin, de M. Gillot Confeiller de la Cour, de
Florent Chreltien,& de M. Pierre Pithou,lont
faites à plaifir pour réjouir leLe6leur. Il ne s'en
fit que quatre à l'ordinaire des autres Ellats.
M de Mayenne fit l'ouverture de ceux-cy par
la fienne,où pour fatisfaire à l'attente des Dé-
putez, il déclara qu'on n'elloit aflemblé que
pour procéder à l'eledion d'un Roy qui fuft
Catholique ; ce que pourtant il u'ayoït nulle-
Cêthelit.
L I V n E I V. ^^j
ment envie qui le fill, comme cffedlvcment il 155)5.
l'empefcha. Le Cardinal de Pellevc qui com-
mençoic fort à bailler, ne fit rien qui vaille en
parlant pour le Clergé : le Baron de Senecey
pour la NoblefTe, & le iieur de Laurens Avo-
cat Général au Parlement de Provence, pour
le tiers Eftat, firent incomparablement mieux
chacun en la manière, celuy-cy de grand Ora-
teur, Ôc celuy-là de fage Cavalier.
Cependant le Roy qui ne fc^avoit pas tout le ^"y^' '* ^
fecret du Duc de Mayenne, appréhendoit bien
fort qu'on n'éleuft dans cette Alîemblée un
Roy, qui eftant reconnu du Pape, du Roy d'Ef-
pagne, de la plulpart des Potentats de laChref-
tienté, de tous les Catholiques de la Ligue, Sc
peut-eftre aulïi de tous ceux du Tiers parti dont
il fc défioit toujours, euft du moins rendu la
guerre éternelle, s'il ne fuft enfin demeuré le
maiflre. Pour prévenir un fi grand mal, il trou-
va bon que les Catholiques de fiDn parti en-
voyalTent par un Trompette à l'AfTemblée un
Acte authentique, par lequel ils luy fignifioient,
que puis que le Duc de Mayenne leur avoit fait
entendre par la Déclaration, qu'il avoit con-
voqué cette AlTemblée pour chercher les moyens ll'if/s'^iZ
d'aifeûrer la Religion & l'Ellat , ils eftoient '"'■ "fi"*"'
o ^ ' de la CcurtTt-
tout prefts d'envoyer leurs Députez pour con- n>.&princf-
ferer avec les leurs en quelque lieu prés de Pa- ^'1 «*. c»tho^
ris duquel on conviendroit, afin de pouvoir ^X'i/fri.
parvenir a un fi grand bien qui eiloit le com- ^^f»' ^- ^*
4<54 Histoire de la Ligue.
i;5 3. ble de leurs defirs, proteftant que s'ils rejet-
toient une propofition fi raiionnable , ils fe-
roient coupables de tous les maux que la con-
tinuarion d'une fi funefte guerre produiroit.
Ceft un étrange aveuglement que celuy que
caufe une forte pafTion dans un efprit qui s'en
ell tellement laiflé préoccuper, que quelque lu-
mière qu'il ait d'ailleurs , il ne voit pas ce que
les moins éclairez découvrent d'abord, fans fc
donner la peine d'en faire une exade recherche.
On propolc icy nettement, en termes tres-clairs,
fans aucune ambiguïté, une Conférence entre
les Catholiques des deux partis, pour chercher
tous eniemble les voyes les plus feûrcs de iau-
ver la Religion & l'Elf at. Et néanmoins le Car-
dinal Légat, ne conlultant que cette ardente
pafiîon qu'il a de maintenir la faction des Seize
contre le Roy, pour l'exclure de la Couronne,
s'écrie que cette propofition des Catholiques
Royaliltes efi: contre la Loy de Dieu, qui dé-
Kivtn. t. 2. fen(^ d'avoir commerce avec les Hérétiques s &
ces Docteurs dévoûifz à la Ligue, aufquels il
l'envoyé pour l'examiner, la déclarent fchifma-
rique & hérétique. Mais le Dac de Mayenne
qui avoit dés vcûës bien différentes de celles
* du Légat & des Efpagnols , & qui vouloir
cmpefcher qu'on n'éleuR un Roy, fit fi bien
vlTleM^en S^^ ^'^^ conclut dans les Eftats qu'on accepte-
Lnuur.ATit j-oit la Conférence entre les feuls Catholiques
Mim't' i. '' des deux partis, de la manière qu'on la propo-
ioit.
L I V R E I V. 4^5
fbit. Elle ne fe tint toutefois que plus de deux i J5 3'
mois après, à la fin d'Avril, au bourg de Surel-
ne, parce que le Duc de Mayenne, qui ne vou-
loir que gagner du temps pour venir à fcs fins,
eftoit allé, avant que de faire réponfe, au-
devant de l'armée Éfpagnole conduite par le
Comte Charles de Mansfeld. Ce Duc croyoit
pouvoir prendre avec elle toutes les places au
deffous & au deflus de la Seine qui incommo-
doient Paris. Mais comme elle elloit fi foible,
qu'avec les troupes qu'il y avoit jointes elle ne
faifoit pas dix mille nommes, tout ce qu'elle put
faire fut de prendre Noyon qui l'arrella j après
quoy, comme elle eftoit extrêmement dimi-
nuée par la longueur d'un fiege ou il y eût
bien du fang répandu , le Comte fut con-
traint de s'en retourner en Flandre,
Pour la Conférence, quoy- qu'elle fe fift avec ^^" ^* ^*
bi I, 1 1./ I Confertnci tt
eaucoup plus d appareil ai, d éclat que toutes sur,fn,.
les autres, elle eût pourtant la mefme deftinée, ^'^"' ^'^'
parce que les deux Chefs de la Dépuration de
part àc d'autre, Renaud de Beaune Archevef-
que de Bourges pour les Royaliftes, & Pierre
d'Efpinac Archevefque de Lyon pour la Ligue,
deux des plus adroits ô«: des plus éloquens bornâ-
mes de leur fiecle , eftoient un peu trop habi-
les, àc fouftenoient avec trop d'efprit & de
force leur fentiment, pour pouvoir s'accorder,
en dilputant l'un contre l'autre. L'Archevefque
de Bourges, dans les trois harangues qu'il fie
NNn
46(i Histoire de la Ligue.
jj?3. pour établir fa propofition, & pour la confir-
mer en réfutant ce qu'on luy avoir répondu,
n'omit rien de tout ce qu'on pouvoir dire de
plus fort pour pertuader à ceux de la Lieuc
ces trois points qu il loultint toujours coni-
tammcnt juiqu'à la fin, comme autant deveri-
tcz inconteltables.
Le premier, que l'on eft obliçré de reconnoif.
tre & d'honorer comme Ion Roy celuy auquel
le Royaume appartient par le droit inviolable
d'une fuccellion légitime, fans avoir égard ni
à la Religion qu'il protefTc, ni à fes mœurs.
C'cft ce qu'il prouva, premièrement par les té-
moignages de Jefus-Chriit &c de les Apoftres,
qui nous ordonnent d'honorer les Rois & les
autres Souverains, &c de leur rendre l'obéïfian-
ce qui leur eft deûë , quoy-qu'ils foient infi-
delles ôc médians , déclarant que tout homme
doit eftre foumis aux puilfances ordonnées de
Dieu, &c que d'en ufcr autrement c'eft réfifter
à fa volonté, & troubler l'ordre &c la tranquil-
lité publique. Secondement, par les exemples
de l'Ancien Teftament, où l'on voit que Se-
decias avoit efté tres-aigrement repris, & puni
de Dieu pour s'eftre révolté contre le Roy des
Caldéensi que le peuple d'Ifraëlluy avoit obéi"
dans la captivité de Babylone par l'ordre de
Dieu i &: que les Prophètes , comme Ahias &c
Elie, s'cftoient contentez de reprendre les Rois
infidcUcs à Dieu comme Jéroboam ôc Achab,
Livre IV. ^Cj
fans fc révolter contre eux. Troifiémcmcnr, i;p3.
par l'exemple des Chrcfliens de tous les ficelés,
des Evefques, & des Papes meimcs, qui avoient
IbufFert paifiblement la domination des Empe-
reurs Idolâtres, Tyrans &: perfccuteurs de l'E-
glife, &:qui n' avoient pas refulé de reconnoif-
tre pour leurs Souverains les Empereurs qui s'ef-
toient faits Hérétiques, comme Conftantius,
Valens, Zenon, Anaftaie, Heraclius, Conftan-
tin I V. & V. Léon 1 1 1. & 1 V. Théophile, &c
les Rois Gots en Italie, les Vandales en Afri-
que, & lesVifigots enEfpagne & dans les Gau-
les, quoy- qu'ils fuflent tous Ariens.
Il ajouita, pallant au iecond point, qu'à
plus forte raUon l'on eftoit obligé d'obéir au
Roy, qui n'eftoit, par la grâce de Dieu, ni Payen,
ni Arien, ni perfecuteur de l'Eglife ^ des Ca-
tholiques qu'il protegeoit & maintenoit dans
tous leurs droits ; qui croyoit avec eux un mei-
me Dieu, un mefme Jeius-Chriil:, un mefmc
Symbole. Et quoy -qu'il fuit ieparé d'eux par
quelques erreurs qu'il avoit fucées, pour ainft
dire, avec le lait, & aulquelles il n'avoit renon-
cé que par une converfion forcée, le poignard
fur la gorge, qu'on ne pouvoir pas dire néan-
moins qu'il y fuit attaché avec l'opiniaftreté
qui cft propre de l'Hérelie , puis qu'il eftoit
tout réloiu de les abandonner auflitoft qu'on
l'auroit inilruit de la venté, ce qui luy faiibit
fouftenir modeftement qu'on ne devoir pas le
NNn ij
4CS Histoire de la LiGUEy
ï/53. faire paffer pour Hérétique. Qu^au reftc il y
avoir grand fujec d'efperer qu'il fe convertiroic
bientofti qu'il y efloit déjà tout difpofé, com.
me il paroilToit par la permifïion qu'il avoir don-
née aux Princes & Seigneurs Catholiques d'en-
voyer à Ces dépens le Marquis de Pifani à NoC
tre Saint Père , S>c de faire avec eux cette Con-
férence; qu'il s'eftoit mefme tenu découvert
' avec grand refped , en voyant pafTer une Pro-
ceiHon à Mante devant fes feneftres : qu'il
avoir renouvelle folennellement depuis peu de
jours la promelTe qu'il avoir faite de fe faire
inftruire, &c qu'il l'accompliroit infailliblement
au plûcort.
Et fur cela, pour s'aquirer de ce quils'efloit
propofé en troifiéme lieu, il fe mit à les con-
jurer avec les paroles du monde les plus fortes
ôc les plus tendres, de fc joindre avec eux pour
accomplir une fi bonne œuvre , & pour avoir
part à rin{lru6lion,& en fuite à la converfion
d'un fi grand Roy, qui recevant d'eux le de-
voir auquel ils eiloient obligez, leur donnc-
roit affeûrémenr la fatisfaôtion qu'ils fouhai-
toient , &c qu'il n'avoit pii donner en un temps
où, comme on la luy demandoit les armes à la
main, il euft femblé qu'il n'agilToit encore que
par force.
D'autre part l'Archevefque de Lyon qui n'a-
voit pas moins d'éloquence, d'efprit & de l(^a-
voir que rArchevefque de Bourges, en répon-
Livre IV. 4<;<,
dant par ordre aux trois points prapofez par ij^j.
ce Prélat, dit au nom de tous fcs Coliceucs.
qu'ils avoûoient qu'on doit rcconnoiltre pour
Roy, pour Maiftrc Souverain, ôc pour Chef de
la Monarchie Françoife celuy auquel le Royau-
me appartient par une légitime fucceflion. Mais
comme la Religion doit l'emporter pardefTus
la chair &c le fang, qu'il falloir neceflairement
que ce Monarque fuft un Roy Tres-Chreflien de
nom & d'effet , &c que félon toutes les Loix di-
vines ôc humaines il ne leur eftoit pas permis
d'obéir à un Roy Hérétique, dans un Royau-
me qui s'eftoit foumis à Jefus-Chrift , en rece-
vant ôc profeffant la Religion Catholique. Que .
Dieu dans l'Ancien Teftament avoit défendu
d'établir un Roy qui ne fuft pas du nombre
des frères, c'eft à dire, de la mcfme Reli-
gion qui fait la vraye fraternité ; que fuivant
cet ordre lesPreftres&: les Sacrificateurs d'ifraél
s'cftoicnt fouftraits de robéïlTancc du Roy Jé-
roboam, auflitoft qu'il eiit renoncé au culte
du vray Dieu 5 que les villes d'Edon &c de Labna,
qui cftoient du domaine des Lévites les mieux
inftruits en laLoy de Dieu, avoient abandon-
né Joram Roy de Juda pour la mefmc raifonj
qu'Araazias &c la Reine Athalia ayant quitté la
Religion de leurs pères, a voient efté renverfez
de leur Trône du confentement général de tous
les Ordres du Royaume ^ & que lesMachabées
cftoient eftimez ôc louez de toute la terre, com«
N N n lij N
47© Histoire de la Ligue.
ij;?3. me les derniers héros de l'ancienne Loy, parce
qu'ils avoient pris les armes contre Antiochus
leur Prmce Souverain, pour la défenfe de leur
Religion.
Que fî le peuple Juif avoir obcï au Roy des
Caldéens, c'eft qu'il s'y eftoit obligé par fer-
ment, félon l'exprès commandement que Dieu
luy en avoit fait par fes Prophètes, pour le punir
de fes abominations, en le ioumcttant à la do-
mination d'un Prince infidelle. Mais que pour
eux, bien loin d'avoir fait un pareil ferment,
ils en avoient fait, par l'autorité des Souverains
Pontifes, un tout contraire de ne reconnoif-
tre jamais un Hérétique pour leur Roy. Et quant
aux Catholiques, qui ne lailloient pas de ren-
dre obéïffance aux Empereurs & aux Rois Hé-
rétiques, il eft certain que ce n'cl^oit que par
pure contrainte pour leur impuiflance , ôc que
leur cœur n'y avoit nulle part, témoin l'étran-
ge manière dont les Saints Pères les ont traitez
dans leurs écrits, où ils les appellent loups,
chiens, ferpens, tygres, dragons, lions & An-
techrills, conformément à l'Evangile, qui veut
que celuy qui s'eil: révolté contre l'Eglife foit
tenu & traite comme un Payen , bien loin qu'on
le reconnoiffe pour Roy, & pour Roy Tres-
Chreifien. Qifau reltc, outre les Conciles re-
ccûs en France , &c les Loix Impériales qui dé-
clarent les Hérétiques indignes de toute forte
d'honneurs , de dignitez ôc de charges publi-
L I V R E T V. 471
<:jucs, beaucoup plus de la Royauté, la Loy 1553.
fondamentale de la Monarchie Frani^oife y ell
toute exprcflc, par le ferment que les Rois
Tres-Chrertiens font à leur Sacre de maintenir
,1a Religion Catholique, ôc d'exterminer tou-
tes les Hérefies^que c'eft pour cela qu'Us reçoi-
vent le ferment de fidélité de leurs Sujets, & que
les derniers Eilats avoient aireitc, avec l'ap-
plaudiflement général de tous les bons Fran-
<^ois, qu'on ne fe départiroit jamais de cette
Loy, qui fut receûë, & folennellement jurée
comme fondamentale de l'ElHt.
Enfin , pour achever ce qu'il avoir à dire fur
ce premier point, il ajoufta que (ans cela on
ne conferveioit jamais en France la Religion,
parce qu'un Prince Hérétique ne manqueroic
pas d'établir l'Hérefie dans les Eftats, tant par
Ion exemple que les Sujets fuivroient aifémenr,
que par fon autorité à laquelle on ne réfifte pas
long -temps : comme il n'avoit que trop paru
dans le Royaume d'Ilrael que Jéroboam ren-
dit idolâtre j ôc comme il paroilfoit encore en
Dannemark, en Suéde, dans les Eftats Protef-
tans d'Allemagne, & dans l'Angleterre , où les
peuples , iuivanc l'exemple de leur Prince , ôc
phant lous leur autorité, fe (ont laiffé malheu-
rcufemenc entraiincr dans cet horrible abif-
me d'Hérefies ou ils font encore aujourd'huy
plongez.
Et là-dellus paffant aux autres points de la
47^ HisTOirvE "DE LA Ligue.
ij-p3. harangue de M. de Bourges, il dit en peu de
mots, qu'on ne pouvoir douter que le Roy de
Navarre ne fuft Hérétique obftiné, & nulle-
ment difpofé à le convertir, puis qu'il fouf-
tenoit depuis fi long-temps d':s erreurs condam'
nées d'iîérefîes par des Conciles Oecuméniques,
ôi qu'il flworifoit plus que jamais les Hugue-
nots, & fur tout fes Miniftresi qu'on l'avoic
invité cent fois , mais en vain , à fe convertir;
qu'en fuite il feroit inutile qu'ils entreprilfent
de l'y exhorter; qu'ils ne le feroient jamais, par-
ticuherement, après qu'on l'auroit reconnu com-
me il le prétendoit ; & qu'ils avoient tous fait
- • ferment non feulement de ne le pas recon-
noiftrc, mais mefme de n'avoir nul commerce
avec luy tandis qu'il feroit Hérétique.
Or comme l'Archcvefque de Bourges, qui
"fçavoit le fecret du Roy, vit qu'après la forte
réplique qu'il fit à tout ce grand difcours, ils
eftoient arreftcz fur ce point duquel ils ef-
toient réfolus de ne rien relafcher,il crut qu'en
le leur accordant, l'affaire feroit bicntofl termi-
née. C'efl pourquoy ayant demandé du temps
pour confulter la-deflus les Princes de les Sei-
gneurs defquels ils eftoient députez, auflitoft
qu'il en eût receû laréponfe, qu'il içavoit bien
qu'on luy feroit, il dît en la feptiéme féance
le dix-leptiéme de May aux Députez de l'U-
nion , Que Dieu auoit enfin exaucé leurs vaux ,
O* ^«''/ï auwient tmt ce qu'ils avoient demandé
^oHr
Livre IV.*' 473 — -—
pour fawver U Religion çir l'Ejiatpar la conver/ton 15^3.
du Roj qu'on leur wvoit fait efjierer, ç^ de laquelle
on ùowvoit maintenant les ajjcùrer, puis que le Roy,
réfolu d'abjurer fon Hérefîe , U'voit déjà con'voqué les
Prélats ft) les IJocleurs dcjquels il louloit recevoir
l'injlruÛion , qui detoit précéder cette grande aclion
Cjue tous les bons Catholiques des deux partit fou-
haitoient avec tant d'ardeur, pour fe réiinir tout en-
femblc par une bonne paix. Et afin qu'elle Je fjl à la
fatisfailion d'un chacun , qu'ils pouvaient traiter avcc
eux des Jeûfete:^ f0 des autres conditions qu'ils pou-
vaient demander pour leurs interejls : les ajjeûrant, afin
de leur ofier tout fu jet de je défier, que rien ne s'exécu-
terait de leur cofié que le Roy ne fe fiufi déclaré ejfecîi-
vement Catholique.
Cette propofition que MefTieurs les Députez
de l'Union n'attcndoient pas, & qui ruinoic
toutes les prétentions de leurs Chefs, les décon-
certa tellement, qu'après avoir délibéré entre
eux pour y répondre, n'ayant pu rien conclu-
re, ils fc crurent obligez delà porter à l'Ai-
femblée des Eftats à Pans. Et ce fut alors qu'on
vit clairement que les Chefs du parti, qui ne
fongeoient qu'à fatisfaire leur ambition , fous
le beau prétexte d'un fort grand zèle de laFoy
Catholique, craignoicnt bien plus la conver-
fîon du Roy, qu'ils ne la iouhaitoient. Quoy-
qu'on leur euil fait voir par de très - puilîantes
raifons, appuyées de l'autorité des plus fçavans
Dûdeurs , qu'on pouvoit donner en France
OOo
474 Histoire de la Ligue.
Ï553. rabfolution au Roy, fans recourir à Rome,
vcû principaicment qu'on ne la donncroit que
4d caurelam , & que l'on envoyeroit après en
demander la confirmation au Pape: ils firent
répondre par l'Archeverque de Lyon, qu'on
fouhaitoit ardemment la converfion du Roy de
Navarre , mais qu'on ne la pouvoir tenir pour
véritable, que le Saint Père, au jugement du-
quel ils la foumettoient, & qui a fcul le pou-
voir Se l'autorité de l'abfoudre, ne l'euft recon-
cilié à l'Eglifci & qu'avant cela il ne leur cl^
toit pas permis d'entrer en aucun Traité de paix
ôc de feûretc , puis que ce feroit prévenir le ju-
gement du Pape, &: traiter du moins indirede-
ment avec celuy qui efloit encore hors de l'E-
glife, ce qui feroit directement contre le fer-
ment qu'ils avoient fait. Et fur cela le Duc de
Mayenne , qui ne cherchoit que les moyens de
retenir le plus long-temps qu'il luy feroit pof-
fible cette autorité prefque fouveraine qu'il
avoir ufurpée , & la plufpart des Princes & des
Seigneurs de fon parti firent un nouveau fer-
ment, entre les mains du Légat, de ne recon-
noiftre jamais le Roy de Navarre, quand mef-
me il fe feroit Catholique , fi ce n'eftoit par le
commandement du Pape. Ainfi demeurant tou-
jours fermes dans cette réfolution, qui empef-
choit abfolument qu'on ne paffaft plus outre
dans la Conférence , après fept ou huit féances
tenues à Surefne,&: deux autres à la Roquette,
Livre IV. * 47;
maifon du Chanccl'cr de Chiverny hors de la 155? 5.
porte Saint Antoine, & à la Villette entre Pa-
ris &c Saint Denis, on ne put jamais s'accorder,
& l'on ne conclut rien du tout qui tcndift à la
paix, pendant que les Elpac^nols cmployoïent
tous leurs artifices & tous leurs partilans dans
les Eftats, pour rendre la guerre éternelle par
réle(fiion d'un Roy.
Car avant mefme que l'on commencjafl: la Af'« «^^ /*
Conférence de Surefne, le Duc de Feria Am- cl^'«," N*f »»,
bafladeur extraordinaire du Roy d'Efpagnc vers
les Eilats Généraux de Pans, accompagné de
Dom Bernardin de Mendoze AmbafTadeur or-
dinaire, de Dom Diego d'Ibarra, ôc de Jean
Baptifte Taflis, preienta en pleine Aflemblée, tettreàusoy
OU il rut receu avec de grands honneurs, les R,vcrendtf.
Lettres de TonMaiftre, par lefquellesil rexhor-'"^"^''"'*^^'
toit à procéder au plùtolt a l'éledtion d'un Roy f's h>en-^,m,^
Catholique. C'eftoit ce que ce Prince fouhai- tftl'tsCenL
toit pallionnément, tant pour rendre les deux ^^"^ '''^^ ^'■''*"
partis irréconciliables, comme ils l'eulTent efté ^"" '• ^
fans doute, fi Ton cuft fait un nouveau Roy,
que pour faire tomber la Couronne à l'Infante
fa fille, comme il s'en cftoit déjà expliqué plus
d'une fois. En effet, ces Elpagnols ne manquè-
rent pas quelque temps après de propofcr Ion
droit prétendu de proximité, citant fortie de
la fille du Roy Henry 1 1. Puis voyant qu'on»
vouloir ablolument unRoy,ils propoferent de
nouveau de la marier avec i'Archiduc Erncit
OOoij
47^ HrsTÔÎRE DE LA LiGtJS.
15^3. frerc de l'Empereur Rodolphe. Mais comme
ils virent que ces deux propoiinons eftoienc
très -mal reccûes de leurs parnfans mefme les
plus zelez, qui vouloient, comme tous les au-
tres, qu'on elcuft un François auquel le Roy
d'Efpagne pourroïc donner la fille en mariage:
ils firent enfin une nouvelle ouverture , après
avoir pris du temps pour délibérer fur une af-
faire de cette importance, &: dirent que le Roy
leur mailtre, pour les latisfairc, eftoitpreft d'ac-
corder le mariaee de l'Infante avec un Prince
François qu'il nommeroit, y compris ceux de
la Mailon de Lorraine, puis qu'il cftoit juflc
que ce fuft luy qui le choifill un gendre j mais
qu'il falloit aulTi que les Ellats les éleufTent, dc
les déclaraient tous deux Roy & Reine de Fran-
ce folidairement, ôc qu'il employeroit pour les
maintenir toutes les forces de les Royaumes.
Comme prefque tous les Députez ne vou-
loient autre chofe qu'un nouveau Roy qui fuft
François, cette propofition qui leur paroiflbit
extrêmement avantageule fut receûe avec tant
d'applaudifl'ement, que le Duc de Mayenne,
qui clloit retourne depuis peu aux Eltats pour
rompre les deflcins desEfpagnolsjn'ola s'y op-
pofcr diredbement , quoy- qu'il euil: fortement
réfolu d'empclcher par toutes les voyes qui luy
feroicnt poilibles, qu'on ne filf cette éleétion
qui ne pouvoit tomber fur luy. Or comme il
en cherchoit les moyens, cette partie du Parlç^
il o
Livre IV. 477 •
ment Jcs Pairs qui crtoit à Pans pour la Ligue, i ; ^ 3^
ayant confervé, nonobftant cette diviiion des
membres de cet augufte Corps, les généreux
fcntimens, &c les maximes mviolables. qu'il a
toujours fait valoir en toutes les occaiions. Se
en quelque eftat qu'il le loit trouvé, pour main-
tenir les Loix fondamentales &C les Libertez de
la Monarchie Franqoile, luy en fournit un ex-
cellent. Car la Cour ayant appris qu'on fem-
bloit approuver dans les Ellats la propoiition
des Efpagnols, rendit le vingt -huitième de
Juin ce célèbre Arreft, qui porte: Que^nayAnt, jrrejf j,nni
comme elle n'a j^mau eu, autre intention que de main- '^J'u^r^ènt t«
tenir la E^eligion Catholique, ^^ofîolique ^ Romaï- ^""^ '* '^•
ne en France , Joui la proteÛion d'un Roy Tres-Chrcf- it.i,
tien, Catholique ^ Françoa , elle a ordonné ^ or-
donne qu'on fera des remontrances ce jour -là mefme
a Ad. de Aiayenne, Lieutenant Général de l'Eflat &
Couronne de France , en U prefence des Princes çjr
Ojjîciers de U Couronne ejlant de prcjent à Parti , x
ce qu'aucun Traité ne Je jajje pour transférer la Cou-
ronne en la main de Princes ou Prince fjes Ejîrano-ers . . ,
^ qu'il ait A employer l'autorité qui luy eji commifc
pour empejcber que fous le prétexte de la Religion U
Couronne ne Joit transférée en main eflrangere contre
les Loix du Royaume . . . . çir que dés à prejent elle
A déclaré (^ déclare tous les Traite:^^ faits , ^ qui fè
feront cy- après pour l'établijpment d'un Prince ou Prtn'
cejje ejirangere, nuls ç^r de nul effet & 'valeur, com-
me faits au préjudice de U Loy Salique , (^ autres
OOoiij
47^ Histoire de la Ligue.
I JP5. Loix fondamentales du Royaume de France. Le Duc
de Mayenne fit femblant d'eftre fore irrité de
ce qu'on avoir rendu cet Arreft fans luy, & en
fit de grands reproches au Premier Préiîdenc
Jean le Maiflre , qu'il avoit établi dans cette
charge , & qui ne r(^achant pas fon fecret luy
répondit avec toute la force que doit avoir le
Chef d'une fî célèbre Compagnie quand il fait
fon devoir. Mais dans la vérité ce Prmce adroit
en fut fort aifè, parce qu'il efpera que cet Ar-
reft affoibliroit du moins les pourfuites des Ef-
pagnols. Il trouva néanmoms tout le contrai-
re. Car comme ils virent par cet Arreil: , & par
la prife de Dreux que le Roy avoir afTiegé Se
emporté de vive force fur ces entrefaites, que
pour peu qu'on retardaft l'élection d'un Roy,
il y avoit grande apparence qu'elle ne fe feroic
jamais : ils fe mirent à la prefl'er plus fortement
qu'auparavant de la manière qu'ils l'avoient
propofée. Pour détourner ce coup , M. de
Mayenne qui crut qu'ils n'avoient qu'un pou-
voir général de nommer celuy qu'ils jugcroient
le plus à propos pour leur interell, leur dk qu'il
falloir neceÛairement attendre qu'ils en eufïènt
receû un particulier, où le Roy leur mairtre
nommait celuy qu'il voudroit choiiir pour fon
gendre.
Mais il fut bien furpris, lors que, comme ils
avaient apparemment pluficurs blancs -lignez
pour s'en Icrvir dans les occalions. Us luy mon-
Livre IV. " ^ 47P
trTent, en prcfencc du Cardinal Lcgat & des ij^j.
f)rincipaux membres des Ertats aflcmblcz chez
uy , le pouvoir qu'ils avoient en bonne forme <, .
de nommer le Duc de Guife. Il cacha néan-
moins le mieux qu'il put l'extrcmc chagrin qu'il
avoir de cetcc nommation que la Duchefle fa
femme ne pouvoir fouffrir, îuy confcillanc de
faire pliitolt la paix avec le Roy, que d'cftre fi
lafche que de reconnoilhe pour Ton Maiftrc
ÔC pour Ton Roy ce petit garçon ; c'cft ainfi qu'el-
le appelloir par mépris fon neveu. Mais le Duc
de Mayenne , qui ne vouloir pomt encore alors
avoir de Maiftre, prit un autre biais, & deman-
da huit jours de temps pour donner par écrit
ce qu'il demanderoit pour fon dédommage-
ment que les Efpagnols Iuy accordoient tel
qu'il le pourroit fouhaiter. Et cependant il fceiic
il bien ménager les efprits, ôc faire compren-
dre à la plufpart des Députez , aux Seigneurs
& aux Princes, &: au Duc de Guife mefme,
que c'efloit un horrible contre -temps que de
créer un Roy avant qu'on euft des forces fuf-
fifantes pour le maintenir contre un Roy tres-
puifTant & vi(l^orieux : que malgré tous les par-
tilans d'Efpagne on répondit aux Miniilres Ef-
pagnols, qu'on eftoit réfolu d'attendre à pro-
céder à cette élection qu'on euft receû le grand
fecours que le Roy d'Efpagne promettoit. Ainfî
l'éledion fut différée par l'adrcile du Duc de
Mayenne i ce que le Do(^eur Mauclerc, grand
4S0 Histoire de la Ligue.
i^^3. Ligueur, déplore amèrement dans une Lettre
vu^.d-Aïuji qu'il écrivit de Paris au Dodteur de Creil , autre
Mnn,t. t. t>on Ligueur qui cftoit à Rome pour les inte-
refts du Parti, &: auquel il découvre tout ce
mylterc, qui en effet rcnverfa toutes les ma-
chines des Efpagnols & de la Ligue, & détrui-
fît tout leur ouvrage. Car en fuite il arriva bien
des chofes qui firent qu'on ne parla plus défai-
re cette éledîion, & dont la première & la prin-
cipale fut la converfion du Roy, de laquelle il
faut maintenant que je parle,
c*jtt.îi»vi». Il y avoir déjà plus de neuf ans, qu'encore
'"*■ qu'il fuft Chef Ôc Protcdeur des Huguenots,
il avoit cherché les voycs de le réunir avec tout
fon parti à l'Eghfe Catholique, Car en l'année
mil cinq cens quatre- vingts -quatre, un peu
avant que les Princes liguez cullent pris les ar-
mes, le feu Roy luy ayant envoyé M. de Bel-
liévre à Pamiers, pour luy déclarer qu'il vou-
loir que la Mefle fuft rétablie dans le Comte
de Foix 6c dans tous les autres pais qu'il te-
noit fous la Souveraineté de la Couronne de
France : il fie fonder par un des Miniftrcs de
fa Maifon, qui eitoit d'alfcz bonne compo-
sition, la volonté des autres Minières de ces
païs-là, pour f(çavoir s'il y auroit lieu d'cfpe-
rcr qu'ils vouluifcnt s'employer de bonne foy
à. chercher les moyens de faire une réiinion gé-
nérale avec l'Eglile Catholique. Ils fe relafche-
icnt fans beaucoup de peine , fur tous les points
de
Livre IV.'' 481
de Controverfe, excepté fur un feul qui leur 159$.
tenoic le plus au cœurj fçavoir, leur intereft,
en demandant de grands appointemens que
l'on n'eftoit pas en cftat de leur donner, & di- ■ •
fant fort naïvement, voicy leurs propres ter- >
mes , Qu'ils ne 'voulaient pds ejlre ^Jfigne':^ Jur la rente
des Ecoliers t qui n'ejl autre que le Peto.
Plufieurs de fon Confeil, & entre autres le
(leur de Segur, l'un de ceux aufquels il fe fioit
le plus, eftoient néanmoins d'avis qu'il n'a-
bandonnaft pas cette entreprife, & qu'il taf-
chaft d'en venir à bout doucement & fans bruit,
en gagnant les principaux de fon parti. Et il
y eftoit tellement porté, qu'il ne put s'empef-
cher de protefter alTez fouvent, lors qu'il fut
parvenu à la Couronne, &: fîngulierement après cayit.Ktvin.
la bataille d'Ivry , qu'il fouhaitoit de tout fon '• '•/•^^*-
cœur qu'on fe réiinilt à l'Eglife, de laquelle on
s'eftoit feparé , & qu'il croiroit avoir fait plus
que pas un de fes Prédecefleurs, fî Dieu luy fai- ^ ,
foit la grâce de pouvoir faire un jour cette réu-
nion fi neceflaire, & devoir que tous les Fran- . "1
çois, qui ne peuvent avoir qu'un Roy,n'ayent ^
aufli qu'une mcfme Foy. Mais il y a g-r^nde
apparence que Dieu avoir relerve cette gloire ■■ '■■
au Roy Loûïs le Grand fon petit fils, dont les
vidtoircs non fanglantes, qu'il remporte tous
les jours en pleuie paix fur l'Fiérefîe par fa fa- - '
ge conduite ôc par fon zèle, qui ont trouvé
l'art de ramener iebPxoteftans en foule, de fans • ,
PPp
48i. HiSTOÎRE DE LA LiGUE.
ij5>3. violence à. l'Eglifc, nous font efpercr que c'efl
Tous Ion Règne qu'on verra l'accompliiTemenc
du fouhaic de fon ayeul.
j^. Kcve». On a mefme Cccù. que ce Prince, lors qu'il
t»f-i4 ' j-^'gf^QJj- encore que Roy de Navarre, en ce
temps dont je parle , dit un jour en confiden-
ce à l'un de lesMiniftres, qu'il ne voyoit nul-
le dévotion dans ia Religion ^ que tout con-
fill:oit à ouïr un Prefche en beau François, &
qu'il avoit toujours dans l'efprit qu'on doit
croire que le Corps de Noftre Seigneur eft au
Saint Sacrement , car autrement la Cène ne fc-
roit qu'une iimple cérémonie extérieure, lans
avoir rien de iolide&d'eflentiel. C'eft icy qu'il
me femble que je ne puis me difpenfer de ren-
,. dre la juftice qu'on doit au mérite d'un des
plus grands hommes que nos Rois ayent ja-
mais employez dans les plus importantes nego-
tiations, & qui contribua le plus à mettre ces
^ bonnes difpofitions dans l'ame du Roy de Na-
Ticr.^.m^J. varre. C'eft le célèbre François de NoaillesEvcf-
Z. de jintich. ,, . ■ , n •' 1 • •
,. ^+. que d Acqs , qui s elt aquis une gloire immor-
3aud,er.H<ft. [elle oat ks crrands ferviccs qu'il a rendus plus
de trente -cinq ans a la France, tous quatre de
Jrunc. Lut- H 11
t,,M de 'i!"fi. nos Rois, en quinze voyages hors du Royau-
jiq!„t.vtus. o^ çj^ quatre Ambaffades folennelles , en
l.etrr. de M. ^ ~^ \ r \ r ^
fnreduKoyk Angleterre, a Vernie, a Rome, & lur tout a,
fjcou^ll Conftantinople. Car il fit de fi belles chofes
TévrUr.s^c. ^^ ^z^. c^ploy , Dout l'inteteft de I^ Religion
Roberii G.ili. / , ■'.^ \ i^ • ni- t t o ;
chnft. auprès du Grand Seigneur Selim 1 1. & en vi-
Litre IV. 4S5
firent luy-mcfmc la Syrie, la Palellinc, & l'E- i;5>3.
gyptc , pour y procurer le foulagcmcnt & l'a- ^J"'',!' '^'
vanta gc des Chreftiens, cjue les plus grands Prin- f'^"»'- i«'i.
ces de la Chrefticnté fe crurent oblieez d'en 5'T '^'^^■
on Acc^s e. M.
taire des remercHTiens au Roy. Le Pape Gre- '', cardinal
goire XIII. voulut mefme que Ton Nonce en ^ursiIVi'.
témoio;naft de fa partlareconnoifTance à l'Am- ^""'- ^' *^-
balladeur, lors quil païkroit par Venue pour -^^ np. de
s'en retourner en France, & qu'il le fuppliaft féStr'j^'j
de faire en forte que Ion frère l'Abbé de rifle,,
qui luy avoir luccedé en plufîeurs de fesNego-
liations 6c en cette Ambaflade, comme il luy
fucceda depuis en l'Eveiché d'Acqs , fuivift
de fi beaux exemples qu'il luy avoit donnez. • "
Il eft vray que le Pape Pie V. Prédeceil'cur
de Grégoire avoit d'abord trouvé fort étran^
ge qu'un Evefque fuft AmbafTadeur du Roy
Tres-Chreftien à la Porte Ottomane. Mais
outre que l'Evefque d'Agria, tres-fage &c très- '. ■
vertueux Prélat, le fut bien cinq ans pourl'Em- ^'C- ''' ^^^
pereur Maximiiien 1 1. lans qu on y trouvait a ur.ot^ne </.
redire ; il changea bien de fentiment, quand après 3 o".'jl'iiiu
que l'Evelque d'Acqs eût obtenu par Ion cre- ''^'^ ,
dit que le Grand Seigneur fift défenle à Piali
BafTa Général de Ion armée Navale, de faire -:
deicente fur les Terres de l'Eglife , ce faint Pon- ,\';;
tife luy promit, en reconnoiflance d'un li grand
bienfait, de l'élever au comble des plus grands-
honneurs dont les Papes puiflent récompenier
un grand iervice rendu à l'Eglilc.
4^4 Histoire de là Ligue.
^5P3- C'cftoient-là les emplois de cet Evefquc,
donc le mérite ne fut pas moins éclatant que
celuy de Ton Aidé Antoine de Noailles Chef
de cette illultre Mnfon, l'une des plus ancien-
nes & des plus dillinguées du Limoiin, qui fut
Luritm. AmbafTadcur en Ansleccrre, Gouverneur de
Bordeaux, & Lieutenant de Roy en Guyenne,
où il fervit l'Ellat ôc la Religion avec ce met-
me zèle qu'on voit éclater aujourd'huy avec
tant de fuccés & de gloire dans la pofterité.
Leur, it M. Qr cc fut Dat ce mefme zèle de la Religion
de chivernj. quc tTafK^ois de Noailles, après avoir réduit au
// 30' lÂTy" nombre de douze les cent familles de Huguenots
'^*^' qu'il avoit trouvées dans Acqs, quand on luy
eût donné cet Evefché, ne manqua pas de fc
prévaloir d'une belle occafîon qu'il eût de faire
au Roy de Navarre une forte remontrance, qui
produifit en fon temps l'effet qu'il en efperoit.
ttitr. dt M. Car ayant conféré par ordre du Roy à Nerac
dt np fon deux ou trois rois avec ce Prince, pour le prcl-
{TosUr fer de rétablir l'exercice de la Religion Catho-
ISS3. lique en Bearnj comme il vit qu'on luy oppo-
^"iitZ'f' foit toujours de nouvelles difficultez, il ne s'ar-
se£»r SNTin. j-^fj-^ pjyg ^ ^ç Doint particuUcr, &c venant au
te„d.duRoy • ^ j * 1 a J' J " 1 1
desav^rrr. principe dont tout le reite dependoit, il luy
iuf"sV3. <^ic en prefence de Segur, avec toute la force
ôc la finccrité que doit avoir un fidelle Minis-
tre , ^«'î/ ne falloit pM que Sa Majefié pretendiji
s'appuyer Jur un parti, qui, quelque put jjant qu'il pa-
ruj},jemt toujours trop fbihle, pour le porter , mal-
Livre IV. 48^
iré les Catholiques infiniment ^Im forts, jujques où ij<?3.
Jk naiffànceçy la fortune le pourroicnt un jour élever.
Que quelque miracle qu'il fifi:, il n avancerait jamais
rien qu'il ne Je fujl réconcilié de bonne fiy avec l'E^
^lije Catholique; ^ qu'il Jeroit impojjihlt', ce furent
là les propres termes, qu'il pufi jamais rien édfier
de Jolide pour l'avancement de fu fortune dedans (^
dehors ce Royaume , s'il ne hajiijjoit fur ce fonde-
ment.
Ccft ce qu'il dit en prenant congé du Roy i*'''.
de Navarre, Se peu de jours après écrivant d'A-
gen au fîeur de Segur Surintendant de ce Prin-
ce, il luy protefle que Ton Maiftre ne parvien-
dra jamais à ce qu'il peut prétendre légitime-
ment, s'il n'entre par cette porte, & le prie de
fe fouvenir, que fi l'on ne fuit Ion confeil, il
luy dira quelque jour ce que dit Pétrarque :
Error d'avanti , e peniten:(a adietro.
Ce difcours ébranla Segur qui avoir beaucoup
de pouvoir fur refprit de fon Maiftre ; ôc ce
fut principalement ce qui l'obligea de luy don-
ner le confeil que nous avons dit, & qui en
fuite fit fonger fcrieufement le Roy de Navar-
re à fe réiinir avec les Catholiques.
Mais comme fur ces entrefaites la Ligue com-
mencja tout ouvertement fa révolte, ôc obtint
en fuite les armes à la main un Edit, par lequel
on s'obligeoit à faire puifTamment la guerre
aux Huguenots, Segur qu'il avoir envoyé de-
PPp iij
4^^ Histoire de la Ligue.
f/5>5- puis peu demander du fecours en Allemagne,
îuy écrivit après qu'il l'eût obtenu , qu'il ncC-
toit plus temps de parler de le faire Catholi-
que, quoy-que luy-mcfme le Iuy euftconfeillé
auparavant ; ôc que puis que fes ennemis le vou-
ioient contraindre par force à changer de Re-
ligion, à peu prés comme on avoit fait à la
Saint Barthélémy, qu'il devoit fe roidir contre
eux, &c défendre fa liberté par les armes, afin
qu'on ne pufl: pas dire qu'il plioit lafchement
fous leur volonté, & qu'il pull faire en un au-
tre temps librement & avec honneur ce qu'il
ne feroit maintenant qu'avec honte ôc par con-
trainte.
Il fuivit cet avis, qui fut aulïi celuy de fon
Confeil. Il fit la guerre, &c parut toujours à la
tefte des Huguenots avec le fuccés que nous
avons veû : mais il ne laiifoit pas cependant,
comme il avoit i'efprit vif & fort pénétrant,
de s'inftruire d'une manière aflez adroite, tan-
toft en propofant à (es Miniftres Tes diflicul-
rez, ou plûroft fes doutes lur les points de fa
Rehgion, pour fcavoir d'eux fur quoy ils fe
fondoient , tantoft en conférant avec de fça-
vans Catholiques , de fouftenant le plus forte-
ment qu'il pouvoit contre eux ce qu'il avoit
appris des Miniftres, afin de pouvoir découvrir
par leur réponfe, en la conférant avec celle de
ces Miniftrcs, de quel coftc eftoit le foUde ôc
la veiité. Et il contmua toujours cette forme
Livre IV. 487
d'infl:ruâ:ion en s'éclaircifTint ainfi des princi- ijP3-
paux points de Controverie , &c le fliiiant mef-
mc donner par cent ce qu'on avoir à dire pour
ou contre : ce qui fie que les Huguenots ne le
crurent jamais trop ferme en la Religion, &
qu'ils fe fioient bien plus au feu Prince de Con-
dé, qui cftoit en effet bien meilleur Proteftanc
que luy.
Et certes il y a grande apparence que quand
à fon avènement à la Couronne il promit aux
Princes Se aux Seigneurs Catholiques de fe faire
inftruire dans fix mois, il avoir déjà réfolu de
fc convertir, ne luy reftant que fort peu de cho-
fcs fur lefquelles il vouloir encore demander
quelque éclairciffement. Mais, comme ill'avoûa
depuis, il crut eftre obligé de différer cette bon-
ne action jufqu'à un autre temps, parce que les
Huguenots n'euffent pas manqué de fe canton-
ner, &c de fe choifir quelque puiffant Protecteur
chez les Eftrangers; ce qui euil caufé de nou-
veaux troubles en France. Outre que les Chefs
de la Ligue avoient alors trop de forces pour
fe foumettre a luy, quand mefme il fe fuft dé-
claré Catholique, &c que les peuples n'ayant
pas encore fenti les maux extrêmes de la guer-
re, la vouloient à toute force contre luy; ôc
qu'en fuite il n'euft pu encore parvenir à la,
chofe du monde qu'il fouhaitoit le plus ar-
demment , fqavoir de rétablir la paix dans fou
Royaume en embraffant la Religion de fcs Pères»
Histoire de là Ligue.
ïi5>3> Mais un peu avant que l'on commençift la
Conférence de Surefnc, il vit, après avoir fait
une lolidc réflexion fur l'eftat prefent de fes af-
faires, que toutes chofes concouroient alors à l'o-
bliger de ne différer pas plus long-temps facon-
verfion. Car d'une part il eftoit allciirc des
principaux Chefs Huguenots qui pourroient re-
muer, &c dont melme plufieurs des plus puif-
fans ne firent nulle difficulté de luy dire qu'en
bonne politique il devoir aller à la Meflc, ÔC
que la paiiible poffefTion d'un grand Royau-
me en valoir bien la peine. De plus, les Chefs
de l'Union eftoient fi foibles ôc fi peu unis en-
tre eux, qu'ils n'eftoient plus du tout en eftat
de luy réiifter long- temps, quand ils ne vou-
droient pas lereconnoiftre. Et pour les peuples
de la Ligue , ils cftoient fi faouls de la guerre
qui les confumoit , qu'ils ne demandoient que
la paix.
D'autre part, il voyoit que IcsEfpagnolsfai-
foient tous les efforts imaginables pour obliger
les Eftats à créer un Roy Catholique ■■, qu'il y
avoit grand danger que le Tiers parti, qui peu
auparavant avoit fait complot de l'enlever dans
Mante, fc joignant a ces Catholiques Ligueurs
qui ne vouloient point des Efpagnols, ne fift
auffi un Roy de fon cofté , ce qui feroit jettcr
la France dans une effroyable confufion 5 &
qu'enfin ceux mefmes qui n'eftoient pas de ce
parti, Ôc qui l'avoient toujours fcrvi avec une
inviolable
Livre IV^'-'' '485
inviolable fidclitc, le conjuroient de ne plus ijp3.
dilïcrcr à fe convertir, & le faifoicnc d'une ma-
nière à luy faire entendre fans dcguiicmcnt ,
qu'ils eil:oient réfolus de l'abandonner s'il n'a-
Bandonnoit fa faufl'e Religion.
Tout cela mis enfemblc acheva, par la grâ-
ce de Dieu qui fe fcrc des caufes fécondes, de
le déterminer à accomplir enfin ce qu'il avoir
projeté depuis ii long-temps, & à faire publi-
quement profeflion de la Foy Catholique. De
forte que quand le lieur François d'O, ccluy de
tous les Seigneurs de la Cour qui parloit le plus
librement, le vint prefl'er d'une manière aifez
forte , de la part de tous les Catholiques de
fon parti, d'accomplir la promefle qu'il leur
avoit faite, il luy fit entendre fort paifiblement
les trois raifons que je viens de dire qu'il avoit
eues de différer la convcrfion jufqu'alorsj &c
puis il luy donna pofitivement la parole, que
dans trois mois pour le plus tard, après avoir
veû ce que produiroit la Conférence de Suref-
ne,ilferoit abjuration de l'Hérciie, après avoir
reccû l'inftrudtion des Evefques &: des Dodteurs,
laquelle devoir précéder, félon les formes de
l'Eglife, une fi célèbre action, luy ordonnant
au rcfte d'en affeûrer l'Archevefque de Bourges
qui alloit partir pour la Conférence. Et c'clt
fur cela mefme que ce Prélat, après avoir reccû
la réponfe qu'il Ic^avoit bien qu'on luy feroïc
de Mante où la Cour elloit , parla comme il
45>o Histoire de la Ligue.
ij5>3. fie à Surefnei & croyant avoir terminé l'affai-
re, donna en la feptiéme féance, le dix-feptié-
mc de May , aux Députez de la Ligue pleine
afleûrance de la converfion du Roy.
Aufïï ce Prince, qui eîloit fortement réfolu
à une fi iainte action, ne manqua pas d'écrire
le feiziéme du melme mois à plufieurs Prélats
& aux Codeurs, tant de ion parti que de ce-
luy de la Ligue, une fort belle lettre, par la-
quelle il les invite à fe rendre auprès de luy
dans le quinzième de Juillet, afin qu'il puiffe
recevoir les bons enfeignemens qu'il attend
d'eux, les affeiirant, voicy les termes de fa Let-
tre, Qu'ils le trouveront très -difjjosé t0 docile à
tout ce que doit un Roy Tres-Chrcjlien j qui n'a rien
plus 'vi'vement gTAvé dans le cœur que le :^ele du fer-
lice de Dieu, cy la, manutention de fa njraje Evlife,
Cependant les Miniitres & les vieux Hugue-
nots rigides & fauffement zelez pour leur Sedle,
craignant ce coup fatal à leur prétendue Reli-
gion, faifoient fouvent des Ailemblées iecretes
pour chercher les voyes de le détourner d'une
îî fainte rélolution. Il y en eût mefme qui ofe-
rent prendre la liberté d'en parler dans leurs
Prelches, &: de le menacer publiquement des
jugemens de Dieu s'il abandonnoit l'Evangile,
car c'efl: de ce beau nom qu'il leur a plû d'hono-
rer leurs erreurs. Cela l'obligea d'aflcmbler avec
les principaux Seigneurs de cette nouvelle Re-
ligion, tous ces Prédicans, qui efiioient alors
L I V R E I V. 4^1
en grand nombre à la Cour, & qui au grand i;^5.
regret des Catholiques l'obfedoient éternelle-
ment, & de leur dire nettement, pour fe déli-
vrer une bonne fois de la fafcheufc pcrfécution
qu'il en loufFroit, qu'après avoir fait devant
Dieu toutes les réflexions neceffaires fur une af-
faire de cette importance , il avoit enfin réfolu
de rentrer dans l'Eglife Catholique dont on
n'avoit pas deû fe léparer. Et comme le Minif-
tre la Paye l'eût conjuré au nom de fes Con-
frères de ne pas permettre, ce font- là fes pa-
roles , Quun fi grand Jcandale leur avint. Si je fui^
lois loflre avh , leur dît -il, il n'y auroit ni Roy^
ni Rojaume dans peu de temps en France. Je dejire
donner la paix a tous mes Sujets, & le repos à. mon
ame, ç^r 'vou^ aure-;^ aujji de moy toutes les feûfete-;^
que 'VOUS pouve:^^ raijonnablement Jouhaiter. Ainfi,
comme il elloit fans comparailon le plus fort,
ôc au meilleur eltat où il le l"uft encore trouvé,
immédiatement après qu'il eût emporté la ville
de Dreux, que la Ligue, à laquelle cette place
importoit extrêmement , n'ofa jamais entrepren-
dre de lecourir, il affigna le lieu où il vou-
loir recevoir l'inllruôtion, qui devoir précéder
l'adte de l'abjuration, à Saint Denis pour le
vingt -deuxième de Juillet,
Le Cardinal de Plaifance fit publier une Dé-
claration, par laquelle, afleûrant comme Legac
du Saint Siège que tout ce qui le feroit au lu-
jet tle cette convcrliou feroit nul , il exhorte
4^i Histoire de la Ligue.
j^*)3, les Catholiques de l'un & de l'autre parti à ne
fe pas lailTer tromper en une chofe de cette im-
portance : défendant à tous, ôc fur tout aux Ec-
clefiaftiques , fur peine d'excommunication &
de privation de leurs Bénéfices, de fe trouver
à Saint Denis pour y aflifter à cette adtion.
Mais nonobftant toutes ces défenfes, qu'on
crut eftre faites à la foUicitation des Efpagnols,
les Princes, les Officiers de la Couronne, les
principaux Membres des Parlemens, les Sei-
gneurs de la Cour, les Evefques, & plufieurs
Do6teurs,non feulement du parti Royal, mais
aufTi de celuyde la Ligue, s'y rendirent, & en-
tre autres trois célèbres Curez de Paris, René
Benoift de Saint Euftache, Chavignac de Saint
Sulpice,& Morennes de Saint Merry, qui bien
éloignez de l'efprit feditieux de leurs confrères
les Curez de Saint Benoift, de Saint Se vérin,
de Saint Cofme, de Saint Jacques, de Saint
Gervais, de Saint Nicolas des Champs & de
Saint André qui s'eftoient le plus furieufement
déchaifnez dans leurs (candaleuies Satyres plû-
toft que Prédications contre le Roy, eurent la
gloire d'avoir eu part à la converiion de ce grand
Prince,
Or eflant arrivé de Mante à Saint Denis le
Jeudy vingt -deuxième de Juillet, il entra dés
le lendemain en Conférence , &c y fut depuis
les fix heures du matin juiqu'à une heure après
midy avec i'Archevelque de Bourges &: lept
Livre IV. 4^)3
ou huit Evefqucs, entre Icfcjiicls cftoit M. du i J^3.
Perron nommé à l'Evelché d'Evrcux. Plulicurs
Docteurs célèbres le trouvèrent à cette Aflèm-
blée avec ces trois Curez de Paris, &c le Perc
Olivier Bcrancrer, fçavant Jacobin, Prédicateur
ordinaire du feu Roy. L'inl1:rutl:ion le fit par-
uculicrement touchant ces trois points fur lef-
quels le Roy propola quelques difficultez.
Le premier, iur l'invocation des Saints , pour
fcjavoir s'il elloit abiolument neceflaire qu'on
les priait. Sur quoy on le iatisfit aifément, en.
luy faifant entendre ce que l'Eglife enfeigne là-,
dellus: l^avoir, que comme il ell utile de fe re-
commander aux prières de nos frères vivans,
fans que cela falTe aucun tort à la qualité de
Jefus-Chrill nollre médiateur ; il eft aulfi trcs-
profitable de recourir aux Saints pour les prier
d'intercéder pour nous, afin de nous obtenir
de Dieu des bienfaits &c des grâces par Jefus-
Chrift, Dieu leur faifant connnoiftre & nos be-
foins & nos prières de la manière qu'il luy
plaift, comme il apprend aux Anges, félon l'E-
criture, ce quife palfe parmi nous, ôcaux Pro-
phètes les chofes tutures , quoy-qu'elles loienc
plus particulièrement réfervées à la connoiflan-
ce de Dieu.
Le fécond, fut fur la Confelfion auriculaire ;
ÔC on luy fit voir clairement que Jefus-Chrift
ayant donné commillion à fes Minillres, en
termes généraux, de remettre ou de retenir les
4^4 Histoire de la Ligue.
i^^3. péchez par fon autorité, on ne pouvoit reftrain-
dre ce pouvoir aux feuls péchez pubHcs , &c
qu'il falloit en fuite neceflaircment que les pe-
nitens donnafTent aux Preftres une connoifTan-
Ce parfaite de tous les crimes qu'ils auroient
commis, afin qu'on puft faire un julle difcer-
ncment de ceux qu'il faut remettre, & de ceux
qu'on doit retenir.
Le troifiéme, fur lequel il voulut eftre bien
inftruit, fut fur l'autorité du Pape, à laquelle
il fe fournit fans peine, quand on l'afl'eûra, que
félon l'Evangile, les Conciles , & les Saints Pè-
res, elle ne s'étendoit que fur les chofes pure-
ment fpirituellcs de entièrement détachées du
temporel , ôc nullement fur les Droits & les Li-
bertez des Rois ôc des Royaumes. Comme en
fuite on voulut venir au point de la prefence
réelle du Corps de Jefus-Chrift au Saint Sacre-
ment de 1 Autel, celuy de tous les Articles con-
tellez entre les Catholiques & les Huguenots
' en quoy ils peuvent le moins s'accorder: il ar-
rella les Eveiques , en leur difant qu'il eftoit
tout pcrfuadé de cette vérité, qu'il n'en dou-
toit point du tout, &c l'avoit toujours crue.
On dit aulTi qu'ayant fait faire une Confé-
rence entre les Docteurs ôc les Minillres, com-
me un de ceux-cy fut tombé d'accord qu'on
fe pouvoit fauver dans l'Eglilc Romaine, car
ils en convenoient alors, il dit de tort bonfens;
// nj a donc plus à délibérer; il faut que je Jots Ca-
Livre IV. " 45;
tholique y four f fendre le plus feur , en homme fage , i j p 3.
d^ns une affaire aujji importante que celle du falut,
puis que fclon lés Catholiques ^ les H^umenots je
puis me Jauver eflant Catholique, (^ que ft je demeu^
rois Huguenot je fer ois damné au fmtiment des Catho^
tiques. Quoy qu'il en loïc, eftant parfaitemenc
inllruit, &c bien perluadé de tous les points de
la créance de l'Eglife Romaine dont on drefla
une formule de Profeffion de Foy qu'il figna,
il ne rertoit plus qu'a faire lolennellement
cette ProfclTion félon Tufase de l'Eglife, & x
recevoir l'abfolution de fon Hércfie & de la ■' '
Sentence d'excommunication qu'on avoit por-
tée contre luy. " •' i- ' •
Mais il falloir auparavant examiner de nou-
veau dans une Conférence réglée, pour rendre
la décifion plus authentique, Ç\ les Eveiques
le pouvoient abfoudre en France de l'excom-
munication qu'il avoit encourue pour un cas
réiervé par les Papes au Saint Siège, Car
non -feulement le Légat & les Docleurs dé-
vouez à la Ligue, & fur tout l'Archevefque de '';'
Lyon, comme il le fit bien voir en la Confé-
rence de Surefne , mais auiîi le Cardinal de . '
Bourbon, qui avoir peine à fe défaire de fon
entêtement du tiers-parti, foulfenoient haute- " ^^■
ment qu'il n'y avoit que le Pape ieul qui euft le
pouvoir de l'abloudie, & que toute autre ab-
iolution leroit nulle, parce que le Pape avoit
uniquement &: pofitivement réfervé ce pouvoir
4î"^ Histoire de la Ligue.
I /;? 3. au Saint Siège. Toutefois, dans une grande AC-
femblée d'Evefques & de célèbres Dodteurs qui
fe tint pour refondre ce cas, l'opinion contrai-
re pafla tout d'une voix , malgré toutes les re-
montrances de ce Cardinal qui n'eftoit pas fort
habile homme. Le Curé mefme de Saint Eufta-
che René Benoiil, qui fut depuis Evefque de
Troyes ; le iieur de Morennes Curé de Saint
Merry, qui elf mort Evefque de Scez: eux, dis-
je, qui avoient elle de la Ligue juiques alors,
ôc quelques autres fçavans Dodleurs rendirent
D^ jufia compte au public par des écrits imprimez, des
A^j"«r- r r fr 11 -i • 1 r ■
ienr.iv. laiions iur kiqueiles ils appuyoïent leur ienti-
ment, &c qui fe réduifcnt à ce raifonnement,
qu'on fera peut-eftre bien-aife que je rapporte
icy en peu de mots comme je l'ay tiré de leurs
écrits, fans interpofer là-deffus mon jugement,
puis que je n'écris pas en Théologien qui ex-
poie èc foui-ticnt une Doctrine, mais en Hifto-
rien qui raconte fidellement les faits comme
il les trouve dans de bons mémoires.
c. ^4amvii. Il ef^ indubitable, difent ces Docteurs, fe-
C. Uc ci'.tro. I 1 1 / 1 I \^ ■ n 1
c.Kofatur, Ion les plus célèbres Canoniltes, que celuy qui
^luT^ê ftnt. ^^ excommunié pour un cas réfervé au Saint
t:<comm. Sicgc, s'il a qucIquc empeichement canonique,
TMn.in-D c. c'ell à dire, exprimé & approuvé par les Ca-
Vecittr. . ' r f ^ . II ^ r
syi. nous, qui ne permette pas de s aller preienter au
v.Ahfoi. 4 n Pape, peut eltre abfous par un autre, fans qu'il
M^n^c^'" ^^^^ obligé d'envoyer à Rome demander ion
""■y.&sç. abfolution : à condition toutefois que quand
Tempe f-
Livre IV. 45>7 .
i'empcfchemcnr, s'il ne dure pas toujours, cef- i y^j.
fera, il s'ira prefentcr au Saint Pcre, pour fe yhn.^rc. di
fl ■ 1 ■ / N 1 r ^ffic. Sucer.
oumettre en toute humilité a ce qui luy fera i 3. c. zz. ^
raifonnablement ordonné. Or il ell tout clair, 'J/"\ ",""
ajouftcnt-ils, qu'il y a trois fortes d'empcfche- cyx-,,,». ,„
^ • JT r ir»j.i ^""fl- ^""^ s-
mens Canoniques qui dilpenlent le Roy d al- Atm» Mat.
1er, àc en fuite d'envoyer à Rome demander ^l„i"„il %_
Tabfolution au Pape. f"^- "'"''■ ' ^'■
ni1 /t \-in'^ extmflari
Le premier eit le danger évident ou il cft »" ^'-^t"* tx-
continuellemcnt de perdre la vie en tant de com- 'lumi'u'vL
bats, de batailles & de fiegesoù il eft contraint '/""■ ^/f »-''
de s'expofer tous les jours pour conierver la
Couronne qui luy eft aquife par le droit invio-
lable de fuccefTion , félon la Loy fondamenta-
le du Royaume, & qu'une partie de fes Sujets
révoltez contre luy ont entrepris de luy ravir.
Un danger de cette nature, & mefme beaucoup
d'autres moindres, comme celuy des confpira-
tions, des inimitiez, des voleurs, d'une lon-
gue navigation, font cenfez par le droit & par
les Docteurs eftre de ceux qui font compris î^^var. in
dans ce qu'on appelle l'article de la mort, qui n']]''
ne s'entend pas feulement du moment fatal au- f^l'^f'g^/^^'
quel on eft preft de rendre l'efprit, mais auftî ^^>'^"^r.i.!.
de tout autre temps auquel on elt vuiblement «^«^/a».
expofé à la mort. Et c'eft en ces occafîons,
comme en l'article de la mort, que non feu-
lement les Evefques, mais auiîi tous les Pref-
tres peuvent abfoudre de tous péchez & de
toutes Cenfures Ecclelîaftiques, avec obligation
RRr
45)8 Histoire de la Ligue.
I 55) 3. néanmoins de fe reprefenter, s'il n'y a quelque
autre emperçhement qui s'y oppofe, comme ce-
luy qui luit.
TîZZt Et c'eft la grandeur &c la dignité des per-
"•/''•,^'-,, Tonnes excommuniées, & fino-ulierement des
4-n.s. Souverains, qui ne pourroient lailier les peu-
» ss.é- 90. pies qu lis gouvernent pour alier a Rome tans
finhar.1.3. ^^ notable préjudice de leur Couronne. Car fi
C. 22.
un père de famille, &c mefme un fîmple fervi-
leur feroit diCpcnfé d'y aller, fi Ion ablencc
devoir apporter trop d'incommodité à la mai-
Ion : que rq doit-on pas conclure d'un grand
Roy, dont la prefence eft toii)Ours neceîTaire,
ou du moins très-utile à Ton Royaume ? Ainlî
l'on doit toujours préiumer que ces perfonnes
d'une éminente dignité ont un perpétuel em-
perçhement de s'éloigner.
Enfin le troifiéme empefchement,qui eft ce-
c.sAcrc, «. iuy que les Docteurs appellent periculum in morâ,
feTrT.'coL. eft le grand danger qu'il y auroit, qu'en diffe-
é-siof.in C. rant fi long- temps cette abfolution , iufqu'à ce
uU. in-vcr.pe. . I P A ^ r. J ■ n.
ruuium im- qu OU la dounalt a Rome , on ne perdiit par
'tœn.é''ui"ijr- ^ille fafcheux accidens quipouvoient fijrvenir,
la belle occafion que l'on avoir de conferver
en France la Religion, l'Eftat, & les Loix fon-
damentales de la Monarchie , par la converfion
du Roy. Pour toutes ces raifons on conclut en
cette Allemblée qu'on pouvoit, & mefme qu'on
devoit l'abloudre, à la charge d'envoyer à Rome
une iolennelle Ambaffade, pour demander au
Livre î V. 4i>^ <
Pape fa Bencdiâiion paternelle, &: l'approba- 155)3.
tion de ce qu'on avoit fait fi juftemcnt en
France au fujct de fa converfion.
Cela rélolu de la forte, l'Adre public Se Co-
lennel d'une converfion fouliaitée avec tant
d'ardeur de tous les sens de bien , fe fit le Di-
manche fuivant vingt- cinquième de Juillet,
avec une maenificence diene d'une fi grande
a6bion, 6c de l'auguilie Majefté de celuy qui la
faifoir. Le Roy tout veftu de blanc , excepté
le manteau de le chapeau noir, fortit lur les
huit à neuf heures de fon logis, précédé des
Gardes Suifl'es, Franc^oiies, & Efcoffoifcs, des
Officiers de la Prevollé de l'Hoftel , tambour
bâtant, accompagné des Princes, des Officiers
de la Couronne, & des Cours Souveraines, des
Evefques & des Prélats, & de tous ceux qui
avoient aflifté à ion inllruition, douze trom-
pettes marchant devant luy, de fuivi de cinq
a fix cens Gentilshommes tous magnifiquement
vertus. Les ruifs eftoient tapiffées & jonchées
de verdure 3c de fleurs , & remplies d'une mul-
titude infinie de peuple , de principalement de
Parifiens, qui, malgré toutes les défenfes du
Légat 6e du Duc de Mayenne, eftoient venus
fondre dans Saint Denis, 6c crioient de toute
leur force, comme tous les autres, yive le I{oy.
Celt ainli qu'il marcha jufques à l'entrée de
l'Eglile de Saint Denis.
Là il trouva allis fur un fauteuil, en habits
KRrij
ur ■ ■ j-oo Histoire de la Ligue.
j j (j 3. Pontificaux , l'Archevefquc de Bourges qui fie
la cérémonie. Il demanda d'abord au Roy, fé-
lon la Formule marquée dans le Pontifical, qui
il eftoit,ô<: ce qu'il demandoit. Aquoyce grand
Prince ayant répondu , Je fuis le lioy ^ qui de^
mande d'eflre receu an giron de l'EgliJe Catholique,
Aj^oflolique çy Rfimaine , il fe mit a genoux i &
après avoir dit, en prefentant à l'Archevefque
fa Profelfion de Foy fignée de fa main , Je jure
Cir protejle deojant la face de Diea tout - ^uifj'ant ^ de
fuivre ^ mourir en l'Elfe Catholique , y^pojlolique
^ Romaine , de la protéger ^ défendre au perd de
mon fang O* de ma -vie ^ renonçant à toutes les Hè-
reftes qui luy font contraires y il receût de ce Prélat
l'abfolution des Cenfures qu'il avoir encourues.
Puis toute l'Eglife retentiffant des cris redou-
blez de Vi've le Roy , il fut mené par les Evef-
ques devant le grand Autel , où il réitéra fon
ferment fur les Saints Evangiles ; & après s'eftre
confelTé derrière l'Autel à l'Archevelque, tan-
dis que l'on chantoit en Mufique le Te Deum,
il ouït la grand' Méfie, qui fut célébrée par l'E-
vefque de Nantes , après laquelle la Mufique
chanta à plufieurs repnfes Vive le Roy, les Pa-
rifiens qui eftoient accourus à cette auguft.e cé-
rémonie fondant tous en larmes, & criant plus
haut que les Muficiens Vi've le Roj , ce qui fit
' bien voir que le peuple de Paris, excepté cette
canaille de la faction des Seize, n'eftoit Ligueur
que par cette invincible averfion qu'il a toû-
L I V R E I V. ;0I
jours eue duHugucnotifme. Car auflitofl: qu'il ijpj.
vit que le Roy s'eftoit fait Catholique, ce ne
fut plus pour luy le Biamois y ni le I{oy de Na-
'vxtre, mais fimplcment le ]{oy , qu'il euft déjà
voulu voir dans Paris, comme il parut bicntofl
après par la réduction paiiiblc de cette Capi-
tale du Royaume.
En effet, après que ce jour -là, qu'on peut
appeller, pour les fuites qu'il a eues, le dernier
de la Ligue , on eût veû la pieté avec laquelle
le Roy, dont on connoiffoit la fincerité & la
grandeur d'ame incapable d'hypocrilie , avoir
aiïifté à la MelTe, à Velpres, au Sermon de
r Archevefque, & vifité en luite le tombeau des
Martyrs à Montmartre : on fe moqua de tout
ce que les Efpagnols , le refte des Seize , leurs
Prédicateurs , &c fur tout le furieux Docteur
Boucher publièrent dans leurs Libelles & dans
leurs Sermons contre cette converfion, qu'ils
tafcherent inutilement de décrier par mille im-
poftures très -impudentes. On travailla deflors
fecretement à fe rendre au Roy , fans tumulte,
particulièrement depuis qu'on eût commencé
à goufter les douceurs de la paix, par la trêve
que les grandes villes defiroient pailionnément,
&qui fut conclue pour trois mois quatre jours
après la converfion du Roy.
Il eft vray que le Duc de Mayenne crai-
gnant qu'elle ne luy ravift bientoiî fon auto-
rité de Lieutenant de la Couronne , fit renou-
RRr iij
joi Histoire de la Ligue.
1/5' 3- veller dans fes prétendus Ertats le ferment de
perfîfter dans l'Union, & d'obéïr aux Ordon-
nances du Saint Père. Il fit plus: car pour l'o-
bliger à fouftenir toujours puiflamment Ton
parti , il fit approuver par les mefi-nes Eftats la
Déclaration qu'il avoit faite pour la publica-
^■'J^'/f. ^r' tion du Concile de Trente, quoy-qu'ils euffent
s,fi. deiAf- -a ' 1 r ■
fcmb. ttxue a auparavant enregutre les oppolitions qu on y
Parii . fous le *■ r ■ T ■ Al ' J • T ■
d'Ejiats. avoit faites lur vingt-trois Articles, qu on diloit
nom
flvHfVçs. ^ft'^^ a^ préjudice de la Juftice Royale & des
Libertez de l'Eglife Gallicane. Mais enfin, ni
cette publication qu'on n' avoit nulle envie de
faire valoir n'eût aucun effet, ni ce ferment
n'empefcha pas qu'on ne traitaft toujours fe-
cretement des moyens que l'on pouvoit pren-
dre pour recevoir, malgré le Duc de Mayenne,
le Roy dans Paris.
Et ce qui acheva de mettre tout le droit de
Fon cofté , &c de luy ramener prefque tous fes
Sujets, fut que, comme il l'avoit promis, il en-
voya le Duc de Nevers à Rome, pour rendre
au Pape l'obéiflance filiale que les Rois Tres-
Chreftiens luy doivent, & pour luy demander
encore l'abfalution qu'on croyoit à Rome que
le Pape feul pouvoit donner. On forma fur ce-
la de très -grandes difficultez; & le Pape Clé-
ment, lequel eftoit encore obfedé des Efpa-
gnols , qui faifoient tous leurs efforts pour em-
pefcher qu'on ne la luy donnaft, la refuia long-
temps d'une manière affez rebutante pour un
Livre IV.
J03
fi grand Roy. Mais comme ce Pontife vit que i^p^.
l'on commcn(joit à ne fe plus tant emprefler à
la luy demander, & qu'on croyoït en France
qu'après ce que l'on avoit fait , & le devoir où
le Roy s'cftoit mis, elle n'eftoit pas neccflaire:
il fit luy-mefme des avances pour renouer cet-
te négotiation , laquelle avoit efté abandon-
née par le Duc de Nevcrs qu'il n'avoir pas
voulu recevoir comme AmbafTadeur du Roy,
6c qui eftoit forti de Rome trcs-mal facis-
fait.
Le Roy donc qui ne voulut rien omettre en
cette occafion de tout ce qu'on pouvoir atten-
dre du plus religieux de tous les Princes , nom-
ma de nouveaux Députez , qui furent ces deux
grands hommes Jacques David du Perron &c
Arnaud d'OlTat, ceux-là mefme dont le mérite
extraordinaire fut peu de temps après récom-
penfé de la Pourpre Romaine; Se ils agirent
tous deux avec tant d'adrefle, qu'après de lon-
gues conteftations caufées par les Elpagnols fur
le fond de l'affaire & fur les formalitez, il
réfolut enfin de donner une féconde abiolu- tmr rf«c*r-
tion, & de demeurer précifément dans les ter- j"^!,//
mes de fon pouvoir fpirituel , fans parler de ré-
habilitation comme il le prétendoit, car on
ne voulut nullement fouffrir qu'd parufl par
ce terme , que la Couronne de France , qui ne
dépend que de Dieu feul, fuft ni dire élément
ni indirej^ement foumilc au Pape. Auafi cette
p4 Histoire de la Ligue.
I j p 3. Abfolution qu'il y avoir prés de deux ans qu'on
avoit demandée, fut donnée à Rome le feizié-
me de Septembre de l'année mil cinq cens qua-
tre-vingts-quinze. En quoy il eft aifé de voir
que ce ne fut point là ce qui abbatit la Ligue ;
& qu'au contraire, ce qui fit que le Pape ne fc
rendit plus Ci difficile , fut qu'il vit que la Li-
gue s'en alloit tout-à-fait rumée.
En effet, comme auffitoft que les deux grart-
des colonnes qui fouftenoient la voûte du
grand Palais des Philiftins furent renverfées par
la force prodigieufe de Samfon, tout cet édi-
fice profane s'en alla par terre : aufïi, dés que
ces deux beaux prétextes du bien de l'Eftat &
de la confervation de l'ancienne Religion, que
les Chefs de la Ligue avoient pris pour la baf-
tir & pour la maintenir, s'évanouirent par la
converfion du Roy, laquelle on crut véritable,
malgré tous les artifices des Efpagnols qui la
vouloient rendre fufpedte ^ tout ce malheureux
baftiment , déjà plus qu'à demi-ruiné , n'ayant
plus d'appuy, tomba de luy-mefme. De-torte
— que dans toute l'année fuivante prefque tous
^nn. les Chefs & toutes les villes de la Ligue firent
ij5>4. leur traité particulier avec le Roy, qui aima
mieux les rappeller doucement par Ton admi-
rable clémence, & par une bonté de Père, com-
me fes enfans , en leur accordant des condi-
tions avantageufes , ôc des grâces qui luy fai-
foient d'autant plus d'honneur , qu'ils s'en
eftoienc
Livre IV. ' ' ;oj
cftoicnt rendus moins dignes, que de les con- i JP4.
craindre, comme il le pouvoir, par la force de
fes armes vidlorieufes , à rentrer, malgré qu'ils
en enflent, dans leur devoir.
Comme le Marquis de Vitry avoir efté le '^""•Pl^^ •t^
premier a quitter le parti du Roy , après la mort u Nobujfc.
de Henry III. pour entrer dans ccluy de la
Ligue, qu'il croyoït alors le plus julle, il fut
aulli le premier, qui eflant dciabulé de cette
faufl'e opinion le remit dans l'obéïflance, avec la
ville deMeaux de laquelle il eftoit Gouverneur,
Le fîeur de laChaftre iuivit bientofl cet exem-
ple, & ramena avec luy Orléans & Bourges.
Les Lionnois , après avoir fecoûé le joug du
Duc de Nemours qu'ils mirent prifonnier dans
Pierre-Encife, & de Ion frère utérin le Duc de
Mayenne, qui les avoir portez fous main àTar-
rcfter, afin de pouvoir joindre Ion Gouverne-
ment de Bourgogne auLyonnois,&:de s'y can-
tonner, chafTerent de leur ville les Ligueurs, &
crièrent V^e Le Roy.
La Provence fut la première de toutes les ^'^- 'l'^f»^-
Provmces qui commenc^a de fe déclarer haute- t-w?.». k
ment contre le parti de la Ligue, en prenant >'•'
les armes en mefme temps pour faire la guerre
aux Savoyards, & au Duc d'Efpcrnon qui s'ef-
toit emparé du Gouvernement de cette Provin-
ce contre la volonté du Roy. Cette réduction
volontaire &c ligénéreufe le fit par le zèle, par
le courage, & par radreffe de quatre braves
SSf
50(J Histoire de la Lïgue.
I jP 4. Gentilshommes de la Maifon de Fourbin, l'une
des plus illuftres & des plus fignalées de la Pro-
vence. Ceux-cy furent Palamedes de Fourbin
Seigneur de Soliers, de fes deux fils Gafpard de
Solicrs & de Saint Canat, &c Nicolas de Four-
bin Chevalier de Malte, aufquels fe joignit leur
coufm Melchior de Fourbin fieur de Janfon,
Baron de Ville-Laure 5c de Mane.
Comme ils eftoient parens &c alliez de Jean
de Pontevez Comte de Carces, Gouverneur &
Grand Sénéchal de Provence, dont les fieurs
de Janfon & de Saint Canat avoient époufé les
deux foeurs : ils agirent fi fortement fur fon
efprit, qu'ils luy firent abandonner la Ligue, de
laquelle il s'eftoit déclaré Chef après la mort
de fon neveu le Seigneur de Vins, qui fut tué
d'une moulquetade en afTiegeant GrafTe. Puis
ayant fait entrer dans leur Confédération la
meilleure partie de laNoblefle, le Comte rame-
na fans peine la ville d'Aix & le Parlement, qui
fe réunit en mcime temps, avec cette partie
de fes Officiers qui tenoient leur féancc à Ma-
nofque fous l'autorité du Roy. En fuite la pluf-
part des Proven(^aux eftant réiinis , & fortifiez
du fecours qu'ils receûrent de M. de Lefdiguie-
res, condmlirent leur entrepnfe avec tant de
fageife, de courage &c de bonheur, qu'ils con-
traignirent enfin & les Savoyards &c le Duc
d'Elpernon de fortir de la Province, & d'en laif-
fer le Gouvernement libre au Duc de Guife.
Livre IV.
;o7
Et ce Prince acheva hcurcufemcnt, par la dcU- i ;p 4»
vrancc de Markille, ce grand ouvrage que les
quatre Seigneurs de Fourbin avoient i\ eéné-
reulemcnt commence de h bien conduit auiîi-
toll après la converfion du Roy, & après qu'il
eût fait ion entrée dans Paris, laquelle en fore
peu de temps fut iuivie de la réduction de tout
le refte de la France.
Il y avoit dtja plufîeurs mois que le Parle- ^'UtionUeU
ment, & les Magiftrats de la Ville, par \ç.s uriL'''*
foins du Preiident le Maiibe, des Confeillers
du V